Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 3 avril 2017

Endroit : BFC Edmonton, Installation pour des lectures d’entraînement, édifice 407, chemin Korea, Edmonton (AB)

Chefs d’accusation :

Chef d’accusation 1 : Art. 90 LDN, s’est absenté sans permission.
Chef d’accusation 2 : Art. 97 LDN, ivresse.
Chef d’accusation 3 (subsidiaire au chef d’accusation 4) : Art. 85 LDN, s’est conduit d’une façon méprisante à l’endroit d’un supérieur.
Chef d’accusation 4 (subsidiaire au chef d’accusation 3) : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats :

VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 3 : Retirés. Chefs d’accusation 2, 4 : Coupable.
SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 3000$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Leadbetter, 2017 CM 4007

 

Date : 20170405

Dossier : 201625

 

Cour martiale permanente

 

Base de soutien de la 3e Division du Canada, Edmonton

Edmonton (Alberta) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et –

 

Caporal-chef C.L.J. Leadbetter, contrevenant

 

 

En présence du capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

Introduction

 

[1]        Caporal-chef Leadbetter, après que deux témoins eurent été entendus pendant votre procès devant cette cour martiale, vous avez exprimé le désir de plaider coupable à deux des chefs d’accusation figurant sur l’acte d’accusation. Après avoir conclu une entente avec votre avocat, le procureur de la poursuite a obtenu ma permission de retirer les premier et troisième chefs d’accusation. J’ai accepté et enregistré votre plaidoyer de culpabilité quant aux deuxième et quatrième chefs d’accusation. La Cour vous déclare maintenant coupable de ces infractions aux termes des articles 97 et 129 de la Loi sur la défense nationale (LDN), à savoir ivresse et comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline, relativement aux actes que vous avez commis au petit matin le 8 février 2016 quand vous avez eu un comportement répréhensible et que vous avez invité votre commandant de peloton à se battre, alors que vous étiez en état d’ébriété pendant une escale d’une nuit à Chicago (États‑Unis d’Amérique) lors d’un voyage pour un devoir en Louisiane avec des membres de votre unité.

 

Présentation d’une soumission conjointe

 

[2]                    Je dois maintenant infliger la peine. Il s’agit d’une affaire dans laquelle les parties ont présenté une soumission conjointe à la Cour. Le procureur de la poursuite et l’avocat de la défense ont soumis l’imposition d’une peine composée d’une réprimande et d’une amende au montant de 3 000 $.

 

[3]                    La soumission conjointe des avocats restreint passablement mon pouvoir discrétionnaire de déterminer la peine adéquate. Je ne suis pas tenu d’y souscrire. Toutefois, à l’instar de tout autre juge de première instance, je ne puis passer outre à une soumission conjointe que si la peine proposée est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou d’être par ailleurs contraire à l’intérêt du public, ainsi que l’écrivait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43.

 

[4]                    Il m’incombe d’apprécier l’acceptabilité de la soumission conjointe qui m’est présentée, mais je ne puis m’en écarter à la légère, car les soumissions conjointes répondent à d’importantes considérations d’intérêt public. Le gain le plus important pour l’ensemble des participants est la certitude qu’apporte une soumission conjointe, à l’accusé bien sûr, mais aussi à la poursuite, laquelle souhaite obtenir ce qui, aux yeux d’un procureur militaire, représente pour l’intérêt public une résolution adéquate de l’affaire.

 

[5]                    Or, la certitude d’un résultat n’est pas l’objectif ultime du processus de la détermination de la peine. Je dois également garder à l’esprit l’objectif disciplinaire du code de disciplinaire militaire et des tribunaux militaires dans l’accomplissement de la fonction qui est mienne en ma qualité de juge militaire pour la détermination de la peine. Comme l’a souligné la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259, le code de discipline militaire porte avant tout sur le maintien de la discipline et de l’intégrité au sein des Forces armées canadiennes (FAC). Grâce aux cours martiales, les autorités militaires sont en mesure de faire respecter efficacement la discipline interne. La sanction imposée est la suite logique du constat qu’il y a eu manquement au code de discipline militaire. La sentence est prononcée dans un établissement militaire, en public, et en la présence de membres de l’unité du contrevenant.

