Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 9 janvier 2017

Endroit :

9 janvier-3 février 2017 : Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, salle d’audience, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC)

24-25 mai 2017 : Navire canadien de Sa Majesté Prevost, 19 rue Becher, London (ON)


Chefs d’accusation :

Chefs d’accusation 1, 2, 3, 4, 6, 7, 8 : Art. 130 LDN, abus de confiance par un fonctionnaire public (art. 122 C. cr.).
Chef d’accusation 5 : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).

Résultats :

VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3, 4 : Non coupable. Chefs d’accusation 5, 6, 7, 8 : Coupable
SENTENCE : Emprisonnement pour une période de neuf mois.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Wilks, 2017 CM 1008

 

Date : 20170525

Dossier : 201620

 

Cour martiale générale

 

Navire canadien de Sa Majesté Prevost

London (Ontario), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Maître de 2e classe (retraité) J.K. Wilks, contrevenant

 

 

En présence de : Colonel M. Dutil, J.M.C.


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Restriction à la publication : Par ordonnance de la cour rendue en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l’article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser, de quelque façon que ce soit, tout renseignement permettant d’établir l’identité de la personne décrite dans le cadre des présentes procédures devant la cour martiale comme étant la plaignante, à savoir J.W.

 

Par ordonnance de la cour rendue en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l’article 486.5 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser, de quelque façon que ce soit, tout renseignement permettant d’établir l’identité des personnes décrites dans le cadre des présentes procédures devant la cour martiale comme étant les plaignantes, à savoir C.C., K.W., D.S., J.W., R.M. et M.K.

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

[1]               Le maître de 2e classe (retraité) Wilks a été déclaré coupable relativement à un chef d’accusation d’agression sexuelle, une infraction punissable en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, contrairement à l’article 271 du Code criminel; ainsi que relativement à trois chefs d’accusation d’abus de confiance par un fonctionnaire public, une infraction punissable en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, contrairement à l’article 122 du Code criminel.

 

[2]               Les avocats de la poursuite et de la défense ont présenté une recommandation conjointe quant à la peine, dans laquelle ils recommandaient à la Cour d’imposer une peine d’emprisonnement de neuf mois. Selon ce qu’ils ont fait valoir, leur analyse les a amenés à conclure qu’une telle peine servirait les objectifs nécessaires que sont la dénonciation et la dissuasion générale, compte tenu surtout des facteurs les plus sérieux qui sont considérés comme aggravants et qui sont énoncés à l’article 718.2 du Code criminel, soit des éléments de preuve établissant :

 

(ii.1) que l’infraction perpétrée par le délinquant constitue un mauvais traitement à l’égard d’une personne âgée de moins de dix-huit ans,

 

(iii) que l’infraction perpétrée par le délinquant constitue un abus de la confiance de la victime ou un abus d’autorité à son égard, 

 

(iii.1) que l’infraction a eu un effet important sur [une] victime […]

 

[3]               Pendant toute la période pertinente lors de la perpétration des infractions, le maître de 2e classe (retraité) Wilks était employé en tant que technicien médical au sein de la force régulière des Forces armées canadiennes (FAC), et il avait la responsabilité d’administrer, entre autres procédures, des examens médicaux d’enrôlement. Deux des verdicts de culpabilité concernent la conduite qu’a eue le maître de 2e classe (retraité) Wilks alors qu’il procédait à un examen médical d’enrôlement sur la personne de deux victimes, c’est-à-dire R.M. et M.K., en janvier 2009 et en mai 2009, à London, en Ontario, d’une manière allant à l’encontre des politiques et procédures du Groupe des Services de santé des Forces canadiennes. Par ailleurs, deux autres verdicts de culpabilité ont trait à la conduite du maître de 2e classe (retraité) Wilks lors de l’examen médical d’enrôlement effectué sur la personne de Mme J.W., le 22 juillet 2009, à Windsor, en Ontario. Dû au fait que ces verdicts ont été rendus par le comité d’une cour martiale générale, la cour doit considérer comme prouvés tous les faits, exprès ou implicites, essentiels à chacun des verdicts de culpabilité rendus par les membres du comité de la cour martiale.

 

[4]               La preuve présentée par la poursuite lors du procès a établi qu’en ce qui concerne les tâches et les responsabilités incombant aux assistants médicaux lorsqu’ils procèdent à des examens médicaux d’enrôlement, compte tenu des instructions, ordres, politiques et directives applicables en matière d’examens médicaux d’enrôlement, qui protègent expressément l’intimité des postulants, il est interdit de procéder à un examen des seins ou des organes génitaux, y compris un examen visuel. Par ailleurs, l’abus de confiance commis par le contrevenant à l’endroit de Mme R.M. à London, en Ontario, le 22 janvier 2009, se rapporte particulièrement à des faits ayant eu lieu lors de l’examen médical d’enrôlement réalisé sur cette dernière par le maître de 2e classe (retraité) Wilks au centre de recrutement de London, en Ontario. Celui-ci lui a demandé d’enlever son haut, en ajoutant que, si elle était mal à l’aise, elle pouvait garder son soutien-gorge. Elle a alors décidé de l’enlever, car elle avait le sentiment de pouvoir lui faire confiance, étant donné qu’elle était là pour s’enrôler dans l’armée et qu’il lui paraissait professionnel. Le maître de 2e classe (retraité) Wilks a alors fait une inspection visuelle de ses seins, puis lui a dit que l’un était plus gros que l’autre.

