Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 25 avril 2017 ou dès que possible suivant cette date

Endroit : Base de soutien de la 2e Division du Canada Valcartier, l’Académie, édifice 534, pièce 227, Courcelette (QC)

Chefs d’accusation :

Chef d’accusation 1 : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d’un supérieur.
Chef d’accusation 2 : Art. 85 LDN, acte d’insubordination
Chef d’accusation 3 : Art. 90 LDN, s’est absentée sans permission.

Résultats :

VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2 : Coupable.
SENTENCE : Un avertissement.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Lafrenière, 2017 CM 4009

 

Date : 20170426

Dossier : 201643

 

Cour martiale permanente

 

Base de soutien de la 2e Division du Canada Valcartier, Québec

Courcelette (Québec) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal K.J. Lafrenière, contrevenante

 

 

En présence du : Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

Introduction

 

[1]               Caporal Lafrenière, ayant accepté et enregistré votre plaidoyer de culpabilité sur les deux chefs à l’acte d’accusation, la Cour vous déclare coupable de ces deux chefs en vertu de l’article 85 de la Loi sur la défense nationale (LDN), pour vous être conduit de façon méprisante envers le caporal-chef Roy (1er chef) et l’adjudant Bujold (2e chef).

 

Une recommandation conjointe est présentée à la Cour

 

[2]               Il est maintenant de mon devoir d’imposer la sentence. La poursuite et la défense ont présenté une recommandation conjointe à la Cour en ce qui concerne la peine à être imposée. Les avocats recommandent que cette Cour impose une sentence composée d’un avertissement.

 

[3]               Le juge militaire à qui on propose une recommandation conjointe sur la peine à imposer est sévèrement limité dans l’exercice de sa discrétion sur sentence. Bien qu’ultimement je doive seul exercer le pouvoir discrétionnaire de déterminer la peine, je ne peux écarter une recommandation conjointe que si j’ai de sérieux motifs de le faire. La Cour suprême a précisé récemment dans l’arrêt R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43 qu’un juge présidant un procès ne devrait pas écarter une recommandation conjointe relative à la peine, à moins que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit, par ailleurs, contraire à l’intérêt public.

 

[4]               Bien qu’il soit de mon devoir d’évaluer si la recommandation conjointe qui m’est présentée est acceptable, le seuil que cette recommandation doit atteindre pour que je la rejette est indéniablement élevé, considérant les multiples considérations d’intérêt public qui appuient l’imposition de toute peine conjointement recommandée. En effet, dans ces cas, la poursuite accepte de recommander une peine que l’accusé est disposé à accepter, minimisant ainsi le stress et les frais liés aux procès. De plus, pour ceux qui éprouvent des remords sincères, un plaidoyer de culpabilité offre une occasion de commencer à reconnaître leurs torts. Le plus important avantage est la certitude qu’offrent les ententes menant à des recommandations conjointes, autant pour l’accusé que pour la poursuite qui désire obtenir ce que le procureur estime être un règlement approprié de l’affaire dans l’intérêt public.

 

[5]               Ceci étant dit, même si la certitude quant au résultat est importante pour les parties, ce n’est pas l’objectif ultime du processus de détermination de la peine. Je dois également garder à l’esprit les objectifs disciplinaires du Code de discipline militaire en m’acquittant de mes responsabilités. Tel que mentionné par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259, la raison d’être d’une cour martiale, en tant que tribunal militaire, est entre autres de permettre aux Forces armées canadiennes (FAC) de s'occuper des questions qui touchent directement le maintien de la discipline, l'efficacité et le moral des troupes. Les cours martiales permettent de faire respecter la discipline efficacement. La sentence est la culmination du processus disciplinaire suite à un procès ou un plaidoyer. C’est la seule occasion pour la cour de traiter des besoins disciplinaires générés par la conduite du contrevenant et ce, sur un établissement militaire, devant public incluant plusieurs membres de l’unité actuelle ou antérieure du contrevenant ainsi que, de plus en plus, en présence de victimes.