 

[6]                    Le prononcé d’une sentence par une cour martiale représente donc l’accomplissement d’une fonction disciplinaire. Conformément à l’article 112.48 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), le juge militaire prononce une sentence proportionnée à la gravité de l’infraction et aux antécédents du contrevenant. Lorsqu’une soumission conjointe lui est faite, le juge militaire qui inflige la sentence doit s’assurer, à tout le moins, que les circonstances de l’infraction, la situation du contrevenant et la soumission conjointe sont non seulement prises en compte, mais qu’elles sont suffisamment exposées dans la décision portant sur la sentence. Cette obligation des cours martiales en matière de la détermination de la sentence ne diminue en rien la portée des directives de la Cour suprême concernant les soumissions conjointes, lesquelles sont énoncées au paragraphe 54 de l’arrêt R. c. Anthony-Cook.

 

Éléments pris en compte

 

[7]                    En l’espèce, le procureur de la poursuite a produit les documents requis par l’article 112.51 des ORFC et a lu un énoncé pour indiquer les circonstances des infractions qui, comme en convient l’avocat de la défense, devraient être prises en considération par la Cour au moment de déterminer la peine. Tous ces documents sont venus compléter les témoignages des deux premiers témoins appelés par le procureur lors du procès. Un exposé conjoint des faits et des aveux a aussi été déposé sur consentement afin de renseigner la Cour sur des faits intéressant la situation personnelle et la carrière du caporal-chef Leadbetter. J’ai également reçu en preuve la copie d’un avertissement écrit transmis après l’incident.

 

[8]                  Pour sa part, l’avocat de la défense a produit, avec l’assentiment de la poursuite, deux certificats de service exemplaire et une revue du développement du personnel attestant du rendement du caporal-chef Leadbetter.

 

[9]                  Outre cette preuve, la Cour a aussi pu bénéficier des observations des avocats, à l’appui de leur position commune concernant la peine, compte tenu des faits et considérations intéressant la présente affaire, avec prise en compte également de précédents portant sur des affaires semblables. Ces observations ainsi que la preuve produite me renseignent suffisamment pour que je sois en mesure d’imposer une sanction adaptée au contrevenant concerné et aux infractions commises.

 

Situation du contrevenant

 

[10]              Le caporal-chef Leadbetter, âgé de 33 ans, est un fantassin qui s’est enrôlé dans les FAC à l’âge de 26 ans, en avril 2010, après avoir obtenu un baccalauréat en sciences politiques. Après avoir été affecté au 3e Bataillon, Princess Patricia’s Canadian Light Infantry (3 PPCLI), il a rapidement été considéré comme un soldat enthousiaste ayant réussi plusieurs cours exigeants dans le but de servir comme parachutiste, chef largueur et commandant de section d’infanterie. Avant les incidents à l’origine des accusations, le caporal-chef Leadbetter était un soldat remarquable, comme le démontre le nombre accru de responsabilités qui lui avaient été confiées au sein du bataillon, y compris la nomination à son grade actuel en 2015 et sa performance impressionnante pendant le cours d’instructeur au combat rapproché, pour lequel il a reçu un prix d’excellence régimentaire à titre de meilleur candidat en mai 2015.

