Courts Martial

Decision Information

Summary:

Date of commencement of trial: 15 July 2019

Location: 2nd Wing Bagotville, building 81, room 202, Windsor Street, Alouette, QC

Charges:

Charge 1: S. 130 NDA, obstructing justice (s. 139(2) CCC).
Charge 2: S. 130 NDA, breach of trust by public officer (s. 122 CCC).
Charges 3, 4, 5: S. 129 NDA, conduct to the prejudice of good order and discipline.

Results:

FINDINGS: Charge 1, 2, 3: Not guilty. Charges 4, 5: Guilty.
SENTENCE: A severe reprimand and a fine in the amount of $2500.

Decision Content

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COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Renaud, 2019 CM 4021

 

Date : 20191114

Dossier : 201882

 

Cour martiale permanente

Base des forces canadiennes Bagotville

Alouette (Québec) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Capitaine J. Renaud, accusé

 

 

En présence du : Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.


 

Ordonnance de restriction à la publication : Par ordonnance de la cour rendue en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale, il est interdit de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de toute personne décrite dans le cadre des présentes procédures devant la cour martiale comme étant une victime, spécifiquement et non restrictivement les personnes désignées à l’acte d’accusation par les initiales « E.T. », « A.L. » et « A.N. »

 

MOTIFS DU VERDICT

 

 

Table des Matières

 

 

Paragraphe

 

INTRODUCTION

1

 

A.    Les chefs d’accusation

B.     La preuve entendue

C.    Mise en situation factuelle

1

2

3

 

LE DOUTE RAISONNABLE ET LA CRÉDIBILITÉ

6

 

A.    La crédibilité en litige

B.     L’évaluation de la crédibilité

C.    La preuve hors de tout doute raisonnable

6

7

11

 

LES ÉCHANGES AVEC LE CAPITAINE MORIN-NAPPERT

15

 

A.    Faits pertinents

B.     Observation sur les faits

C.    La crédibilité des acteurs principaux

15

16

19

 

1.      Introduction

2.      La crédibilité du capitaine Renaud

3.      La crédibilité du capitaine Morin-Nappert

4.      Conclusion

19

21

24

31

 

D.    Le troisième chef de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline

32

 

1.      Introduction

2.      Le droit applicable

3.      Les actions reprochées au capitaine Renaud en lien avec

                              le troisième chef

4.      Analyse des allégations sur le troisième chef

32

33

 

50

53

 

Première catégorie – communication par messages textes en général et le 23 septembre 2017 en particulier

 

                                                Introduction

                                                La transmission de messages textes de nature

                                                sexuelle en général

                                                La transmission de messages textes de nature

                                                sexuelle le 23 septembre 2017

                                                Conclusion sur la première catégorie

 

53

 

53

 

54

 

63

69

 

Deuxième catégorie – la transmission d’une photographie d’un pénis par message texte

 

 

70

 

Troisième catégorie – les communications verbales qui comportent quatre incidents allégués :

                                    -     la blague sur les« chattes » du 22 septembre 2017,

                                    -     la mention le 25 ou 26 septembre 2017 qu’elle

                                          allait voir sa queue,

-          la mention d’un possible « trip à trois » avec

                                          sa femme au retour du déploiement, et

-          la mention d’un rêve qu’il avait eu à l’effet

qu’elle était nue avec une tuque bleue le 3 ou 4 octobre 2017

 

 

 

 

 

 

 

 

 

72

 

5.      Conclusion sur le troisième chef

80

 

E.     Le premier chef d’obstruction de la justice

82

 

1.      Introduction

2.      Les éléments essentiels de l’infraction

3.      Les prétentions des parties

4.      Analyse

82

84

85

89

 

                                    L’actus reus

                                    La mens rea

89

92

 

5.      Conclusion

104

 

F.     Le deuxième chef d’abus de confiance

105

 

1.      Introduction

2.      Les éléments essentiels de l’infraction

3.      Les prétentions des parties

4.      Analyse

105

107

108

110

 

                                    L’exercice des fonctions

                                    Port du ceinturon

                                    Paroles attribuées au capitaine Renaud

                                    La mens rea

110

114

116

121

 

5.      Conclusion

122

 

LE QUATRIÈME CHEF IMPLIQUANT E.T.

123

 

A.    Introduction

B.     Les faits relatés par E.T.

C.    La crédibilité de E.T.

D.    Analyse

E.     Conclusion

123

125

129

131

136

 

 

CINQUIÈME CHEF – REMARQUES DÉGRADANTES LORS D’UN

SOUPER

 

138

 

A.    Introduction

B.     Les faits reprochés au capitaine Renaud

C.    Analyse

138

139

146

 

1.      Questions à déterminer

2.      Crédibilité des acteurs clés

3.      Est-ce que le comportement allégué a été prouvé?

4.      Est-ce que le comportement du capitaine Renaud constitue un comportement inopportun et offensant donc, du harcèlement?

5.      Est-ce un comportement autrement préjudiciable au

bon ordre et à la discipline?

146

148

151

 

 

155

 

159

 

D.    Conclusion

166

 

CONCLUSION GÉNÉRALE ET DISPOSITIF

167

 

_________________________

 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Oralement)

 

INTRODUCTION

 

A. Les chefs d’accusation

 

[1]               Le capitaine Renaud fait face à cinq chefs d’accusation dans ce procès par cour martiale permanente. Les premier et deuxième chefs, portés sous l’alinéa 130(1)b) de la Loi sur la défense nationale (LDN), allèguent d’une part qu’il a commis une entrave à la justice contrairement au paragraphe 139(2) du Code criminel et d’autre part qu’il a commis un abus de confiance contrairement à l’article 122 du Code criminel. La conduite reprochée au capitaine Renaud est la même pour les deux chefs, c’est-à-dire d’avoir demandé au capitaine Vanessa Morin-Nappert de supprimer de son téléphone intelligent des photographies et des textos à caractère sexuel qu’il lui avait transmis. Les trois autres chefs sont portés sous l’article 129 de la LDN pour comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Le troisième chef allègue la transmission de photographies et de propos inopportuns et offensants au capitaine Morin-Nappert, incluant des propos échangés en personne. Le quatrième chef allègue un comportement inopportun et offensant envers E.T. à deux occasions. Le cinquième chef allègue que le capitaine Renaud a tenu des propos « rabaissants et humiliants envers des femmes » en présence de A.N. et de A.L., deux militaires du rang féminin, lors d’un souper au restaurant.

 

B. La preuve entendue

 

[2]               Dix-huit témoins ont été entendus dans le cadre du procès qui a duré dix jours, sur trois séances ponctuées de trois requêtes et quelques voir-dire impliquant cinq autres témoignages. Les circonstances entourant le déploiement ont été explorées en détails considérant l’importance de la dynamique entre les acteurs impliqués pour des questions de crédibilité et d’appréciation des mots qui auraient été prononcés, surtout en lien avec les deux premiers chefs. Au lieu de réviser en détail les faits tel que relatés en succession par chacun des témoins, je vais procéder par une analyse successive des chefs d’accusation sur la base des personnes directement impliquées tout en relatant les faits pertinents à la résolution des questions en litige pour chacun de ces chefs. Je ne commenterai pas sur beaucoup d’éléments de preuve entendus qui, au final, n’ont joué aucun rôle sur la détermination des verdicts. Je tiens d’abord à relater certains faits généraux en guise de mise en situation. Ensuite, je ferai état des considérations généralement applicables à l’appréciation de la crédibilité des témoins et du doute raisonnable.

 

C. Mise en situation factuelle

 

[3]               Les infractions alléguées auraient toutes été commises alors que le capitaine Renaud et les autres canadiens impliqués étaient en déploiement sur une base aérienne roumaine au soutient d’une opération de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). La présence canadienne avait pour but de contribuer à une force aérienne de l’OTAN en patrouillant la région à l’aide d’aéronefs de combat. La mission nommée Opération REASSURANCE en était alors à ses balbutiements et les canadiens déployés en Roumanie dès le mois d’août 2017 devaient tout mettre en place, dont un camp canadien sur la base roumaine. Le contingent canadien comptait entre 150 et 170 personnes selon les moments et la plupart des participants ont été redéployés au Canada en janvier 2018. Le capitaine Renaud occupait les fonctions de grand prévôt de la Force opérationnelle canadienne, c’est-à-dire le représentant sénior de la police militaire en théâtre et celles d’officier responsable de l’élément de protection de la force. Ces fonctions faisaient en sorte qu’il se rapportait directement au Commandant de la Force, tout comme certains autres spécialistes.

 

[4]               Deux membres clés de l’état-major de cette force opérationnelle ont témoigné pour la poursuite : le lieutenant-colonel Mark Hickey, Commandant de la Force ainsi que le major Marc-André La Haye, son commandant adjoint, qui a également agi en tant que commandant par intérim du 15 septembre au 1er octobre 2017, lorsque le commandant a dû rentrer d’urgence au Canada pour des raisons personnelles. L’adjudant-chef Deborah Martens était un autre membre clé de l’équipe de commandement. Elle n’a pas témoigné au procès mais a été mentionnée occasionnellement. Deux officiers appelés par la défense étaient respectivement chargés des deux sections fonctionnelles du contingent. Le major Marc Turcotte commandait la section du support opérationnel tandis que le major Daniel Pigeon-Fournier commandait la section chargée du support matériel. Le support matériel comportait une section du génie construction commandée par le capitaine Morin-Nappert, principal témoin de la poursuite. Son adjoint, qui n’a pas témoigné au procès mais qui a été mentionné à plusieurs reprises, était le sergent Verdi. En plus du capitaine Renaud, d’autres personnes avisaient directement le commandant.  Entre autres les officiers spécialistes dont E.T. faisait partie et un officier de liaison roumain, le major Christian Roscius. Pour leur part, A.N. et A.L étaient techniciennes militaires du rang et œuvraient à l’entretien des aéronefs.

