Courts Martial

Decision Information

Summary:

Date of commencement of trial: 2 April 2019

Location: 4th Canadian Division Support Base Petawawa, Unit P-115, 144 Simmonds Parade Square, Petawawa, ON

Charges:

Charge 1: S. 93 NDA, behaved in a disgraceful manner.
Charge 2: S. 97 NDA, drunkenness.

Results:

FINDINGS: Charges 1, 2: Not guilty.

Note:
Under subsection 192(2) of the National Defence Act, panel members of a General Court Martial are required to provide the applicable findings to the case exclusively. Accordingly, court martial members do not provide any reasons for their findings.

Decision Content

Warning : this document is available in French only.

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Poirier, 2019 CM 4007

 

Date : 20190418

Dossier : 201833

 

Cour martiale générale

 

Base de soutien de la 4e Division canadienne

Petawawa (Ontario) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Bombardier M. Poirier, accusé

 

Requête entendue et décision rendue à Petawawa (Ontario) le 3 avril 2019.

Motifs écrits de la décision sortis à Gatineau (Québec) le 18 avril 2019.

 

En présence du Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.


 

 

DÉCISION SUR L’ADMISSIBILITÉ EN PREUVE DE CERTAINS DOCUMENTS PROPOSÉS PAR LA POURSUITE

 

Introduction

 

[1]               Les procédures de la présente cour martiale générale ont débuté le 2 avril 2019 à la Base des Forces canadiennes Petawawa pour juger de deux accusations contre le bombardier Poirier sous les articles 93 et 97 de la Loi sur la défense nationale (LDN) pour conduite déshonorante et ivresse respectivement. Avant l’exposé d’ouverture, la poursuite a exprimé son désir de produire certains documents de nature juridique en preuve et a demandé, dans le cadre d’un voir-dire, que le juge militaire confirme l’admissibilité de ces documents.

 

[2]               Les documents faisant l’objet de la demande de la poursuite sont les suivants : 

 

a)                  VD2-1 : DOAD 5012-0, Prévention et résolution du harcèlement;

 

b)                  VD2-2 : DOAD 7023-0, Éthique de la défense;

 

c)                  VD2-3 : DOAD 7023-1, Programme d'éthique de la défense;

 

d)                  VD2-4 : Code de valeurs et d'éthique du MDN et des FC;

 

e)                  VD2-5 : La publication « Servir avec honneur : la profession des armes au Canada ».

 

[3]               Immédiatement après avoir entendu les arguments des avocats, j’ai informé les parties oralement de ma décision à l’effet que les documents pourraient être admis en preuve séparément en tant que pièces, en autant que pour deux de ces documents la version française soit fournie. Après avoir mentionné brièvement que les documents étaient selon moi pertinents et admissibles en vertu de l’article 15 des Règles militaires de la preuve, C.R.C., ch. 1049 (RMP) pour les pièces VD2-1 à 4 et en vertu de l’article 16 des RMP pour la pièce VD2-5, j’ai mentionné que je préparerais des motifs écrits plus complets sur cette question. Voici ces motifs.

 

Position des parties

 

[4]               La poursuite soutient que le dépôt de ces documents est nécessaire pour qu’elle puisse s’acquitter de son fardeau de déposer une preuve pour établir l’existence d’un préjudice réel ou un risque de préjudice réel d’une nature et d’un degré incompatible avec le bon fonctionnement de la société, dans le cadre du test applicable au premier chef d’accusation pour conduite déshonorante. La poursuite est d’avis que sans la production de ces documents, les membres du comité pourraient ne pas avoir toute l’information utile à leurs délibérations à la fin du procès. Les documents en question sont largement diffusés et une prise en considération uniforme par l’ensemble des membres du comité est jugée nécessaire dans le contexte des accusations, considérant les disparités au niveau du grade et de l’expérience des membres du comité.

 

[5]               Le procureur du bombardier Poirier ne s’objecte pas au dépôt des pièces VD2-1 à VD2-4, étant d’accord avec la poursuite à l’effet que ces documents sont couverts par l’article 15 des RMP. Il s’oppose au dépôt de la pièce VD2-5 parce qu’il s’agit d’un document de nature différente et plus volumineux qui risque de submerger les membres du comité dans de la paperasse. Répliquant à l’argument de la poursuite sur les différences de familiarité entre membres du comité, l’avocat de la défense réfère aux paragraphes 192 à 204 de l’arrêt R. c. Wellwood, 2017 CACM 4 à l’effet qu’il ne devrait pas avoir de différences entre ce qu’un comité devrait entendre et recevoir, en comparaison avec un jury dans un procès en cour criminelle civile.