 

[11]              À la suite de l’incident, le caporal-chef Leadbetter est revenu au Canada dans les heures suivant son arrivée en Louisiane. Les membres de son unité ont remarqué son retour hâtif, ce qui l’a mis dans l’embarras. Il regrettait d’avoir laissé tomber son unité et d’avoir manqué un entraînement. Le caporal-chef Leadbetter a réalisé qu’il avait trop bu pendant le voyage et, déterminé à ne pas refaire la même erreur, il a pris des mesures pour corriger ce comportement afin de ne plus s’enivrer autant. La chaîne de commandement a décidé que le comportement du caporal-chef Leadbetter constituait un abus de confiance grave et un manquement grave à la discipline personnelle, qui sont des attributs essentiels dans un bataillon d’infanterie légère qui mène un grand nombre d’opérations au niveau du peloton et de la section. Ses supérieurs ont perdu confiance en sa capacité à travailler comme chef largueur, chargé de larguer les parachutistes.

 

[12]              Le caporal-chef Leadbetter a fait l’objet d’un avertissement écrit et il a terminé la période de surveillance le 15 septembre 2016. Il a été retiré de la compagnie B pour une période de quatre mois, pendant laquelle il n’occupait plus un poste de parachutiste et ne pouvait plus porter un béret marron, qui est un signe de fierté pour les membres des sous-unités de parachutistes. Il a récupéré ce privilège après avoir été affecté à la cellule de livraison aérienne, où il pouvait mettre à profit ses compétences spéciales. Le commandant du 3 PPCLI croit que le caporal-chef Leadbetter peut corriger le comportement dont il a fait preuve lors de l’incident et retrouver la confiance de sa chaîne de commandement et de ses pairs.

 

[13]              Le caporal-chef Leadbetter fréquente actuellement une femme qui travaille en tant qu’ambulancière paramédicale. Elle a deux enfants, âgées de 2 et 9 ans, avec lesquels le caporal-chef entretient une bonne relation. Le caporal-chef Leadbetter a aussi un fils de 13 ans qui vit en Nouvelle-Écosse. Il verse une pension alimentaire chaque mois et paye les frais de déplacement pour que celui-ci vienne passer l’été à Edmonton.

 

Circonstances des infractions

 

[14]              Pour apprécier le caractère acceptable de la soumission conjointe, la Cour a tenu compte de la gravité objective des infractions, tel qu’elle ressort de la peine maximale qui peut être prononcée. L’infraction prévue par l’article 97 de la LDN, soit de s’être trouvé ivre pendant qu’il était en service actif, est punissable d’un emprisonnement d’une durée de moins de deux ans alors que les infractions prévues par l’article 129 sont punissables de la peine maximale plus lourde qu’est la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté.

 

[15]              Les faits entourant les infractions commises en l’espèce sont exposés dans l’énoncé des circonstances lu par le procureur de la poursuite et formellement admis par le caporal-chef Leadbetter. Ces circonstances peuvent être résumées comme suit :

 

a)                  Au moment des infractions, le caporal-chef Leadbetter était commandant de section au 4e Peloton de la Compagnie B, 3 PPCLI. Le 7 février 2016, les membres du 4e Peloton devaient voyager à bord d’un avion commercial pour se rendre aux États-Unis et participer à des exercices d’entraînement à Fort Polk, Louisiane. Le caporal-chef Leadbetter s’est rendu, avec un groupe de soldats, à Chicago, en Illinois, pour passer la nuit avant de se rendre en Louisiane le lendemain.

 

b)                  Une fois rendus dans le hall de l’hôtel Marriott, tous les membres du peloton ont été avisés qu’ils devaient se rassembler à ce même endroit tôt le matin du 8 février 2016 pour monter à bord d’une navette et se rendre à l’aéroport. Ils étaient alors libres de partir pour la soirée.

 

c)                  Alors que des membres du 4e Peloton se rassemblaient dans le hall de l’hôtel à environ 2 h 20 le 8 février, certains ont remarqué que le caporal-chef Leadbetter et le sergent Hoekstra étaient absents. Le caporal-chef Leadbetter a été joint par cellulaire. Il était parti à un casino situé tout près avec le sergent Hoekstra, mais il ne pouvait pas trouver son partenaire au moment de l’appel. Le caporal-chef Leadbetter a alors reçu l’ordre de trouver le sergent et de retourner à l’hôtel.