 

[5]               L’enquête policière sur ce dossier a été initiée après que le capitaine Morin-Nappert eu formulé une plainte au Centre d'intervention sur l'inconduite sexuelle à Ottawa le 6 Octobre 2017, visant certains comportements dont elle s’estime avoir été victime de la part de l’accusé. Le dépôt de cette plainte, une fois la chaîne de commandement avisée, a provoqué le rapatriement du capitaine Renaud, qui a quitté le camp le 7 Octobre 2017. Le sergent Morinville, policier militaire au Service national des enquêtes des Forces canadiennes (SNEFC) s’est vu confier l’enquête et s’est rendu en Roumanie avec une consœur entre le 15 et le 18 octobre pour rencontrer les témoins. Le capitaine Morin-Nappert fut le premier témoin rencontré. La preuve du comportement reproché au capitaine Renaud a été amenée par le témoignage des gens impliqués. Malgré les allégations relatives à des propos transmis par textos au troisième chef d’accusation, le contenu d’aucun texto n’a été présenté en preuve en lien avec ce chef car ceux-ci ont été supprimés par la récipiendaire et les enquêteurs n’ont pas tenté de récupérer ceux-ci d’un fournisseur de service ou de Facebook. Ils n’ont apparemment pas demandé ou obtenu accès au téléphone intelligent du capitaine Renaud. Ce dernier n’a pas fourni de déclaration aux enquêteurs.

 

LE DOUTE RAISIONNABLET LA CRÉDIBILITÉ

 

A. La crédibilité en litige

 

[6]               Les parties ont consacré beaucoup d’efforts en plaidoirie sur la question de savoir si la preuve est suffisante pour prouver hors de tout doute raisonnable que les gestes allégués aux chefs d’accusation ont effectivement été posés par le capitaine Renaud. Suite au procès, il appert que seulement le capitaine Renaud et une autre personne peuvent être considérés comme témoins directs des évènements décrits aux chefs 1 à 3. La même situation s’applique au 4e chef car seul E.T. a témoigné sur le comportement inopportun et offensant dont elle allègue avoir été la cible de la part de l’accusé, même si d’autres personnes auraient été présentes au moment des faits. La situation est différente pour le 5e chef, considérant que le capitaine Renaud et trois autres personnes présentes au souper ont témoigné des paroles prononcées ce soir-là. Dans ces circonstances, il est clair qu’une part importante du litige est la détermination que je dois faire sur la base des faits en ce qui a trait à la crédibilité et la fiabilité du témoignage de certains témoins, principalement les capitaines Renaud et Morin-Nappert, en plus de E.T., A.N. et A.L.

 

B. L’évaluation de la crédibilité

 

[7]               La Cour suprême du Canada a reconnu dans l’arrêt R. c. R.E.M., 2008 CSC 51 que l’évaluation de la crédibilité est un exercice difficile et délicat qui ne se prête pas toujours à une énonciation complète et précise.

 

[8]               Pour juger de la crédibilité d’une personne, le juge du procès doit se fier sur une myriade de facteurs. Certains sont propres à la personne dont la crédibilité est évaluée, c’est-à-dire son comportement ou son attitude à la barre. D’autres s'étendent au-delà de l'évaluation du témoignage pour porter sur la présence ou l’absence d’indices de véracité tels que la cohérence, la vraisemblance, le manque de motivation à concocter, etc. L’évaluation de la crédibilité ne relève pas de la science exacte. Les impressions du juge du procès sont basées entre autres sur son expérience, sa logique et son intuition en lien avec la manière dont la preuve lui a été présentée. Même s’il peut être difficile de décrire avec précision l’enchevêtrement complexe des impressions qui se dégagent de l’observation et de l’audition des témoins, ainsi que des efforts de conciliation des différentes versions des faits, le juge du procès a l’avantage de pouvoir observer et entendre les témoins et est le mieux placé pour arriver à des conclusions justes et appropriées.

 

[9]               Je vais tenter d’être aussi précis que possible dans mes observations sur la crédibilité de manière à ce qu’on puisse bien comprendre mes conclusions, surtout considérant le respect que je dois aux personnes impliquées ainsi qu’aux membres des FAC qui ont un intérêt légitime dans les procédures devant la présente cour martiale.

 

[10]           En tant que juge des faits, je peux accepter ou rejeter rien, une partie ou la totalité de la preuve offerte par un témoin entendu au cours du procès. L’évaluation de la fiabilité ou de la crédibilité n’a pas à être réalisée sur la base de tout ou rien. Un témoin peut être considéré comme fiable sur certains aspects et non fiable sur d'autres. Cependant, il est entendu que pour soutenir une déclaration de culpabilité, le témoignage doit être fiable et capable de supporter le fardeau de la preuve sur une question spécifique ou dans son ensemble. Le tribunal doit évaluer la preuve de chaque témoin, à la lumière de l'ensemble de la preuve, sans aucune présomption, sauf la présomption d'innocence.

 

C. La preuve hors de tout doute raisonnable

 

[11]           La chose la plus importante à retenir sur la crédibilité est qu’il ne s’agit pas d’un concours entre les témoins à charge et l’accusé. En effet, dans un procès pénal, l’accusé est présumé innocent, non seulement avant et au début du procès, mais également tout au long du procès. Ce n’est pas parce que j’ai pu être impressionné par les témoignages à charge au début du procès que le fardeau de la preuve s’est dès lors transféré sur les épaules du capitaine Renaud. Ce fardeau est toujours resté sur les épaules de la poursuite. Je ne peux aucunement présumer de la culpabilité avant la fin de la preuve et des plaidoiries. Avant que je puisse déclarer un accusé coupable, je dois être convaincu, hors de tout doute raisonnable, de l’existence de tous les éléments essentiels des infractions qui lui sont reprochées. La norme de preuve hors de tout doute raisonnable est inextricablement liée à la présomption d’innocence, un principe fondamental régissant tous les procès criminels. Cette norme s’applique à l’évaluation de la crédibilité. Donc, si j’en viens à conclure que deux témoins affirmant le contraire l’un de l’autre sont également crédibles et que je ne sais qui croire, cela voudra dire que la poursuite n’aura pas été en mesure de déplacer la présomption d’innocence dont jouit l’accusé et je devrai le déclarer non coupable.

 

[12]           Je ne dois donc pas arriver à un verdict en décidant si je crois la preuve de la défense ou la preuve de la poursuite. Lorsque des témoignages contradictoires sont rendus, la démarche à suivre est prévue à l’arrêt R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742, où la Cour suprême du Canada à la page 757 explique la méthode d’évaluation de la crédibilité que les juges des faits doivent suivre pour respecter l’obligation fondamentale imposée à la poursuite de faire la preuve des infractions hors de tout doute raisonnable. Si je crois le témoignage de l’accusé à la lumière de toute la preuve, je dois l’acquitter; si je ne crois pas le témoignage de l’accusé, mais qu’il suscite en moi un doute raisonnable, je dois également l’acquitter. Finalement, même si le témoignage de l’accusé ne suscite en moi aucun doute, je dois me demander si, compte tenu de la preuve que j’accepte, je suis convaincu de la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable.

 

[13]           Quant au sens de l’expression « hors de tout doute raisonnable », la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320, nous indique qu’un doute raisonnable n’est ni imaginaire ni frivole, et ne doit reposer ni sur la sympathie ni sur un préjugé. Il s’appuie plutôt sur la raison et le bon sens, et repose logiquement sur la preuve ou l’absence de preuve. Il ne me suffit pas, en tant que juge des faits, de croire que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable. En pareilles circonstances, ce dernier doit se voir accorder le bénéfice du doute et être acquitté parce que la poursuite ne m’aura pas convaincu de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. D’un autre côté, je dois garder à l’esprit qu’il est virtuellement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue, et la poursuite n’y est pas tenue.

 

[14]           Je vais commenter sur la crédibilité des acteurs principaux lorsque nécessaire dans le cadre de l’analyse propre à chacun des chefs d’accusation.

 

LES ÉCHANGES AVEC LE CAPITAINE MORIN-NAPPERT

 

A. Faits pertinents

 

[15]           Les évènements suivants forment une trame narrative générale qu’il est selon moi utile de décrire pour bien comprendre le contexte des accusations et des questions de crédibilité pertinentes aux trois chefs portant sur les échanges entre le capitaine Renaud et le capitaine Morin-Nappert. Les divergences dans les témoignages sont identifiées s’il y a lieu et seront discutés plus en détail dans l’analyse. Voici, en ordre chronologique, les évènements pertinents à l’étude des trois premiers chefs d’accusation:

 

a)                  Le 11 août 2017 : arrivée des capitaines Renaud et Morin-Nappert en Roumanie, et la mise en place graduelle du camp et des arrangements pour atteindre un niveau opérationnel au 31 août 2017.

 

b)                  Le 1er septembre 2017 : l’interdiction de sortie du camp pour raisons personnelles est levée. Le commandant explique aux troupes les règles applicables aux lieux qu’ils peuvent visiter ainsi que la limite de deux consommations alcooliques lors d’une sortie. Plusieurs militaires profitent de l’occasion pour sortir ce soir-là, dont le capitaine Morin-Nappert. Des incidents de consommation d’alcool au-delà de la limite permise, de nudité et de contacts de nature intime ou sexuelle auraient eu lieu dans un restaurant et à une plage par la suite lors de la soirée. Le capitaine Morin-Nappert vomit dans le véhicule qui la ramène au camp avec d’autres membres de sa section d’ingénierie. A son arrivée à la guérite du camp, elle appert ivre. On la reconduit à ses quartiers.

