Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 10 avril 2017

Endroit : BFC Edmonton, 1er Bataillon des Services du Canada, édifice 179, pièce 3062, Edmonton (AB)

Chefs d’accusation :

Chefs d’accusation 1, 2 : Art. 130 LDN, proférer des menaces (art. 264.1(1) C. cr.).
Chefs d’accusation 3, 4 : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats :

VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3 : Non coupable. Chef d’accusation 4 : Retiré.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Wylie, 2017 CM 1005

 

Date : 20170412

Dossier : 201631

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Edmonton

Edmonton (Alberta)

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal-chef J.W.D. Wylie, accusé

 

 

En présence du : colonel M. Dutil, J.M.C.


 

NOTE : Des données personnelles ont été supprimées en conformité avec L’usage de renseignements personnels dans les jugements et protocole recommandé du Conseil canadien de la magistrature.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Oralement)

 

Introduction

 

[1]               Le caporal-chef Wylie fait face à trois accusations à la suite d’un incident survenu le 28 août 2015 dans la salle de mess des caporaux et des soldats de la Garnison d’Edmonton, à la Base des Forces canadiennes (BFC) Edmonton :

 

[traduction]

PREMIER CHEF D’ACCUSATION

 

article 130 LDN

 

UNE INFRACTION PUNISSABLE SELON L’ARTICLE 130 DE LA LOI SUR LA DÉFENSE NATIONALE, SOIT AVOIR PROFÉRÉ UNE MENACE, CONTRAIREMENT AU PARAGRAPHE 264.1(1) DU CODE CRIMINEL

 

Détails : En ce que, le 28 août 2015, dans la salle du mess des caporaux et des soldats de la Garnison d’Edmonton, à la BFC Edmonton, à Edmonton (Alberta), a sciemment menacé, devant John Christian Robinson et Barbara Rose Woodland, de causer la mort de XXXX (l’adjudant-maître John Robinson), de YYYY (l’adjudant Alain Doucet) et de ZZZZ (l’adjudant Patrick Joseph Flanagan), ou de l’un quelconque d’entre eux.

 

DEUXIÈME CHEF D’ACCUSATION

 

article 130 LDN

UNE INFRACTION PUNISSABLE SELON L’ARTICLE 130 DE LA LOI SUR LA DÉFENSE NATIONALE, SOIT AVOIR PROFÉRÉ UNE MENACE, EN VIOLATION DU PARAGRAPHE 264.1(1) DU CODE CRIMINEL

 

Détails : En ce que, le 28 août 2015, dans la salle du mess des caporaux et des soldats de la Garnison d’Edmonton, à la BFC Edmonton, à Edmonton (Alberta), a sciemment menacé, devant John Christian Robinson et Barbara Rose Woodland, de causer la mort des « personnes de couleur ».

 

TROISIÈME CHEF D’ACCUSATION

 

article 129 LDN

UN ACTE PRÉJUDICIABLE AU BON ORDRE ET À LA DISCIPLINE

 

Détails : En ce que, le 28 août 2015, dans la salle du mess des caporaux et des soldats de la Garnison d’Edmonton, à la BFC Edmonton, à Edmonton (Alberta), a déclaré à John Christian Robinson : [traduction] « je ferai peut-être courir ton père et je verrai si je peux atteindre 900 verges », ou des mots dans ce sens‑là.

 

La preuve

 

[2]               La preuve soumise à la cour martiale comprend le témoignage de John Christian Robinson, de Barbara Woodland, de Jerome Sutton et de l’adjudant Alain Doucet. En outre, les parties ont déposé un exposé conjoint des faits ainsi qu’un document, du consentement de la défense, intitulé [traduction] « Déclarations de la personne sous garde », que l’accusé a signé le 29 août 2015. L’identité de l’accusé en tant que contrevenant, de même que la date, l’heure et le lieu des infractions, sont admis.

 

Faits

 

