Courts Martial

Decision Information

Summary:

Date of commencement of the trial: 18 April 2016

Location: 4185 chemin de la Côte-des-Neiges, Montréal, QC

Charges:

• Charge 1: S. 86(a) NDA, quarrels and disturbances.
• Charge 2: S. 86(b) NDA, used provoking speeches toward a person subject to the Code of Service Discipline, tending to cause a quarrel.

Results:

• FINDINGS: Charges 1, 2: Guilty.
• SENTENCE: A reprimand and a fine in the amount of $650.

Decision Content

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COUR MARTIALE

 

Référence:  R. c. Pichette, 2016 CM 4004

 

                                                                                                                  Date:  20160419

                                                                                                                 Dossier:  201556

 

                                                                                                    Cour martiale permanente

 

            Caserne Côte-des-Neiges

Montréal (Québec) Canada

 

Entre: 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal J. Pichette, contrevenant

 

 

Devant:  Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

INTRODUCTION

 

[1]               Le caporal Pichette a plaidé coupable aux deux chefs d’accusation portés contre lui en vertu de l’article 86 de la Loi sur la défense nationale pour s’être battu et avoir adressé au caporal Larivière des propos provocateurs tendant à créer une querelle.

 

[2]               Il est maintenant de mon devoir, en tant que juge militaire présidant cette cour martiale permanente, de fixer la peine. Dans le cours de mes délibérations, j’ai pris en considération les principes applicables à la détermination de la peine qui s’imposent aux cours de juridiction criminelle et pénale au Canada, ainsi qu’aux cours martiales. J’ai également pris en considération les faits pertinents de la présente cause, tels qu’ils apparaissent au sommaire des circonstances lu par la procureure. J’ai considéré le témoignage des adjudant-maîtres Thibodeau et O’Donnell, appelés par la poursuite, ainsi que le témoignage du caporal Pichette, appelé par la défense. J’ai aussi considéré les documents et la preuve soumise lors de l’audition sur la détermination de la peine, ainsi que les plaidoiries des avocats, autant pour la poursuite que pour la défense.

 

LES OBJECTIFS ET LES PRINCIPES APPLICABLES

 

[3]               De manière générale, le système de justice militaire est le moyen ultime pour imposer la discipline au sein des Forces armées canadiennes, et un élément fondamental de la vie militaire. Tel que reconnu par la Cour suprême du Canada, le but d’un système de justice et de tribunaux militaires est de permettre aux forces armées de disposer des outils nécessaires pour faire respecter la discipline interne de manière à encourager l’efficacité et le moral. En effet, c’est par la discipline qu’une force armée peut demeurer prête à intervenir à la demande du gouvernement, et peut s’assurer que ses membres accomplissent, de manière fiable et digne de confiance, des missions remplies de succès. En permettant la sanction des personnes assujetties au code de discipline militaire, ce système sert également l’intérêt du public à ce que les lois soient respectées par tous.

 

[4]               La détermination de la peine a donc pour objectifs essentiels de favoriser l’efficacité opérationnelle des Forces armées canadiennes en contribuant au maintien de la discipline, de la bonne organisation, du moral, et de contribuer au respect de la loi. Ces objectifs essentiels peuvent être atteints par l’infliction de sanctions visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a)         protéger le public, qui inclus les Forces armées canadiennes;

 

b)         dénoncer les comportements illégaux;

 

c)         dissuader les contrevenants et autres personnes de commettre des infractions;

 

d)         réparer les torts causés aux victimes ou à la collectivité;

 

e)         isoler, au besoin, les contrevenants des autres officiers et militaires du rang ou de la société en général;

 

f)         réintégrer les contrevenants dans la société ou dans la vie militaire.

 

[5]               Le tribunal militaire qui détermine la peine à infliger tient compte, également, des principes suivants :

 

a)         L’harmonisation des peines. Considérant que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction commise, ainsi qu’au degré de responsabilité du contrevenant, le juge doit infliger des peines semblables à celles infligées à des contrevenants semblables ayant commis des infractions semblables dans des circonstances semblables.

 

b)         L’infliction de la peine la moins sévère possible qui permette de maintenir la discipline, la bonne organisation et le moral.

