Courts Martial

Decision Information

Summary:

Location: C-M-de Salaberry Armoury, Hull, QC.

Charges:

Charges 1, 2: S. 129 NDA, an act to the prejudice of good order and discipline.

Results:

Findings: Charges 1, 2: Not guilty.

Decision Content

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COUR MARTIALE

 

Citation : R. c. Piché, 2003 CM 380

 

Date : 20030704

Dossier : V200338

 

Cour martiale permanente

 

Manège militaire C-M. de Salaberry

Hull (Québec) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal-chef D. Piché, accusé

 

En présence du Lieutenant-colonel M. Dutil, J.M.


NOTE: Des données personnelles ainsi que d’autres renseignements concernant les personnes ont été supprimées afin d’assurer que leur identité soit protégée en conformité avec « L’usage de renseignements personnels dans les jugements et protocole recommandé » du Conseil canadien de la magistrature.

 

VERDICT

 

(Oralement)

 

[1]                    Donc le caporal-chef Piché est accusé d'avoir commis deux infractions. Le premier chef d'accusation est porté aux termes de l'article 129 de la Loi sur la défense nationale pour un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline. L'acte allégué a trait à l'intimidation du caporal Therrien afin de l'obliger illégitimement à effectuer un devoir qui ne lui était pas assigné. Le deuxième chef d'accusation est également porté aux termes de l'article 129 de la Loi sur la défense nationale, pour un autre acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Le comportement allégué a trait cette fois-ci au fait d'avoir incité ce même caporal Therrien, appelé comme témoin au procès sommaire du caporal-chef Piché, à induire le tribunal sur certains faits de l'affaire qui faisaient l'objet du procès sommaire, en erreur.

 

[2]                    Ces accusations mettent en cause les mêmes personnes, soit le caporal-chef Piché et le soldat Therrien, qui avait le grade de caporal au moment de ces incidents, les incidents qui font l'objet des accusations.

 

[3]                    D'entrée de jeu, il est important de traiter de la présomption d'innocence et de la norme de preuve hors de tout doute raisonnable qui est inextricablement liée à ce principe fondamental, sinon le plus fondamental de tous les procès pénaux, c'est-à-dire la présomption d'innocence.

 

[4]                    Qu'il s'agisse d'accusations portées aux termes du code de discipline militaire devant un tribunal militaire ou de procédures qui se déroulent devant un tribunal pénal civil pour des accusations criminelles, une personne accusée est présumée innocente jusqu'à ce que la poursuite ait prouvé sa culpabilité et ce hors de tout doute raisonnable. Ce fardeau de la preuve incombe à la poursuite tout au long du procès et une personne accusée n'a pas à prouver son innocence. La poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments essentiels d'une accusation.

 

[5]                    La preuve hors de tout doute raisonnable ne s'applique pas aux éléments de preuve individuels ou aux différentes parties de la preuve; elle s'applique à tout l'ensemble de la preuve sur laquelle s'appuie la poursuite pour prouver la culpabilité d'un accusé. Le fardeau de la preuve incombe à la poursuite tout au long du procès et ne se déplace jamais sur les épaules de l'accusé.

 

[6]                    Un tribunal devra trouver l'accusé non coupable s'il a un doute raisonnable à l'égard de sa culpabilité après avoir évalué l'ensemble de la preuve. L'expression « hors de tout doute raisonnable » est utilisée depuis très longtemps. Elle fait partie de l'histoire et des traditions de notre système judiciaire. Dans l'arrêt R. c. Lifchus, (1997) 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada a établi la façon d'expliquer le doute raisonnable dans un exposé au jury. Les principes de cet arrêt ont été appliqués dans plusieurs pourvois subséquents, notamment dans l'arrêt R. v. Avetysant, (2000) 2 R.C.S. 745.

 

[7]                    Essentiellement, un doute raisonnable n'est pas un doute imaginaire ou frivole. Il ne peut être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. Il doit reposer plutôt sur la raison et le bon sens. Il doit logiquement découler de la preuve ou de l'absence de preuve.

 

[8]                    Dans l'arrêt R. v. Starr, (2000) 2 R.C.S. 144, au paragraphe 242, le Juge Iacobucci, pour la majorité, a indiqué qu'une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu'elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités. Il est toutefois opportun de rappeler qu'il est virtuellement impossible de prouver quelque chose avec une certitude absolue, et que la poursuite n'est pas tenue de le faire.