[3]               Les faits entourant la présente affaire sont simples. Vers 10 heures 30, le 28 août 2015, dans la salle du mess des caporaux et des soldats, à la BFC Edmonton, environ neuf membres du personnel prenaient leur pause-café habituelle dans la salle de pause. Christian Robinson, un jeune travailleur occasionnel, et Barbara Woodland, une aide-cuisinière pendant 16 ans, étaient assis l’un en face de l’autre à une table de six pieds de longueur. Selon madame Woodland, le caporal-chef Wylie, qu’elle connaissait depuis une douzaine d’années environ, s’était approché de leur table et lui avait demandé de lui prêter de l’argent, ce qu’elle avait accepté de faire à de nombreuses reprises auparavant. Même s’ils avaient été amis durant les toutes premières années, elle ne le considérait plus comme un ami à cause de ses problèmes personnels, mais elle croyait quand même qu’il était une bonne personne. Elle a déclaré lui avoir dit qu’elle ne lui prêterait pas d’argent parce qu’elle craignait qu’il s’en serve pour acheter de la drogue. Selon madame Woodland, le caporal-chef Wylie était devenu hostile et avait répliqué qu’il voulait s’acheter des cigarettes. Il avait ensuite commencé à se plaindre en disant que si les gars dans l’armée montaient en grade, il y aurait plus de place pour que des gars comme lui en fassent autant, et il a ensuite nommé trois personnes en particulier : l’adjudant Doucet, l’adjudant Flanagan et l’adjudant Robinson. Madame Woodland a ensuite déclaré que le caporal-chef Wylie avait commencé à parler à tort et à travers, disant qu’il était capable de se débarrasser de ces trois hommes et qu’ils pourraient ainsi monter en grade. Elle a ajouté qu’il avait continué de parler de John Robinson, le père de Christian Robinson, qui était assis en face de lui. Elle a déclaré qu’elle avait ensuite demandé à l’accusé de bien vouloir se taire, parce que c’était du père de Christian Robinson qu’il parlait. Le caporal-chef Wylie avait censément répondu qu’il s’en fichait et il avait poursuivi ses propos. Elle avait tenté de lui donner un coup de pied sous la table et de lui frapper le bras pour qu’il arrête et le caporal-chef Wylie avait censément ajouté qu’il pouvait tous les mettre en ligne et tirer sur eux. Au début, elle ne l’avait pas pris au sérieux mais elle avait jeté un coup d’œil à Christian Robinson et elle a dit qu’il tremblait et était pâle au moment où ils avaient quitté la table, vraisemblablement après avoir entendu Wylie dire qu’il avait [traduction] « cinq balles dans [sa] boîte à gants ». Elle a déclaré que ces paroles n’avaient pas été dites à la blague, mais qu’elle connaissait Wylie depuis longtemps et qu’elle ne pensait pas qu’il poserait un tel geste, ajoutant que, parfois, les gens désespérés font des choses bizarres et qu’on ne peut pas le prévoir. Elle a indiqué qu’elle était dépassée par la situation à ce moment‑là. Quand on lui a demandé si elle avait pris l’affaire au sérieux, elle a répondu que c’était à moitié. Madame Woodland a mentionné que le caporal-chef Wylie avait commencé à lever la voix et qu’il avait également menacé d’autres personnes. Elle n’a toutefois pas donné de noms à la police à ce sujet. Elle a dit que seuls Christian Robinson et elle savaient ce qui s’était passé ce matin‑là, ce qui concorde avec le témoignage de Jerome Sutton, lequel était présent dans la pièce et n’avait rien remarqué.

 

[4]               Christian Robinson a déclaré que le caporal-chef Wylie s’était présenté à leur table vers 10 heures 50 ce matin‑là. Il s’est souvenu que Wylie avait demandé des cigarettes parce qu’il n’avait pas d’argent. Selon son témoignage, il y avait eu un échange entre madame Woodland et l’accusé car le caporal-chef Wylie s’était assis à côté d’elle, à une distance d’environ trois pieds de lui, en diagonale. Monsieur Robinson a déclaré que le caporal‑chef Wylie avait commencé à parler d’armes et d’armes à feu, ainsi que de la manière dont la police militaire l’escorterait jusqu’au champ de tir pour qu’il puisse se servir des armes. Monsieur Robinson a considéré que ce sujet de conversation sortait de nulle part. Il a ajouté que l’accusé avait commencé à parler du fait qu’il s’était blessé au dos, ce qui l’empêchait d’obtenir une affectation. Il avait ensuite entendu l’accusé parler pour la première fois de son père, l’adjudant-maître Robinson, qui, à ce moment‑là, était le G4 Alimentation, et de la raison pour laquelle il ne pouvait pas obtenir une affectation. Monsieur Robinson se souvient que le caporal-chef Wylie avait évoqué les noms des adjudants Flanagan et Doucet comme étant les raisons pour lesquelles il ne pouvait pas être promu car les gars plus âgés lui faisaient obstacle. Il a dit croire que le caporal-chef Wylie avait recommencé à parler des armes et qu’il devait se rendre de nouveau au champ de tir. Monsieur Robinson a déclaré que le caporal-chef Wylie s’était ensuite levé, l’avait regardé et avait dit : [traduction] « Peut-être que je vais amener les vieux gars au champ de tir, voir jusqu’à quelle distance ils peuvent courir avant que je tire sur eux ». Il a ajouté que pendant que le caporal-chef Wylie s’en allait, il l’avait entendu dire qu’il avait cinq balles dans sa boîte à gants. Il a ajouté qu’il était resté tranquille et que la conversation l’avait mis mal à l’aise. Malgré la réaction et les tentatives de Madame Woodland pour l’arrêter parce qu’ils avaient tous deux peur, le caporal-chef Wylie avait continué de parler. Monsieur Robinson a dit penser qu’en réponse à une question de madame Woodland au sujet d’une liste qu’il détenait, le caporal-chef Wylie avait répondu, tout en s’éloignant : [traduction] « Elle commence par les personnes de couleur ». Monsieur Robinson a déclaré qu’il n’était pas sûr de ce qu’il avait voulu dire, mais que ce commentaire était sorti de nulle part. Il a eu l’impression que le caporal-chef Wylie allait mettre ses menaces à exécution, car il semblait être à cran, nerveux, agité et avoir une mission à accomplir. Il connaissait l’accusé depuis deux ans, mais il ne lui avait jamais parlé auparavant. Quand ils avaient quitté la table, il s’était rendu compte que madame Woodland était effrayée et qu’elle pleurait. Il a déclaré qu’il avait entendu auparavant des commentaires que l’accusé avait faits à d’autres personnes et qu’il considérait comme des menaces en l’air, mais que d’autres auraient peut-être pris au sérieux; la différence, ce jour‑là, était que le caporal-chef Wylie avait parlé de son propre père et cela l’avait dérangé. Selon lui, le caporal-chef Wylie n’avait pas essayé d’emprunter de l’argent de madame Woodland ou d’autres personnes ce matin‑là.

