Courts Martial

Decision Information

Summary:

Date of commencement of trial: 2 April 2019

Location: 4th Canadian Division Support Base Petawawa, Unit P-115, 144 Simmonds Parade Square, Petawawa, ON

Charges:

Charge 1: S. 93 NDA, behaved in a disgraceful manner.
Charge 2: S. 97 NDA, drunkenness.

Results:

FINDINGS: Charges 1, 2: Not guilty.

Note:
Under subsection 192(2) of the National Defence Act, panel members of a General Court Martial are required to provide the applicable findings to the case exclusively. Accordingly, court martial members do not provide any reasons for their findings.

Decision Content

Warning : this document is available in French only.

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Poirier, 2019 CM 4006

 

Date : 20190403

Dossier : 201833

 

Cour martiale générale

 

Base de soutien de la 4e Division canadienne

Petawawa (Ontario) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Bombardier M. Poirier, accusé

 

 

En présence du Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.


 

DÉCISION SUR LE TEST À APPLIQUER POUR LA CONDUITE DÉSHONORANTE

 

(Oralement)

 

Introduction

 

[1]               Les procédures de la présente cour martiale générale ont débuté le 2 avril 2019 à la Base des Forces canadiennes Petawawa. Des conférences téléphoniques de gestion d’instance ont eu lieu préalablement au début des procédures, tel qu’il est d’usage. Le 13 mars 2019, lors de l’une de ces conférences, le procureur m’a informé, en tant que juge militaire assigné à présider la cour martiale générale, que selon la poursuite le test appliqué depuis quelques années par les cours martiales pour déterminer si un comportement donné pouvait être considéré comme étant une conduite déshonorante au sens de l’article 93 de la Loi sur la défense nationale (LDN) devrait être révisé. La position de la poursuite est manifestement influencée par la position exprimée par la direction des poursuites militaires dans un mémoire qu’elle a soumis en tant qu’appelante le 20 août 2018 à la Cour d’appel de la cour martiale (CACM) dans le dossier R. v. Bannister, CACM 592. Cet appel a été plaidé le 21 novembre 2018 et l’affaire est depuis en délibéré.

 

[2]               Face à cette demande, j’ai demandé à la poursuite de me fournir des arguments écrits. J’ai également sollicité l’avis du procureur de la défense sur cette même question, c’est-à-dire quel devrait être le test pour la détermination d’une conduite déshonorante en vertu de l’article 93 de la LDN. J’ai reçu les arguments écrits des parties les 21 et 26 mars respectivement. Après avoir lu ces documents, je ne sens pas le besoin d’entendre de soumissions oralement.

 

[3]               Après avoir procédé à l’assermentation du comité de la cour martiale générale et avoir donné aux membres du comité mes directives préliminaires, j’ai remercié le comité pour la journée et j’ai informé les avocats de ma décision sur le test à appliquer, de manière à ce qu’ils puissent savoir à quoi s’en tenir pour préparer la preuve à venir. Je leur ai alors promis des motifs plus complets pour le lendemain. Voici ces motifs. 

 

Position des parties

 

[4]               La poursuite constate que les cours martiales ont commencé à appliquer un test fondé sur le préjudice en se basant sur le test formulé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Labaye, [2005] 3 RCS 728 en lieu et place du test préalable de conduite inadmissible et choquante. Elle se dit en accord avec cette évolution du test, mais soutient par contre que le test élaboré pour l’infraction d’indécence dans Labaye doit être contextualisé pour répondre à l’objectif de l’infraction de conduite déshonorante qui est spécifique au code de discipline militaire.  

 

[5]               Pour sa part, la défense soutient que le test de Labaye est adéquat et adaptable à l’infraction de conduite déshonorante, mais propose du même souffle que l’évaluation de la nature du préjudice à la première étape comporte une analyse des trois types de préjudices retenus dans Labaye pour l’infraction d’indécence.

 

Analyse

 

[6]               Au soutien de son argument écrit, la poursuite a produit le mémoire soumis par le Directeur des poursuites militaires dans l’appel de Bannister. On y trouve un résumé de l’évolution historique de la tendance interprétative adoptée par les cours martiales, en citant la décision que j’ai rendue dans l’affaire R. c. Buenacruz, 2017 CM 4014 où je faisais état des tentatives d’objectiver davantage le test utilisé en passant d’une norme de conduite inadmissible et choquante à une norme basée sur le préjudice. Tel que mentionné par la poursuite dans son exposé écrit, le changement s’est matérialisé de façon claire en 2012, alors que le Juge militaire d’Auteuil a adopté la norme de conduite « fondée sur le préjudice » pour l’infraction de la conduite déshonorante prévue à l’article 93 de la LDN dans les décisions R. c. Larouche, 2012 CM 3009, R. c. Morel, 2014 CM 3011, R. c. Lloyd-Trinque, 2015 CM 3001 et R. c. Jackson, 2017 CM 3001. C’est cette norme qui est reflétée dans la décision Buenacruz en novembre 2017, bien que j’eus moi-même adopté ce test bien avant, c’est-à-dire en septembre 2015 dans mes directives au comité dans l’affaire R. c. Booth, qui avait donné lieu à des verdicts de non-culpabilité en ce qui a trait aux accusations soumises au comité.