 

c)         L’obligation, avant d’envisager la privation de liberté par l’emprisonnement ou la détention, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient.

 

d)         La prise en compte des conséquences indirectes du verdict de culpabilité ou de la sentence.

 

e)         La modulation de la peine en lien avec les circonstances aggravantes et atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant.

 

[6]               Il est reconnu que les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil. Ceci étant dit, toute punition devant être imposée devrait correspondre à l’intervention minimale nécessaire dans les circonstances. Dans le cadre d’une cour martiale, cela veut dire d’imposer une sentence composée de la peine ou combinaison de peines les moins sévères qui permettent d’assurer le maintien de la discipline. 

 

[7]               Les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC) spécifient que le juge qui impose la sentence doit tenir compte des conséquences indirectes de la condamnation et de la sentence, qui doit être proportionnelle à la gravité des infractions et au degré de responsabilité du contrevenant. La sentence doit donc être adaptée au contrevenant et aux infractions qu’il ou elle a commise.

 

LES INFRACTIONS ET LE CONTREVENANT

 

Les infractions

 

[8]               Un sommaire des circonstances a été lu par la procureure, et accepté comme étant véridique par le caporal Pichette. Les circonstances des infractions sont les suivantes :

 

a)                  Au moment des évènements de la présente affaire, caporal Pichette œuvrait au sein des blindés, était qualifié et employé en classe B en tant que chauffeur à l’École du Corps blindé royal canadien (ECBRC) sur la Base de soutien de la 5e Division du Canada à Gagetown.

 

b)                  Le caporal Pichette partageait la chambre 157 de l’édifice D-25 sur la base de Gagetown avec deux autres militaires, dont le caporal Larivière, lui aussi un réserviste employé en classe B en tant que chauffeur à l’ECBRC.

 

c)                  Le 23 juin 2014 les caporaux Pichette et Larivière ont consommé un repas et quelques boissons alcoolisées à un pub local. À leur retour, vers 2030 heures, le caporal Larivière est retourné à sa chambre alors que le caporal Pichette a plutôt visité d’autres chambres de la bâtisse D-25 afin de trouver quelqu’un avec qui fêter la Saint-Jean-Baptiste. Personne ne désirait se joindre à lui pour la fête de la Saint-Jean-Baptiste car ils devaient tous se lever tôt pour le travail le lendemain matin. Cela contraria le caporal Pichette, qui devint agressif et se mit à crier qu’ils devaient fêter car c’était la Saint-Jean-Baptiste. Il a décidé de se rendre au mess des caporaux et des soldats de la base où il a pris une autre consommation alcoolisée pour ensuite retourner à sa chambre afin, entre autre, d’écouter de la musique sur son ordinateur tout en continuant à consommer de l’alcool.

 

d)                 Bien que le caporal Pichette portait ses écouteurs, ses co-chambreurs pouvaient tous deux entendre sa musique ainsi que sa voix qui fredonnait. Caporal Larivière, dérangé par cette situation, lui a demandé de baisser le volume, requête que le caporal Pichette, portant des écouteurs, n’entendit pas. Après avoir répété sa demande à quelques reprises, le caporal Larivière lança une paire de chaussettes au caporal Pichette afin d’attirer son attention. Bien que contrarié, le caporal Pichette décida d’ignorer ce geste.

 

e)                  Caporal Larivière s’est alors levé afin de redemander au caporal Pichette de baisser le volume, touchant à ce moment l’épaule du caporal Pichette. Il lui demanda de baisser le volume et de cesser de chanter. Le caporal Pichette répondit qu’il était impossible qu’il entende la musique puisqu’il utilisait des écouteurs. Une dispute s’en est suivie. Le caporal Pichette a débranché ses écouteurs afin de démontrer ce à quoi ressemblait de la musique forte. Les haut-parleurs de son ordinateur ont alors pris le relais, réveillant plusieurs personnes dans les chambres avoisinantes. Caporal Larivière lui a alors dit que « c’était fini de faire chier le monde » et il a fermé vivement le couvercle de l’ordinateur portable du caporal Pichette.