 

[5]               Monsieur Jerome Sutton était présent dans la salle de pause ce matin‑là, car il est l’un des cuisiniers affectés au mess commun. Il connaît l’accusé et a travaillé avec lui pendant quelques années. Il a déclaré que l’accusé parlait beaucoup et qu’il se vantait. Monsieur Sutton a ajouté qu’à la fin de cette pause-café, pendant que l’accusé et lui revenaient à pied de la salle de pause, ils avaient parlé un peu des armes; l’accusé avait déclaré que quelqu’un lui avait demandé si ses armes étaient destinées à la chasse et il avait répondu qu’elles avaient pour but de [traduction] « tuer des gens ». Monsieur Sutton avait dit à l’accusé qu’il devait faire attention à ce qu’il disait parce qu’il ne savait pas qui pouvait l’écouter. Le caporal-chef Wylie lui avait demandé : [traduction] « Vas‑tu me dénoncer? », ce à quoi il avait répondu : [traduction] « Bien sûr que non ». Il n’avait rien entendu de la part de l’accusé au cours de la pause-café et il ne croit pas que ce dernier avait l’intention ce matin‑là de se servir d’une arme contre qui que ce soit; sinon, il serait intervenu. Il n’avait pas pris cette remarque au sérieux, mais l’avait considérée comme stupide et désinvolte.

 

[6]               L’adjudant Doucet a déclaré qu’après avoir reçu des comptes rendus de cet incident, il avait rencontré madame Woodland, qui était très perturbée, et monsieur Robinson, qui paraissait inquiet pour son père. Il avait appelé la police militaire et avait pris des mesures de sécurité parce que certains membres de l’état-major étaient visés. Cependant, on ignore ce que les membres du personnel ont constaté ou si le fondement de ses préoccupations était une preuve de première main ou du ouï‑dire. Dans la déclaration que l’accusé a faite pendant qu’il était sous garde le lendemain de l’incident (pièce 4), le caporal-chef Wylie a mentionné qu’il regrettait la situation, qu’il avait tenu des propos stupides et qu’il essayait de se faire passer pour un dur à cuire. Le 31 août 2015, le domicile et le véhicule du caporal-chef Wylie ont été fouillés, mais aucune arme à feu ou aucune munition n’a été trouvée.

 

La présomption d’innocence et la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable

 

[7]               Le premier et le plus important principe de droit qui s’applique à n’importe quelle affaire criminelle et aux affaires qui tombent sous le coup du code de discipline militaire dans le cas d’une infraction militaire est la présomption d’innocence. Le caporal-chef Wylie bénéficie dès le départ de la présomption d’innocence, et cette présomption subsiste pendant toute la durée de l’affaire sauf si la poursuite, en se fondant sur les éléments de preuve soumis à la Cour, convainc celle‑ci hors de tout doute raisonnable qu’il est coupable.

 

[8]               Il existe deux règles qui découlent de la présomption d’innocence. La première est que la poursuite a le fardeau de prouver la culpabilité. La seconde est que cette culpabilité doit être prouvée hors de tout doute raisonnable. Ces règles sont liées à la présomption d’innocence de façon à garantir qu’aucun innocent n’est déclaré coupable.

 

[9]               Le fardeau de la preuve incombe à la poursuite et ne se déplace jamais. Le caporal-chef Wylie n’a pas le fardeau de prouver son innocence. Il n’a rien à prouver.

 

[10]           Maintenant, que signifie l’expression « hors de tout doute raisonnable »? J’ai dit antérieurement qu’un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il n’est pas fondé sur la sympathie ou un préjugé que l’on peut avoir à l’endroit de qui que ce soit dans l’instance. Ce doute repose plutôt sur la raison et le bon sens, et il découle logiquement de la preuve ou d’une absence de preuve.

 

[11]           Il est presque impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue, et la poursuite ne soit pas tenue de le faire. Une telle norme serait inacceptable et stricte. Cependant, la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable est bien plus proche de la certitude absolue que de la culpabilité probable. Le caporal-chef Wylie ne peut être déclaré coupable que si la Cour est certaine de sa culpabilité. Même si la cour croit que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, cela ne suffit pas. Dans ces circonstances, la cour se doit de lui accorder le bénéfice du doute et de le déclarer non coupable car la poursuite n’a pas réussi à la convaincre de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[12]           Il n’est pas rare que la preuve soit contradictoire, que la déposition d’un témoin laisse à la cour des doutes légitimes qui demeurent sans réponse ou qu’une déposition suscite d’autres questions qui, elles aussi, demeurent sans réponse. Un témoin peut présenter une preuve contradictoire dans sa propre déposition, ou le souvenir qu’il a des faits peut être différent. La cour peut accepter la totalité, une partie ou aucune des preuves qu’un témoin fournit. Nombreux sont les facteurs qui influenceront la version des faits d’un témoin, dont l’écoulement du temps, ainsi que la possibilité d’avoir observé de manière exacte et complète le fait en question. L’exigence de la preuve hors de tout doute raisonnable s’applique à chacun des éléments essentiels de chaque accusation. Elle ne s’applique pas à des éléments de preuve particuliers. La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable s’applique par ailleurs aux questions de crédibilité, et il n’est nul besoin que la cour établisse de manière définitive la crédibilité d’un témoin ou d’un groupe de témoins.