 

[9]                    En fait, la poursuite ne doit prouver la culpabilité de l'accusé, c'est-à-dire le caporal-chef Piché en l'espèce, hors de tout doute raisonnable.

 

[10]                Comme je l'ai dit plus tôt, l'approche appropriée relativement à la norme de preuve consiste à évaluer l'ensemble de la preuve et non d'évaluer des éléments de preuve individuels séparément. Il est donc essentiel d'évaluer la crédibilité et la fiabilité des témoignages à la lumière de l'ensemble de la preuve.

 

[11]                La norme de preuve hors de tout doute raisonnable s'applique également aux questions de crédibilité. La Cour n'a pas à décider d'une manière définitive de la crédibilité d'un témoin ou d'un groupe de témoins. Au surplus, la Cour n'a pas à croire en la totalité du témoignage d'une personne ou d'un groupe de personnes.

 

[12]                Si la Cour a un doute raisonnable relativement à la culpabilité du caporal-chef Piché qui découle de la crédibilité des témoins, elle doit l'acquitter. Lorsque la décision dépend entièrement ou presque entièrement de la crédibilité du plaignant, en l'occurrence le soldat Therrien, ou caporal Therrien au moment des incidents allégués, et de celle de l'accusé, la question n'est pas de déterminer laquelle des versions des faits est vraie ou lequel du plaignant ou de l'accusé il faut croire. La question est plutôt de savoir si la poursuite a fait la preuve de ses prétentions au-delà de tout doute raisonnable. Dans de telles circonstances, le droit exige que la Cour trouve l'accusé non coupable premièrement, si la Cour croit la version de l'accusé, et, deuxièmement, même si la Cour ne croit pas l'accusé, mais qu'elle a un doute raisonnable en conséquence du témoignage de cet l'accusé, et ce après avoir examiné la déposition de l'accusé dans le contexte de l'ensemble de la preuve. Finalement, si la Cour, après avoir évalué l'ensemble de la preuve, ne sait pas qui croire ou a un doute raisonnable quant à qui croire, elle doit faire bénéficier ce doute à l'accusé et l'acquitter.

 

[13]                C'est à l'arrêt R. c. W.(D.,) (1991) 1 R.C.S. 742 et plus précisément à la page 757 que le Juge Cory proposa une approche à trois volets lorsque le juge du procès pourrait avoir à donner des directives aux jurés au sujet de la crédibilité dans le contexte de la norme de preuve hors de tout doute raisonnable. Il disait ceci : premièrement, si vous croyez la déposition de l'accusé, manifestement vous devez prononcer l'acquittement; deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l'accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l'acquittement; troisièmement, même si vous n'avez pas de doute à la suite de la déposition de l'accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l'accusé.

 

[14]                Dans une décision rendue le 25 juillet 2002, soit R. c. Mah, rapportée à 167 C.C.C. (3d) 401, à la page 414, plus précisément au paragraphe 41, la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse s'est exprimée en ces termes sur les principes établis à l'arrêt R. c. W.(D.). La Cour disait ceci :

 

[41]      The W.(D.) principle is not a "magic incantation" which trial judges must mouth to avoid appellate intervention. Rather, W.(D.) describes how the assessment of credibility relates to the issue of reasonable doubt. What the judge must not do is simply choose between alternative versions and, having done so, convict if the complainant's version is preferred. W.(D.) reminds us that the judge at a criminal trial is not attempting to resolve the broad factual question of what happened. The judge's function is the more limited one of deciding whether the essential elements of the charge have been proved beyond reasonable doubt. As Binnie J. put it in Sheppard, the ultimate issue is not whether the judge believes the accused or the complainant or part of all of what they each had to say. The issue at the end of the day in a criminal trial is not credibility but reasonable doubt.

 

[15]                Après ces quelques propos sur la présomption d'innocence et la norme de preuve hors de tout doute raisonnable, y compris lorsqu'elle s'applique aux questions de crédibilité, la Cour va maintenant se pencher sur les faits de cette cause tels que révélés par la preuve.