 

f)                   Une bagarre entre le caporal Pichette et le caporal Larivière s’en est suivie. Le caporal Pichette a poussé le caporal Larivière. Les deux membres se sont agrippés l’un à l’autre en position rapprochée et ont lutté. Par la suite, le caporal Pichette a poussé le caporal Larivière qui a perdu pied sur le lit et est tombé sur le sol. Lorsqu'il tomba à la renverse, le caporal Larivière agrippa le caporal Pichette qui tomba avec lui. Au sol, le caporal Larivière a immobilisé le caporal Pichette entre ses jambes pendant que ce dernier lui tenait les bras. 

 

g)                  Le commissionnaire, ayant entendu du bruit venant du couloir, s’est rendu sur les lieux autour de 0105 heures pour voir ce qui se passait. Il a trouvé les deux caporaux agrippés l’un à l’autre sur le sol dans la chambre 157. Il leur a demandé de cesser, faute de quoi il devait alerter la police militaire. Le caporal Pichette demanda alors au commissionnaire d’appeler la police militaire.

 

h)                  La bagarre a éventuellement cessée suite aux interventions verbales des témoins de l’altercation. Le caporal Larivière est sorti de la chambre. Peu de temps après, le caporal Pichette est ressorti de la chambre. S’étant aperçu que son chandail était endommagé, le caporal Pichette a dit au caporal Larivière qu’il devrait lui repayer les 30 $ que valait ce chandail. Ce dernier a refusé, suite à quoi le caporal Pichette a agrippé le chandail du caporal Larivière par le collet et l’a déchiré. 

 

i)                    Au retour dans sa chambre, notant l’écran bleu sur son ordinateur, le caporal Pichette a déduit que l’ordinateur était endommagé, qu’il avait perdu toutes les données qu’il contenait et a dit au caporal Larivière qu’il devrait lui payer la valeur de son ordinateur, à savoir 1 800 $, ce que ce dernier a refusé. Le caporal Pichette a pris le caporal Larivière par la gorge et l’a poussé au mur en lui disant « Tu vas me le payer, je te le jure que tu vas me le payer », ou quelque chose du genre. Le caporal Larivière est parvenu à se libérer en empoignant la pomme d’Adam du caporal Pichette et s’est éloigné. La police militaire est arrivée quelques instants plus tard, mettant fin à l’altercation.

 

j)                    Le caporal Pichette a été arrêté à 0227 heures le 24 juin 2014. Il a été libéré par l’officier réviseur à 1100 heures le 24 juin 2014 sous trois conditions: ne pas troubler l’ordre public, s’abstenir de communiquer avec le caporal Larivière, et s’abstenir de consommer ou d’avoir en sa possession de l’alcool ou toute substance intoxicante. Cette dernière condition fut levée en juillet 2015. Il n’y a aucune indication que le caporal Pichette ait enfreint ses conditions de libération.

 

[9]        Les témoins appelés par la poursuite ont décrit le travail supplémentaire occasionné à la chaîne de commandement par les mésaventures du caporal Pichette, autant au niveau de son unité d’emploi à Gagetown qu’à son unité d’appartenance aux Royal Canadian Hussars à Montréal. Par contre, il s’agit du genre de tâche d’administration du personnel qui se produit de manière fréquente. Caporal Pichette a réintégré des fonctions similaires à celle qu’il occupait avant les évènements à Gagetown, et il a complété sa période de service, tel que prévu, jusqu’en août 2014. Les témoins ont mentionné que ce genre d’incident doit faire l’objet de mesures immédiates, ce qui a été fait dans le cadre de réunions subséquentes. Les évènements n’ont pas eu d’effets négatifs sur le moral et l’efficacité opérationnelle des unités concernées.