 

[13]           Le doute raisonnable s’applique à la question de la crédibilité. En ce qui concerne tout point particulier, la Cour peut croire un témoin, ne pas croire un témoin ou simplement ne pas être en mesure de se prononcer. Elle n’a pas à croire ou à ne pas croire entièrement un témoin ou un groupe de témoins. Si la cour, en se fondant sur la crédibilité des témoins, a un doute raisonnable quant à la culpabilité du caporal-chef Wylie, la poursuite n’est pas parvenue à établir la culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

Les premier et deuxième chefs d’accusation : avoir proféré une menace, une infraction visée au paragraphe 264.1(1) du Code criminel

 

[14]           Le caporal-chef Wylie est inculpé de deux infractions visées à l’alinéa 264.1(1)a) du Code criminel, dont le texte est en partie le suivant :

 

264.1(1) Proférer des menaces — Commet une infraction quiconque sciemment profère, transmet ou fait recevoir par une personne, de quelque façon, une menace :

 

a) de causer la mort ou des lésions corporelles à quelqu’un;

 

[15]           Les détails du premier chef d’accusation sont les suivants :

 

[traduction]

Détails : En ce que, le 28 août 2015, dans la salle de mess des caporaux et des soldats de la garnison d’Edmonton, à la BFC Edmonton, à Edmonton (Alberta), a sciemment menacé, devant John Christian Robinson et Barbara Rose Woodland, de causer la mort de XXXX Adjudant-maître John Robinson, de YYYY Adjudant Alain Doucet et de ZZZZ Adjudant Patrick Joseph Flanagan, ou de l’un quelconque d’entre eux.

 

Les détails du deuxième chef d’accusation sont les suivants :

 

[traduction]

Détails : En ce que, le 28 août 2015, dans la salle de mess des caporaux et des soldats de la garnison d’Edmonton, à la BFC Edmonton, à Edmonton (Alberta), a sciemment menacé, devant John Christian Robinson et Barbara Rose Woodland, de causer la mort des [traduction] « personnes de couleur ».

 

[16]           Dans l’arrêt R. c. McRae, 2013 CSC 68, [2013] 3 R.C.S. 931, la Cour suprême du Canada a examiné l’infraction de menace visée à l’alinéa 264.1(1)a) du Code criminel. Les menaces peuvent être proférées, transmises ou reçues de quelque façon que ce soit et par qui que ce soit. La question de savoir si des mots constituent une menace est une question de droit qui doit être tranchée suivant une norme objective. La Cour a décrit l’actus reus de l’infraction aux paragraphes 11 à 16 :

 

[11]         Le point de départ de l’analyse doit toujours être le sens ordinaire des mots proférés. Lorsqu’ils constituent manifestement une menace et qu’il n’y a aucune raison de croire qu’ils avaient un sens secondaire ou moins évident, il n’est pas nécessaire de pousser plus loin l’analyse. Toutefois, dans certains cas, le contexte révèle que des mots qui seraient à première vue menaçants ne constituent peut-être pas des menaces au sens où il faut l’entendre pour l’application de l’al. 264.1(1)a) (voir, p. ex., O’Brien, par. 10-12). Dans d’autres cas, des facteurs contextuels peuvent avoir pour effet d’élever au rang de menaces des mots qui seraient, à première vue, relativement anodins (voir, p. ex., R. c. MacDonald (2002), 166 O.A.C. 121, où les paroles proférées étaient [traduction] « t’es la prochaine »).

 

[12]         Par exemple, dans R. c. Felteau, 2010 ONCA 821 (CanLII), l’accusé avait dit à une intervenante en santé mentale qu’il allait suivre Mme G, son ancienne agente de probation, et qu’il allait [traduction] « l’agresser » (par. 1-2). Selon le juge du procès, les propos ne constituaient pas une menace parce que la menace devait être de causer la mort ou des lésions corporelles et que l’« agression » dont parlait l’accusé ne comprenait pas nécessairement de lésions corporelles (par. 3). La Cour d’appel de l’Ontario a pour sa part estimé que le juge du procès avait eu tort de considérer le mot « agresser » isolément, sans égard aux circonstances (par. 7). À son avis, parmi les facteurs pertinents qui permettaient de déterminer le sens des mots, il y avait les faits suivants : l’accusé faisait une fixation sur Mme G et il avait très récemment été déclaré coupable de l’avoir harcelée; il était en colère contre Mme G lorsqu’il avait proféré les paroles; il lui reprochait d’être la cause de son arrestation et de sa détention; et il était mentalement instable, avait consommé de la cocaïne et avait des antécédents connus de violence grave dirigée contre les femmes (par. 8). Elle a donc conclu que les paroles de l’accusé, compte tenu de ces circonstances, transmettraient une menace de lésions corporelles à une personne raisonnable (par. 9).

