Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 18 avril 2017

Endroit : 18-21 avril 2017 et 3-4 mai 2017 : Base de soutien de la 4e Division du Canada Petawawa, édifice L-106, 48 terrain de parade Nicklin, Petawawa (ON)

12 mai 2017 : Base de soutien de la 4e Division du Canada Petawawa, édifice CS101, Petawawa (ON)


Chef d’accusation :

Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).
Chef d’accusation 2 : Art. 97 LDN, ivresse.

Résultats :

VERDICTS Chefs d’accusation 1, 2 : Non coupable.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence :  R. c. Cadieux, 2017 CM 3008

 

Date :  20170512

Dossier :  201614

 

Cour martiale permanente

 

Base de soutien de la 4e Division du Canada Petawawa

Petawawa (Ontario), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal S.R.L.J. Cadieux, accusé

 

 

En présence du :  Lieutenant-colonel L.‑V. d’Auteuil, J.M.


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Restriction à la publication :  Par ordonnance de la cour rendue en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l’article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser, de quelque façon que ce soit, tout renseignement permettant d’établir l’identité de la personne décrite dans le cadre des présentes procédures devant la cour martiale  comme étant la plaignante, à savoir R.S.

 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Oralement)

 

[1]               Le caporal Cadieux est accusé d’avoir commis une infraction d’agression sexuelle prévue à l’article 271du Code criminel et punissable en vertu de l’alinéa 130(1)a) de la Loi sur la défense nationale, ainsi qu’une infraction d’ivresse punissable en vertu de l’article 97 de la Loi sur la défense nationale.

 

[2]               Les deux infractions se rapportent à des événements survenus en Jamaïque à la fin de l’exercice TROPICAL DAGGER. Plus précisément, les incidents à l’origine de l’accusation d’agression sexuelle se seraient produits entre l’accusé et la plaignante dans la tente des femmes, la nuit du 27 au 28 novembre 2015. L’infraction d’ivresse renvoie à des événements survenus le même soir et le lendemain matin au campement.

 

[3]               Le procès a débuté le 18 avril 2017 et a été ajourné après quatre jours à la demande de la poursuite. Le 3 mai suivant, la Cour a repris l’audience pendant deux jours.

 

[4]               L’audience a duré six jours. Les arguments de la poursuite reposaient principalement sur la déposition de la plaignante et de quatre autres témoins.

 

[5]               Le caporal Cadieux, l’accusé en l’espèce, a témoigné.

 

[6]               Deux photographies ont été introduites par la poursuite : l’une représente le site du campement et l’autre un filet moustiquaire semblable à celui dans lequel la plaignante était couchée lorsque le prétendu incident d’agression sexuelle serait survenu.

 

[7]               Les parties ont également convenu de certains faits et ont fait des aveux, qui se lisent comme suit :

 

            [TRADUCTION]

 

« AVEUX ET EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS

 

1.         À toutes les dates pertinentes, l’accusé, le caporal S. Cadieux, était membre des Forces armées canadiennes, force régulière, Régiment d’opérations spéciales du Canada, Base des Forces canadiennes Petawawa, où il était employé comme opérateur des Forces spéciales et détenait le grade de caporal.

 

2.         La défense reconnaît l’identité de l’accusé et dispense ainsi la poursuite d’avoir à prouver cet élément au regard des accusations.

 

3.         La défense reconnaît la date, l’heure, le lieu et le ressort des infractions décrites sur l’acte d’accusation et dispense ainsi la poursuite d’avoir à prouver ces éléments au regard des accusations.

 

4.         La défense reconnaît que le caporal Cadieux a eu des contacts de nature sexuelle avec la plaignante, R.S, et dispense ainsi la poursuite d’avoir à prouver cet élément de la première accusation d’agression sexuelle qui figure sur l’acte d’accusation.