 

[7]               Il est vrai d’affirmer comme le fait la poursuite que la CACM n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur le test que les cours martiales appliquent depuis quelques années. Il se pourrait que cette situation change avec la décision à venir dans le dossier Bannister, quoiqu'à la lecture du mémoire de la direction des poursuites militaires, appelante dans cette affaire, je conclus que la position principale adoptée est à l’effet que le juge militaire aurait commis une erreur dans l’application des faits au droit peu importe le test utilisé. Ceci étant dit, même si au moment où je dois rendre la présente décision la CACM ne s’est pas prononcée, il est selon moi inexact de conclure que le droit est non déterminé sur la question du test sous l’article 93 de la LDN. Ce droit a été fixé par les cours martiales depuis 2012.

 

[8]               Malgré cela, les deux parties me demandent en ouverture de procès portant entre autres sur un chef de conduite déshonorante de redéfinir le test adopté de manière constante par les cours martiales depuis 2012.

 

[9]               Je dois dire que cette approche est troublante dans la perspective de principe de la stabilité du droit. La poursuite a fait une mise en accusation sous un chef de conduite déshonorante, je présume, en connaissant le test applicable. La défense a pris des décisions pour la défense du bombardier Poirier en fonction du droit applicable. Il est difficile de comprendre que l’on semble incertain à ce stade de la nature précise de ce droit.

 

[10]           La demande qui m’est faite de modifier le test applicable à la conduite déshonorante implique donc que je doive m’écarter de la jurisprudence bâtie par les cours martiales dans les six ou sept dernières années. Il est possible de réaliser ce changement, mais, au nom du principe de la stabilité du droit, il existe de sévères contraintes à respecter avant de pouvoir s’écarter de la jurisprudence antérieure.

 

[11]           En effet, dans une décision préliminaire portant sur la Charte canadienne des droits et libertés dans le dossier R. c. Caicedo, 2015 CM 4018, j’ai discuté ainsi de la question de la courtoisie judiciaire ou stare decisis horizontal aux paragraphes 20 et 21, en ces mots :

 

[TRADUCTION]

 

[20]         À mon avis, il faut appliquer le principe de la courtoisie judiciaire entre juges militaires présidant des cours martiales distinctes afin de favoriser la certitude et la cohérence du droit. Il y a lieu d’appliquer la courtoisie judiciaire en cour martiale, tout comme elle est appliquée en Cour fédérale où les juges suivent ce principe à l’égard de leurs collègues, comme il a été reconnu, par exemple, dans Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1025 (Almrei), au paragraphe 61. Le juge Wilson de la Cour suprême de la Colombie Britannique a parfaitement défini dans Re Hansard Spruce Mills Ltd. [1954] 13 W.W.R. (N.S.) 285 ce que la courtoisie judiciaire devrait signifier pour un juge :

 

[J]e n’ai nullement le pouvoir d’infirmer le jugement d’un collègue, je ne peux que tirer des conclusions différentes, ce qui aurait pour effet non pas d’assurer la certitude, mais de créer une incertitude dans les règles de droit, parce que, à la suite d’une telle divergence d’opinions, le malheureux justiciable se trouve aux prises avec des conclusions contradictoires émanant de la même juridiction et ayant donc la même force.

 

[21]         Cela dit, la courtoisie judiciaire ne doit pas être appliquée de manière absolue. Le juge Wilson a ensuite ajouté qu’un juge ne doit aller à l’encontre d’une décision rendue par le même tribunal que dans les cas suivants : (1) des décisions subséquentes ont remis en question la validité de la décision antérieure, (2) il a été établi qu’une disposition pertinente ou un précédent ayant force exécutoire n’a pas été pris en considération, ou (3) le jugement a été rendu sans délibérer, c’est à dire, que le juge a rendu immédiatement sa décision sans avoir le temps de consulter la jurisprudence. Des exceptions similaires ont été adoptées par la Cour fédérale (Almrei, au paragraphe 62). Ces exceptions appuient un autre principe important qui s’applique aux précédents jurisprudentiels, soit celui de la décision correcte. Un juge peut faire fi de la courtoisie judiciaire pour éviter de perpétuer une erreur dans l’interprétation d’une loi.