 

[13]         Par conséquent, la question de droit consistant à savoir si l’accusé a proféré une menace de mort ou de lésions corporelles tient uniquement au sens qu’une personne raisonnable donnerait aux mots, eu égard aux circonstances dans lesquelles ils ont été proférés ou transmis. Le ministère public n’a pas besoin de prouver que le destinataire de la menace en a été informé ou, s’il en a été informé, qu’il a été intimidé par elle ou qu’il l’a prise au sérieux (Clemente, p. 763; O’Brien, par. 13; R. c. LeBlanc, [1989] 1 R.C.S. 1583 (confirmant la directive du juge du procès selon laquelle il n’était même pas nécessaire que « la personne menacée soit consciente que la menace a[vait] été proférée » : (1988), 90 R.N.‑B. (2e) 63 (C.A.), par. 13)). De plus, il n’est pas nécessaire que les mots s’adressent à une personne en particulier; il suffit que la menace soit dirigée contre un groupe déterminé de personnes (R. c. Rémy, [1993] R.J.Q. 1383 (C.A. Qué.), p. 1389‑1390, autorisation de pourvoi refusée, [1993] 4 R.C.S. vii (menace contre les « policiers » en général); R. c. Upson, 2001 NSCA 89, 194 N.S.R. (2d) 87, par. 31 (menace contre les « membres de la race noire » en général)).

 

[14]         Le critère de la personne raisonnable doit être appliqué à la lumière des circonstances particulières de l’espèce. Comme l’a expliqué la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. Batista, 2008 ONCA 804, 62 C.R. (6th) 376 :

 

[traduction] La personne raisonnable ordinaire qui examine objectivement une menace reprochée serait renseignée sur toutes les circonstances pertinentes. La Cour suprême du Canada a examiné les caractéristiques de la personne raisonnable dans R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484 (C.S.C.), dans le contexte du critère de la partialité. Dans cette affaire, les juges L’Heureux-Dubé et McLachlin, par. 36, ont décrit cette personne comme ceci :

 

une personne raisonnable, bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique [. . .] Cette personne n’est pas « de nature scrupuleuse ou tatillonne », c’est plutôt une personne sensée qui connaît les circonstances de la cause.

 

Pareillement, dans R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265 (C.S.C.), p. 282, dans le contexte du critère de la déconsidération de l’administration de la justice, le juge Lamer, s’exprimant au nom des juges majoritaires, a décrit la personne raisonnable comme quelqu’un d’« objectif et bien informé de toutes les circonstances de l’affaire » : voir aussi R. c. Burlingham, [1995] 2 R.C.S. 206 (C.S.C.), par. 71.

 

Il s’ensuit que la personne raisonnable qui étudie la question de savoir si les mots en cause équivalent à une menace en droit est une personne objective, bien renseignée, sensée, pratique et réaliste. [Souligné dans l’original.]

 

[15]         Par conséquent, pour l’application de ce critère objectif, bien que l’on puisse examiner le témoignage de personnes qui ont entendu la menace ou qui en ont été l’objet, la question relative à l’acte prohibé n’est pas de savoir si des personnes se sont effectivement senties menacées. Comme l’a dit la Cour d’appel de l’Ontario dans Batista, les opinions de témoins sont pertinentes pour l’application du critère de la personne raisonnable; toutefois, elles ne sont pas décisives, vu qu’elles équivalent à des opinions personnelles et [traduction] « ne satisf[ont] pas nécessairement aux exigences du critère juridique » (par. 26).

 

[16]         Pour conclure sur ce point, l’acte prohibé de l’infraction d’avoir proféré des menaces sera prouvé si une personne raisonnable tout à fait consciente des circonstances dans lesquelles les mots ont été proférés ou transmis les avait perçus comme une menace de mort ou de lésions corporelles.

 

[17]           Quant à la mens rea de cette infraction, la Cour suprême du Canada a fait les commentaires suivants, aux paragraphes 17 à 23 :

 

[17]         L’élément de faute est prouvé s’il est démontré que les mots menaçants proférés ou transmis « visa[ie]nt à intimider ou à être pris au sérieux » (Clemente, p. 763).

 

[18]         Il n’est pas nécessaire de prouver que la menace a été proférée avec l’intention qu’elle soit transmise à son destinataire (Clemente, p. 763) ou que l’accusé entendait mettre la menace à exécution (McCraw, p. 82). De plus, l’élément de faute est disjonctif : on peut l’établir en démontrant que l’accusé avait l’intention d’intimider ou qu’il entendait que les menaces soient prises au sérieux (voir, p. ex., Clemente, p. 763; O’Brien, par. 7; R. c. Neve (1993), 145 A.R. 311 (C.A.); R. c. Hiscox, 2002 BCCA 312, 167 B.C.A.C. 315, par. 18 et 20; R. c. Noble, 2009 MBQB 98, 247 Man. R. (2d) 6, par. 28 et 32‑35, conf. par 2010 MBCA 60, 255 Man. R. (2d) 144, par. 16‑17; R. c. Heaney, 2013 BCCA 177 (CanLII), par. 40; R. c. Rudnicki, [2004] R.J.Q. 2954 (C.A.), par. 41; R. c. Beyo (2000), 47 O.R. (3d) 712 (C.A.), par. 46).