 

5.         La défense reconnaît que les photographies du campement vu de haut et du filet moustiquaire  jointes en annexes 1 et 2 sont conformes à la réalité; elle dispense ainsi la poursuite d’avoir à appeler des témoins pour confirmer leur exactitude et leur authenticité. »

 

[8]               Le caporal Cadieux et la plaignante étaient tous deux membres du Régiment d’opérations spéciales du Canada (ROSC) au moment de leur participation à l’exercice TROPICAL DAGGER qui s’est déroulé en Jamaïque en novembre 2015. Il s’agissait d’une mission de formation et d’encadrement dirigée par la composante Forces armées canadiennes (FAC) et à laquelle participaient des membres des forces jamaïcaines et béliziennes.

 

[9]               Une politique mise en œuvre aux fins de l’exercice interdisait de consommer de l’alcool. De plus, les composantes de l’Opération HONOUR ont été réitérées dans le cadre d’un briefing destiné aux participants des FAC, afin de prévenir des comportements sexuels préjudiciables et inappropriés tout au long de l’exercice.

 

[10]           La chaîne de commandement avait prévu d’organiser, à la fin de l’exercice, une soirée BBQ suivie d’une journée entière d’activités dans la région, pour permettre aux membres de décompresser et de se détendre avant de revenir au Canada.

 

[11]           La consommation d’alcool était autorisée durant cette période spéciale, mais pas durant l’exercice. Cependant, les membres devaient se procurer l’alcool à leurs frais.

 

[12]           Donc, le soir du 27 novembre 2015, du buffle d’Inde a été servi pour le BBQ et les convives ont commencé à boire. Certains, dont le caporal Cadieux lui-même, se sont procuré à leurs frais de l’alcool local, comme de la bière et du rhum, et l’ont partagé avec leurs acolytes du campement.

 

[13]           En résumé, il n’y avait pas de limite en matière de consommation d’alcool. La chaîne de commandement s’en remettait fondamentalement au bon sens des membres pour qu’ils ne se soûlent pas au point de se blesser, de blesser les autres ou d’avoir des interactions inappropriées avec les autres.  C’est ce qui a été appelé durant le procès la [traduction] « règle des grands garçons ».

 

[14]           Plus tard au cours de cette soirée, un feu de camp a été allumé entre la cuisine et les tentes. L’atmosphère était agréable. Les gens buvaient et faisaient la fête. Beaucoup se sont enivrés, mais aucun incident n’est survenu. La soirée a lentement pris fin entre minuit et 1 h 30, lorsque les gens sont retournés dans leurs tentes pour se coucher.

 

[15]           Le caporal Cadieux a reconnu avoir bu beaucoup d’alcool cette nuit‑là. La plaignante a également déclaré devant la Cour qu’elle a pris plusieurs verres, et elle est allée se coucher avant d’être trop ivre.

 

[16]           C’est durant cette période précise que le caporal Cadieux s’est dirigé vers la tente réservée aux femmes. Il a frappé à la porte et le caporal-chef Hebert, l’une des femmes présentes dans la tente, lui a répondu. Le caporal Cadieux a demandé si la plaignante était à l’intérieur, ce que le caporal-chef Hebert lui a confirmé. Il lui a ensuite expliqué qu’il voulait réveiller la plaignante pour l’inviter à continuer de faire la fête avec lui.

 

[17]           La plaignante dormait, semble-t-il, dans son sac de couchage, sous un filet moustiquaire ouvert. L’accusé l’a appelée par son nom pour la réveiller. D’après le caporal-chef Hebert, l’accusé et la plaignante ont ensuite commencé à s’embrasser de manière débraillée.

 

[18]           Le caporal Cadieux a déclaré à la Cour qu’il s’est agenouillé aux côtés de la plaignante et, après l’avoir appelée par son nom, elle l’a agrippé par la nuque, l’a tiré vers elle et a commencé à l’embrasser. Il prétend lui avoir rendu ce baiser jusqu’à ce qu’elle l’appelle « Steve »; il lui aurait alors dit qu’il n’était pas Steve, mais Simon. C’est là que la plaignante a commencé à lui dire d’arrêter et l’a repoussé. Il s’est relevé, a quitté la tente et a entendu le caporal-chef Hebert leur dire d’arrêter parce qu’ils risquaient de réveiller ceux qui dormaient dans la tente.