 

Le contrevenant

 

[10]      Le caporal Pichette est âgé de 29 ans. Il s’est joint aux Forces armées canadiennes en septembre 2004 en tant que réserviste au sein des blindés. Il sert au sein des Royal Canadian Hussars à Montréal, et a été employé à temps plein à de nombreuses occasions dans sa carrière, que ce soit pour des fins d’instruction, entre autre à l’ECBRC à Gagetown, ou de manière générale pour des périodes d’emploi diverses, principalement en soutien à l’instruction. Il a également été employé en service de réserve de classe C pour deux opérations domestiques: dans la région de Saint-Jean-sur-Richelieu au printemps 2011 et à la Base des Forces canadiennes de Valcartier au tout début de 2016. En ce qui concerne sa vie civile, le caporal Pichette poursuit des études et culmine des emplois, entre autre en tant qu’installateur de couvre- plancher au sein de l’entreprise de son père. Il demeure en appartement avec sa petite amie à Montréal et n’a pas d’enfants.

 

[11]      La preuve entendue de la part de l’adjudant-maître O’Donnell, du régiment du contrevenant, est à l’effet que le caporal Pichette est un militaire fiable, qui se voit attribuer des tâches qui sont régulièrement au-delà des responsabilités d’une personne de son grade. Il a d’ailleurs servi 42,5 jours en classe A à l’unité lors de l’année fiscale 2014-2015, un nombre de jours au-dessus de la moyenne des réservistes du régiment et au-dessus de ce qui a été décrit comme un minimum garanti de 37,5 jours. En 2015-2016, le caporal Pichette a servi pour un total de 97,5 jours, un rythme qui excède significativement la norme pour tout réserviste. Cela démontre, selon la cour, la confiance dont bénéficie le contrevenant de la part du leadership de son unité. Par contre, cela n’a pas toujours été le cas, considérant qu’il a subit une rétrogradation du grade de caporal-chef au grade de soldat le 29 janvier 2013 suite à un procès sommaire au cours duquel le commandant de son unité l’a reconnu coupable d’avoir négligé d’effectuer son tour de garde lors d’un exercice en août 2012. 

 

[12]      Lors de l’audience de la preuve sur sentence, la Cour a entendu le témoignage du caporal Pichette qui a, de manière substantielle, décrit ses états d’âme et son cheminement en tant que réserviste au sein des Forces armées canadiennes, en parallèle avec sa vie civile. Il a mentionné, entre autre, le défi de servir à Gagetown pendant l’été et la distance de 800 kilomètres à couvrir pour voir ses amis et sa famille, ainsi que le défi de vivre en proximité immédiate d’autres militaires que l’on n’a pas choisi. Il a décrit sa relation trouble avec l’alcool, comment il s’agit d’une mauvaise habitude familiale qui lui a fait perdre des amis suite à certains incidents, incluant une hospitalisation. Il a mentionné que sa détermination à respecter les conditions de libération l’a amené à obtenir de l’aide qui lui fut bénéfique pour prendre en contrôle sa consommation, qu’il a repris dès qu’il eut été informé que sa demande d’avril 2015, pour obtenir la levée de l’interdiction de consommation, fut accordée.

 

[13]      Le caporal Pichette a soulevé le traitement dont il a été l’objet à son retour à son unité à Montréal, et surtout le fait qu’il n’avait d’autre affectation que celle de caporal en devoir à la porte du bâtiment de septembre à décembre 2014, environ 15 occasions où il a dû travailler jusqu’à minuit au lieu de pouvoir quitter à 2200 heures, une situation qualifiée de punition extra-judiciaire par son procureur. Lors de son témoignage, le caporal Pichette a également mentionné que son affectation de l’automne 2014 l’a empêchée de progresser avec la troupe, et a fait état de la décision des autorités de son unité de l’affecter au quartier-maître régimentaire, qui lui a fait perdre des occasions de servir de manière spécifique dans son métier, si bien que des militaires juniors ont progressé plus rapidement que lui. Finalement, il s’est aussi plaint d’avoir été écarté d’un cours important qu’il désirait suivre à l’été 2015, après que quelqu’un à l’unité lui ait fait comprendre qu’il devait acquérir de l’expérience à l’École de l’arme blindée de Gagetown à l’été 2014. Il attribue le fait qu’il n’a pas été placé sur ce cours à une forme de punition pour les évènements de juin 2014.