 

[16]                La preuve qui est présente devant la Cour est constituée des éléments suivants, soit :

 

a)            les témoignages entendus, et ce dans l'ordre de leur comparution devant la Cour, soit celui du soldat Therrien, qui détenait le grade de caporal au moment des incidents allégués, de l'adjudant-chef à la retraite Roy, qui était le sergent-major régimentaire de la Garde en rouge à la Citadelle de Québec durant l'été 2002, du sergent Marchand, qui était adjoint de la garde No 3 lors de cette période, du lieutenant Leclerc, qui était le commandant de la garde 3 pour la même période, du capitaine Lévis, un témoin appelé par la défense, et, finalement, le caporal-chef Piché, l'accusé dans la présente cause;

 

b)            la preuve consiste également en la connaissance judiciaire prise par la Cour des faits et questions contenus dans la règle 15 des Règles militaires de la preuve;

 

c)            finalement, en la pièce 3 qui est un document intitulé CPHR-XXXX cplc Piché, en date du 10 avril 2003.

 

[17]                Les faits entourant cette cause gravitent essentiellement autour des événements qui se sont déroulés entre le caporal Therrien et le caporal-chef Piché. Dans le premier cas, lors de discussions qu'ils auraient eues le 16 juillet 2002 à l'édifice communément appelé le bunker situé à la Garnison Valcartier, et dans le deuxième cas, lors de la discussion qu'ils auraient eue à la Citadelle de Québec peu avant le procès sommaire du caporal-chef Piché qui s'est tenu le 8 août 2002.

 

[18]                Lors de l'été 2002, les témoins appelés devant cette Cour, à l'exception du capitaine Lévis, faisaient tous partie de la Garde en rouge à la Citadelle de Québec. La Garde en rouge est responsable, entre autres choses, d'assurer le traditionnel événement de la relève de la garde et de fournir les éléments qui se tiennent à la porte Dalhousie de la Citadelle. Outre l'aspect cérémonial de la Garde en rouge, les membres qui composent les gardes, au nombre de trois, soit une montante, une descendante et une autre qui était en congé, suivent des cours et participent à d'autres activités militaires. Il appert que les personnes qui étaient membres de la Garde en rouge, mais qui n'avaient pas leur résidence dans la région immédiate de la Garnison de Valcartier, demeuraient à l'endroit appelé le bunker.

 

[19]                Lors de l'été 2002, le caporal Therrien, le caporal-chef Piché, le sergent Marchand et le lieutenant Leclerc faisaient tous partie de la garde No 3. L'Adjudant-chef à la retraite Roy était, quant à lui, le sergent-major régimentaire de la Garde en rouge.

 

[20]                La Cour retient de l'ensemble de la preuve que les caporaux-chefs et les caporaux qui occupaient quant à eux des postes de caporaux-chefs étaient responsables d'assurer le rôle de caporal-chef en devoir au bunker pour une période de 24 heures consécutives. Bien qu'en présence de témoignages contradictoires, notamment entre ceux de l'adjudant-chef Roy par rapport à ceux du sergent Marchand et du lieutenant Leclerc, il appert qu'il était fréquent qu'un caporal senior puisse remplacer le caporal-chef en devoir sur approbation de la chaîne de commandement. Cette pratique aurait été abolie le 16 juillet suite aux événements qui mettaient en cause les membres de la garde No 1. C'est d'ailleurs en réaction directe à la décision des commandants de garde de ne plus tolérer les remplacements que le lieutenant Leclerc communique avec le caporal-chef Piché pour lui transmettre la nouvelle politique et l'informer des conséquences de cette décision pour lui, le 16 juillet 2002.

 

[21]                Donc le 16 juillet 2002, le caporal-chef Piché est le caporal-chef de garde au bunker de Valcartier pour une période de 24 heures. Il demande à pouvoir être remplacé et on lui accorde cette faveur selon la pratique usuelle. Le caporal-chef Piché choisit de se faire remplacer par un caporal senior, soit le caporal Therrien, sous prétexte que ce dernier a eu quelques retards et qu'il avait fait quelques gaffes et ce en expliquant le mode de sélection du caporal Therrien. Le caporal-chef Piché retourne donc chez lui, non loin de la garnison de Valcartier et le caporal Therrien prend en charge la tâche qui lui est assignée.