 

[19]           D’après la plaignante, elle a été réveillée par la présence d’une main assurée dans son pantalon, sur sa région pelvienne, alors qu'elle était au sommeil. Elle a ouvert les yeux, a vu l’accusé puis l’a repoussé et lui a dit d’arrêter. Le caporal Cadieux s’est relevé et s’est mis à rire, lui disant qu’il n’était pas Steve, mais Simon. Il a alors quitté la tente et fermé la porte. Elle était en état de choc, ignorant pourquoi une telle chose s’était produite alors qu’elle n’y avait pas consenti.

 

[20]           Le caporal-chef Hebert prétend l’avoir mis dehors lorsqu’elle a entendu la plaignante lui dire d’arrêter. Elle l’a ensuite entendu rire avec ses copains à l’extérieur de la tente.

 

[21]           La plaignante s’est couvert la tête de son sac de couchage et a essayé de dormir, mais elle n’a pas beaucoup dormi.

 

[22]           Le lendemain matin, elle a revu l’accusé dans sa tente. Il cherchait de la nourriture et lui a paru ivre. Il a été escorté à l’extérieur par le caporal Mitchell après que l’adjudant Moureau lui eut ordonné de sortir de la tente de la plaignante. Une fois dehors, le caporal Cadieux s’est excusé de son comportement auprès de l’adjudant Moureau.

 

[23]           L’accusé a ensuite été vu dans le bus en partance vers le complexe hôtelier Sandals. En attendant le départ, il s’est assis sur le siège du conducteur et a klaxonné. Il demandait aussi à manger aux autres passagers. L’adjudant Moureau continuait de garder un œil sur l’accusé, qui lui a paru en état d’ébriété ou en pleine gueule de bois, mais gérable. Il lui a retiré une bouteille d’alcool. Le bus s’est mis en route vers le complexe, mais est revenu avec tout le monde à bord car cette activité avait été annulée. Alors que les membres faisaient d’autres projets pour la journée, l’adjudant Moureau a ordonné à l’accusé de regagner sa tente pour dormir. Le caporal Cadieux était contrarié, mais a obéi, non sans exprimer l’intention de le faire au volant d’un véhicule. L’adjudant Moureau lui a confisqué la clé et lui ordonné de marcher jusqu’à sa tente.

 

[24]           C’est un peu plus tard, en janvier 2016, à son retour au Canada, que la plaignante a déposé sa plainte au sujet de l’incident concernant le caporal Cadieux.

 

[25]           Il y eut enquête; une accusation a été portée et des accusations ont été déposées par la poursuite en décembre 2016.

 

[26]           Avant que la Cour ne procède à son analyse juridique, il convient de traiter de la présomption d’innocence et de la norme de preuve hors de tout doute raisonnable, une norme inextricablement liée aux principes fondamentaux applicables à tous les procès criminels et sous le régime du code de discipline militaire. Ces principes sont évidemment bien connus des avocats, mais peut-être pas des autres personnes présentes dans la salle d’audience.

 

[27]           Le principe de droit primordial qui s’applique dans tous les procès instruits sous le régime du code de discipline militaire et dans tous les procès criminels est la présomption d’innocence. Le caporal Cadieux est présumé innocent au début de l’instance, et cette présomption d’innocence est maintenue tout au long de l’instance à moins que la poursuite ne convainque la cour hors de tout doute raisonnable, au moyen des éléments de preuve qui lui sont présentés, qu’il est coupable.

 

[28]           Deux règles découlent de la présomption d’innocence. Premièrement, il incombe à la poursuite de prouver la culpabilité. Deuxièmement, cette culpabilité doit être prouvée hors de tout doute raisonnable. Ces règles liées à la présomption d’innocence visent à s’assurer qu’aucune personne innocente n’est déclarée coupable.

 

[29]           Le fardeau de la preuve incombe à la poursuite et n’est jamais inversé. Le caporal Cadieux n’est pas tenu de prouver qu’il est innocent. Il n’a rien à prouver.