 

[14]      En ce qui a trait spécifiquement aux évènements du 23 et du 24 juin 2014, le caporal Pichette a produit des photos des blessures qu’il dit avoir subi lors du combat, lors duquel il s’est senti étouffé. Il a produit une évaluation des dommages subis par son ordinateur, évaluation réalisée par Bureau en Gros deux semaines avant le procès, qui constate des dommages occasionnés par le caporal Pichette lui-même entre juin 2014 et maintenant. Il a mentionné que suite à sa sortie des cellules, le 24 juin 2014, il se sentait fortement déprimé et a rassemblé le matériel nécessaire à un plan de suicide, qu’il n’a pas mené à exécution suite à une conversation avec sa petite amie. Il a obtenu de l’aide de la part de professionnels des Forces armées canadiennes pour se remettre de cet épisode malheureux. Finalement, il a produit un budget mensuel signé de sa main qui fait état d’un déficit de 57,74 $ par mois.

 

[15]      Ayant considéré son témoignage devant moi, je suis d’avis que le caporal Pichette a encore beaucoup de difficultés à admettre ses responsabilités et ses torts en ce qui concerne les évènements de la soirée et de la nuit du 23 au 24 juin 2014. Jamais n’a-t-il fait état de son comportement irrespectueux en écoutant et fredonnant des chansons sur son ordinateur, tard le soir, alors que ses co-chambreurs avaient exprimé le désir de se reposer en prévision d’un réveil hâtif le lendemain. Il attribue la responsabilité d’avoir initié la bagarre au caporal Larivière qui lui a lancé un bas et a, par la suite, fermé violemment le couvercle de son ordinateur. Il hésite à qualifier sa réaction à ce moment d’excessive, mais admet que sa réaction en lien avec sa demande au caporal Larivière de payer les dommages à son ordinateur était, elle, excessive. Il m’apparait du témoignage du caporal Pichette qu’il est prompt à attribuer le blâme pour ses mésaventures à d’autres personnes ou organisations, ou à des facteurs externes hors de son contrôle. Ceci étant dit, je crois qu’il a cheminé significativement depuis les évènements de juin 2014, et qu’il est solidement engagé sur la voie de la réhabilitation, tel qu’il appert de ses efforts en lien avec sa consommation d’alcool. Il semble également avoir fait des efforts véritables pour respecter ses conditions de libération, et a fait preuve d’introspection, quoi que limitée, en lien avec les évènements, surtout en témoignant qu’il aimerait s’excuser auprès du caporal Larivière. 

 

LA POSITION DES PARTIES SUR LA SENTENCE

 

La poursuite

 

[16]      La procureure militaire caractérise les infractions commises d’actes de violence qui doivent faire l’objet de dénonciation. Elle est d’avis que le principe de dissuasion doit avoir priorité en espèce, et demande à la cour d’imposer une sentence composée d’un blâme et d’une amende de 3 000 $, la peine minimale permettant de maintenir la discipline sans compromettre la réhabilitation du contrevenant, à son avis.

 

La défense

 

[17]      Pour sa part, la défense soutien que les infractions sont essentiellement le fruit d’un comportement inacceptable de la part des deux militaires impliqués, mais que ce comportement est de faible gravité en raison des nombreux facteurs atténuants. La défense est donc d’avis qu’une amende de 650 $ serait suffisante pour rencontrer les besoins de la discipline, tout en reflétant le principe de réhabilitation et permettant au contrevenant de continuer à cheminer.

 

ANALYSE

 

La caractérisation des infractions

 

[18]      Tel que mentionné précédemment, le but d’un système de tribunaux militaires distinct est de permettre aux forces armées de traiter des questions qui touchent la discipline, l’efficacité et le moral. La nature même de l’infraction prévue à l’article 86 de la Loi sur la défense nationale poursuit cet objectif en reconnaissant que les querelles et désordres entre militaires constituent une infraction qui menace la discipline, cette qualité que doit posséder chaque militaire pour faire passer les intérêts du Canada et ceux des Forces armées canadiennes devant ses intérêts personnels. Tel que mentionné par le juge Gibson dans l’affaire R. c. Burton, 2014 CM 2024, au paragraphe 9 :

 

Un des éléments les plus importants de la discipline dans le contexte militaire, c’est l’autodiscipline. Cela comprend l’autodiscipline nécessaire pour maîtriser sa frustration lorsque les choses ne se passent pas comme nous le voudrions et pour s’abstenir d’exprimer cette frustration au moyen d’actes de violence physique ou d’insubordination.