 

[22]                Durant le courant de l'après-midi, le lieutenant Leclerc communique avec le caporal-chef Piché pour dire à ce dernier que la politique de remplacement est révoquée et qu'il doit assumer sa tâche de caporal-chef de service et qu'il est requis au bunker sans délai, y demeurer et y dormir. Le sergent Marchand entend une partie de la conversation puisqu'il est prêt du lieutenant Leclerc et ce dernier corrobore substantiellement les propos du lieutenant Leclerc sur ce point. Le caporal-chef Piché fait état de cette conversation, mais nuance les propos du lieutenant Leclerc. Selon l'accusé, il devait se rendre immédiatement au bunker et s'assurer d'être là le lendemain matin pour faire le décompte des personnes qui prenaient l'autobus pour se rendre à la Citadelle. La Cour est d'avis que le caporal-chef Piché était si opposé et réfractaire à l'idée de passer la nuit au bunker et d'y faire son devoir, qu'il a bien compris ce qu'il voulait bien comprendre et qu'il a fait preuve d'aveuglement volontaire sur ce point.

 

[23]                Peu après, le caporal-chef Piché arrive au bunker, habillé en civil, et il y rencontre le caporal Therrien qui le remplace. Il lui indique que le devoir doit être fait par un caporal-chef. Le soldat Therrien indique à la Cour que le caporal-chef Piché lui dit alors : « Tu m'en dois une, j'ai des affaires à faire, peux-tu rester. Je me souviens. » Ce à quoi Therrien répond « non » et demande s'il a le choix, ce à quoi l'accusé lui dit « non ». Le caporal Therrien n'insiste pas. Il a l'impression que le caporal-chef Piché va le dénoncer pour ses retards s'il n'acquiesce pas à sa demande. Sa crainte est fondée sur ses absences antérieures, notamment lors d'un déploiement en Bosnie et autres absences et il craint, selon lui, que des mesures sévères pourraient être prises contre lui pouvant même affecter son maintien au sein des Forces canadiennes. Selon le caporal-chef Piché, il est retourné au bunker et y est resté au moins une heure et ce après s'être assuré que tout était sécuritaire. Il a expliqué à la Cour qu'un des problèmes qu'il avait c'est qu'il n'avait pas sa carte de ration. Il explique sa rencontre avec le caporal Therrien et affirme que le caporal Therrien ne semblait pas vouloir rester et qu'il était même près de la porte, prêt à sortir. Concluant qu'il ne pouvait pas rester lui-même, la Cour est plutôt d'avis que le caporal-chef Piché ne voulait tout simplement pas rester, il lui dit de rester et dit au caporal Therrien de l'appeler chez lui s'il y a quelque chose. Le caporal-chef Piché indique que si le caporal Therrien lui avait manifesté le fait qu'il lui était impossible de rester, il ne l'aurait pas forcé et qu'il aurait trouvé quelqu'un d'autre pour le remplacer

 

[24]                Donc au début de la soirée, l'adjudant-chef Roy et le sergent Marchand arrivent au bunker et ils constatent que le caporal-chef Piché n'est pas là. C'est plutôt le caporal Therrien qui le remplace et ce dernier indique qu'il ne sait pas où il est. L'adjudant-chef demande au sergent de faire la lumière sur l'absence du caporal-chef Piché. Le sergent Marchand dit au contraire que l'adjudant-chef Roy a dit que ça serait lui qui s'en occuperait. Donc l'adjudant-chef Roy y fait l'inspection ou y fait le tour des lieux. Il constate que quelques chambres sont déverrouillées, contrairement à la politique en vigueur et qu'un boyau d'incendie est mouillé. Il en prend note. Peu après Marchand et Roy quittent le bunker. Le caporal Therrien appelle aussitôt le caporal-chef Piché pour lui faire part de la visite de ses supérieurs et lui dit alors : « Chef, vous êtes dans la marde » ou des mots à cet effet. Ce à quoi l'accusé lui répond en gros de ne pas s'en faire et qu'il s'arrangeait avec ça.

 

[25]                Personne n'appelle le caporal-chef Piché ce soir-là pour s'enquérir de son absence et il est accusé peu après d'absence sans permission et jugé par voie sommaire.