 

[30]           Mais que signifie l’expression « hors de tout doute raisonnable »? Un doute raisonnable n’est ni imaginaire ni frivole. Il ne procède ni de la sympathie ni des préjugés envers les individus concernés par les procédures. Il repose plutôt sur la raison et le bon sens. Il s’agit d’un doute qui découle logiquement de la preuve ou d’une absence de preuve.

 

[31]           Il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue, et la poursuite n’est pas tenue de le faire. Une telle norme serait impossible à satisfaire. Cependant, la norme de preuve hors de tout doute raisonnable s’apparente beaucoup plus à la certitude absolue qu’à la culpabilité probable. Le caporal Cadieux ne peut être déclaré coupable à moins que la Cour ne soit certaine qu’il est coupable. Même si la Cour croit qu’il est probablement coupable ou vraisemblablement coupable, ce n’est pas suffisant. Dans ce cas, la Cour devra lui accorder le bénéfice du doute et le déclarer non coupable parce que la poursuite n’aura pas réussi à la convaincre de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[32]           Ce qui importe pour la Cour, c’est que l’exigence de la preuve hors de tout doute raisonnable s’applique à chacun des éléments essentiels. Elle ne s’applique pas aux éléments de preuve pris individuellement. La Cour doit décider, en tenant compte de l’ensemble de la preuve, si la poursuite a prouvé la culpabilité du caporal Cadieux hors de tout doute raisonnable.

 

[33]           Le doute raisonnable s’applique à la question de la crédibilité. Sur tout point donné, la Cour peut croire un témoin, ne pas le croire, ou être incapable de décider. Elle n’a pas besoin de croire ou de ne pas croire entièrement un témoin ou un groupe de témoins. Si elle a un doute raisonnable quant à la culpabilité du caporal Cadieux en raison de la crédibilité des témoins, la Cour doit le déclarer non coupable.

 

[34]           La Cour a entendu le témoignage du caporal Cadieux. Lorsqu’une personne accusée d’une infraction témoigne, la Cour doit apprécier ce témoignage comme elle apprécierait le témoignage de tout autre témoin, en gardant à l’esprit les instructions mentionnées plus tôt au sujet de la crédibilité des témoins. La Cour peut admettre tout ou partie du témoignage du caporal Cadieux, ou ne pas l’admettre du tout.

 

[35]           Nous sommes saisis d’une affaire dans laquelle l’approche à suivre concernant l’évaluation de la crédibilité et de la fiabilité a été énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742, et doit être appliquée parce que l’accusé a témoigné.

 

[36]           Ce critère a été énoncé principalement pour éviter au juge des faits d’avoir à déterminer à quelle preuve il ajoute foi, celle de l’accusé ou celle de la poursuite. Cependant, il est également manifeste que la Cour suprême du Canada a réitéré à de nombreuses reprises que cette formule n’avait pas à être suivie mot à mot comme une sorte d’incantation. Comme le déclarait récemment la Cour suprême du Canada au paragraphe 21 de l’arrêt Rc. Vuradin, 2013 CSC 38, l’écueil que la Cour doit éviter dans son analyse est de choisir, ou d’avoir l’air de choisir, entre les deux versions présentées.

 

[37]           Si elle croit le témoignage du caporal Cadieux portant qu’il n’a pas commis l’infraction dont il est accusé, la Cour doit évidemment conclure qu’il n’est pas coupable.

 

[38]           En revanche, même si la Cour ne croit pas le témoignage du caporal Cadieux, elle devra le déclarer non coupable de l’infraction si ce témoignage soulève un doute raisonnable quant à un élément essentiel de cette infraction.

 

[39]           Même si le témoignage du caporal Cadieux ne soulève pas un tel doute, la Cour devra l’acquitter si, après avoir examiné l’ensemble de la preuve, elle n’est pas convaincue hors de tout doute raisonnable de sa culpabilité.