 

Je suis d’avis que le caporal Pichette a fait preuve d’un grand manquement à l’autodiscipline et au respect envers ses pairs en juin 2014. Tel que mentionné par le juge militaire en chef Dutil dans R. c. Durante, 2009 CM 1014, au paragraphe 7 :

 

[L]e recours à la violence n’est pas approprié pour régler les disputes et les conflits personnels, quelles que soient les circonstances. Dans le contexte des Forces canadiennes, les bagarres en public ne peuvent être ni pardonnées ni tolérées.

 

Même s’il n’y a pas eu d’impact spécifique, ce genre de geste n’est pas de nature à promouvoir la nécessaire cohésion et la confiance entre les militaires affectés à une tâche commune au soutien d’un cours tenu dans une école des Forces armées canadiennes. Ça ne fait rien non plus pour la confiance au sein d’un régiment. La promotion de la cohésion et de la confiance est une responsabilité partagée par tous les militaires, surtout les plus séniors en grade et en expérience.

 

Les objectifs à favoriser

 

[19]      Je suis venu à conclure que dans les circonstances de la présente affaire, l’imposition de la sentence devrait cibler les objectifs de dénonciation, de dissuasion générale et de réhabilitation. La peine à être imposée doit absolument exprimer la notion que le comportement de l’accusé est inacceptable, et dissuader d’autres personnes qui, dans une situation similaire, pourraient songer à agir de manière similaire. Par contre, la sentence ne doit pas miner inutilement les efforts de réhabilitation entrepris par le caporal Pichette qui, à 29 ans, a un avenir devant lui en tant que membre de la société, même en tant que réserviste fort actif au sein des Forces armées canadiennes.

 

La gravité objective

 

[20]      Dans son évaluation de ce qui pourrait constituer une peine juste et appropriée, la Cour a considéré la gravité objective de l’infraction qui, tel que prévu à l’article 86 de la Loi sur la défense nationale est punissable d’une peine maximale d’emprisonnement de moins de deux ans.

 

Les facteurs aggravants

 

[21]      La Cour considère comme aggravante, dans les circonstances de cette affaire, la gravité subjective des infractions commises, en ce qu’en plus d’avoir voulu régler un conflit dans la violence, le caporal Pichette, une fois l’empoignade initiale terminée, est revenu vers le caporal Larivière pour déchirer son chandail et lui tenir des propos provocateurs. Ceci étant dit, je suis d’avis que l’alcool a joué un rôle dans la réaction inappropriée du contrevenant, réaction qu’il regrette et dont il est entièrement responsable, malgré que son état d’intoxication permette de contextualiser la gravité subjective de son geste. 

 

[22]      De plus, la Cour a pris en note, comme facteur aggravant, la fiche de conduite du caporal Pichette révélant deux infractions pour avoir volé et endommagé des fournitures d’habillement militaire en mai 2011, pour lesquelles il a été condamné à une amende de 250 $ en avril 2012, et l’infraction de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline, précédemment mentionnée, en août 2012, qui lui a valu une rétrogradation en janvier 2013. Le procureur de la défense soutien que l’impact de ces condamnations est négligeable, considérant qu’il ne s’agit pas d’infractions de violence. Je suis d’avis qu’elles sont entièrement pertinentes, dévoilant l’essence des infractions en cause ici, c’est-à-dire des manquements à la discipline. Les condamnations antérieures reflètent la nécessité de mettre une certaine emphase sur l’objectif de dissuasion qui vise à inciter un contrevenant à ne pas commettre d’autres infractions, non seulement des infractions de même nature. Il reste que le caporal Pichette n’est pas considéré comme un récidiviste en matière de violence.

 

Les facteurs atténuants

 

[23]      La Cour a considéré les facteurs suivants, tels que mentionnés aux plaidoiries des avocats :

 

a)         Tout d’abord, et de manière importante, le plaidoyer de culpabilité du contrevenant, que la Cour considère comme étant une indication de ses remords, et le fait que ce plaidoyer et le témoignage du caporal Pichette, surtout les regrets qu’il exprime, ont eu lieu devant des membres de son unité.