 

[26]                Quant à la rencontre entre les deux individus à la Citadelle relativement au procès sommaire, donc peu avant le procès sommaire du caporal-chef Piché, soit un soir vers minuit, le caporal Therrien est en compagnie d'amis sur la Grande-Allée à Québec. Il décide alors d'aller voir ses compagnons à la Citadelle pour les encourager, selon ses dires. Le caporal-chef Piché le rencontre alors, lui dit qu'il va être jugé par voie sommaire et qu'il va falloir qu'ils se parlent tous les deux. Ils se rendent donc à la salle de garde ensemble et le caporal-chef Piché lui montre un document sur lequel apparaît le nom du caporal Therrien comme témoin. Le caporal-chef Piché lui aurait dit : « Tu m'en dois une. » Selon le caporal Therrien, il devait dire que la situation était sécuritaire lorsqu'il l'avait remplacé lors de son tour de garde et qu'il ne l'avait pas forcé.

 

[27]                Le caporal-chef Piché nous dit plutôt qu'il a effectivement rencontré le soldat Therrien, mais qu'il lui aurait dit quelles étaient les questions qu'il lui poserait ou les domaines qu'il aborderait avec lui lors de l'audition du procès sommaire et que le caporal Therrien était libre de répondre ce qu'il voulait. La préoccupation du caporal-chef Piché relativement à son absence du bunker visait la sécurité des lieux. Sur ce point la Cour tient à souligner tout de suite qu'elle n'est pas prête à inférer d'un nombre indéterminé de portes laissées débarrées par leurs occupants sans aucune preuve si les gens sont près de leur chambre ou non et celle d'un boyau d'incendie mouillé, la Cour n'est pas prête à tirer une inférence qu'un endroit comme le bunker est de ce fait non sécuritaire.

 

[28]                Pour en revenir au récit des événements, la preuve entendue nous amène au procès sommaire du caporal-chef Piché le 8 août 2002. Lors de ce procès sommaire, l'adjudant-chef Roy est responsable de parader l'accusé et les témoins. Le Sergent Marchand y témoigne, de même que le caporal Therrien. Le lieutenant Leclerc, lui, pose plusieurs questions aux témoins même s'il fait partie de ceux qui font partie de la chaîne des événements relativement à l'absence du caporal-chef Piché au bunker lors du 16 juillet. Le capitaine Lévis, l'officier chargé d'aider l'accusé, soit le caporal-chef Piché, constate les agissements du lieutenant Leclerc et il constate également que le caporal Therrien est nerveux, incertain dans ses réponses et qu'il faut lui poser des questions spécifiques. Il dit qu'il fallait l'aider. Le capitaine Lévis a indiqué à cette Cour qu'il connaissait bien le caporal Therrien pour l'avoir eu sous ses ordres auparavant et pour avoir eu à traiter avec lui en Bosnie et que son comportement au procès sommaire était similaire à ce qu'il avait vu de lui dans le passé, soit celui d'une personne qui n'est pas sûre d'elle, nerveuse et qui s'enfargeait dans ses histoires. Je me pencherai sur la crédibilité et la fiabilité des témoignages entendus devant cette Cour un peu plus loin.

 

[29]                Donc, revenant au procès sommaire, lorsque le caporal Therrien resort de la pièce où se déroule le procès sommaire, il est frustré, il est en colère et il dit à quelques reprises en se parlant à lui-même, et ce en présence du sergent Marchand : « Il m'a crossé le tabarnak » ou des mots de cette nature. Le sergent réagit en lui demandant d'expliquer ce qui se passe et le caporal Therrien dit : « J'ai menti, j'ai menti, je veux repasser », tout ça en voulant dire qu'il voulait témoigner à nouveau. Les faits qui suivent ne servent seulement qu'à expliquer la séquence des événements qui ont emmené les autorités à porter les accusations qui sont devant cette Cour.

 

[30]                Donc peu après les révélations faites par le caporal Therrien après le procès sommaire, l'adjudant-chef Roy et le lieutenant Leclerc prennent donc des mesures pour que le caporal Therrien et le caporal-chef Piché soient séparés et qu'ils ne fassent plus partie ainsi de la même garde. La Cour ne tire aucune inférence de ce fait, pas plus qu'elle ne le ferait lorsqu'une personne est séparée d'une autre lorsqu'il y a allégation d'harcèlement. La Cour considère cette mesure comme ayant été une mesure préventive dans les circonstances au moment où elle fut prise.

 

[31]                La poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels de chacun des chefs d'accusation aux termes de l'article 129 de la Loi sur la défense nationale.