 

Analyse

 

Introduction

 

[6]               Les parties s’entendent sur l’admissibilité des pièces VD2-1 à VD2-4 en vertu de l’article 15 des RMP. Par contre, elles ont toutes deux fait état des motifs de la Cour d’appel de la cour martiale (CACM) dans Wellwood sur les questions de connaissance judiciaire, des instructions finales aux membres du comité d’une cour martiale générale et des documents de nature juridique que le comité pourrait être appelé à consulter. Je crois donc utile de discuter de cet arrêt et de son impact au fil de mon analyse.

 

Wellwood et la connaissance judiciaire de dispositions de nature juridique

 

[7]               À la fin de ses motifs majoritaires dans Wellwood, le juge Cournoyer, en obiter, énonce certains conseils sur les instructions au comité à l’intention du juge qui aurait à présider un nouveau procès. Ces conseils sont bienvenus et appréciés. Il est d’autant plus intéressant que ces commentaires reflètent un débat et une opinion divergente d’avec le juge en chef Bell, qui a émis des motifs dissidents en ce qui a trait à la disposition de l’appel. 

 

[8]               Ce qui sembla avoir été particulièrement problématique pour le juge Cournoyer est le fait que le juge militaire ait instruit les membres du comité qu’ils devaient considérer comme prouvé devant eux le Code criminel, la LDN et les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), de même que les ordres et instructions données par le Chef d’état-major de la défense ou en son nom sous le régime de l’article 1.23 des ORFC. Se basant sur les paragraphes 27 et 28 de l’arrêt R. c. Daley, 2007 CSC 53, [2007] 3 R.C.S. 523, paragraphes 27-28, le juge Cournoyer émet l’avis qu’une directive générale de ce type ne devrait jamais être formulée, car il appartient au juge du procès d’établir les règles de droit applicables et uniquement celles qui le sont. 

 

[9]               Ce qui n’est pas mentionné, ni par le juge Cournoyer ni par le juge en chef Bell dans ses motifs dissidents, c’est que l’instruction en question ne faisait que paraphraser le contenu jugé pertinent de l’article 15 des RMP qui se lit, dans son entièreté, comme suit : 

Connaissance judiciaire requise

 

15 (1)      Une cour doit, qu’elle en soit requise ou non par le procureur à charge ou l’accusé, prendre judiciairement connaissance de ce qui suit :

 

a)                   l’accession et le décès du souverain;

 

b)                   le titre et la signature du souverain;

 

c)                   la constitution du Canada;

 

d)                   le Grand Sceau du Canada;

 

e)                   les lois et résolutions du Parlement du Canada;

 

f)                    les lois et résolutions des législatures des provinces et des territoires du Canada;

 

g)                   les limites territoriales du Canada et des provinces du Canada;

 

h)                   l’existence d’un état d’urgence reconnu par le gouvernement du Canada;

 

i)                     l’élément ou l’unité en activité de service; et

 

j)                     le statut des gouvernements étrangers.

 

(2)           Une cour doit, qu’elle en soit requise ou non par le procureur à charge ou l’accusé, prendre judiciairement connaissance de la teneur, mais non de la publication ou de la suffisance de leur notification, des proclamations, décrets du Conseil, ordonnances ministérielles, mandats, lettres patentes, règles, règlements ou statuts administratifs, établis, rendus ou émis directement sous l’autorité d’une loi publique du Parlement du Canada ou de la législature d’une province du Canada, y compris les ORFC mais non limités à ces derniers, ainsi que des ordres et instructions donnés par écrit par le chef de l’état-major de la défense ou en son nom sous le régime de l’article 1.23 des ORFC.

 

[10]           Je note que cet article comporte des similitudes avec les articles 19 à 22 de la Loi sur la preuve au Canada. Ces dispositions applicables aux tribunaux civils de compétence fédérale font état de la connaissance d’office et facilitent la preuve de certains documents émanant d’autorités législatives ou exécutives. À tout évènement, ce que le juge militaire semblait faire en paraphrasant cette disposition, semble être ce que le juge Cournoyer encourage aux paragraphes 202 et 203 de Wellwood, soit de préférer un langage clair aux citations d’articles de loi. 