 

[40]           S’agissant de la preuve, il est important de souligner que la Cour ne peut prendre en compte que celle qui est présentée en salle d’audience. La preuve est constituée des témoignages et des éléments versés en pièce, y compris les documents et photographies. Elle comprend également les aveux. Les réponses de chaque témoin aux questions qui leur sont posées font aussi partie de la preuve. Seules les réponses constituent des éléments de preuve. Les questions n’en sont pas, à moins que le témoin ne convienne que ce qui lui est demandé est exact.

 

[41]           Le caporal Cadieux est accusé d’agression sexuelle. L’alinéa 271a) du Code criminel prévoit en partie :

 

271. Quiconque commet une agression sexuelle est coupable :

 

a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans […]

 

[42]           À la page 302 de l’arrêt R. c. Chase, [1987] 2 R.C.S. 293, le juge McIntyre a défini l’agression sexuelle :

 

L’agression sexuelle est une agression, au sens de l’une ou l’autre des définitions de ce concept au par. 244(1) du Code criminel, qui est commise dans des circonstances de nature sexuelle, de manière à porter atteinte à l’intégrité sexuelle de la victime. 

 

[43]           L’alinéa 265(1)a) du Code criminel prévoit en partie :

 

265. (1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas :

 

a) d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement;

 

[44]           Il a été établi dans l’arrêt R. c. Ewanchuk, [1999] 1 R.C.S. 330 que pour qu’un accusé soit déclaré coupable d’agression sexuelle, deux éléments fondamentaux doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable : qu’il a commis l’actus reus et qu’il avait la mens rea requise.

 

[45]           L’actus reus de l’agression consiste en des attouchements sexuels non souhaités et il est établi par la preuve de trois éléments : les attouchements, la nature sexuelle des contacts, et l’absence de consentement.

 

[46]           Le consentement met en cause l’état d’esprit de la plaignante. La plaignante a‑t‑elle volontairement consenti à ce que l’accusé fasse ce qu’il a fait, de la manière dont il l’a fait au moment où il l’a fait? Autrement dit, la plaignante voulait-elle que l’accusé fasse ce qu’il a fait? L’accord volontaire est donné par une personne libre d’être en accord ou en désaccord de son plein gré. Il suppose la connaissance de ce qui va se produire et un accord volontaire pour le faire ou pour le laisser faire.

 

[47]           Le seul fait que la plaignante n’ait pas résisté ni livré bataille ne veut pas dire qu’elle a consenti à ce que l’accusé a fait. Le consentement suppose nécessairement que la plaignante sait ce qui va arriver et décide, sans être soumise à la force, à des menaces, à la peur, à une fraude ou à un abus d’autorité, de laisser les événements se produire.

 

[48]           La mens rea désigne l’intention de faire des attouchements tout en sachant que la plaignante n’a pas consenti à l’emploi de la force.

 

[49]           La poursuite devait ensuite prouver, à l’égard des deux accusations, les éléments essentiels suivants hors de tout doute raisonnable : l’identité de l’accusé ainsi que la date et le lieu des événements allégués dans l’énoncé détaillé de chaque accusation figurant dans l’acte d’accusation.

 

[50]           La poursuite devait aussi prouver les éléments additionnels suivants concernant l’infraction d’agression sexuelle :

 

a)                  le fait que le caporal Cadieux a employé la force contre la plaignante;

 

b)                  le fait qu’il a employé la force de manière intentionnelle contre la plaignante;

 

c)                  le fait que la plaignante n’a pas consenti à l’emploi de la force par l’accusé;

 

d)                  le fait que l’accusé savait que la plaignante ne consentait pas à ce qu’il emploie la force;

 

e)                  le fait que l’accusé a employé la force dans des circonstances de nature sexuelle.

 

[51]           Le caporal Cadieux est aussi accusé d’ivresse en contravention de l’article 97 de la Loi sur la défense nationale, qui prévoit :

 

97 (1) Quiconque se trouve en état d’ivresse commet une infraction et, sur déclaration de culpabilité, encourt comme peine maximale un emprisonnement de moins de deux ans, sauf s’il s’agit d’un militaire du rang qui n’est pas en service actif ou de service — ou appelé à prendre son tour de service —, auquel cas la peine maximale est un emprisonnement de quatre-vingt-dix jours.