 

b)         Le fait que le niveau de violence utilisé est faible, qu’il n’y a eu aucune préméditation et aucune conséquence fâcheuse en terme de blessure physique ou autre.

 

c)         La courte période de détention subie par le caporal Pichette, mais surtout les conditions significatives qui lui ont été imposées en matière de consommation d’alcool pour une période de plus de 14 mois, cette période couvrant deux étés.

 

d)         Le délai difficilement justifiable pour amener cette affaire devant la cour martiale, pour une infraction pourtant mineure, qui n’avait pas à faire l’objet d’une enquête complexe, et qui fait partie des rares infractions pouvant être jugées sommairement sans droit à une cour martiale, en reconnaissance du fait que ce genre d’incident gagne à être régler promptement de manière à restaurer la discipline, le moral et l’efficacité des troupes, et ce, conformément aux témoignages entendus. Pendant cette période, le caporal Pichette a vécu un stress certain, et les actions prises à son unité à son endroit ont été interprétées par lui comme étant des punitions, bien que la Cour ne soit pas convaincue à la lumière de la preuve qu’un tel lien ait été démontré. Les mesures administratives négatives perçues par le contrevenant ne m’apparaissent pas exclusivement liées aux évènements de juin 2014.

 

e)         Je considère aussi comme facteur atténuant la contribution passée du caporal Pichette au sein des Forces armées canadiennes en tant que réserviste fort actif qui s’est porté volontaire, et a servi pendant de nombreuses périodes à temps plein, incluant deux opérations domestiques.

 

f)         J’ai considéré comme atténuant le potentiel du caporal Pichette, qui, de toute évidence, peut continuer à contribuer à la société canadienne et aux Forces armées canadiennes, considérant son jeune âge et les efforts qu’il a mis et continue à mettre pour mieux gérer ses difficultés avec l’alcool.

 

La détermination de la ou des peines à imposer

 

[24]      Tel que mentionné précédemment, et conformément aux prétentions des deux parties, la peine ou combinaison des peines que la cour doit imposer est le minimum nécessaire au maintien de la discipline. Considérant les représentations de la procureure de la poursuite à l’effet que la peine minimale nécessaire serait un blâme et une amende, je n’ai pas l’intention de passer outre cette recommandation et d’imposer une peine plus grave dans l’échelle des peines de l’article 139 de la Loi sur la défense nationale

 

[25]      Il apparaît clairement des représentations des avocats devant la cour que les sentences imposées pour des infractions du genre se retrouvent dans un éventail très large, qui inclut les deux positions des parties. La sentence la plus sévère suggérée est un blâme et une amende de 3 000 $, que je considère comme étant un plafond. Ayant mentionné la sentence la plus sévère qu’il serait possible d’imposer, il y a lieu de débuter l’analyse, par contre, par la peine la moins sévère proposée pour me demander si celle-ci serait de nature à rencontrer les objectifs de dénonciation et de dissuasion que j’ai identifié comme devant être favorisé en l’espèce. La question qui se pose donc est la suivante: Est-ce que la sentence suggérée par la défense, d’une amende de 650 $, est suffisante pour rencontrer les objectifs à favoriser que j’ai énumérés précédemment? À mon avis, une telle peine serait insuffisante pour dénoncer adéquatement le comportement du contrevenant qui, tel que mentionné dans ma caractérisation de l’infraction, constitue un manquement disciplinaire significatif pour lequel le contrevenant hésite encore à accepter sa pleine responsabilité. 

 

[26]      Je suis d’avis que l’amende proposée doit être assortie d’une autre peine. Le blâme suggéré par la poursuite n’est pas nécessaire considérant le degré minimal de violence impliqué et l’absence de préméditation. L’imposition d’une réprimande, par contre, qui est une peine moins sévère, serait de nature à satisfaire aux importants objectifs de dénonciation et de dissuasion et ce, sans compromettre l’objectif de la réhabilitation. 