 

[11]           L’omission de toute référence à l’article 15 des RMP dans Wellwood est surprenante, considérant que cette disposition est probablement l’article de loi le plus souvent mentionné lors des cours martiales. En effet il est de routine qu’un ou une juge militaire mentionne de vive voix qu’il ou elle prend connaissance judiciaire des faits et questions contenus dans l’article 15 des RMP. Cette pratique était même la norme devant les cours martiales avec comité où il n’était pas rare que le ou la juge militaire se tourne vers le membre le plus haut gradé du comité pour lui ordonner de prendre connaissance judiciaire des faits et questions contenus à l’article 15 des RMP en ouverture des procédures, ce qui générait une réaction affirmative bien que souvent empreinte d’interrogation de la part du comité. En comparaison les mots du juge militaire dans Wellwood étaient plus circonscrits, bien que référant à un corpus significatif. 

 

[12]           Le problème avec cette pratique, même en utilisant une paraphrase en langage clair, est qu’elle encourage selon moi la confusion entre les notions d’admission de la preuve en général et les règles d’admissibilité d’un élément de preuve spécifique. En effet, ce n’est pas parce que la cour peut prendre connaissance judiciaire d’une preuve en vertu du droit ou des règles applicables que cette preuve devrait être reçue dans le cadre du litige. Pour être admise, une preuve doit être pertinente, substantielle et admissible au sens de la loi. (R. v. Candir, 2009 ONCA 915 au paragraphe 49). L’article 7 des RMP est d’ailleurs à l’effet qu’une cour ne doit pas recevoir de preuve non pertinente mais doit admettre et prendre en considération toute preuve pertinente. Donc, l’entente entre les parties sur l’admissibilité des pièces VD2-1 à VD2-4 en vertu de l’article 15 des RMP ne clôt pas le débat devant déterminer si une preuve doit être reçue dans le cadre du procès. 

 

[13]           Il appert donc qu’aussi bien la common law que les RMP reconnaissent que la connaissance judiciaire ne permet pas d’admettre et de prendre en considération une preuve non pertinente. La RMP 15 est simplement un outil pour permettre l’admission sans formalité de documents, s’ils sont jugés pertinents et utiles, une question qui doit toujours être déterminée par le ou la juge militaire dans l’exercice de son rôle de gardien de ce qui peut être vu par le comité.

 

[14]           Je suis d’avis que la pratique des cours martiales de citer l’article 15 des RMP en tant que passage obligatoire n’a selon moi aucune utilité. Je suis donc en accord avec le juge Cournoyer à l’effet qu’une directive générale sans liens avec l’identification des dispositions précises qui sont pertinentes ne devrait pas être formulée. Seules les règles de droit pertinentes doivent faire l’objet de l’exposé du juge. La question demeure à savoir si des documents de nature juridique peuvent être admis en tant que preuve.

 

Wellwood et la distribution de documents de nature juridique au comité

 

[15]           En ce qui concerne cette question, centrale à la demande de la poursuite, je n’interprète pas les propos du juge Cournoyer dans Wellwood comme signifiant que des documents de nature juridique ne doivent jamais être fournis aux membres d’un comité. Au paragraphe 199 de ses motifs, il mentionne, « Bien qu’il ne soit pas formellement interdit de remettre au jury des copies de certains articles de lois et de les reproduire dans les directives écrites qui leur sont remises, j’estime que cela n’est pas souhaitable. La lecture de plusieurs de ces articles se révèle tout simplement inutile et source de possibles confusions. » Cette opinion du juge Cournoyer reflète un débat en cours en ce qui a trait à la détermination par le juge du procès de quels articles de loi devraient être distribués aux membres d’un jury et dans quelles circonstances. Tel que le juge Cournoyer le mentionne, une telle distribution n’est pas interdite. La publication « CRIMJI : Canadian Criminal Jury Instructions » prévoit d’ailleurs des directives pour couvrir ce genre de situation (voir CRIMJI 4.99A).

 

[16]           J’en conclus qu’en tant que juge du procès je peux exercer ma discrétion pour permettre l’admission de documents de nature juridique, tel que demandé par la poursuite. Il me reste à déterminer si je devrais le faire dans les circonstances du présent dossier.

 

Les différences entre un jury civil et le comité d’une cour martiale

 

[17]           À ce stade de l’analyse, il y a lieu de traiter de l’argument de la défense à l’effet qu’il ne devrait pas avoir de différences entre ce qu’un comité devrait entendre et recevoir en preuve, en comparaison avec un jury dans un procès en cour criminelle civile.