 

c)                  Le 2 septembre 2017 : prise d’information sur les évènements de la soirée du 1er septembre par le capitaine Renaud et son personnel. Les personnes présentes, incluant le capitaine Morin-Nappert, nient avoir bu plus de deux consommations. Les incidents de nudité et de contacts intimes ne sont pas immédiatement révélés. Des personnes présentes dans le véhicule au retour affirment que le capitaine Morin-Nappert n’a pas bu plus que deux consommations et suggèrent qu’elle a subit un empoisonnement alimentaire en lien avec des crevettes qu’elle aurait mangées. Celle-ci se rend chez le médecin en se plaignant d’un empoisonnement alimentaire et obtient un repos de 48 heures. Pendant ce temps, les majors La Haye, Turcotte et Pigeon-Fournier se rencontrent accompagnés du capitaine Renaud pour décider de l’approche à adopter avec le commandant en lien avec les évènements de la veille. Le capitaine Renaud présente le résultat de sa récolte des faits. En ce qui a trait à de possibles actions administratives, la décision est prise de ne pas recommander que le capitaine Morin-Nappert soit rapatriée au Canada, malgré l’opinion contraire du major Turcotte, qui se rallie. En ce qui concerne de possibles actions disciplinaires, le capitaine Renaud avise que des accusations seraient possibles contre le capitaine Morin-Nappert mais qu’une déclaration de culpabilité serait improbable en raison de la position adoptée par les témoins à l’effet que tous s’en sont tenus à deux consommations et que le malaise subi dans le véhicule était dû à un empoisonnement alimentaire. Le Commandant accepte les recommandations et l’affaire est close, au moins pour un temps.

 

d)                 Le 6 septembre 2017 : selon le capitaine Morin-Nappert, moment du début des messages de nature sexuelle entre elle et le capitaine Renaud sous forme de conversations de nature sexuelle explicites incluant sur la masturbation et les pratiques sexuelles. Le capitaine Renaud est plutôt d’avis que les textos que les deux échangeaient depuis un temps ont pris une nature sexuelle le 13 ou le 14 septembre 2017. Considérant que le capitaine Morin-Nappert a mentionné que les échanges avaient duré environ deux semaines avant qu’elle ne manifeste son inconfort, la Cour estime que les échanges auraient débuté autour du 8 septembre 2017 et se seraient terminé le 23 septembre 2017, bien qu’aucune preuve ne démontre une date précise où les échanges de textos de nature sexuelle ont cessé.

 

e)                  Entre le 6 et le 21 septembre 2017 : selon le capitaine Morin-Nappert, elle aurait reçu sur son téléphone la photo d’un pénis de la part du capitaine Renaud, qu’elle a témoigné avoir aussitôt effacée. Le capitaine Renaud nie avoir transmis une telle photo.

 

f)                   Le 22 septembre 2017 : selon le capitaine Morin-Nappert, alors qu’elle se trouvait dans la salle de café où les troupes du capitaine Renaud allaient chercher des vivres pour se déployer, le capitaine Renaud aurait fait une blague sur les « chattes » qui, selon elle, faisait allusion au vagin, bien qu’elle ne soit pas en mesure de décrire ni le contexte, c’est-à-dire comment il en est venu à faire cette blague, ni les mots précis utilisés. Le capitaine Morin-Nappert ajoute qu’elle a sur le champ avisé le capitaine Renaud que des commentaires du genre la rendaient inconfortable. Le capitaine Renaud aurait dit « O.K. » avant de retourner s’occuper de ses troupes. Le capitaine Renaud nie avoir fait une blague du genre, surtout que ce jour-là il était fort occupé avec un déploiement imprévu de ses troupes pour la protection d’avions ayant été détournés sur une autre base.

 

g)                  Le 23 septembre 2017 : Le capitaine Morin-Nappert mentionne avoir reçu des textos inappropriés de la part du capitaine Renaud alors qu’elle est au restaurant avec plusieurs autres personnes, dont E.T. Dans ceux-ci, le capitaine Renaud désire qu’elle participe à une mise en scène sexuelle. Elle est d’avis qu’il n’a manifestement pas compris car selon elle, elle lui avait dit la veille qu’elle était inconfortable avec les messages textes. Se faisant, elle se plaint des agissements du capitaine Renaud auprès d’autres personnes.

 

h)                  Fin septembre 2017 : ayant été informée que A.N. aurait reçu des textos indésirables du capitaine Renaud, le capitaine Morin-Nappert l’accoste à deux reprises lors d’un souper au restaurant vers la fin septembre, possiblement le 23. Elle lui demande conseil sur quoi faire considérant que toute deux pouvaient se trouver dans la même situation. Le capitaine Morin-Nappert mentionne à A.N. avoir reçu une photo du pénis du capitaine Renaud ainsi que des textos inappropriés. Elle lui dit également, alors qu’elle est désemparée dans les toilettes, qu’elle a reçu des menaces du capitaine Renaud pour qu’elle efface ces échanges. Elle confie à A.N. qu’elle a dit au capitaine Renaud que les échanges avaient été effacés, mais qu’en réalité ce n’était pas le cas. A.N. aurait répliqué que c’était une bonne idée d’avoir conservé les preuves dans l’éventualité où elle désirait porter plainte. Par contre, considérant que sa situation à elle était différente, A.N. a mentionné qu’elle ne désirait pas s’impliquer dans de quelconques démarches de la part du capitaine Morin-Nappert.

 

i)                    Le 25 ou le 26 septembre 2017 : alors que le capitaine Morin-Nappert discute avec le capitaine Renaud de projets de réaménagement et partage ses frustrations, celui-ci lui aurait dit qu’au moins une chose positive du déploiement est qu’elle va voir sa « queue », signifiant pour elle son pénis. Le capitaine Renaud nie avoir prononcé ces mots.

 

j)                    Le 29 septembre 2017 : alors qu’il est en déplacement en compagnie du major Roscius pour passer un contrat à Bucarest, le major Turcotte est informé par ce dernier de rumeurs à l’effet que les capitaines Morin-Nappert et Renaud s’échangeaient des textos à caractère sexuel.

 

k)                  Le 30 septembre 2017, quatre évènements se produisent :

 

                                            i.                        Le major Turcotte confronte le capitaine Renaud au sujet de l’information reçue de la part du major Roscius la veille. Lorsque le capitaine Renaud confirme que l’information est véridique, le major Turcotte lui dit que selon lui cette relation se dirige tout droit vers la fraternisation. Il lui demande d’un ton autoritaire de faire cesser cela et d’effacer tous ces textos. Il lui ordonne également de demander au capitaine Morin-Nappert de faire la même chose. Il lui a aussi dit que s’ils désirent se voir ils feront ça au retour du déploiement. Le major Turcotte a témoigné à l’effet que selon lui le capitaine Renaud s’est adressé au capitaine Morin-Nappert peu de temps après pour lui demander d’effacer les textos et est revenu le voir pour lui dire que c’était fait.

 

                                          ii.                        Le capitaine Renaud accoste le capitaine Morin-Nappert, l’informe qu’il avait été avisé par la chaîne de commandement de rumeurs à l’effet qu’il transmettait des messages a caractères sexuels à des membres du contingent et qu’il avait pris la décision de supprimer tout le personnel féminin de son « Messenger ». Il lui demande, « Vanessa, j’aimerais que tu supprimes mes messages textes. » Le capitaine Morin-Nappert supprime immédiatement les messages textes de son téléphone intelligent. Selon son témoignage, elle se sentait soulagée que ces échanges cessent et contente de pouvoir désormais regarder vers l’avant.

 

                                        iii.                        Selon elle, dans le cadre de la même conversation, le capitaine Renaud lui aurait mentionné qu’ils pourraient avoir des relations sexuelles à trois avec son épouse à leur retour au Canada. Ceci l’a rendue inconfortable. Le capitaine Renaud admet que ce sujet a été abordé dans le cadre des échanges consensuels de nature sexuelle qu’il entretenait avec le capitaine Morin-Nappert mais nie que ce fut à cette occasion.

 

                                        iv.                        Par la suite, le capitaine Renaud accoste le major La Haye, alors commandant par intérim en l’absence du lieutenant-colonel Hickey, et l’informe qu’il entretient une correspondance par messages textes de nature sexuelle avec le capitaine Morin-Nappert. Le major La Haye lui demande d’arrêter cela et le capitaine Renaud lui dit que c’est déjà fait.

 

l)                    Le 3 ou le 4 octobre 2017 : le capitaine Morin-Nappert mentionne que le capitaine Renaud lui aurait dit qu’il avait rêvé qu’elle portait sa tuque bleue, nue. Le capitaine Renaud nie avoir dit ces mots.

 

m)                Le 4 octobre 2017 : trois évènements surviennent :

 

                                            i.                        L’adjudant Allard mentionne au major Turcotte qu’il a été témoin d’une altercation durant laquelle le sergent Verdi et deux de ses collègues de la section du génie construction (sous les ordres du capitaine Morin-Nappert) se sont dit insatisfaits du fait qu’une enquête de la police militaire avait lieu sur des modifications apportées à la tente « Canada House » sur le camp. Ils auraient aussi mentionné que le capitaine Renaud devrait tempérer ses ardeurs considérant qu’ils ont quelque chose de gros sur lui, soit des textos compromettants qu’il aurait transmis au capitaine Morin-Nappert.