 

(2) Pour l’application du paragraphe (1), il y a infraction d’ivresse chaque fois qu’un individu, parce qu’il est sous l’influence de l’alcool ou d’une drogue :

 

a) soit n’est pas en état d’accomplir la tâche qui lui incombe ou peut lui être confiée;

 

b) soit a une conduite répréhensible ou susceptible de jeter le discrédit sur le service de Sa Majesté.

 

[52]           S’agissant de cette accusation, la poursuite devait prouver, en plus des éléments essentiels relatifs aux deux accusations, que :

 

a)                  le caporal Cadieux était sous l’influence de l’alcool ou d’une drogue;

 

b)                  le caporal Cadieux n’était pas en état d’accomplir la tâche qui lui incombait ou pouvait lui être confiée ou qu’il avait eu une conduite répréhensible ou susceptible de jeter le discrédit sur le service de Sa Majesté.

 

[53]           En ce qui concerne l’agression sexuelle, l’accusé a admis de nombreux éléments essentiels de l’infraction et a ainsi dispensé la poursuite d’avoir à prouver l’identité, la date, le lieu de l’infraction ainsi que la nature sexuelle des contacts qu’il a eus avec la plaignante.

 

[54]           La Cour conclut que la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants de l’infraction d’agression sexuelle : l’identité, la date, le lieu et la nature sexuelle des contacts que l’accusé a eus avec la plaignante.

 

[55]           La Cour doit maintenant se prononcer sur les éléments essentiels suivants de l’infraction que la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable :

 

a)                  le fait que le caporal Cadieux a employé la force contre la plaignante;

 

b)                  le fait qu’il a employé la force de manière intentionnelle contre la plaignante;

 

c)                  le fait que la plaignante n’a pas consenti à ce qu’il emploie la force;

 

d)                  le fait qu’il savait que la plaignante ne consentait pas à ce qu’il emploie la force.

 

[56]           La Cour a entendu tous les témoins et ne voit aucune raison de mettre en doute leurs témoignages. L’affaire devant la Cour  n’en est pas une liée à  la crédibilité ou la fiabilité des témoins, mais consiste plutôt à déterminer si la preuve fournie par ces derniers suffit à prouver tous les éléments essentiels de l’infraction hors de tout doute raisonnable.

 

[57]           La Cour a eu l’impression que le caporal Cadieux était quelqu’un de franc qui n’avait rien à cacher. Il a décrit clairement l’incident, dont il s’est étonné.

 

[58]           Il en va de même de la plaignante. Elle a eu raison d’être choquée par ce qui s’était produit. Son histoire était claire, et la Cour l’a crue lorsqu’elle a déclaré n’avoir jamais consenti aux actes posés par l’accusé.

 

[59]           Le caporal-chef Hebert a simplement confirmé, à titre de témoin oculaire, la manière dont les choses se sont déroulées et n’a pas semblé prendre parti. Son témoignage s’est limité à ce qu’elle a vu et entendu et à ce qu’elle était en mesure de se rappeler.

 

[60]           L’incident est survenu un soir que le témoin oculaire, la plaignante et l’accusé avaient bu. Ils ont tous déclaré à la Cour qu’ils avaient consommé de l’alcool, mais qu’ils étaient fonctionnels jusqu’à un certain point.

 

[61]           Il est clair que la perception des choses cette nuit-là était relativement teintée par leur consommation d’alcool. Cela dit, tous les trois ont déclaré à la Cour que leurs souvenirs étaient assez nets, compte tenu du caractère inhabituel des événements.

 

[62]           D’après leurs témoignages, ils avaient tous la gueule de bois le lendemain matin, comme beaucoup d’autres membres qui avaient bu ce soir‑là, ce qui confirme qu’ils ont absorbé une bonne dose d’alcool la veille. Cependant, il est difficile de dire comment et dans quelle mesure cela a affecté leurs perceptions des choses et leurs mémoires respectives. Il se trouve que la preuve permet de conclure que l’alcool les a affectés. Ils ont tout de même été en mesure de rapporter à la Cour ce qu’ils estimaient être l’essentiel des événements survenus ce soir‑là.