 

[19]         L’élément de faute revêt ici un caractère subjectif; ce qui importe, c’est ce que l’accusé entendait effectivement faire. Toutefois, comme c’est généralement le cas, la décision quant à l’intention véritable de l’accusé peut dépendre de conclusions tirées de toutes les circonstances (voir, p. ex., McCraw, p. 82). Le fait de tirer ces conclusions ne revient pas à s’écarter de la norme subjective de faute. Dans R. c. Hundal, [1993] 1 R.C.S. 867, le juge Cory cite les propos suivants du professeur Stuart qui explique ce point :

 

[traduction] Il est loisible au juge des faits qui cherche à déterminer ce qui se passait dans l’esprit de l’accusé, ainsi que le commande la méthode subjective, de tirer des conclusions raisonnables des gestes ou des paroles de l’accusé soit au moment de l’acte qui lui est reproché soit à la barre des témoins. On peut croire l’accusé ou ne pas le croire. Conclure, sur la foi de la totalité de la preuve, que le ministère public a prouvé hors de tout doute raisonnable que l’accusé a « dû » avoir l’état d’esprit entraînant la sanction ce n’est pas s’écarter de la norme fondamentale subjective. Le recours à une norme fondamentale objective n’a lieu que si on se dit que l’accusé « aurait dû s’en rendre compte s’il y avait réfléchi ». [Souligné dans l’original]

 

[20]         L’arrêt O’Brien illustre ce qui précède. La personne visée par la menace ― l’ex-petite amie de l’accusé ― avait affirmé dans son témoignage que les paroles de l’accusé ne l’avaient pas effrayée. La juge du procès s’est fortement appuyée sur ce témoignage pour conclure que, même si les paroles elles-mêmes paraissaient menaçantes, il subsistait un doute raisonnable quant à savoir si l’accusé avait l’intention nécessaire de menacer (2012 MBCA 6, 275 Man. R. (2d) 144, par. 34). La perception de la victime n’était pas directement en cause, mais constituait une preuve pertinente quant à l’intention de l’accusé.

 

[21]         Pareillement, dans Noble, le tribunal devait déterminer si les mots [traduction] « on sait bien qui va passer au feu, pas vrai? », suivis immédiatement des mots « je blague » et de rires (décision de première instance, par. 1), visaient à être pris au sérieux. L’accusé avait tenu ces propos devant un officier du shérif à son retour en prison après avoir quitté le palais de justice où il venait d’être condamné à une peine pour avoir menacé de tuer la procureure de la Couronne qui avait réussi à le faire déclarer coupable de vol qualifié. Selon la juge du procès, malgré le caractère spontané des propos et l’absence de toute indication selon laquelle l’accusé était en colère ou perturbé lorsqu’il avait proféré les paroles, si on considérait ces dernières dans le contexte plus large, il appert que l’accusé savait que ces paroles, qui étaient très explicites, allaient être prises au sérieux en tant que menace contre cette même procureure de la Couronne (par. 33‑35). Après avoir été menacée une première fois par l’accusé, la procureure de la Couronne avait été victime d’une tentative de violation de domicile. Même si personne n’avait mis en cause l’accusé, ce dernier avait dit aux médias que la procureure de la Couronne avait eu ce qu’elle méritait. Après avoir été informée des propos de l’accusé relativement à une maison qui allait passer au feu, la procureure de la Couronne a pris la menace au sérieux et en a été très effrayée. En conséquence, son conjoint et elle ont vendu leur maison (décision de première instance, par. 2‑19). En plus de la réaction de la procureure de la Couronne aux menaces, le fait que l’accusé savait que les propos menaçants emportaient des sanctions pénales, vu qu’il venait d’être condamné à deux ans d’emprisonnement pour avoir proféré des menaces, était un autre facteur important quant à l’élément de faute dans cette affaire (par. 34). La juge du procès a conclu que les paroles pouvaient [traduction] « avoir été prononcées spontanément de façon irréfléchie, ou par bravade, mais [que], compte tenu de toutes les circonstances, [ . . .] il ressort[ait] de la preuve que l’accusé savait qu’elles allaient être prises au sérieux » (par. 35).

 

[22]         La Cour d’appel du Manitoba a confirmé les conclusions de fait de la juge du procès, particulièrement l’analyse contextuelle effectuée à l’égard de l’élément de faute (Noble, par. 17).

 

[23]         En somme, l’élément de faute de l’infraction est établi si l’accusé entendait que les mots proférés ou transmis intimident ou soient pris au sérieux. Il n’est pas nécessaire de prouver l’intention que les mots soient transmis à la personne visée par la menace. Une norme subjective de faute s’applique. Toutefois, pour déterminer ce que l’accusé avait en tête, le tribunal devra souvent tirer des conclusions raisonnables des mots et des circonstances, y compris de la façon dont les mots ont été perçus par ceux qui les ont entendus.