 

[6]               La détermination de la peine dans le cadre d’un procès en cour martiale comporte donc un aspect disciplinaire important. Lorsqu’une recommandation conjointe est soumise à la cour, le juge militaire doit s’assurer, au minimum, que les faits pertinents à la situation du contrevenant et à la perpétration de l’infraction soient non seulement considérés mais également expliqués adéquatement dans ses motifs relatifs à la sentence et ce, dans une mesure qui peut ne pas être toujours nécessaires pour une cour civile siégeant en matière criminelle dans un centre-ville du pays. Ces exigences propres à l’imposition de la peine ne s’écartent pas des balises fixées par la Cour suprême en ce qui concerne les recommandations conjointes, tel qu’il appert du paragraphe 54 de l’arrêt R. c. Anthony-Cook.

 

Faits considérés

 

[7]               Lors de l’audience, le procureur a lu à voix haute un sommaire conjoint des faits et circonstances, dont la véracité a été admise par l’accusé. Il a de plus présenté les documents prévus à l’Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes 112.51. En plus de la preuve, la Cour a bien sûr considéré les plaidoiries des avocats au soutien de leur recommandation conjointe sur la peine, basées sur les faits et autres considérations pertinentes à la présente affaire.

 

La contrevenante

 

[8]               En ce qui concerne, d’abord, la contrevenante. La Cour tient compte du fait que le caporal Lafrenière est âgé de 34 ans. Elle s’est jointe aux FAC en juin 2008, initialement au sein de la Réserve avec le 55e Bataillon des services dans le métier de conducteur de matériel mobile de soutien et depuis octobre 2014 au sein de la Force régulière avec le 5e Bataillon des services.  Durant toutes ces années, elle a servi à Valcartier et à Québec.

 

[9]               Les infractions ont été commises alors que la santé mentale du caporal Lafrenière était fragile. Après un long congé de maladie, elle est maintenant de retour à son travail au sein de l’unité, participe à des activités sportives de haut niveau et sa chaîne de commandement espère qu’elle aura une longue carrière au sein des FAC.

 

Les infractions

 

[10]           Pour apprécier le caractère acceptable de la recommandation conjointe, la Cour a tenu compte de la gravité objective des infractions qui, telle que prévue à l’article 85 de la LDN, sont passibles au maximum d’une peine de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté.

 

[11]           Les faits relatifs à la perpétration des infractions sont révélés par le sommaire des circonstances et des faits lu par le procureur de la poursuite et accepté comme étant véridique par le caporal Lafrenière. Les circonstances des infractions sont les suivantes :

 

a)                  Le 29 juillet 2015, le caporal Lafrenière a reçu une revue  du développement du personnel par l’adjudant Bujold et le capitaine Desjardins.  Elle se considérait alors comme étant victime de ce qu’elle percevait comme un abus de pouvoir et du harcèlement par l’adjudant Bujold. Cette situation, après une longue période, avait un impact direct sur sa santé mentale.

 

b)                  Le 30 juillet 2015 le caporal Lafrenière s’est présenté à l’hôpital pour se faire soigner en santé mentale. Elle a reçu 14 jours de congé maladie, qui devaient commencer immédiatement.

 

c)                  Le médecin, qui connaissait bien la situation que vivait la caporal Lafrenière au travail, lui a indiqué qu’elle devait se présenter à son unité pour remettre les documents nécessaires à son congé de maladie à la salle des rapports, puis quitter l’unité immédiatement.

 

d)                 Une fois arrivée à l’unité, le caporal Lafrenière n’allait pas bien, et elle n’a pas obtempéré au désir exprimé par sa chaîne de commandement de la rencontrer. Elle a quitté l’unité en crise, ne voulant plus avoir à faire avec le caporal-chef Roy ou l’adjudant Bujold.