 

[63]           La plaignante a été réveillée par le fait que l’accusé la touchait à  un endroit précis. Il est possible que quelque chose se soit produit avec lui avant cet instant, compte tenu du fait qu’elle avait bu de l’alcool et de l’effet que cela a pu avoir sur son sommeil et sur sa capacité d’éveil. Elle a remarqué et entendu l’accusé dire qu’il n’était pas Steve, mais Simon, mais n’a pas pu expliquer à la Cour pourquoi il avait dit cela, confirmant par là que quelque chose a pu se produire à son insu avant qu’elle ne se réveille. Elle reconnaît qu’elle a peut-être marmonné quelque chose qui a amené l’accusé à faire ce commentaire, mais à vrai dire elle n’en sait rien.

 

[64]           Le compte rendu de l’incident fourni par le caporal-chef Hebert rend crédibles et dignes de foi ceux de la plaignante et de l’accusé.

 

[65]           S’agissant de la main posée sur la plaignante, la Cour estime, compte tenu du témoignage de l’accusé, qu’il a peut-être posé la main sur elle pour garder l’équilibre. Il se peut aussi qu’il l’ait fait avec d’autres intentions, mais son témoignage a soulevé un doute raisonnable et cet aspect des événements n’a donc pas été prouvé hors de tout doute raisonnable par la poursuite. Par conséquent, la Cour estime que ce fait n’établit pas que l’accusé a employé la force de manière intentionnelle contre la plaignante.

 

[66]           L’accusé a toutefois déclaré à la Cour qu’il lui a rendu son baiser. La Cour conclut que le caporal Cadieux a employé la force contre la plaignante, et ce, de manière intentionnelle.

 

[67]           Aussi, la Cour conclut que la plaignante n’a pas consenti à cet emploi de la force par l’accusé. Elle n’était clairement pas réveillée et ne pouvait y consentir.

 

[68]           Cependant, le témoignage du caporal Cadieux suffit à soulever un doute raisonnable lié au fait qu’il ignorait que la plaignante n’avait pas consenti à ce qu’il emploie la force.

 

[69]           Le caporal Cadieux s’est rendu dans la tente sans manifester la moindre intention d’embrasser la plaignante ou de poser d’autres gestes de nature sexuelle, une différence notable par rapport à la jurisprudence présentée et évoquée en cour par la poursuite. Il voulait simplement l’inviter à continuer de faire la fête. Lorsqu’elle l’a embrassé, il a employé la force en lui rendant son baiser, s’imaginant qu’elle consentait. Lorsqu’il a réalisé qu’elle le prenait pour quelqu’un d’autre et qu’elle lui demandait d’arrêter, il a obéi, s’est relevé et s’en est allé, montrant par-là que son consentement lui tenait à cœur. Pour la Cour, cela suffit à conclure à un doute raisonnable quant à cet élément essentiel de l’infraction.

 

[70]           Il est clair qu’il n’a jamais eu l’intention de l’embrasser lorsqu’il est entré dans la tente ou qu’il s’est approché d’elle. Elle a commencé à l’embrasser et il a cru subjectivement qu’elle y consentait. Lorsqu’elle lui a dit d’arrêter, il n’a pas insisté. Au contraire, il lui a signalé qu’elle avait fait une erreur et s’en est allé. De plus, sa croyance était raisonnable dans les circonstances. La Cour estime que la poursuite n’a pas prouvé que l’accusé avait la mens rea requise pour établir l’infraction d’agression sexuelle hors de tout doute raisonnable.

 

[71]           Compte tenu de ma conclusion sur cet élément essentiel de l’infraction, j’estime qu’il n’est pas nécessaire d’aborder la croyance honnête, mais erronée au consentement qu’invoque l’accusé à titre de moyen de défense. Cependant, la Cour aimerait faire remarquer que cet argument a une apparence de vraisemblance puisque les faits établissent que la plaignante avait peut-être l’esprit embrouillé quant à l’identité de la personne qu’elle embrassait.