 

[18]           La poursuite doit établir hors de tout doute raisonnable la totalité des éléments essentiels de l’infraction qui consiste à proférer des menaces, laquelle est visée au paragraphe 264.1(1) du Code criminel :

 

a)                  que le caporal-chef Wylie a proféré une menace;

 

b)                  que la menace avait pour but de causer la mort de XXXX Adjudant-maître John Robinson, de YYYY Adjudant Alain Doucet et de ZZZZ Adjudant Patrick Joseph Flanagan, ou de l’un quelconque d’entre eux;

 

c)                  que le caporal-chef Wylie a proféré la menace sciemment.

 

[19]           Madame Woodland a déclaré qu’après qu’elle avait refusé de donner de l’argent ou des cigarettes à l’accusé au cours de la pause-café, celui‑ci avait déclaré que si les gars dans l’armée montaient en grade, il y aurait plus de place pour que des types comme lui en fassent autant et il avait ensuite nommé trois personnes précises : l’adjudant Doucet, l’adjudant Flanagan et l’adjudant Robinson. Madame Woodland a ensuite dit que le caporal-chef Wylie avait commencé à se plaindre en affirmant qu’il pouvait se débarrasser de ces trois types et qu’il serait ainsi possible de monter en grade. Elle a ajouté qu’il avait continué de parler de John Robinson, le père de Christian Robinson, qui était assis en face d’elle. Elle a déclaré avoir ensuite demandé à l’accusé de bien vouloir se taire parce que c’était du père de Christian Robinson qu’il parlait. Le caporal-chef Wylie aurait répondu qu’il s’en fichait et il aurait continué ses propos. Elle avait essayé de lui donner un coup de pied en dessous de la table et de le frapper au bras pour qu’il arrête, et le caporal-chef Wylie aurait dit qu’il pouvait tous les mettre en ligne et tirer sur eux. Au départ, elle ne l’avait pas pris au sérieux mais elle avait jeté un coup d’œil à Christian Robinson, qui, selon elle, tremblait et était pâle, et ils avaient quitté la table, vraisemblablement quand il avait entendu Wylie dire qu’il avait cinq balles dans sa boîte à gants. Monsieur Robinson a déclaré que l’accusé avait commencé à parler du fait qu’il s’était blessé au dos, ce qui l’empêchait d’obtenir une affectation. Il avait ensuite entendu l’accusé parler de son père pour la première fois, l’adjudant-maître Robinson, qui était le G4 Alimentation à ce moment‑là, comme étant la personne responsable du fait qu’il ne pouvait pas avoir une affectation. Monsieur Robinson se souvient que le caporal-chef Wylie avait évoqué les noms des adjudants Flanagan et Doucet comme étant les raisons pour lesquelles ils ne pouvaient pas avoir une promotion parce que les gars plus âgés leur faisaient obstacle. Il a dit croire que le caporal-chef Wylie avait recommencé à parler des armes et affirmé qu’il fallait qu’il se rende de nouveau au champ de tir. Monsieur Robinson a indiqué que le caporal-chef Wylie s’était alors levé, l’avait regardé et dit : [traduction] « Peut-être que je vais amener les vieux gars au champ de tir, voir jusqu’où ils peuvent courir avant que je tire sur eux ». Monsieur Robinson a ajouté que pendant que le caporal-chef Wylie s’éloignait, il l’avait entendu dire qu’il avait cinq balles dans sa boîte à gants.

 

[20]           Si l’on examine les circonstances de l’échange, il ne fait aucun doute que les commentaires du caporal-chef Wylie sont répugnants, offensants, odieux et irrespectueux envers sa chaîne de commandement. Toutefois, je souscris au commentaire de l’avocat de la défense, à savoir que des menaces réelles ou conditionnelles n’ont pas été proférées dans le contexte dans lequel les commentaires ont été exprimés. Une personne raisonnable conclurait que le caporal-chef Wylie était tout simplement fort contrarié parce que personne ne voulait lui prêter de l’argent. Par dépit, il avait décidé de s’en prendre à sa chaîne de commandement pour les difficultés financières qu’il avait à cause du manque de possibilités de promotion. Il avait fait montre d’un comportement très insubordonné en formulant ces commentaires et il s’était comporté comme il l’avait fait à de nombreuses autres reprises, comme l’ont décrit monsieur Sutton et même monsieur Robinson. Même si ces propos avaient été proférés en présence du fils de l’adjudant-maître Robinson, la cour est laissée avec un doute raisonnable que les paroles proférées ou transmises étaient destinées à intimider ou à être prises au sérieux.

 

[21]           Quant au deuxième chef d’accusation, soit le commentaire fait à propos des [traduction] « personnes de couleur », il ressort du témoignage de monsieur Robinson que ce commentaire est sorti de nulle part et qu’il faisait partie d’un échange verbal houleux entre madame Woodland et le caporal-chef Wylie. Ces commentaires n’étaient pas destinés à intimider ou à être pris au sérieux dans les circonstances. Le caporal-chef Wylie, semble‑t‑il, voulait verser de l’huile sur le feu dans le cadre d’un échange regrettable et stupide qu’il avait avec madame Woodland, laquelle était déjà dépassée par la situation.

 

Le troisième chef d’accusation : un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline selon l’article 129 de la Loi sur la défense nationale

 

[22]           Le caporal-chef Wylie est également accusé d’avoir commis un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline selon l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, dont le texte est en partie le suivant :

 

(1) Tout acte, comportement ou négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline constitue une infraction passible au maximum, sur déclaration de culpabilité, de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté.