 

[5]               Dans le cas de mademoiselle M.K., son examen médical d’enrôlement a eu lieu le 28 mai 2009, au centre de recrutement de London, en Ontario. Elle terminait alors sa 10e année, et était âgée de 16 ans. Durant l’examen médical, le maître de 2e classe (retraité) Wilks et elle se trouvaient seuls dans la pièce. Ce dernier lui a donné un formulaire, qu’elle a rempli elle-même. Elle a enfilé une jaquette avant l’examen, après avoir été priée d’enlever son chandail. Mademoiselle M.K. a déclaré que le maître de 2e classe (retraité) Wilks voulait examiner ses seins, car elle avait mentionné avoir un mamelon percé. À la fin de l’examen, il lui a demandé de baisser sa robe de manière à exposer sa poitrine, et de placer ses mains derrière sa tête. Il a ensuite fait une inspection visuelle de ses seins.

 

[6]               Enfin, les deux autres déclarations de culpabilité concernant respectivement l’infraction d’agression sexuelle et l’infraction d’abus de confiance par un fonctionnaire public ont trait à l’examen médical d’enrôlement subi par Mme J.W. le 22 juillet 2009, à Windsor, en Ontario. Celle-ci s’est vu remettre une jaquette à enfiler. Le contrevenant lui a palpé les seins pour y détecter d’éventuelles bosses, après quoi il a tiré sa jaquette vers le bas et lui a demandé de se toucher les seins pendant qu’il la regardait pratiquer un examen des seins sur elle‑même. À l’aide de ses doigts et de son pouce, le contrevenant a ensuite tiré sur ses mamelons jusqu’à ce qu’ils durcissent. Il lui a dit qu’il s’assurait ainsi que ses mamelons réagissent correctement. Elle a présenté à la cour une déclaration de la victime décrivant de quelle manière le comportement du contrevenant avait eu des répercussions négatives sur sa vie personnelle et professionnelle pendant plusieurs années, dont trois années de sa carrière militaire. La Cour a pleinement tenu compte de cette déclaration lors de son examen de la recommandation conjointe sur la peine.

 

[7]               Avant le début de son procès tenu le 9 janvier 2017 devant la présente cour martiale générale, une cour martiale permanente présidée par le juge militaire Perron avait déjà, le 17 novembre 2011, déclaré le maître de 2e classe (retraité) Wilks coupable relativement à une accusation d’agression sexuelle et de quatre accusations d’abus de confiance par un fonctionnaire public en ce qui a trait à des faits survenus entre 2008 et 2009. Il avait alors été condamné à de l’emprisonnement pour une période de neuf mois. Le maître de 2e classe (retraité) Wilks a purgé cette peine. Le 15 novembre 2013, une cour martiale permanente présidée par le juge militaire d’Auteuil l’a reconnu coupable à l’égard de 10 chefs d’accusation d’agression sexuelle, contrairement à l’article 271 du Code criminel, et de 15 chefs d’accusation d’abus de confiance par un fonctionnaire public, contrairement à l’article 122 du Code criminel. Le 28 avril 2014, il a été condamné à de l’emprisonnement pour une période de 30 mois. Toutes les infractions se rapportaient à un certain nombre d’incidents ayant eu lieu à Thunder Bay et à London, en Ontario, entre 2003 et 2009, et qui concernaient 15 plaignantes différentes. En résumé, dans le cadre d’un examen médical annuel ou d’un examen périodique, le maître de 2e classe (retraité) Wilks a procédé à un examen des seins sur les plaignantes, c’est-à-dire à un examen visuel seulement ou à un examen visuel et tactile des seins nus des plaignantes, alors qu’il n’avait pas le pouvoir de le faire et qu’il n’y avait aucune exigence médicale à cet égard. Le maître de 2e classe (retraité) Wilks a été mis en liberté jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur un appel interjeté à la suite de son deuxième procès en cour martiale, et il a comparu devant la présente cour martiale générale en janvier 2017, en attendant la décision de la Cour d’appel de la cour martiale (CACM).

 

[8]               Vendredi dernier, soit le 19 mai 2017, la CACM a rendu une décision par laquelle elle rejetait l’appel du maître de 2e classe (retraité) Wilks, ce qui a eu pour effet de mettre fin à la mise en liberté de celui-ci. En conséquence, une ordonnance d’incarcération a été signée le 24 mai 2017 par la juge militaire Sukstorf aux fins de l’exécution de la peine prononcée le 28 avril 2014 par le juge militaire d’Auteuil.