 

[18]           Je comprends des arguments des avocats que leur mésentente semble porter sur l’interprétation des propos du juge Cournoyer, lorsqu’aux paragraphes 193 et 194 de ses motifs dans Wellwood, il s’oppose à la distinction proposée par le juge en chef Bell entre un jury civil et le comité d’une cour martiale sur la connaissance judiciaire.

 

[19]           Cependant, ce que la poursuite demande en l’espèce n’est pas du domaine de la connaissance judiciaire. Au contraire, au lieu de référer le comité à une connaissance judiciaire générale, on désire lui fournir des documents précis, de manière à ce que les membres du comité, dont les expériences militaires sont variées, puissent être au diapason en ce qui concerne certains ordres et directives connus dans le domaine militaire. Il reste que l’admission de ces documents fera en sorte que les membres du comité auront accès à plus d’information que ce qui est susceptible de se retrouver aux explications ciblées du juge militaire dans ses directives à la fin du procès, en ce qui a trait au droit. Il est juste pour la défense d’affirmer qu’à la lumière de ses propos dans Wellwood, le juge Cournoyer semble froid à cette idée.

 

[20]           Je suis réceptif aux arguments de la poursuite. Dans les circonstances spécifiques de la présente affaire il pourrait être préférable de permettre que le comité ait accès aux documents précédemment mentionnés. Je ne crois pas que cette conclusion soit contraire aux motifs du juge Cournoyer dans Wellwood parce qu’il n’est pas question de se fier sur la connaissance judiciaire personnelle des membres du comité. De plus, je ne crois pas que le juge Cournoyer suggérait que la question de déterminer qu’est-ce qui devrait être admissible en preuve devant un comité en cour martiale ne doit jamais être déterminée différemment que devant un jury en cour civile.

 

[21]           En effet, il y a selon moi des distinctions fondamentales entre un comité et un jury qui font en sorte que dans certaines circonstances la détermination de la preuve à laquelle un comité devrait avoir accès pourrait être différente. Les propos du juge en chef Bell en ce qui concerne la distinction entre un jury et le comité d’une cour martiale en référence aux articles 4.01 et 5.01 des ORFC ont été jugés par le juge Cournoyer, majoritaire, comme étant injustifiés dans le contexte de Wellwood. Par contre, ils pourraient selon moi être appropriés dans d’autres contextes.

 

[22]           Les faits et questions en litige dans Wellwood ne permettaient peut-être pas de considérer les particularités militaires à leur juste valeur. Entre outre, le parallèle que le juge Cournoyer trace entre les articles 4.01 et 5.01 des ORFC et l’article 19 du Code criminel peut selon moi porter à confusion. Je me dois d’être d’accord avec la poursuite qui mentionne que l’équivalent de l’article 19 du Code criminel en droit militaire ne se trouve pas aux chapitres 4 et 5 des ORFC mais bien à l’article 72.2 de la LDN. Cette disposition adopte un langage similaire à la disposition correspondante du Code criminel, tout en faisant référence plus spécifiquement aux instruments juridiques propres au droit militaire, soit les règlements ordonnances et directives. Je suis également d’accord avec la poursuite à l’effet que le but de ces articles est de codifier le principe à l’effet que nul ne peut se défendre en invoquant son ignorance de la loi. En d’autres mots, autant l’article 19 du Code criminel que l’article 72.2 de la LDN codifient le principe fondamental voulant qu’une erreur de droit ne soit pas une excuse (R. c. Pontes, [1995] 3 R.C.S. 44). 

 

[23]           Les articles 4.01 et 5.01 sont d’une autre nature. Ils imposent un devoir militaire aux officiers et militaires du rang au niveau de la connaissance de la loi. En d’autres mots, ces articles vont plus loin que d’empêcher un militaire de plaider l’ignorance de la loi face à une accusation en vertu du code de discipline militaire. L’ignorance de la loi pourrait, dans certaines circonstances, constituer une faute professionnelle de la part d’un officier ou un militaire du rang. Ceci étant dit, on ne laisse pas les militaires deviner ce que la loi peut dire. Des notions de droit militaire sont enseignées à toutes les personnes qui deviennent militaires, dès le cours de base. Ces notions sont répétées et développées aux niveaux supérieurs. Par exemple les sous-officiers supérieurs et officiers juniors reçoivent de l’instruction sur la rédaction et le dépôt d’accusation, sur l’arrestation et la détention et sur l’aide à offrir aux militaires accusés; les officiers appelés à commander, le cours obligatoire d’officier président.