 

e)                  Ses actions n’étaient pas préméditées, mais plutôt le résultat d’un trouble de santé mentale sérieux et causé par sa perception d’un long abus de pouvoir et de harcèlement de l’adjudant Bujold.  

 

Facteurs aggravants

 

[12]           Malgré les représentations du procureur de la poursuite, la Cour ne considère qu’aucun facteur aggravant a été démontré par la preuve devant elle.  Le seul commentaire que le procureur a pu faire en lien avec le sommaire des circonstances est que le comportement du caporal Lafrenière est contraire aux attentes de la part d’un caporal, dans le cadre de sa relation avec deux supérieurs.  Ceci n’est pas un facteur aggravant mais bien la nature même des infractions à laquelle la contrevenante a admis sa culpabilité.  Il est d’ailleurs difficile de considérer un quelconque facteur aggravant dans ce dossier considérant que l’impact des facteurs aggravants est d’augmenter la sévérité de la peine et que le procureur s’est entendu avec la défense pour recommander conjointement la plus basse peine possible au Code de discipline militaire.  La conséquence de cette recommandation est qu’il n’y a manifestement aucun facteur aggravant en jeu devant la Cour.

 

Facteurs atténuants

 

[13]           La Cour a également considéré les facteurs atténuants suivants :

 

a)                  Tout d’abord, le plaidoyer de culpabilité de la contrevenante, que la Cour considère comme étant une indication de ses remords, et la preuve qu’elle accepte la responsabilité pour ses gestes.

 

b)                  Deuxièmement, le fait que le comportement de la contrevenante au moment des infractions était étroitement lié à ce qu’elle considérait comme étant un traitement injuste et inapproprié de la part de ses supérieurs, une situation qui lui a d’ailleurs occasionné des problèmes significatifs de santé mentale. Ceci étant dit, cette situation n’est pas une excuse en droit: le caporal Lafrenière se devait de faire preuve de contrôle même dans les circonstances difficiles auxquelles elle était confrontée.

 

c)                  Troisièmement, la contrevenante n’a pas de fiche de conduite.

 

d)                 Quatrièmement, le fait que depuis son retour de congé de maladie, « son travail au sein de l’unité va bien » tel que mentionné au sommaire des circonstances. Clairement la contrevenante a acquis un certain niveau d’expertise depuis le début de sa carrière en 2008 et a le potentiel pour continuer à contribuer aux FAC dans le futur.

 

Objectifs de détermination de la peine devant être privilégiés

 

[14]           Je suis venu à conclure que dans les circonstances exceptionnellement atténuantes de la présente affaire, l’imposition de la sentence devrait favoriser la réhabilitation de la contrevenante.  En effet, la Cour considère que l’impact de la tenue de cette cour martiale est en soi suffisant pour atteindre le nécessaire objectif de dénonciation que toute poursuite sous l’article 85 de la LDN devrait viser. Il s’agit selon moi d’un cas où l’intérêt public à poursuivre est si marginal que la tenue même du procès diminue l’importance de la peine à être imposé. Encore une fois, il s’agit d’une situation exceptionnelle.

 

Évaluation de la recommandation conjointe

 

[15]           Tel que mentionné précédemment, pour établir la peine appropriée dans la présente affaire, je dois en tout premier lieu évaluer la recommandation conjointe des avocats et son impact. En effet, la poursuite et la défense ont conjointement recommandé que cette Cour impose une sentence composée de la moins sévère des peines mineures, c’est-à-dire l’avertissement.

 

[16]           Pour apprécier le caractère acceptable de la recommandation conjointe, je dois appliquer le critère promulgué récemment par la Cour suprême à l’effet qu’un juge du procès ne devrait pas écarter une recommandation conjointe relative à la peine, à moins que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit, par ailleurs, contraire à l’intérêt public.