 

[27]      La réprimande doit, selon moi, être assortie d’une amende de manière à rencontrer les objectifs d’imposition de la peine, surtout la dissuasion spécifique. La défense soutien que la capacité du contrevenant de payer une amende supérieure à 650 $ n’a pas été démontrée. En d’autres mots, la défense conteste un fait essentiel à la détermination de la peine, c’est-à-dire que l’accusé a les moyens de payer une amende supérieure à 650 $. La règle applicable à une telle situation est prévue à l’article 112.53 des ORFC, qui est conforme à la jurisprudence produite par la défense, et est à l’effet que la poursuite doit avoir convaincu la cour, par une preuve prépondérante, de la capacité de payer du contrevenant. Je suis d’avis que cette preuve a été faite. Selon la prépondérance de la preuve, surtout les documents financiers démontrant la solde actuelle du caporal Pichette, ainsi que sa solde en 2014, le nombre de journées qu’il a travaillées au cours des deux dernières années financières au sein de la réserve démontre qu’il a amplement les moyens, selon moi, de payer une amende jusqu’à 3 000 $, le maximum que la poursuite demande. Le budget produit par l’accusé comporte des postes de dépense largement compressibles et ne tient pas compte de la totalité de ses revenus provenant de sa solde militaire et de toutes ses autres sources. 

 

[28]      Ceci étant dit, je considère qu’une amende de 3 000 $ serait trop élevée. Le point de départ de l’analyse est la somme de 650 $ mentionnée par la défense. Il s’agit selon moi d’une somme qui n’était pas assez élevée pour rencontrer les objectifs de dissuasion si le contrevenant avait été jugé plus rapidement, surtout au moment où il était employé à temps plein à Gagetown. Par contre, le passage du temps dans cette affaire est un facteur atténuant significatif. La capacité de payer du contrevenant n’est plus la même aujourd’hui et il a souffert significativement du délai. Dans les circonstances, bien que j’aurais imposé une amende beaucoup plus significative, je vais accepter la proposition de la défense, considérant le délai, et imposer une amende de 650 $. Celle-ci sera payable par des versements de 100 $ par mois, que le contrevenant a, selon moi, les moyens de payer, et qui aura l’avantage de le libérer des conséquences de cette inconduite plus rapidement.

 

L’ordonnance pouvant être imposée

 

[29]      La procureure de la poursuite n’a pas demandé à cette Cour d’imposer une ordonnance en vertu de l’article 147.1 de la Loi sur la défense nationale, et la Cour est d’avis que considérant les circonstances de cette affaire, il n’y a pas lieu de rendre une ordonnance interdisant au contrevenant d’avoir en sa possession des armes à feu, une arme prohibée, une arme à autorisation restreinte, un dispositif prohibé, des munitions, des munitions prohibées ou des substances explosives.

 

[30]      Caporal Pichette, les circonstances des infractions que vous avez admis avoir commises révèlent un comportement qui est inacceptable de la part d’un membre des Forces armées canadiennes. J’espère que vous avez compris quelque chose de votre présence devant moi ces derniers jours, surtout le besoin pour un militaire de votre expérience de respecter vos confrères et de faire la promotion active de la cohésion et de la confiance mutuelle qui doit exister entre militaires au sein des Forces armées canadiennes, même si cela peut vous demander des compromis en ce qui concerne vos propres priorités. Je crois que vous avez pris conscience de choses importantes depuis juin 2014 et que vous êtes sur une bonne voie au niveau de votre réhabilitation. Je souhaite ardemment que le processus de réflexion que vous entreprendrez en sortant d’ici vous serve à éviter de commettre d’autres infractions dans le futur. 

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[31]      VOUS DÉCLARE coupable des deux chefs d’accusation portés en vertu de l’article 86 de la Loi sur la défense nationale.

 

[32]      VOUS CONDAMNE à une réprimande et une amende de 650 $, payable à raison de six versements de 100 $ par mois, débutant le 1er mai 2016 et se terminant par un versement de 50 $ le 1er novembre 2016. Si vous étiez libéré des Forces armées canadiennes pour quelque raison avant d’avoir payé la totalité de l’amende, la somme totale sera due le jour de votre libération.


 

Avocats:

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par la major M.E. Leblond

 

Major A. Gelinas-Proulx, service d’avocats de la défense, avocat du caporal J. Pichette

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