 

[12]           Considérant l’évolution de la jurisprudence dont j’ai fait état, il m’appert que je ne dois pas aller à l’encontre de décisions rendues par les cours martiales précédentes à moins d’être convaincu que ces décisions étaient incorrectes.

 

[13]           Je n’ai pas du tout été convaincu en ce sens par les arguments des parties.

 

[14]           En effet, les modifications proposées par les parties sont somme toute mineures. La poursuite propose le changement le plus radical, c’est-à-dire essentiellement de limiter le contexte de l’analyse aux Forces armées canadiennes (FAC) au lieu que le préjudice porte sur les valeurs et le bon fonctionnement de la société en général, y compris les FAC. Le tableau qui suit illustre ces différences :

 

Le test proposé par la poursuite au paragraphe 27 de son exposé écrit:

 

 

Premièrement, par sa nature, la conduite en cause occasionne un préjudice ou présente un risque significatif de préjudice à des personnes ou aux Forces armées canadiennes (ou une partie de ces dernières), d’une manière qui mine ou menace de miner une valeur ou un principe éthique formellement reconnu par les Forces armées canadiennes; et

 

Deuxièmement, le préjudice ou le risque de préjudice atteint un degré qui est incompatible avec le maintien approprié de la discipline, de l’efficacité et du moral des Forces armées canadiennes.

 

Le test défini par la cour martiale, entre autres dans R. v. Bannister, 2018 CM 3003 au paragraphe 25 :

 

[TRADUCTION]

Premièrement, par sa nature, la conduite en litige cause ou présente un risque appréciable que soit causé, à des personnes ou à la société, y compris les Forces armées canadiennes, un préjudice qui porte atteinte ou menace de porter atteinte à une valeur exprimée et donc reconnue officiellement dans la Constitution ou une autre loi fondamentale semblable, et

 

Le préjudice ou le risque de préjudice atteint un degré tel qu’il est incompatible avec le bon fonctionnement de la société, y compris les Forces armées canadiennes.

 

[15]           Je dois mentionner que cette demande de restreindre le contexte au FAC n’est pas nouvelle pour moi. L’avocat qui a signé le mémoire de la direction des poursuites militaire à la CACM dans Bannister était également le procureur dans la cour martiale générale du Soldat Booth dont j’ai fait état précédemment. Il avait alors fait une demande similaire pour restreindre le contexte du test. Si ma mémoire est fidèle, j’avais rejeté cette demande principalement sur la base du paragraphe 35 de l’arrêt Labaye qui se lit comme suit :

 

35. L’exigence d’une reconnaissance officielle empêche que quelqu’un puisse être condamné et emprisonné pour avoir transgressé les règles et heurté les convictions de personnes ou de groupes particuliers. Pour mériter la sanction ultime du droit criminel, il faut avoir porté atteinte à des valeurs auxquelles l’ensemble de la société canadienne a adhéré officiellement.

 

[16]           À mon avis, à la lumière de cet extrait, il n’est pas préférable, dans le contexte d’une infraction pénale tel que celle de conduite déshonorante, punissable par cinq ans d’emprisonnement, de limiter l’analyse des valeurs en cause au contexte des FAC.

 

[17]           De plus, tel que reconnu par la poursuite dans ses arguments écrits, les valeurs ou principes éthiques formellement reconnus par les FAC ne devraient pas s’écarter de manière significative de ceux applicables à la société canadienne dans son ensemble. La publication « Servir avec honneur » produite par la poursuite à l’onglet 16 de son cahier d’autorité mentionne à la page 30 que « la légitimité de la profession militaire exige que ses membres incarnent les mêmes valeurs et croyances que celles de la société qu’ils défendent. » Les arguments écrits de la défense vont dans le même sens dans sa conclusion à la page 6. J’en conclus donc que le test actuel, en faisant référence aux valeurs de la société canadienne, est tout à fait adaptable au contexte des FAC.

 

[18]           Donc, en conclusion, la Cour est d’avis qu’à moins que la CACM se prononce de manière différente, elle doit continuer à appliquer le test de la conduite déshonorante adopté par les cours martiales dans les dernières années. Les modifications mineures suggérées sont largement insuffisantes pour me convaincre que les décisions prises dans le passé sont incorrectes.


 

Avocats :

 

Major M.-A. Ferron, Capitaine E. Baby-Cormier et Capitaine M.J.D. Tremblay pour le directeur des poursuites militaires

 

Lieutenant de vaisseau J.-M. Tremblay, Service d’avocats de la défense et M. S. McAuliffe, stagiaire en droit,  Marie-Hélène Giroux Avocats, 202-5100, rue Hutchison, Montréal (Québec), avocats du bombardier M. Poirier

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