 

[9]               Le contrevenant a été libéré des FAC en avril 2011. Il est maintenant âgé de 57 ans et il compte 27 années de service au sein des FAC. Outre ces condamnations, il n’avait aucun antécédent disciplinaire ou criminel et était considéré comme quelqu’un de compétent, dévoué et professionnel, d’après les témoignages entendus lors du procès. Il souffre de divers problèmes de santé, y compris d’hypothyroïdie, d’hypertension et de diabète, affections pour lesquelles il doit prendre des médicaments quotidiennement, y compris d’injections d’insuline et d’injections pour traiter sa polyarthrite rhumatoïde. Depuis sa libération, il a effectué un certain nombre de dons de charité à divers organismes.

 

[10]           La recommandation conjointe présentée à la cour s’inscrit dans le contexte du récent arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43, où la Cour a énoncé le critère juridique que les juges du procès devraient appliquer pour décider s’il est approprié, dans une affaire donnée, d’écarter une recommandation conjointe. La Cour a affirmé que le critère de l’intérêt public est celui que les juges du procès devraient appliquer, c’est-à-dire qu’un juge du procès ne devrait pas ou ne peut pas écarter une recommandation conjointe relative à la peine, à moins que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit par ailleurs contraire à l’intérêt public. Ce que cela signifie, c’est que les juges du procès ne devraient écarter une recommandation conjointe que lorsqu’une personne renseignée et raisonnable estimerait que la peine proposée fait échec au bon fonctionnement du système de justice.

 

[11]           La Cour suprême du Canada reconnaît que le fait, pour les avocats du ministère public ou de la poursuite et de la défense, de convenir d’une recommandation conjointe relative à la peineen échange d’un plaidoyer de culpabilité constitue une pratique acceptée et tout à fait souhaitable. Les ententes de cette nature sont en outre monnaie courante, en plus d’être essentielles au bon fonctionnement de notre système de justice pénal et, j’ajouterais, de notre système de justice militaire. La perspective d’une recommandation conjointe qui comporte un degré de certitude élevé encourage les personnes accusées à enregistrer un plaidoyer de culpabilité, ou à limiter l’objet de l’audience sur la détermination de la peineaux questions les plus fondamentales. Les recommandations conjointes permettent par ailleurs d’économiser du temps précieux, des ressources et des coûts. Il s’agit là d’un avantage non négligeable, mais ce n’est pas le seul. De façon plus importante encore, dans une affaire comme celle qui nous occupe, les recommandations conjointes évitent aux victimes d’avoir à témoigner de nouveau, dans le cadre de l’audience sur la détermination de la peine, au sujet des circonstances des infractions et des conséquences que celles-ci ont eues pour elles. Et, bien entendu, cela permet de réduire l’anxiété des personnes appelées à témoigner dans un tel contexte. Ces nombreux avantages sont donc assurément reconnus par les tribunaux.

 

[12]           Il s’ensuit également que, pour que la présentation de recommandations conjointes reste possible, les parties doivent avoir un haut degré de certitude quant au fait qu’elles seront acceptées. Advenant qu’elles aient trop de doutes à cet égard, les parties pourraient plutôt choisir d’accepter les risques d’un procès, ou d’une audience de détermination de la peine contestée. L’approche en question, qui est reconnue par la Cour suprême du Canada, s’appuie largement sur le travail de la poursuite, ici représentée par le major van der Linde agissant au nom du directeur des poursuites militaires, ainsi que de M. Hodson et Mme Mansour, les avocats de la défense, qui agissent dans l’intérêt supérieur de l’accusé. Il va sans dire que les avocats doivent fournir à la cour un compte rendu complet de la situation du contrevenant et des circonstances de l’infraction. Il leur faut également analyser de façon très méticuleuse tous les principes applicables en matière de détermination de la peine et les objectifs appropriés à atteindre dans un cas donné. La recommandation conjointe devrait donc faire état de ces renseignements, sans que le juge du procès ait à les demander. Puisque les juges du procès sont tenus de ne s’écarter que rarement des recommandations conjointes, les avocats ont l’obligation corollaire de s’assurer qu’ils justifient amplement leur recommandation, en indiquant surtout leur position en fonction des faits de l’affaire, tels qu’ils ont été présentés en audience publique. Et je dois dire qu’aujourd’hui, c’est ce que les parties ont fait. En conséquence, la Cour accepte et endosse la recommandation voulant que le contrevenant purge une peine d’emprisonnement de neuf mois.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[13]           VOUS CONDAMNE à de l’emprisonnement pour une période de neuf mois.

 

[14]           ORDONNE le prélèvement sur votre personne du nombre d’échantillons de substances corporelles jugé nécessaire pour analyse génétique, conformément à l’article 196.14 de la Loi sur la défense nationale.

 

[15]           VOUS ENJOINT de vous conformer à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels pendant le reste de votre vie, en application du paragraphe 227.02(4) de la Loi sur la défense nationale.


 

Avocats :

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par le major A.J. van der Linde et le major M.A. Pecknold

 

M. D.M. Hodson et Mme D. Mansour, David Hodson Criminal Defence Law, 16, Lindsay Street North, Lindsay (Ontario), avocats du maître de 2e classe (retraité) J.K. Wilks

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