 

                                          ii.                        Le sergent Verdi et le capitaine Chandler suggèrent au capitaine Morin-Nappert qu’elle devrait porter plainte, Verdi faisant un lien avec l’enquête de la police militaire sur la tente  « Canada House ».

 

                                        iii.                        Pensant à l’option de porter plainte, le capitaine Morin-Nappert tente de récupérer les messages transmis au capitaine Renaud sur Facebook, avec un peu d’aide de la part du capitaine Chandler et de l’adjudant-chef Martens. Ses efforts sont vains. Elle transmet un dernier message texte au capitaine Renaud pour voir si leurs échanges passés pourraient réapparaître sur son téléphone.

 

n)                  Le 5 octobre 2017 : cinq évènements se produisent :

 

                                            i.                        Le capitaine Morin-Nappert affirme s’être rendue au bureau de l’adjudant-chef Martens et de lui avoir confié qu’elle était inconfortable avec les messages textes échangés avec le capitaine Renaud. Celle-ci lui aurait dit que pour que des actions soient prises, elle devait déposer une plainte formelle, mais qu’elle allait quand même en parler au major La Haye.

 

                                          ii.                        Le major Turcotte, en colère, se rend voir le capitaine Renaud pour lui dire que des rumeurs circulent encore sur les textos, que quelqu’un n’avait pas compris. Il l’informe que les gens du génie de construction disent qu’ils ont quelque chose sur lui en lien avec la tente « Canada House ». Le major La Haye affirme avoir assisté à cette rencontre à la demande du major Turcotte. Ils sont tous deux fâchés que la situation ne soit pas réglée, suite aux directives qu’ils avaient données séparément le 30 septembre 2017. Le major Turcotte demande au capitaine Renaud d’aller voir le capitaine Morin-Nappert pour confirmer que les textos étaient effacés. Ce n’est, par contre, pas ce dont le major La Haye se souvient : il a dit avoir eu connaissance du fait que le capitaine Renaud aurait demandé au capitaine Morin-Nappert d’effacer les textos et qu’il était d’avis que ce n’était pas une bonne idée. Le major Turcotte ne se souvient pas de la présence du major La Haye à cette rencontre, mais a eu connaissance du fait que le capitaine Renaud s’était confié au major La Haye suite à leur rencontre initiale du 30 septembre 2017 et qu’il n’aurait pas dû le faire pour éviter de rependre les rumeurs.

 

                                        iii.                        Le capitaine Renaud obtient alors une rencontre avec son commandant, le lieutenant-colonel Hickey. Il l’informe de sa relation virtuelle d’échange de textos de nature sexuelle avec le capitaine Morin-Nappert en mentionnant que selon lui, la relation ne nuit pas au travail. Le lieutenant-colonel Hickey acquiesce sur le coup, bien qu’il mentionne dans son témoignage avoir eu besoin d’un peu de temps pour bien prendre la mesure de ce qu’il venait d’apprendre et de décider, après consultation si nécessaire, si cette relation était préjudiciable ou non.

 

                                        iv.                        Plus tard dans la journée du 5 octobre, le capitaine Renaud vient chercher le capitaine Morin-Nappert à son lieu de travail et lui demande de venir le voir dans son bureau. Une fois ensemble, le capitaine Renaud lui dit qu’il y avait encore des rumeurs qui circulaient à son sujet sur ses échanges de messages textes avec elle, et qu’il n’aimait pas le fait que c’était elle qui, selon lui, rependait ces rumeurs. Il se serait dit préoccupé par ces rumeurs, qu’il la considérait comme amie, qu’il avait de la peine et de la difficulté à dormir. Il lui aurait aussi dit qu’il avait parlé à sa chaîne de commandement de la police militaire et au lieutenant-colonel Hickey qui lui aurait dit que les échanges de messages textes étaient corrects en autant qu’ils ne nuisent pas à la cohésion de l’équipe. Il lui aurait demandé si elle avait réellement supprimé les messages de son téléphone et a demandé à voir son appareil pour confirmer, ce qu’elle a refusé. Le capitaine Morin-Nappert a dit avoir été inconfortable avec cette situation.

 

                                          v.                        Suite à sa conversation avec le capitaine Renaud, le capitaine Morin-Nappert est informée par le sergent Verdi que le major La Haye aurait émis un commentaire à l’effet qu’elle devait faire une plainte formelle et qu’elle tentait de mettre de la pression sur le capitaine Renaud en lien avec l’enquête sur la tente « Canada House » dont elle faisait l’objet. Le capitaine Morin-Nappert témoigne s’être sentie abandonnée par sa chaîne de commandement et impuissante.

 

o)                  Le 6 octobre 2017 : après sa journée de travail, le capitaine Morin-Nappert fait un appel au Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle, le sergent Verdi lui ayant fourni le numéro de téléphone. Elle témoigne que son but était initialement de demander conseil en lien avec sa situation. On lui a conseillé de faire une plainte formelle. Après y avoir réfléchi, c’est ce qu’elle fait le jour même.

 

p)                  Le 7 octobre 2017, deux évènements surviennent :

 

                                            i.                        Le capitaine Morin-Nappert rencontre son supérieur le major Pigeon-Fournier à deux reprises. La première fois de manière informelle en présence du sergent Verdi pour confirmer qu’elle a formulé une plainte au Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle. La deuxième fois en présence du capitaine Chandler de manière à ce que le major Pigeon-Fournier puisse obtenir les informations nécessaires à la rédaction d’un rapport d’incident demandé par le commandant. Elle fournit alors une déclaration écrite.

 

                                          ii.                        Le capitaine Renaud rencontre le commandant, démissionne de sa position avant que le commandant n’ait besoin de l’informer qu’il avait décidé de le rapatrier. Il quitte le camp canadien le soir même en prévision de son départ pour le Canada le lendemain.

 

q)                  Le 15 octobre 2017 : le sergent Morinville et sa collègue, enquêteurs au SNEFC, rencontrent le capitaine Morin-Nappert en tant que premier témoin de leur enquête sur le terrain en Roumanie. Lorsque les enquêteurs lui demandent si elle a reçu la photo d’un pénis en provenance du capitaine Renaud, elle répond « pas pantoute ».

 

r)                   Le 16 octobre 2017 : les enquêteurs du SNEFC rencontrent le capitaine Morin-Nappert de manière fortuite alors qu’ils sont afférés à terminer les entrevues dans le cadre de leur enquête. Ayant entendu le récit de plusieurs autres personnes depuis leur rencontre initiale avec celle-ci, à l’effet qu’elle s’était plainte d’avoir reçu une photo de pénis de la part du capitaine Renaud, ils demandent encore une fois au capitaine Morin-Nappert si elle est bien certaine qu’il n’a pas reçu une telle photo. Cette dernière répond que finalement oui, elle a reçu une photo de pénis.

 

B. Observation sur les faits

 

[16]           Une conclusion de fait fondamentale s’impose en lien avec les trois premiers chefs d’accusation impliquant l’accusé et le capitaine Morin-Nappert. Je suis d’avis, sur la base de la preuve entendue, qu’entre le 15 et le 23 ou au plus tard le 30 septembre 2017, le capitaine Morin-Nappert et le capitaine Renaud étaient engagés dans une relation personnelle impliquant l’échange de messages textes sexuellement explicites incluant plus spécifiquement des scénarios de relations sexuelles de consentement entre ces deux personnes.

 

[17]           Cette conclusion ne signifie pas qu’il n’existe aucune zone d’ombre en lien avec la relation entre ces deux personnes. En effet, la preuve ne démontre pas de manière précise quand et dans quelle circonstances (pourquoi, comment) les messages textes de nature sexuelle ont pris fin entre les deux protagonistes. L’absence de preuve précise en ce qui a trait au contenu de ces messages comporte un défi pour la Cour en ce qui a trait à la nature des échanges et aux moments où ils se sont déroulés. Ces difficultés n’ont pu être éliminées par le récit des témoins quant aux paroles échangées en lien avec les messages textes, par exemple les mots exacts utilisés pour formuler les demandes de cesser les échanges ou d’effacer les messages, ainsi que les mots utilisés en réponse à ces demandes.

 

[18]           La Cour comprend la difficulté pour les témoins de se remémorer ce genre de conversation. Il reste que la preuve des infractions est à la charge de la poursuite. Le fait que le capitaine Morin-Nappert a effacé les messages textes suite à une demande du capitaine Renaud n’a aucun impact sur le fardeau de la preuve: il pourrait être tentant d’expliquer l’absence de preuve du contenu des textos par le comportement de l’accusé en présumant son intention d’éliminer la preuve pour éviter d’être tenu responsable du comportement qui lui est reproché, surtout en lien avec le troisième chef d’accusation. Par contre, les autorités semblent n’avoir fait aucun effort pour obtenir cette preuve d’autre manière, que ce soit par l’obtention du téléphone intelligent de l’accusé ou par une requête aux fournisseurs de service. Il est difficile, selon moi, de blâmer l’accusé pour les choix faits par les autorités lors de leur enquête. La Cour va se débrouiller avec ce qui lui a été présenté, en gardant à l’esprit qu’un doute raisonnable peut découler d’une absence de preuve, tel qu’expliqué précédemment.

 

C. La crédibilité des acteurs principaux

 

1.             Introduction

 

[19]           Tel que mentionné, la première étape de l’analyse consiste à déterminer si l’existence des transmissions et des propos, ainsi que leur contenu, ont été prouvés hors de tout doute raisonnable. Considérant que seul deux personnes ont participé aux échanges en lien avec les trois premiers chefs, la réponse à cette question nécessite que j’analyse la question de la crédibilité respective des capitaines Morin-Nappert et Renaud.