 

d)                 Le commandant de peloton, le capitaine Prowse, a ordonné que les membres du peloton se rendent à l’aéroport en navette. Il espérait alors retrouver les deux membres manquants et se diriger vers l’aéroport avec eux. Peu de temps après, un taxi s’est arrêté et le sergent, qui était clairement intoxiqué, se trouvait à bord. Le capitaine Prowse a téléphoné au caporal-chef Leadbetter pour l’aviser que le sergent venait tout juste d’arriver et il a ensuite rempli les formalités de départ de l’hôtel pour le caporal-chef Leadbetter, le sergent Hoekstra et lui-même. Il a ensuite rappelé le caporal-chef Leadbetter pour connaître sa position et ce dernier lui a fait savoir de façon colérique qu’il était dans le hall de l’hôtel. Cependant, il se trouvait alors dans un autre hôtel de la chaîne Marriott. Le capitaine Prowse et le sergent Hoekstra sont allés le rejoindre en taxi.

 

e)                  Une fois rendu au deuxième hôtel, le capitaine Prowse a aperçu le caporal-chef Leadbetter, qui présentait des signes d’intoxication. Le caporal-chef Leadbetter est passé agressivement à côté du capitaine Prowse, puis il a violemment ouvert et fermé la porte coulissante du taxi, causant ainsi des dommages. Le caporal-chef Leadbetter criait après le sergent Hoekstra et le capitaine Prowse alors qu’il montait à bord du taxi. Quand le chauffeur s’est plaint et a menacé d’appeler la police, le capitaine Prowse a négocié avec lui. Le chauffeur voulait initialement des milliers de dollars pour les dommages causés à la porte. Le capitaine Prowse a avisé le caporal-chef Leadbetter qu’il devait payer pour les dommages pour éviter que la police soit alertée.

 

f)                   Le capitaine Prowse et le chauffeur ont réussi à fermer la porte endommagée du taxi et ont entamé la route vers l’aéroport. Le capitaine Prowse tentait de calmer le chauffeur et de détendre l’atmosphère. Il a encouragé le caporal-chef Leadbetter à fournir un numéro de carte de crédit pour payer pour les dommages, lesquels avaient alors été négociés à la baisse, soit quelques centaines de dollars. En route vers l’aéroport, le chauffeur a arrêté la voiture et a affirmé qu’il appellerait la police s’il ne se voyait pas rembourser les dommages. Le caporal-chef Leadbetter a continué à se montrer condescendant. Quand le capitaine Prowse lui a demandé de se calmer, il a répondu quelque chose comme [traduction] « Je n’ai pas à faire quoi que ce soit ». Le capitaine Prowse s’est alors directement adressé à lui en sa qualité de caporal-chef et lui a clairement dit de se calmer et d’arrêter de le confronter. Le caporal-chef Leadbetter lui a répondu [traduction] « Je vais te sacrer une volée. Je vais te battre. »

 

g)                  Le caporal-chef Leadbetter a fini par donner son numéro de carte de crédit au chauffeur. Ce dernier a fait la transaction et a poursuivi son chemin vers l’aéroport. Quand le caporal-chef Leadbetter a entendu le chauffeur parler au téléphone dans une langue étrangère, il a marmonné [traduction] « maudit terroriste ». Il l’a dit suffisamment fort pour que le capitaine Prowse l’entende alors qu’il était assis à l’avant, mais le chauffeur n’a pas semblé s’en rendre compte.

 

h)                  Une fois à l’aéroport, le caporal-chef Leadbetter a aidé à transporter le sergent Hoekstra dans le terminal et à franchir les contrôles de sécurité. Il a commencé à se calmer quand un autre sergent l’a aidé à se rendre de la barrière de sécurité à l’aire d’attente. Certains ont remarqué qu’il titubait et qu’il sentait l’alcool. Des subalternes directs du caporal-chef Leadbetter ainsi que les autres soldats et les caporaux du 4e Peloton se trouvaient dans la salle d’embarquement.