 

[32]                Les éléments essentiels du premier chef d'accusation sont les suivants : l'identité de l'accusé comme délinquant; la date et l'endroit de la perpétration de l'infraction, tels qu'allégués dans l'acte d'accusation, soit le ou vers le 16 juillet 2002, sur la Garnison de Valcartier, province de Québec; troisièmement, l'acte reproché à l'accusé, soit d'avoir intimidé le XXXX caporal Therrien afin de l'obliger illégitimement à effectuer un devoir qui ne lui était pas assigné; quatrièmement, le préjudice au bon ordre et à la discipline qui a résulté de ce comportement. Et sur ce sujet, évidemment, la Cour garde à l'esprit les principes dégagés par la cour d'appel de la cour martiale dans l'arrêt R. c. Jones, citation neutre 2002 C.A.C.M. 11, puisque la poursuite n'a pas choisi d'alléguer ici la contravention à un ordre dans les détails de l'accusation et, en agissant ainsi, elle a choisi de ne pas bénéficier de l'infraction présumée prévue au paragraphe 129 (2) de la Loi sur la défense nationale; et, finalement quant au cinquième élément, soit l'intention coupable de l'accusé au moment où l'infraction est alléguée avoir été commise.

 

[33]                Quant au deuxième chef d'accusation, les éléments essentiels sont les suivants : premièrement, l'identité de l'accusé comme délinquant; deuxièmement, la date et l'endroit de la perpétration de l'infraction, tels qu'allégués dans l'acte d'accusation, c'est-à-dire ici entre le 31 juillet 2002 et le 8 août 2002, à la Citadelle de Québec, dans la ville de Québec, province de Québec; troisièmement, l'acte reproché à l'accusé, soit dans le cadre de son procès sommaire ou dans le cas du procès sommaire du caporal-chef Piché pour absence sans permission, il a incité le XXXX caporal Therrien appelé comme témoin au procès, à induire en erreur le tribunal sur certains faits de cette cause; quatrièmement, le préjudice au bon ordre et à la discipline qui a résulté de ce comportement. Et je ne répéterai pas les commentaires que je viens juste de faire concernant l'arrêt Jones; et cinquièmement, l'intention coupable de l'accusé au moment où l'infraction est alléguée avoir été commise.

 

[34]                La preuve qui est devant cette Cour est telle que la Cour doit se prononcer sur la crédibilité des témoins qui ont comparu devant elle. Comme je l'ai dit plus tôt, il ne s'agit pas de choisir entre la version du plaignant, celle de l'accusé ou celle des autres témoins. La Cour doit évaluer la crédibilité des témoignages à la lumière de l'ensemble de la preuve.

 

[35]                La Cour a examiné attentivement tous les témoignages à la lumière de l'ensemble de la preuve, mais plus particulièrement ceux de l'accusé et du plaignant, le soldat Therrien. Considérant la méthode suggérée par le juge Cory dans l'arrêt R. c. W.(D.) que j'ai cité plus tôt, la Cour doit se prononcer en premier lieu sur le témoignage de l'accusé soit le caporal-chef Piché.

 

[36]                Le caporal-chef Piché a évidemment un intérêt dans cette cause. Il a témoigné d'une façon directe, précise quoiqu'il ait fait preuve d'une certaine impatience en réponse à certaines questions de la poursuite. La Cour croit qu'il est sincère. Il ressort de son témoignage qu'il est lui-même ressorti passablement aigri de son expérience lors de l'été 2002 à la Garde en rouge. Selon ses dires, les problèmes qu'il a eus lors de cette période étaient inhérents à son poste, mais il est clair que ce n'était pas le parfait bonheur entre lui et sa chaîne de commandement immédiate. Il est clair également que son approche en est une de solidarité envers ses subordonnés et qu'il n'est pas de ceux à rapporter chaque manquement à ses supérieurs. Il n'y a pas de preuve qui permettrait à la Cour d'inférer légitimement qu'il aurait été enclin à se servir de ce fait pour faire chanter ceux à qui il avait donné une chance. Ne pas rapporter chaque manquement n'est pas en soi répréhensible. Le contraire serait tout à fait déraisonnable. La vie de tous les jours est une question de degré et de bon sens. Faire preuve de jugement et de discernement n'est pas une science exacte. Le fait pour le caporal-chef Piché de ne pas rapporter à ses supérieurs les manquements mineurs à la discipline n'en font pas une personne moins crédible ou responsable et les gens qui en bénéficient, à tort ou à raison, ne deviennent pas ses otages pour autant, du moins la Cour n'en a pas la preuve.