 

[20]           La tâche de la Cour en lien avec la crédibilité des témoins comporte des éléments relatifs à la fiabilité des témoignages ainsi qu’à la crédibilité des témoins. La fiabilité porte sur la précision du récit d’un témoin. En l’espèce, la fiabilité est compliquée par les difficultés inhérentes à la tâche des témoins qui tentent, par exemple de se remémorer des évènements survenus il y a presque deux ans, surtout des détails d’échanges souvent accomplis en quelques secondes, verbalement ou sur un appareil électronique. La crédibilité est évaluée en considérant la sincérité d’un témoin, sa volonté ou capacité à dire la vérité telle que le témoin croit être. Le témoignage d’un témoin crédible, ou en d’autres mots honnête, peut quand même être non fiable en raison des faiblesses dans l’observation ou la capacité de se remémorer les évènements. La crédibilité et la fiabilité ne sont pas absolues : un témoin peut être jugé fiable ou crédible sur certaines choses mais non sur d’autres.

 

2.             La crédibilité du capitaine Renaud

 

[21]           En ce qui a trait à la crédibilité du capitaine Renaud, je suis d’avis que sa mémoire des faits est généralement bonne. Il a manifestement attendu longtemps l’opportunité de témoigner pour sa défense et avait des réponses complètes aux questions des avocats. Par contre, il cachait fort mal son animosité envers les procureurs de la poursuite, probablement en lien avec sa conviction profonde de n’avoir rien fait qui puisse justifier sa mise en accusation devant la cour martiale. À au moins deux reprises, il a inutilement dévoilé des détails sur la vie sexuelle de témoins de la poursuite, que ce soit par vengeance ou pour tenter de faire reculer le procureur qui posait des questions difficiles en contre-interrogatoire. Cette tendance mesquine me fait douter de sa sincérité et de son engagement à dire la vérité. Elle était particulièrement évidente en lien avec le témoignage du caporal Montreuil, que j’ai accepté en tant que faits similaires en ce qui a trait à une demande formulée de supprimer de son téléphone intelligent des échanges électroniques qu’il a eu avec elle, parce que les comptes des canadiens avaient été piratés. Il s’agissait selon moi clairement d’un prétexte du capitaine Renaud pour obtenir ce qu’il voulait et ce, même si la sécurité informatique et le piratage étaient des préoccupations constantes en théâtre. Son témoignage à l’effet qu’il voulait la protéger, elle, de possibles allégations d’inconduite sexuelle en lien avec de possibles activités passées est totalement non crédible à mes yeux. En réponse aux questions mettant en cause la crédibilité de ses propos, il a offert des détails scabreux et inutiles sur la vie sexuelle de ce témoin. Il a également refusé d’admettre qu’il avait utilisé un prétexte pour obtenir la suppression des échanges.

 

[22]           Pour être clair, même si j’ai pu exprimer des doutes sur le jugement du capitaine Renaud en lien avec les relations personnelles qu’il a bâti lors du déploiement, cette préoccupation n’a rien à voir avec mes conclusions sur sa crédibilité. Le capitaine Renaud a témoigné à l’effet que tous les militaires sont égaux peu importe le grade. La preuve révèle ce qui semble être une pratique de sa part d’échanger avec des militaires de sexe féminin, certaines de grade largement inférieur, sur des détails de nature personnelle, souvent à son initiative. Je me suis objecté à une suggestion de la part de la poursuite en contre-interrogatoire à l’effet qu’il était « à la chasse » lors du déploiement. Je persiste à croire qu’il s’agissait d’une preuve de propension inadmissible en lien avec les faits spécifiques qui étaient reprochés au capitaine Renaud. Ce que je ne peux négliger, par contre, c’est l’utilisation qu’a fait le capitaine Renaud de ce genre d’information lors de son témoignage ainsi que ses théories farfelues sur le pourquoi de ses agissements. Pour cette raison, je vais demeurer sceptique face à ces explications, tout en acceptant qu’il ait pu très bien dire la vérité sur certains autres aspects pertinents de la preuve, surtout lorsqu’il est supporté par d’autres témoignages crédibles.

 

[23]           Ceci étant dit, le manque de crédibilité du capitaine Renaud peut très bien ne pas être déterminant si la preuve de la poursuite n’a pas la crédibilité requise pour me laisser sans doute raisonnable sur les faits. Je dois donc commenter sur la crédibilité d’autres témoins, incluant le capitaine Morin-Nappert, sur qui la preuve de la poursuite repose en grande partie, en ce qui concerne les trois premiers chefs d’accusation.

 

3.             La crédibilité du capitaine Morin-Nappert

 

[24]           Au niveau de la crédibilité, le témoignage du capitaine Morin-Nappert a suscité des doutes avant même le contre-interrogatoire sur la question de savoir si oui ou non elle avait reçu une photo de pénis de la part du capitaine Renaud. Tel que mentionné précédemment, elle a initialement répondu « pas pantoute » aux enquêteurs venus d’Ottawa qui l’interrogeaient à savoir si une photo d’un pénis lui avait été transmise par le capitaine Renaud via message texte. Le lendemain, elle a dit aux enquêteurs qui la confrontaient sur le sujet que finalement oui, elle avait reçu une photo de pénis. Au procès, le capitaine Morin-Nappert a été interrogé sur cette volte-face. Elle a expliqué avoir effacé la photo si rapidement qu’elle n’était plus certaine que la photo venait du capitaine Renaud. Elle a donc décidé initialement de nier. Elle a rencontré les enquêteurs le lendemain de manière apparemment fortuite, à l’extérieur, et ils lui ont demandé encore une fois, probablement sur la base d’information reçue d’autres témoins, si une photo de pénis lui avait été transmise par le capitaine Renaud. Elle aurait alors mentionné que oui, finalement c’est le cas.

 

[25]           À la demande de la procureure, le capitaine Morin-Nappert a offert une explication confuse à l’effet que, pendant la nuit, elle s’était remémoré le contexte des échanges et aurait conclus que la photo de pénis qu’elle avait reçue ne pouvait venir que du capitaine Renaud. Elle a aussi mentionné à un autre moment qu’elle était consciente que les enquêteurs allaient avoir vent des rumeurs sur la photo de pénis du capitaine Renaud mais considérant qu’elle n’était pas certaine de la provenance et qu’en même temps, elle ne voulait pas être discréditée si des vérifications ultérieures révèlent qu’il n’y avait eu aucune photo transmise, elle a initialement décidé de nier.

 

[26]           Il m’est difficile de comprendre les motivations du capitaine Morin-Nappert pour changer la version qu’elle a donnée aux enquêteurs sur un élément aussi frappant de sa relation avec le capitaine Renaud. Ce ne peux qu’être elle qui a répandu l’information selon laquelle elle avait reçu une photo de pénis de la part du capitaine Renaud et ce, à plusieurs personnes de son entourage. Étant la plaignante, elle savait que les enquêteurs se déplaceraient en théâtre et allaient la rencontrer. Il est difficile de comprendre comment son idée sur la provenance de cet élément si distinct et important n’ait pu être faite avant sa première rencontre avec les enquêteurs et ce qui a pu changer entre cette rencontre initiale et la rencontre fortuite du lendemain. Je ne comprends pas ce qui l’aurait empêché de dire aux enquêteurs à la première occasion ce qu’elle a fini par dire à l’audience, c’est-à-dire qu’elle a reçu une photo de pénis mais l’a effacée si rapidement qu’elle n’a pas pris soin de vérifier la provenance, bien qu’elle croyait que la photo venait du capitaine Renaud.

 

[27]           Je ne peux chasser de mon esprit la possibilité que le capitaine Morin-Nappert eut inventée la présence d’une photo intime transmise par le capitaine Renaud pour attirer l’attention des membres du contingent sur la relation qu’elle entretenait alors avec lui, relation qui la laissait manifestement ambivalente. Devant les enquêteurs, elle hésite à mentionner cette photo craignant, selon elle, que des vérifications ultérieures révèlent qu’il n’y avait pas de photo. Il s’agit du genre de crainte qu’aurait une personne qui sait qu’il n’y avait pas de photo mais qui a inventé la photo pour attirer l’attention sur la situation qu’elle vivait. J’ai un doute sérieux à l’effet qu’il y ait eu une photo. Considérant que le capitaine Morin-Nappert a témoigné devant moi à l’effet qu’il y avait une photo, je doute de sa crédibilité. D’ailleurs, même en assumant que son témoignage en cour est véridique, le mensonge du capitaine Morin-Nappert aux enquêteurs n’est pas le seul en lien avec cette photo. Dans sa déclaration du 7 octobre 2017 au major Pigeon-Fournier, son supérieur, elle ne mentionne pas la photo de pénis. Lors de sa discussion avec A.N. lors du souper du 23 septembre elle mentionne qu’elle a une photo de pénis, que le capitaine Renaud lui a demandé de l’effacer en la menaçant et qu’elle aurait dit à celui-ci que la photo, faisant partie de leurs échanges, avait été effacée.  Selon son témoignage au procès, ce n’était pas le cas.