 

[24]           Il est également important de préciser que certaines règles de conduite sont considérées comme étant si importantes que les ordres ou règlements qui les imposent prévoient un programme d’éducation sur leur contenu. C’est le cas des ordres sur le harcèlement (voir Directive et ordonnance administrative de la défense (DOAD) 5012-0 paragraphes 3.6(a) et 3.8) qui est directement en cause dans la présente affaire mais c’est aussi le cas pour d’autres règlements, ordonnances et directives tel que le Programme des Forces canadiennes sur le contrôle des drogues (voir l’article 20.05 des ORFC).

 

[25]           Il appert donc que contrairement à un jury civil, le comité d’une cour martiale générale est composé de membres qui ont tous un minimum d’éducation juridique, du moins en ce qui a trait au droit militaire. L’impact de ce fait sera variable, selon la composition du comité et les accusations qu’il aura à considérer.

 

La demande de la poursuite est raisonnable

 

[26]           La poursuite soumet que dans le cadre du procès du bombardier Poirier, les membres du comité ont un grade et un potentiel niveau d’expérience en droit militaire très variable. Ils ont à traiter d’une question en lien avec la conduite déshonorante qui, selon toute vraisemblance, a été traitée devant eux directement ou indirectement au cours de leur carrière, dans le cadre de présentations en lien avec la DOAD 5012-0, un ordre avec lequel ils sont sans doute familiers à degré variable. C’est exactement en raison de ces connaissances variables qu’une mise à niveau par l’entremise de documents de nature juridique est de mise, selon la poursuite. 

 

[27]           Je suis d’accord que considérant le grade de l’accusé en l’espèce, le niveau d’expérience et de connaissance du droit militaire des membres du comité peut varier, entre un officier du grade de lieutenant-colonel, membre le plus haut gradé, jusqu’aux trois militaires du rang qui peuvent avoir un grade aussi bas que sergent (voir les paragraphes 167(2) et 167(7) de la LDN). Le membre sénior pourrait avoir commandé une unité et aura probablement bénéficié du plus haut niveau d’instruction en droit militaire, soit l’instruction d’officier président, alors que le membre le plus junior aura possiblement des connaissances sommaires. Ceci étant dit, il est impossible d’évaluer précisément les connaissances juridiques des membres du comité. Des personnes de même grade peuvent avoir des expériences complètement différentes en ce qui a trait au droit militaire par exemple en raison de leur occupation militaire.

 

[28]           Je suis également d’accord avec l’argument portant sur la nature des documents que la poursuite désire produire, en lien avec le test devant être appliqué pour déterminer si une conduite prouvée est une « conduite déshonorante ». En effet, la partie du test portant sur le degré d’incompatibilité du préjudice avec le bon fonctionnement de la société, incluant les Forces armées canadiennes, peut nécessiter de considérer des notions assujetties à des ordres et directives ainsi que des programmes d’éducation spécifiques. C’est le cas du harcèlement et des inconduites de nature sexuelles qui peuvent avoir fait l’objet de présentations périodiques d’un niveau varié selon l’unité des membres du comité ou même de leur niveau de responsabilités au sein de cette unité.

 

[29]           Je suis donc d’accord avec la poursuite à l’effet que la production des documents de nature juridique visés par la demande pourrait faciliter l’administration de la justice. En mettant ces documents à la disposition des membres du comité, ils pourront être consultés au besoin si nécessaire, surtout en lien avec le test que le comité aura à appliquer pour traiter de l’accusation de conduite déshonorante. Cette demande est légitime et ces documents constituent une preuve pertinente, substantielle et admissible en vertu des articles 15 et 16 des RMP.

 

Le comité d’une cour martiale peut être distingué d’un jury en certaines circonstances

 