 

Facteurs aggravants

 

[16]              Les circonstances des infractions commises en l’espèce démontrent un manque d’autodiscipline de la part d’un soldat relativement expérimenté. Il était peu judicieux de la part du caporal-chef Leadbetter de se livrer à une consommation excessive d’alcool après avoir été avisé qu’il devait être prêt pour le transfert à l’aéroport dans le milieu de la nuit, et ce, pendant qu’il se rendait à un exercice important à l’extérieur du Canada. Il a bu au point de ne pas se rendre compte qu’il ne se trouvait pas à l’hôtel où il avait pris une chambre quelques heures plus tôt. Pire encore, une fois en présence de son commandant de peloton, qui l’avait rejoint en taxi, il a commis des actes répréhensibles, notamment en causant des dommages à la porte du véhicule, en tenant des propos offensants à l’égard des personnes présentes, dont son commandant de peloton à qui il s’est adressé d’une manière suffisamment inappropriée pour constituer un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

 

[17]              Plus précisément, le comportement du caporal-chef Leadbetter révèle les facteurs aggravants suivants :

 

a)                  Le fait que les infractions ont été commises pendant qu’il effectuait un déplacement en service commandé dans un autre pays dans le but de se rendre à un exercice d’entraînement. Les membres des FAC en service à l’extérieur du pays sont automatiquement des ambassadeurs de leur pays auprès des forces étrangères et des citoyens du pays hôte. En l’espèce, l’inconduite constitue un abus de confiance.

 

b)                  L’ampleur de l’inconduite, tant en ce qui concerne sa durée que le manque de respect qu’elle représente, surtout les mots utilisés par le caporal-chef Leadbetter. Le capitaine Prowse tentait de désamorcer la situation, mais le caporal-chef Leadbetter continuait d’exprimer sa colère en faisant preuve de violence verbale à l’égard des personnes présentes, allant jusqu’à inviter son commandant de peloton, la personne qui représentait l’autorité militaire et à qui il devait obéissance et respect, à se battre.

 

c)                  Le grade du contrevenant et son niveau de responsabilité à l’égard des subordonnés à titre de commandant de section. Je reconnais que le caporal-chef détenait son grade depuis peu au moment des infractions, mais il détenait tout de même ce grade et, par conséquent, il devait mener par l’exemple. Il a fait le contraire en étant absent au moment où l’autobus devait partir pour l’aéroport et en arrivant en retard dans la salle d’embarquement en état d’ébriété.

 

[18]                Dans ses observations, le procureur de la poursuite a proposé plusieurs autres facteurs qu’il considérait comme des facteurs aggravants, mais je ne les accepte pas soit parce qu’ils font partie des éléments des infractions, soit parce qu’ils ne constituent pas des conséquences directes du comportement du contrevenant, ou parce que ce sont des facteurs qui échappaient à la volonté de ce dernier. C’est notamment le cas du fait que, suite à la décision de rapatrier le caporal-chef Leadbetter au Canada, son peloton a dû compenser son absence dans le cadre de l’exercice. Or, son rapatriement n’était pas obligatoire dans les circonstances de l’affaire. La pénurie de personnel lors de l’exercice était attribuable à la décision prise par la chaîne de commandement et ne peut pas constituer un facteur aggravant puisqu’elle se rapporte à une sanction infligée au contrevenant.

 

[19]                La Cour doit d’ailleurs faire preuve de prudence lorsque vient le temps de déterminer ce qui constitue un facteur aggravant dans des circonstances données puisque les facteurs aggravants ont pour effet d’alourdir la peine qui serait par ailleurs justifiée. À mon avis, le droit appuie cette approche prudente. Par exemple, aux termes du sous-alinéa 112.53b) des ORFC, les facteurs aggravants doivent être établis en fonction de la norme de preuve la plus rigoureuse, soit celle de la preuve hors de tout doute raisonnable, s’il y a contestation.