 

[28]           La crédibilité du capitaine Morin-Nappert est aussi entachée en lien avec sa version des évènements ayant eu lieu dans la soirée du 1er septembre 2017. Devant moi, elle a admis avoir consommé une bière, deux ou trois coupes de vin et deux ou trois shooters d’absinthe, ce qui est clairement plus que le maximum permis de deux consommations. Lorsqu’elle a été interrogée dans le passé par ses supérieurs, elle a toujours soutenu n’avoir bu que deux consommations. On pourrait être porté à déduire que le capitaine Morin-Nappert a finalement compris l’importance de dire la vérité devant la Cour sauf que j’ai certains doutes à ce sujet. En effet, elle a continué devant moi de suggérer qu’elle avait subi un empoisonnement alimentaire en lien avec des crevettes argentines consommées au restaurant le soir du 1er septembre 2017, disant avoir senti un malaise tout de suite après avoir pris les crevettes et une première bière. Lorsque la procureure lui demande ce qu’elle a fait en quittant le restaurant, elle mentionne son arrivée à la guérite du camp, d’une voix si faible que la procureure a dû lui demander d’hausser le ton. Mon observation du témoin à ce moment m’indiquait qu’elle était inconfortable avec les questions ainsi qu’avec les réponses qu’elle offrait. D’ailleurs, le capitaine Morin-Nappert complétait souvent ses courtes réponses aux questions en lien avec ces évènements avec de courtes remarques telles que : « c’est tout »; « c’est ça »; etc. Il s’agissait d’un contraste frappant avec ses réponses élaborées sur d’autres sujets.

 

[29]           Ces détails n’ont possiblement pas échappé à l’avocat de la défense qui, en contre-interrogatoire, a fait admettre au témoin qu’après avoir mangé lors du souper du 1er septembre 2017, elle s’est rendue auprès d’A.L. à une autre table pour l’embrasser dans la salle à manger, devant les militaires présents. Au départ du restaurant suite au souper, elle ne s’est pas rendue directement à la guérite du camp mais bien à la plage où des membres du personnel présents se sont baignés nus dans la mer Noire. Le détail de ces évènements a été confirmé par le témoignage du caporal Guay, appelé par la défense plus tard au procès. Il m’est difficile de croire le capitaine Morin-Nappert lorsqu’elle affirme s’être sentie malade dès les premières bouchées de crevettes alors qu’elle a plus tard embrassé une autre militaire à pleine bouche et s’est rendue à la plage pour un « bain de minuit », un fait qu’elle a omis de mentionner lors de l’interrogatoire principal. Il me semble s’agir d’activités auxquelles une personne n’a normalement pas le goût de s’adonner lorsqu’on se sent malade. Je comprends que le capitaine Morin-Nappert ne s’est pas elle-même baignée à la plage et qu’elle commençait à sembler amorphe à ce moment. En tant que militaire sénior, elle aurait très bien pu ordonner que le véhicule la ramène, elle et ses collègues, directement au camp suite au souper si elle se sentait malade dès le moment où elle a consommé des crevettes.  

 

[30]           J’ai la ferme impression que le capitaine Morin-Nappert n’a pas témoignée de manière franche. Elle craignait d’être contredite sur ses versions antérieures, ce qu’elle a admis, et elle s’efforçait de s’en tenir le plus possible à ce qu’elle a dit dans le passé, malgré les invraisemblances et contradictions. Malheureusement, je crois que ce comportement l’a amené à s’écarter de la vérité devant la Cour et cela crée en moi un doute significatif quant à sa crédibilité.

 

4.             Conclusion

 

[31]           En conclusion, je suis d’avis qu’en raison des écarts fréquents du capitaine Morin-Nappert avec la vérité, il serait dangereux de me fier uniquement sur son témoignage pour trouver le capitaine Renaud coupable d’une quelconque infraction. Conclure autrement ouvrirait selon moi la porte à l’erreur judiciaire, et ce, malgré les doutes que j’ai émis sur la crédibilité du capitaine Renaud.

 

D.  Le troisième chef de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline

 

1.             Introduction

 

[32]           Je suis d’avis qu’il y a lieu de débuter l’analyse des chefs en lien avec le capitaine Morin-Nappert par l’étude du troisième chef d’accusation en raison des complexités factuelles et analytiques que ce chef comporte, ainsi que de l’impact potentiel de mes conclusions sur ce chef en ce qui concerne les premiers et deuxièmes chefs d’accusation.

 

2.             Le droit applicable

 

[33]           Le troisième, ainsi que les quatrièmes et cinquièmes chefs d’accusation sont portés sous l’article 129 de la LDN pour comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline. L’analyse que j’entreprends en lien avec le troisième chef sera donc pertinente pour les deux autres chefs. Les détails du troisième chef, impliquant le capitaine Morin-Nappert, se lisent comme suit :

 

« Détails : En ce que, entre le 11 août 2017 et le 6 octobre 2017, à ou près de Constanta, Roumanie, il a transmis verbalement et par messagerie texte des photographies numériques et des propos inopportuns et offensants à V.M. »

 

[34]           La portion de l’article 129 de la LDN pertinente au présent dossier se lit comme suit :

 

129 (1) Tout acte, comportement ou négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline constitue une infraction passible au maximum, sur déclaration de culpabilité, de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté.

 

Comportements préjudiciables au bon ordre et à la discipline

 

(2) Est préjudiciable au bon ordre et à la discipline tout acte ou omission constituant une des infractions prévues à l’article 72, ou le fait de contrevenir à :

 

a)    une disposition de la présente loi;

 

b)    des règlements, ordres ou directives publiés pour la gouverne générale de tout ou partie des Forces canadiennes;

 

c)    des ordres généraux, de garnison, d’unité, de station, permanents, locaux ou autres.

 

[35]           Il est intéressant de constater que les détails des trois chefs portés sous l’article 129 font référence à la notion d’actions ou comportement inopportun et offensant. Tel que concédé par la procureure à l’audience, celle-ci ayant rédigé l’acte d’accusation, ces mots ont été choisis parce qu’ils sont les mots utilisés dans la définition de « harcèlement » dans les Directives et ordonnances administratives de la défense (DOAD), spécifiquement à la DOAD 5012-0 portant sur la Prévention et résolution du harcèlement.

 

[36]           En effet, le harcèlement est défini comme suit à la DOAD 5012-0:

 

harcèlement (harassment)

 

Comportement inopportun et offensant d’une personne envers une autre personne en milieu de travail, y compris pendant toute activité ou dans tout lieu associé au travail, et dont l’auteur savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudice. Il comprend tout acte, propos ou exhibition qui diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse une personne, ou tout acte d’intimidation ou de menace. Il comprend également le harcèlement au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne (c.-à-d. en raison de la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l’état de personne graciée). Le harcèlement est normalement constitué d’une série d’incidents, mais peut être constitué d’un seul incident grave lorsqu’il a un impact durable sur la personne. (Tiré de la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail, Conseil du Trésor).

 

[37]           La lecture de la DOAD révèle que les six critères suivants doivent être remplis pour qu’il y ait eu harcèlement :

 

a.                   comportement inopportun d’une personne;

 

b.                   la personne savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudice;

 

c.                    envers une autre personne;

 

d.                   offensant envers cette personne;

 

e.                    constitué d’une série d’incidents, ou d’un seul incident grave lorsque cet incident a eu un impact durable sur cette personne;

 

f.                    survenu en milieu du travail.

 

[38]           Même si le comportement que la poursuite reproche au capitaine Renaud est de la nature de ce qui traditionnellement était qualifié de harcèlement sexuel, les détails des accusations portées sous l’article 129 de la LDN en l’espèce ne font pas spécifiquement référence à une violation alléguée de la prohibition sur le harcèlement mise en œuvre par la DOAD 5012-0. Les détails ne comportent aucune mention du mot « harcèlement ». Ce n’est qu’implicitement que l’on réfère à la notion de harcèlement par l’usage des mots « inopportun et offensant » associés à la définition de harcèlement dans la DOAD. La rédaction du détail des chefs d’accusation en l’espèce s’écarte de la pratique traditionnelle où la poursuite militaire faisait directement référence à un ordre, de manière à ce qu’il soit évident que la nature préjudiciable au bon ordre et à la discipline du comportement puisse être présumée par l’application du paragraphe 129 (2), plus précisément de l’alinéa (2)b). En effet, la preuve de la violation de la DOAD 5012-0, un « ordre[...] . . . publié[...] pour la gouverne générale de tout ou partie des Forces canadiennes » permet de conclure qu’un comportement s’avérant contraire à l’ordre en question est un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

           

[39]           Peut-être que la poursuite ne voulait pas limiter les possibilités de verdicts de culpabilité par une référence directe à la DOAD 5012-0 ou à la notion de harcèlement, qui serait nécessairement définie en référant à la DOAD 5012-0 (voir R. v. Williams, 2017 CM 4017, paragraphe 58, à cet effet). Autrement dit, la poursuite désirait peut-être éviter qu’une conclusion à l’effet qu’il n’y eu aucun harcèlement mette fin à la poursuite. Pourtant, une telle précaution n’est plus nécessaire depuis la décision de la Cour d’appel de la cour martiale du Canada (CACM) dans R. c. Winters, 2011 CACM 1 où le juge Létourneau a écrit aux paragraphes 26 et 27 que même si la poursuite ne peut compter sur l’opération de l'alinéa 129(2)b), il existe quand même une infraction sous le paragraphe 129(1) et la poursuite peut faire la preuve de cette infraction. Selon la CACM donc, « la perte par la poursuite du bénéfice d'une présomption quant à la preuve d'un préjudice ne met pas un terme à la poursuite ». Donc, même sans harcèlement, le comportement prouvé pourrait être jugé préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

 

[40]           En l’absence de harcèlement, pour qu’un verdict de culpabilité puisse être rendu il doit y avoir autre chose qui rend le comportement allégué préjudiciable au bon ordre et à la discipline, dans la mesure où le comportement décrit aux détails des infractions a été prouvé. Bien que plusieurs mentions aient été faites relativement à « l’Opération HONOUR » lors du procès, on ne réfère à aucune violation d’une quelconque prohibition en lien avec cette Opération dans les chefs d’accusation. Ceci est compréhensible considérant que les documents sur cette question semblent ne pas définir une norme de comportement précise, selon ce qui a été décidé par ma collègue la juge Sukstorf dans sa décision mettant fin au procès dans l’affaire R. v. Banting, 2019 CM 2009 aux paragraphes 25 à 29, décision confirmée récemment par la CACM dans une courte décision rendue sur le banc, suivie par des motifs écrits publiés le 6 novembre 2019 (dossier CACM-598). La Cour est donc d’avis que toute référence à l’Opération HONOUR dans les questions posées aux témoins et leurs réponses n’est d’aucune utilité pour décider des verdicts dans le présent dossier.