[30]           En acceptant la légitimité de la demande de la poursuite, j’accepte qu’il puisse exister une distinction entre le citoyen qui siège sur un jury et un membre des Forces armées canadiennes qui fait partie d’un comité d’une cour martiale générale. Cette distinction n’est pas selon moi inconnue du droit canadien. Le droit militaire reconnaît qu’un comité de la cour martiale générale est différent d’un jury, ne serait-ce qu’en lien avec sa composition. On pourrait donc s’attendre à ce que des différences dans la norme applicable aux instructions à ce comité soient tolérées. Je ne connais aucune décision judiciaire à l’effet que les instructions et la preuve disponible à un comité d’une cour martiale générale doivent nécessairement être la même que la preuve et les instructions disponibles au jury d’un procès en cour criminelle. Je connais au moins une décision à l’effet contraire, devant le Tribunal d’appel des cours martiales, ancêtre de la CACM, qui a distingué dans Nye c. R, (1972) 3 T.A.C.M. 85 le rôle du juge militaire (alors juge-avocat) et des membres du comité d’une cour martiale d’avec un juge et jury dans un procès civil. Bien que le résultat de cet arrêt ne puisse se reproduire aujourd’hui en raison de changements législatifs et règlementaires, cet arrêt révèle que la notion de distinguer un jury d’un comité de la cour martiale n’est pas nouvelle. 

 

[31]           Ceci étant dit, les circonstances de l’affaire sont importantes pour déterminer si les instructions devraient être différentes. Si on reproche à un accusé une infraction à l’article 130 de la LDN, en lien avec un acte ou omission punissable sous le régime du Code criminel par exemple, il se pourrait fort bien qu’il y ait lieu d’instruire le comité exactement de la même manière qu’un jury civil aurait été instruit. En effet, les militaires susceptibles de siéger sur un comité d’une cour martiale générale n’auront pas plus de connaissance du droit en question que d’autres citoyens.

 

[32]           La situation peut être différente pour une infraction d’ordre militaire, comme c’est le cas en l’espèce pour l’infraction de conduite déshonorante, considérant le test applicable. D’autres infractions d’ordre strictement militaire peuvent nécessiter que certains documents de nature juridique soient mis à la disposition des membres du comité. Ce peut être le cas, par exemple, d’infractions sous l’article 129 de la LDN. En effet, dans l’arrêt R. v. Golzari, 2017 CMAC-587, rendu le même jour que Wellwood, un banc unanime de la cour nous enseigne au paragraphe 79 que le juge des faits d’une cour martiale doit être en mesure de déterminer si un comportement démontré est préjudiciable au bon ordre et à la discipline, compte tenu de son expérience et de ses connaissances militaires générales. Tel que décidé dans R. c. Williams, 2017 CM 4017, les connaissances militaires générales doivent être basées sur des normes objectivement définies, entre autres dans des ordres et directives promulguées à l’attention des membres des Forces armées canadiennes, tel que la DOAD 5012-0 sur le harcèlement. Il me semble qu’il pourrait être difficile d’instruire les membres d’un comité appelé à se fier sur son expérience et ses connaissances militaires sans leur donner accès à l’ensemble des ordres et directives sur ce sujet, en complément des directives finales du juge militaire.

 

Conclusion

 

[33]           En considération du fardeau qui incombe à la poursuite en lien avec le test applicable aux infractions de conduite déshonorante, le premier chef d’accusation dans le présent procès, je suis d’avis que les documents que la poursuite désire présenter en preuve devraient être admis. Considérant la vaste différence entre les connaissances juridiques des personnes susceptibles de siéger sur le comité il m’apparaît plus prudent de m’assurer que le comité bénéficie d’une base d’analyse uniforme pour sa considération du droit applicable. 

 

[34]           Même si on ne peut se fier sur la connaissance personnelle des membres du comité des ordres et directives pertinentes ni négliger de leur dire qu’ils ne peuvent se fonder sur leur propre conception du droit, il reste que selon moi, la disponibilité de documents de nature juridique dans la salle des délibérations ne compromet pas, en soi, la valeur des explications du juge militaire les règles applicables à tous les membres du comité. Ces directives obligatoires sont à mon avis suffisantes pour s’assurer qu’une explication uniforme des règles de droit applicables soit communiquée au comité et que tous les membres du comité agissent en ce sens.

 

[35]           Les pièces VD2-1 à VD2-5 sont selon moi pertinentes et admissibles en vertu des articles 15 et 16 des RMP et une copie française de ces documents pourra être reçue en preuve devant la Cour dans le cadre du procès.

 

 

« Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier »

Juge militaire


 

Avocats :

 

Major M.-A. Ferron, Capitaine E. Baby-Cormier et Capitaine M.J.D. Tremblay pour le directeur des poursuites militaires

 

Lieutenant de vaisseau J.-M. Tremblay, Service d’avocats de la défense et M. S. McAuliffe, stagiaire en droit, Marie-Hélène Giroux Avocats, 202-5100, rue Hutchison, Montréal (Québec), avocats du bombardier M. Poirier

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