 

[23]           Les détails du troisième chef d’accusation sont les suivants :

 

[traduction]

Détails : En ce que, le 28 août 2015, dans la salle de mess des caporaux et des soldats de la garnison d’Edmonton, à la BFC Edmonton, à Edmonton (Alberta), a déclaré à John Christian Robinson : [traduction] « je ferai peut-être courir ton père et je verrai si je peux atteindre 900 verges », ou des mots dans ce sens‑là.

 

[24]           Outre les éléments de l’infraction se rapportant à l’identité de l’accusé, ainsi qu’à la date et au lieu de la présumée infraction, la poursuite se doit d’établir hors de tout doute raisonnable ce qui suit :

 

a)                  l’acte allégué dans l’acte d’accusation;

 

b)                  le préjudice causé au bon ordre et à la discipline;

 

c)                  la norme de conduite attendue de l’accusé;

 

d)                  le fait que l’accusé connaissait ou aurait dû connaître la norme de conduite requise;

 

e)                  le fait que l’acte constitue un manquement à la norme de conduite requise; et

 

f)                    l’élément de faute (mens rea) ou l’état d’esprit répréhensible de l’accusé.

 

[25]           Il ne ressort pas de la preuve entendue au procès que les paroles alléguées dans l’exposé du cas ont été proférées par l’accusé à John Christian Robinson. Christian Robinson a déclaré que le caporal-chef Wylie s’était alors levé, l’avait regardé et dit : [traduction] « Peut-être que je vais amener les vieux gars au champ de tir, voir jusqu’à quelle distance ils peuvent courir avant que je tire sur eux ». La poursuite convient que les détails allégués dans le chef d’accusation diffèrent de la preuve entendue au procès. Se fondant sur les mots [traduction] « ou des mots dans ce sens-là » qui figurent dans l’exposé du cas, elle demande à la cour de conclure que l’infraction est prouvée parce qu’elle ne diffère pas sensiblement de l’accusation initiale ou, du moins, qu’il est loisible à la cour de prononcer un verdict annoté de culpabilité car la poursuite est d’avis que, dans les circonstances, la défense n’a pas subi de préjudice. Je ne suis pas d’accord.

 

[26]           Pour ce qui est des verdicts annotés, l’article 138 de la Loi dispose :

 

138.         Le tribunal militaire peut prononcer, au lieu de l’acquittement, un verdict annoté de culpabilité lorsqu’il conclut que :

 

a)             d’une part, les faits prouvés relativement à l’infraction jugée, tout en différant substantiellement des faits allégués dans l’exposé du cas, suffisent à en établir la perpétration;

 

b)            d’autre part, cette différence n’a pas porté préjudice à l’accusé dans sa défense.

 

Le cas échéant, le tribunal expose la différence en question.

 

[27]           L’exposé du cas a pour objet de permettre aux personnes accusées de connaître intégralement la preuve qui pèse contre elles, de définir les questions en litige et de préparer leur défense, notamment de décider s’il y a lieu ou non de présenter des éléments de preuve et de témoigner au procès. Il aide en outre la cour à gérer le déroulement du procès en ce qui touche les questions relatives à l’admissibilité de la preuve. Il est bien établi en droit que la poursuite est liée par les éléments essentiels du libellé du chef d’accusation, sous réserve de la règle des détails superflus. Par exemple, dans une accusation de vol, la date et le lieu, l’identité de la victime ou la somme d’argent volée constituent tous des détails appartenant à cette catégorie. Tous les détails qui ne sont pas superflus doivent être prouvés par la poursuite, faute de quoi la cour conclura simplement que l’accusé n’est pas coupable, sous réserve de la règle relative aux verdicts annotés. Cependant, la Cour ne peut prononcer un verdict annoté lorsque les faits diffèrent sensiblement de ceux qui sont allégués dans l’exposé du cas et que cette différence porte préjudice à l’accusé. Dans la présente affaire, le fait de remplacer un nouvel exposé du cas en prenant pour base le témoignage de monsieur Robinson pourrait simplement modifier la norme de conduite attendue de l’accusé. Les questions posées lors du contre-interrogatoire des témoins de la poursuite mettent en évidence la stratégie de la défense visant à contester la preuve présentée contre l’accusé. Prononcer un verdict annoté relativement au troisième chef d’accusation aurait simplement pour effet de lui substituer un autre chef d’accusation au titre de la même infraction. S’il était demandé à la cour de prononcer un verdict annoté à l’égard de détails non essentiels, tels que la date ou le lieu de l’infraction, l’accusé ne pourrait prétendre avoir subi un préjudice. Dans les circonstances de l’espèce, la différence entre les faits prouvés et les faits allégués dans l’exposé du cas porterait préjudice au caporal-chef Wylie dans la conduite de sa défense.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[28]           DÉCLARE l’accusé non coupable de tous les chefs d’accusation.


Avocats :

 

Le Directeur des poursuites militaires, représenté par le major E.J. Cottrill

 

M. C.E. Thomas, Service d’avocats de la défense, avocat du caporal-chef J.W.D. Wylie

 

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