 

[41]           Il reste qu’indépendamment de la violation d’un ordre ou d’une norme de conduite quelconque, la Cour pourrait arriver à un ou des verdicts de culpabilité sous l’article 129 de la LDN si elle est d’avis qu’un comportement prouvé est préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

 

[42]           La CACM, au paragraphe 24 de Winters, précise que « [l]a preuve du préjudice peut être évidente, directe, mais l'existence du préjudice et sa relation causale peuvent aussi s'inférer des éléments de preuve établis ». Pour un temps après cette décision datant de 2011, ces mots n’ont pas été interprétés comme exemptant la poursuite de son obligation traditionnelle de prouver l’existence et la violation d’une norme de conduite pour obtenir qu’un comportement donné soit considéré comme étant préjudiciable au bon ordre et à la discipline. En effet, les juges militaires étaient réticents à rendre des verdicts de culpabilité sous l’article 129 lorsque la poursuite n’était pas en mesure de prouver une violation d’une norme précise que l’accusé connaissait ou aurait dû connaître. Évidemment, cette situation représentait souvent un défi significatif parce que les attentes sur la conduite d’un militaire proviennent de sources variées et il peut donc être difficile de prouver que l’accusé connaissait ou aurait dû connaître ses obligations dans une situation précise.

 

[43]           Plus récemment, la CACM semble avoir exempté la poursuite de ce fardeau en s’éloignant de la notion de norme de conduite pour mettre plutôt l’emphase sur l’impact réel ou potentiel du comportement reproché sur le bon ordre et à la discipline. Dans l’arrêt R. c. Golzari, 2017 CACM 3, le juge Mosley, pour un banc unanime, précise que dans le cadre d’une accusation sous l’article 129, la poursuite n’a pas à prouver une norme de conduite applicable à l’accusé. Ce qui importe est que le comportement reproché à l’accusé eut été préjudiciable au bon ordre et à la discipline, ce que la poursuite peut prouver hors de tout doute raisonnable en mettant en preuve des circonstances susceptible d’appuyer une conclusion selon laquelle le comportement en cause est susceptible d’être préjudiciable au bon ordre et à la discipline, précisant que « préjudiciable » comprend un comportement qui « tend à » ou qui est « susceptible » d’être préjudiciable (Golzari, paragraphe 77).

 

[44]           La Cour a de plus ajouté dans Golzari que, dans la plupart des circonstances, le juge des faits d’une cour martiale doit être en mesure de déterminer si un comportement démontré est préjudiciable au bon ordre et à la discipline, compte tenu de son expérience et de ses connaissances militaires générales (Golzari, paragraphe 79). Appliquant ce droit aux faits en litige, le juge Mosley a conclu qu’il existait suffisamment d’éléments de preuve sur lesquels le juge militaire, appliquant sa propre expérience militaire et ses propres connaissances militaires générales, aurait pu s’appuyer pour déterminer si le comportement du caporal Golzari était susceptible d’être préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

 

[45]           Encore plus récemment, dans R. c. Bannister, 2019 CACM 2, la CACM a accueilli l’appel d’un acquittement sous l’article 129 de la LDN en concluant que le juge militaire avait erré en exigeant que la poursuite formule une demande de prendre connaissance judiciaire de certains faits avant d’appliquer son expérience et ses connaissances militaires générales pour tirer les inférences demandées en ce qui concerne la question du préjudice. Dans ses motifs pour un banc encore une fois unanime, le juge Scanlan précise qu’on s’attend de la part des juges militaires à ce qu’ils mettent leur expérience et leurs connaissances militaires générales à profit. Par contre, l’expérience et les connaissances militaires générales ne doivent pas être confondues avec les valeurs du juge : celui qui juge d’une affaire en fonction de ses propres valeurs fait intervenir un élément subjectif et commet une erreur car on exige que les comportements soient jugés selon une norme objective (Bannister, paragraphe 61).

 

[46]           Dans le dossier Bannister, la preuve directe de préjudice était limitée à certains éléments de preuve qui, en eux-mêmes, seraient insuffisants pour prouver un « préjudice » hors de tout doute raisonnable (Bannister, paragraphe 67). La CACM est d’avis que le juge militaire a erré en ne continuant pas son analyse pour se demander si, compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve dans les circonstances de l’espèce, le préjudice au bon ordre et à la discipline pouvait être inféré des faits qui ont été établis en se fondant sur son expérience et ses connaissances militaires générales. Selon lui, le juge militaire avait l’obligation de recourir au processus de raisonnement par inférence en se posant certains types de questions pour déterminer si le type de commentaires en litige étaient susceptible d’être préjudiciable au bon ordre et à la discipline au sein des FAC (Bannister, paragraphe 68).

 

[47]           Donc, en ce qui a trait aux troisième, quatrième et cinquième chefs d’accusation qui portent sur les propos ou autres transmissions alléguées de la part du capitaine Renaud, je devrai me demander si les mots qui ont été prouvés hors de tout doute raisonnable comme ayant été prononcés peuvent être considérés comme un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Je peux arriver à une conclusion sur cette question de deux manières : en concluant que le comportement contrevient à un ordre tel que la DOAD 5012-0 sur la prévention et résolution du harcèlement tel que mentionné précédemment, ou en concluant que le comportement est préjudiciable au bon ordre et à la discipline pour d’autres raisons, en raisonnant par inférence si nécessaire compte tenu de mon expérience et de mes connaissances militaires générales, même en l’absence de preuve directe sur la question du préjudice.

 

[48]           Bien que je puisse conclure qu’un comportement donné est préjudiciable au bon ordre et à la discipline en l’absence de harcèlement, je ne pourrais pas conclure qu’un comportement donné constitue du harcèlement sexuel en l’absence d’une conclusion à l’effet que la norme de comportement prescrite à la DOAD 5012-0 a été enfreinte. En effet, le juge militaire n’a pas le loisir de substituer sa propre connaissance militaire générale sur ce qui constitue du harcèlement à la définition promulguée aux ordres des autorités militaires compétentes sur la question. Conclure autrement aurait pour effet de faire entrer l’infraction dans le domaine du subjectif, ce qui est contraire aux enseignements de la CACM au paragraphe 61 de Bannister à l’effet que l’expérience et les connaissances militaires générales ne doivent pas être confondues avec les valeurs du juge. De plus, tel que mentionné par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Labaye, 2005 CSC 80, paragraphe 2 :

 

les infractions criminelles doivent être définies de telle manière que les citoyens, la police et les tribunaux puissent avoir une idée claire des actes qui sont interdits. (Voir Renvoi relatif à l’art. 193 et à l’al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123, le juge Lamer.) En règle générale, nous ne condamnons et n’emprisonnons les gens que lorsqu’il est établi hors de tout doute raisonnable qu’ils ont violé des normes définies objectivement.

 

[49]           Tel que décidé dans R. v. Williams, 2017 CM 4017 au paragraphe 58, les connaissances générales de la Cour en ce qui a trait au harcèlement doivent nécessairement être informées par la DOAD 5012-0.

 

3.             Les actions reprochées au capitaine Renaud en lien avec le troisième chef

 

[50]           Il me semble que les faits reprochés au capitaine Renaud dans le cadre de ses relations avec le capitaine Morin-Nappert sont du domaine de ce qui est généralement connu comme étant du harcèlement sexuel au travail. Dans les FAC, comme dans tout le gouvernement fédéral d’ailleurs, le harcèlement est défini comme étant normalement constitué d’une série d’incidents, sauf s’il s’agit d’un seul incident grave qui a un impact durable sur la personne. Dans sa plaidoirie, la poursuite soutien que tous et chacun des incidents de communication verbale ou par message texte de la part du capitaine Renaud au capitaine Morin-Nappert sont de nature inopportune et offensante donc, constituent du harcèlement, ensemble ou individuellement. De plus, même si le comportement allégué n’est pas du harcèlement, c’est à dire une violation de la norme de non-harcèlement, il pourrait quand même s’agir d’un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline, encore une fois dans son ensemble ou en lien avec chacun des incidents spécifiques.

 

[51]           L’approche adoptée par la poursuite comporte une part de défis. À titre indicatif, cette approche pourrait sembler enfreindre la prescription du paragraphe 107.04(2) des ORFC, l’expression en droit militaire la règle du paragraphe 581(1) du Code criminel à l’effet que chaque chef s’applique à une seule affaire (a single transaction). Si le comportement en question devait être jugé par une cour martiale générale, il y aurait un risque que l’accusé soit déclaré coupable sans certitude quant à l’accord unanime des membres du comité à l’égard de l’un des incidents sous-jacents, une situation jugée potentiellement problématique par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt récent R. c. M.R.H., 2019 CSC 46. Siégeant seul, je suis en mesure de me prononcer précisément sur les sept incidents différents allégués par la poursuite ainsi que sur la preuve pertinente. Considérant les trois déterminations possibles pour chaque incident, il pourrait y avoir jusqu’à 21 décisions que la Cour doive rendre et motiver. Je vais donc débuter par l’étape de la détermination à savoir si les évènements allégués ont été prouvés à la norme requise de preuve hors de tout doute raisonnable.