 

[37]                Selon l'accusé, il n'a pas intimidé le caporal Therrien le 16 juillet ni ne l'aurait incité à induire le tribunal en erreur sur certains faits en rapport avec son procès sommaire pour son absence au bunker le 16 juillet.

 

[38]                Même si la Cour était satisfaite de la crédibilité de chacun des témoins devant cette cour, ce qui n'est pas le cas, la Cour croit l'accusé à la lumière de l'ensemble de la preuve. La croyance subjective qu'aurait eu le caporal Therrien à l'effet que le caporal-chef Piché le dénoncerait s'il n'acceptait pas de le remplacer est tout à fait déraisonnable et n'est pas supportée par l'ensemble de la preuve. Même si l'accusé a dit que le caporal Therrien lui en devait une et qu'il ait mentionné la maxime « je me souviens », cela est tout aussi compatible avec la demande d'un supérieur qui demande un service, voire une faveur à un subordonné, sans qu'il n'y ait là de l'intimidation. Peut-être la faveur demandée est-elle illégitime, comme dans le présent cas, mais elle n'avait pas le caractère d'une obligation assortie de chantage. Au contraire, il ressort du témoignage du caporal Therrien qu'il était complice, même si ce n'est pas de gaieté de coeur, du caporal-chef Piché lors de cette absence. Il a d'ailleurs menti délibérément à l'adjudant-chef Roy et au sergent Marchand lorsqu'ils lui ont demandé où était le caporal-chef Piché. Aussitôt après leur départ, il s'est d'ailleurs empressé d'appeler l'accusé pour l'en avertir.

 

[39]                Quant à la discussion qui a eu lieu à la Citadelle au sujet du procès sommaire, le caporal Therrien a fourni bien peu de détails sur la durée de la conversation et sur son contenu. Que l'accusé ait voulu informer le témoin Therrien, qui était un témoin contre le caporal-chef Piché lors du procès sommaire et qu'il voudrait faire ressortir par ce même caporal Therrien qu'il ne l'avait pas forcé à le remplacer et que les lieux étaient sécuritaires, est tout à fait raisonnable et n'a rien d'offensant en soi. Ceci ne constitue aucunement de l'incitation à induire en erreur et ces énoncés ne pourraient être considérés comme faux à la lumière de l'ensemble de la preuve.

 

[40]                Comme je l'ai dit plus tôt, il ne s'agit pas de choisir qui croire, l'accusé ou le plaignant. Une telle façon de procéder serait tout à fait contraire aux principes élaborés par la Cour suprême. La question est plutôt de savoir si la poursuite a fait la preuve de ses prétentions au-delà de tout doute raisonnable et dans de telles circonstances, le droit exige que la Cour trouve l'accusé non-coupable premièrement, si la Cour croit la version de l'accusé et, deuxièmement, même si la Cour ne croit pas l'accusé, mais qu'elle a un doute raisonnable en conséquence du témoignage de l'accusé, et ce après avoir examiné la déposition de l'accusé dans le contexte de l'ensemble de la preuve. Et, finalement, si la Cour, après avoir évalué l'ensemble de la preuve, ne sait pas qui croire ou a un doute raisonnable quant à qui croire, elle doit faire bénéficier ce doute à l'accusé et l'acquitter.

 

[41]                Après avoir considéré l'ensemble de la preuve, la Cour croit l'accusé, le caporal-chef Piché. En conséquence, elle n'a d'autres choix que de l'acquitter sur les deux chefs d'accusation.

 

[42]                La Cour vous trouve non coupable du premier chef d'accusation et la Cour vous trouve également non coupable du deuxième chef d'accusation.


 

Avocats :

 

Major G. Roy, Procureur militaire régional, Région de l'Est, avocat de la poursuivante

 

Capitaine W.D. Lonc, Juge-avocat adjoint, Valcartier, avocat adjoint de la poursuivante

 

Major J.A.M. Côté, la Direction du service d'avocats de la défense, avocat du caporal-chef D. Piché

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