 

Facteurs atténuants

 

[20]                La Cour a aussi tenu compte d’un certain nombre de facteurs atténuants ayant trait aux circonstances des infractions ou à la situation du contrevenant en l’espèce :

 

a)                  Premièrement, le plaidoyer de culpabilité du caporal-chef Leadbetter, qui selon moi, indique clairement qu’il assume la pleine responsabilité de ses actes, dans le présent procès public en présence de membres de son unité et de la communauté militaire. En l’espèce, ce facteur a une incidence réduite, car le plaidoyer a été présenté pendant le procès, après que des témoins aient été entendus, y compris le capitaine Prowse qui avait été déployé en Iraq et qui est venu à Edmonton pour livrer son témoignage;

 

b)                  Deuxièmement, le fait que le caporal-chef Leadbetter n’a aucun antécédent disciplinaire ou criminel et qu’il est, par conséquent, considéré comme un délinquant primaire;

 

c)                  Troisièmement, le rendement du caporal-chef Leadbetter pendant son service au sein des FAC, tant avant qu’après l’incident à l’origine des chefs d’accusation, qui a été jugé excellent, et ce, dans un domaine exigeant qui requiert des compétences spécialisées;

 

d)                 Enfin, les efforts déployés par le caporal-chef Leadbetter depuis la perpétration des infractions pour pallier ses lacunes, surtout sa consommation d’alcool excessive ce jour-là. Cela démontre qu’il a le potentiel pour continuer d’apporter une contribution importante aux FAC, comme l’attestent l’exécution des mesures correctives et la confiance exprimée au nom de la chaîne de commandement à l’effet que le caporal-chef Leadbetter est en bonne voie de regagner la confiance de ses supérieurs et de ses subordonnés.

 

Objectifs de la détermination de la peine à souligner en l’espèce

 

[21]                Je conviens avec les avocats qu’au moment de déterminer la peine du contrevenant en l’espèce, les circonstances exigent que la priorité soit accordée aux objectifs de dénonciation et de dissuasion particulière et générale. En même temps, la peine infligée ne doit pas compromettre la réhabilitation du caporal-chef Leadbetter. Je remarque, comme l’a souligné l’avocat de la défense, que les mesures administratives imposées au caporal-chef Leadbetter, surtout son rapatriement et son affectation à une autre compagnie du bataillon, mesures dont ses collègues étaient au courant, étaient des mesures de dissuasion particulière et générale assez complètes, que la peine doit simplement venir appuyer.

 

Examen de la soumission conjointe

 

[22]                La première chose que je dois faire est d’évaluer la soumission conjointe et de déterminer si elle est acceptable. Le procureur de la poursuite et l’avocat de la défense m’ont tous deux soumis d’infliger une peine composée d’une réprimande et d’une amende de 3 000 $. Je ne peux écarter la soumission conjointe que si j’estime que la peine proposée est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou est par ailleurs contraire à l’intérêt public.

 

[23]                En tant que juge militaire, la question que je dois me poser n’est pas de savoir si la peine conjointement proposée me convient ou si je serais parvenu à quelque chose de mieux. En fait, l’idée que je peux me faire de ce qui peut constituer la peine appropriée ne suffit pas pour revenir sur la soumission conjointe qui a été présentée.