 

[72]           Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, la Cour conclut donc que la poursuite n’a pas prouvé tous les éléments essentiels de l’infraction d’agression sexuelle hors de tout doute raisonnable.

 

[73]           Je me pencherai à présent sur l’infraction d’ivresse : le caporal Cadieux a admis certains éléments essentiels de l’infraction et a ainsi dispensé la poursuite d’avoir à les prouver hors de tout doute raisonnable. Ces éléments essentiels sont l’identité, la date et le lieu.

 

[74]           Compte tenu de la conclusion tirée à l’égard de l’accusation d’agression sexuelle, la Cour examinera uniquement les faits survenus le matin suivant l’incident à titre d’éléments de preuve pertinents aux fins de cette accusation d’ivresse.

 

[75]           Dans ce contexte, la Cour estime que la poursuite n’a pas prouvé les deux autres éléments essentiels de l’infraction d’ivresse hors de tout doute raisonnable.

 

[76]           Tout d’abord, il est possible que l’accusé ait été sous l’influence de l’alcool. Cependant, nous ne savons pas clairement si cela était dû au fait qu’il avait consommé de l’alcool ou simplement qu’il avait la gueule de bois comme plusieurs autres membres ce matin‑là. Même l’adjudant Moureau n’a pas pu expliquer clairement pourquoi le caporal Cadieux se conduisait de manière aussi troublante ce matin‑là. Aucune preuve décisive ne permet d’établir à quand remontait sa dernière consommation d’alcool ou s’il avait bu ce matin‑là.

 

[77]           La Cour conclut que la poursuite n’a pas prouvé cet élément essentiel de l’infraction hors de tout doute raisonnable.

 

[78]           Comme le déclarait le juge militaire Pelletier dans Rc. Sloan, 2014 CM 4004 :

 

L’infraction d’ivresse ne vise pas à sanctionner la consommation d’alcool ou de drogues. Elle vise à vérifier l’aptitude à exercer ses fonctions ou à sanctionner les inconduites ou les actes qui discréditent le service de Sa Majesté.

 

[79]           Les expressions « conduite répréhensible » et « jeter le discrédit sur le service de Sa Majesté » ne sont pas définies dans la disposition. Comme l’indique l’article 1.04 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, les mots « sont interprétés selon le sens ordinaire approuvé, indiqué dans le Concise Oxford Dictionary ». Dès lors, le terme disorderly (inconduite) signifie agir d’une manière qui contribue à la perturbation d’un comportement paisible, et le terme discredit (discrédit) désigne le fait de nuire à la bonne réputation du service de Sa Majesté.

 

[80]           La poursuite a établi, grâce à la preuve présentée, que le caporal Cadieux s’était comporté de manière un peu troublante lorsqu’il est allé dans la tente des femmes pour demander à manger ou dans le bus avant le départ pour le complexe hôtelier Sandals. Cependant, comme l’a précisé l’adjudant Moureau, il était gérable. Lorsque ce dernier a estimé que le comportement du caporal Cadieux pouvait devenir difficile à gérer, il l’a renvoyé dans sa tente pour qu’il se repose.

 

[81]           Rien ne confirme que le caporal Cadieux a eu une conduite répréhensible ce matin‑là ou qu’il a nui à la réputation du service de Sa Majesté. Aucune preuve produite ne permet non plus à la Cour de conclure hors de tout doute raisonnable à la perturbation d’un comportement paisible ou à un préjudice à la bonne réputation du service de Sa Majesté.

 

[82]           Compte tenu de l’ensemble de la preuve, la Cour conclut alors que la poursuite n’a pas prouvé l’infraction d’ivresse hors de tout doute raisonnable.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[83]           DÉCLARE le caporal Cadieux non coupable de la première accusation d’agression sexuelle et non coupable de la deuxième accusation d’ivresse.


 

Avocat :

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par le major C. Walsh et le capitaine L.L. Scantlebury

 

M. D.M. Hodson et Mme D. Mansour, avocats du caporal S.R.L.J. Cadieux

16 Lindsay Street North, Lindsay (Ontario)

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.