 

[17]           En tant que juge militaire, la question que je dois déterminer n’est pas si j’aime la peine qui m’est conjointement recommandée ou si je peux arriver à quelque chose de mieux. En effet, le seuil que cette recommandation doit atteindre pour que je la rejette fait en sorte que toute opinion autre que je pourrais avoir sur ce qui constituerait une sentence adéquate n’est pas suffisante pour me permettre de rejeter la recommandation conjointe qui m’a été faite.

 

[18]           La Cour suprême a fixé un seuil aussi élevé pour écarter des recommandations conjointes de manière à ce que leurs indéniables avantages ne soient pas compromis. Les avocats de la poursuite et de la défense sont bien placés pour en arriver à une recommandation conjointe qui reflète tant les intérêts du public que ceux de l’accusé. En principe, ils connaîtront très bien la situation du contrevenant et les circonstances de l’infraction, ainsi que les forces et les faiblesses de leurs positions respectives. Le procureur militaire est chargé de représenter les intérêts des autorités militaires et de la collectivité civile pour faire en sorte que justice soit rendue. On exige de l’avocat de la défense qu’il agisse dans l’intérêt supérieur de l’accusé, et il doit notamment s’assurer que le plaidoyer de celui-ci soit donné de façon volontaire et éclairée. Les avocats représentant les deux parties sont tenus, sur le plan professionnel et éthique, de ne pas induire la Cour en erreur. Bref, ils sont entièrement capables d’arriver à des règlements équitables et conformes à l’intérêt public.

 

[19]           Pour décider si une recommandation conjointe déconsidérerait l’administration de la justice ou serait contraire à l’intérêt public, je dois me demander si, malgré les considérations d’intérêt public qui appuient l’imposition de la peine recommandée, elle correspond si peu aux attentes des personnes raisonnables instruites des circonstances de l’affaire que ces dernières estimeraient qu’elle fait échec au bon fonctionnement du système de justice pénale. En effet, comme tout juge devant examiner une recommandation conjointe, je dois éviter de rendre une décision qui fait perdre au public renseigné et raisonnable, incluant les membres des FAC, sa confiance dans l’institution des tribunaux, incluant la cour martiale.

 

[20]           En considérant la nature des infractions, les circonstances dans lesquelles elles ont été commises, les principes d’imposition de la peine applicable et les facteurs atténuants mentionnés précédemment, je ne suis pas en mesure de conclure que la sentence recommandée conjointement par les procureurs est déraisonnable ou de nature à déconsidérer l'administration de la justice. Je vais donc accepter de l’entériner.

 

[21]           Caporal Lafrenière, les circonstances des infractions auxquelles vous avez reconnu votre culpabilité révèlent un comportement qui ne peut être accepté, tel que démontré par la décision des autorités de sanctionner votre conduite par des accusations en vertu du Code de discipline militaire, menant à votre comparution devant cette Cour aujourd’hui.  La tenue de cette cour martiale est susceptible d’avoir un plus grand effet dissuasif sur vous que la peine que je vous impose. Je crois comprendre que vous êtes présentement sur la bonne voie en ce qui concerne votre santé. Considérant que votre chaîne de commandement vous soutiens et espère que vous aurez une longue carrière, je présume que vous pouvez éventuellement vous attendre à assumer de plus importantes responsabilités au sein de l’Armée, incluant à un grade supérieur.  Si cela se produit, souvenez-vous que toute conduite méprisante par quiconque peut avoir des effets négatifs sur l’équilibre mental de toute personne, autant supérieure que subordonnée. Gardez cela à l’esprit lorsque vous aurez l’occasion de réfléchir sur votre conduite et continuez vos efforts pour vous garder en santé et heureuse de manière à contribuer positivement à l’Armée et à la société maintenant que vous avez payé votre dette en lien avec les évènements de juillet 2015.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[22]           VOUS CONDAMNE à une peine mineure d’un avertissement.


 

Avocats :

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par le major A.J. van der Linde

 

Capitaine P. Cloutier, service d’avocats de la défense, avocate du caporal K.J. Lafrenière

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.