 

[24]                Les juges du procès qui veulent écarter la soumission conjointe doivent satisfaire à un seuil élevé qui exige d’en garder tous les avantages. Le procureur de la poursuite et l’avocat de la défense sont bien placés pour en arriver à une soumission conjointe qui reflète tant les intérêts du public que ceux de l’accusé. Ils connaissent bien la situation du contrevenant et les circonstances des infractions, ainsi que les forces et les faiblesses de leurs positions respectives. Le procureur de la poursuite qui propose la peine communique avec la chaîne de commandement. Il connaît les besoins des collectivités civile et militaire et il est chargé de représenter ces intérêts en veillant à ce que justice soit rendue. On exige de l’avocat de la défense qu’il agisse dans l’intérêt supérieur de l’accusé, notamment en s’assurant que le plaidoyer de celui-ci est donné de façon volontaire et éclairée. Les deux avocats sont tenus, sur le plan professionnel et éthique, de ne pas induire le tribunal en erreur. Bref, ils sont entièrement capables d’arriver à des règlements équitables et conformes à l’intérêt public.

 

[25]                Pour déterminer si la peine conjointement proposée est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou est par ailleurs contraire à l’intérêt public, je dois me demander si, malgré les considérations d’intérêt public qui appuient l’imposition de la peine recommandée, celle-ci correspond si peu aux attentes des personnes raisonnables instruites des circonstances de l’affaire que ces dernières estimeraient qu’elle fait échec au bon fonctionnement du système de justice militaire. Je dois en fait éviter de rendre une décision qui ferait perdre au public renseigné et raisonnable, dont les membres des FAC, sa confiance dans l’institution des tribunaux.

 

[26]              Je crois qu’une personne raisonnable instruite des circonstances de la présente affaire s’attendrait à ce que le contrevenant se voie infliger une peine qui exprime à la fois la désapprobation à l’égard du manquement à la discipline et au leadership en cause et entraîne des répercussions personnelles pour le contrevenant. Une peine composée d’une réprimande et d’une amende répond à ces attentes. À la lumière des affaires soumises à mon attention, il semblerait que des sanctions de réprimande et d’amende ont déjà été imposées pour un comportement semblable. La peine proposée, y compris le montant de l’amende, se situe dans le spectre des peines infligées en pareilles circonstances.

 

[27]              Compte tenu de tous ces facteurs, et des circonstances relatives aux infractions et à la situation du contrevenant, des principes applicables en matière de détermination de la peine et des facteurs aggravants et atténuants mentionnés précédemment, je ne puis conclure que la peine proposée conjointement par les avocats est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou est par ailleurs contraire à l’intérêt public. La Cour doit donc y souscrire.

 

[28]              Selon le paragraphe 145(2) de la LDN, les modalités de paiement d’une amende sont laissées à l’appréciation du tribunal militaire qui l’inflige. Lors de l’audience sur la détermination de la peine, les parties se sont entendues pour dire que l’amende serait payée en douze versements mensuels de 250 $.

 

[29]              Caporal-chef Leadbetter, les circonstances entourant les chefs d’accusation auxquels vous avez plaidé coupable ne sont pas négligeables puisqu’elles révèlent un écart marqué entre les actes que vous avez commis et le comportement attendu d’un dirigeant appelé à représenter le Canada à l’étranger et ne témoignent pas du respect dont doivent faire preuve tous les membres des FAC envers les autres, y compris les civils, les pairs et surtout les supérieurs. J’espère que vous êtes conscient que la colère que vous avez exprimée aurait pu avoir des conséquences beaucoup plus graves. Cela dit, j’appuie la soumission conjointe qui m’a été présentée et je suis confiant que vous avez appris quelque chose de votre mauvaise expérience survenue aux États-Unis l’an dernier et que vous êtes déterminé à ne pas répéter vos erreurs.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[30]      VOUS CONDAMNE à une réprimande et à une amende au montant de 3 000 $, payable en douze versements mensuels de 250 $, commençant au plus tard le 1er mai 2017. Si, pour une raison ou pour une autre, vous êtes libéré des FAC avant d’avoir fini de payer l’amende, le solde impayé sera exigible la veille de votre libération.


 

Avocats :

 

Le directeur des poursuites militaires, représenté par le capitaine G.J. Moorehead

 

Le lieutenant-colonel D. Berntsen, Service d’avocats de la défense, avocat du caporal-chef C.L.J. Leadbetter

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