 

[52]           Les incidents allégués peuvent être divisés en trois catégories. Premièrement, les communications de nature sexuelle par message texte en général et celle du 23 septembre 2017 en particulier alors que le capitaine Morin-Nappert était au restaurant. Deuxièmement, la transmission d’une photographie d’un pénis par message texte. Troisièmement, les communications verbales qui comportent quatre incidents allégués : la blague sur les chattes du 22 septembre 2017, la mention le 25 ou 26 septembre 2017 à l’effet qu’elle allait voir sa queue, la mention d’un possible « trip à trois » avec sa femme au retour du déploiement et la mention d’un rêve qu’il avait eu à l’effet qu’elle était nue avec une tuque bleue le 3 ou 4 octobre 2017.

 

4.             Analyse des allégations sur le troisième chef

 

Première catégorie – communication par messages textes en général et le 23 septembre 2017 en particulier

 

Introduction

 

[53]           Dans cette catégorie, la poursuite reproche au capitaine Renaud deux comportements. Premièrement, d’avoir continué un échange de messages textes de nature sexuelle suite à ce que la poursuite allègue comme étant un retrait de consentement de la part du capitaine Morin-Nappert exprimé verbalement le 22 septembre 2017, à l’effet qu’elle était inconfortable. Deuxièmement, dans une position qui apparaît contradictoire si on considère que le retrait de consentement suppose son existence préalable, la poursuite considère que la responsabilité pénale du capitaine Renaud est engagée du fait même de sa relation virtuelle avec le capitaine Morin-Nappert, avant même que celle-ci ne manifeste son inconfort.

 

La transmission de messages textes de nature sexuelle en général

 

[54]           En ce qui a trait à l’échange de messages textes en général, la première étape de l’analyse de tout geste allégué nécessite que je m’interroge à savoir si ces faits ont été prouvés. Tel que mentionné précédemment, il est admis que des messages textes de nature sexuelle ont été échangés entre le capitaine Morin-Nappert et le capitaine Renaud sous forme de conversations explicites incluant sur la masturbation et les pratiques sexuelles. Le témoignage du capitaine Morin-Nappert est à l’effet que celle-ci participait activement à des échanges de messages textes très explicites. Son témoignage ne soulève aucune préoccupation significative quant à son consentement à cette activité. La poursuite soutien par contre que c’est le capitaine Renaud qui avait initié la relation et qui semblait initier les épisodes d’échanges explicites de nature sexuelle, insistant souvent pour encourager la participation de sa partenaire. Selon la poursuite, cette dernière se pliait à contrecœur à ces demandes, émanant d’un officier occupant un rôle important de grand prévôt de la force opérationnelle qui, de surcroît, avait tendance à être impulsif selon le capitaine Morin-Nappert.

 

[55]           Deux observations s’imposent.

 

[56]           Premièrement, il n’y a rien dans la preuve présentée qui permettrait à la Cour de conclure que le consentement du capitaine Morin-Nappert était vicié de quelque manière que ce soit.  Bien que son témoignage soit à l’effet que le capitaine Renaud ait suggéré les échanges de nature sexuelle et que sa réponse immédiate fut de mentionner qu’elle allait y penser, elle a manifestement décidé d’aller de l’avant et ce même si la preuve est silencieuse sur les circonstances exactes du début des échanges. Je n’accepte pas du tout le témoignage du capitaine Morin-Nappert lorsqu’elle tente d’assimiler le capitaine Renaud à une personne en autorité par rapport à elle. Bien qu’il est vrai que le capitaine Renaud est un officier de la police militaire qui avait des responsabilités importantes au sein du contingent, il était du même grade que le capitaine Morin-Nappert, elle-même un officier expérimenté occupant une fonction importante au sein du contingent, au point où le facteur principal ayant amené ses supérieurs à ne pas la rapatrier suite aux incidents du 1er septembre 2017 était la difficulté de la remplacer en tant qu’officier de génie construction. Je ne peux accepter la suggestion qui m’est faite à l’effet que le capitaine Morin-Nappert était intimidée par l’autorité du capitaine Renaud en tant qu’alter ego des autres majors alors qu’elle se confie à lui constamment sur ses difficultés avec son patron, le major Pigeon-Fournier, et sur les autres membres de l’état-major du contingent. Pour cette raison, je n’accepte pas la suggestion de la poursuite à l’effet que la capacité de consentir du capitaine Morin-Nappert ait pu être réduite considérant la position d’autorité du capitaine Renaud. Il y a quelque chose de malaisant à entendre la poursuite assimiler le capitaine Morin-Nappert à un enfant ou autre personne incapable de formuler un consentement valide à des activités tel que le sexting. En même temps, la poursuite ne soulève aucune difficulté de consentement en lien avec la relation entre le capitaine Morin-Nappert et A.L., malgré la différence de grade et la manifestation publique de cette relation. Je ne peux que conclure que le capitaine Morin-Nappert possédait toute son autonomie lors du déploiement.

 

[57]           Les FAC reconnaissent que des relations de nature personnelle peuvent se développer entre ses membres, même de grades et niveau de responsabilités différents. La DOAD 5019-1 prévoit explicitement que les FAC s'engagent à respecter le droit inhérent des militaires à établir les relations personnelles qu'ils souhaitent avoir, ainsi qu’à respecter le caractère privé des relations personnelles des militaires. Le « Task Force Standing Order (TFSO) 1-0005 » produit par le commandant du contingent comme Pièce 12 est au même effet, référant à la DOAD. Bien que ces ordres visaient nul doute les relations de nature physique, je suis d’avis que leurs principes s’appliquent aux relations virtuelles. Il existe de nombreux couples formés de deux militaires et les politiques administratives des FAC reconnaissent cette réalité, en ce qui a trait par exemple à l’éligibilité à certains bénéfices. L’obligation des militaires impliqués dans une relation personnelle est de révéler la relation à la chaîne de commandement. C’est ce que le capitaine Renaud a fait le 30 septembre 2017, en s’adressant au major La Haye, alors commandant par intérim. Pour sa part, le capitaine Morin-Nappert ne semble pas avoir divulgué de façon formelle cette relation. Bien qu’elle se soit plainte de certaines communications du capitaine Renaud à d’autres, elle mentionne qu’elle « était en mesure de gérer ça ». Une fois qu’une relation personnelle est divulguée à la chaîne de commandement, celle-ci doit déterminer s’il s’agit d’une relation préjudiciable et si des ajustements administratifs sont requis, par exemple pour séparer les individus qui sont en couple. Les majors La Haye et Turcotte ont témoigné à l’effet que pour eux, la relation était inacceptable et leur solution fut d’ordonner au capitaine Renaud de cesser cette relation et d’en effacer les traces. Pour sa part, le lieutenant-colonel Hickey était moins catégorique : absent le 30 septembre 2017, ce n’est que le 6 octobre 2017 qu’il a été informé de la relation par le capitaine Renaud. Malgré que celui-ci dise que la relation n’affectait pas le travail, il n’avait pas vraiment pris toute la mesure des conséquences de la relation quand le capitaine Renaud a quitté son bureau, se laissant le temps d’y penser et de consulter au besoin avant de prendre une décision.

 

[58]           Deuxièmement, il est important de tenir compte du fait que les gestes reprochés au capitaine Renaud font l’objet d’un chef d’accusation pour lequel il est passible d’emprisonnement, une sanction sévère réservée aux actes de nature criminelle qui, représentant l’atteinte la plus grave de l’État à la liberté des gens et l’immixtion la plus sérieuse de celui‑ci dans leur vie, doit être utilisé avec la modération appropriée pour éviter la surcriminalisation. Dans des arrêts où elle devait analyser certains détails associés à des relations sexuelles, tel que des condoms sciemment percés ou une condition médicale non dévoilée, la Cour suprême du Canada a reconnu la nécessaire distinction entre les comportements qui méritent la sanction sévère du droit criminel et ceux qui, bien que peu souhaitables ou peu éthiques, ne présentent toutefois pas le caractère répréhensible d’un acte criminel. La modération va de pair avec la certitude. Le droit criminel doit donner un avertissement raisonnable de ce qui est interdit et établir des normes d’application claires : R. c. Hutchison, 2014 CSC 19, [2014] 1 R.C.S. 346, paragraphes 17-19; R. c. Mabior, 2012 CSC 47, [2012] 2 R.C.S. 584, paragraphes 14, 19 et 23. Ce principe est incarné dans la politique des FAC sur le harcèlement à la DOAD 5012-0, entre autre en précisant que le comportement visé par la prohibition sur le harcèlement ou la norme de non-harcèlement est celle que la personne savait ou aurait raisonnablement dû savoir pouvait offenser ou causer préjudice.

 

[59]           Donc, en lien avec le comportement précis reproché au capitaine Renaud au troisième chef, c’est-à-dire ses transmissions inopportunes et offensantes, la question de déterminer qu’est-ce qui est inopportun et offensant doit se répondre objectivement, c’est-à-dire sur la base de ce qu’une personne raisonnable trouverait inopportun. Ce faisant, on détermine la question par rapport à ce que l’accusé savait ou aurait dû savoir, de manière à respecter le principe de certitude et éviter la subjectivité tel que reconnu par la CACM au paragraphe 61 de Bannister, mentionnée précédemment. Les circonstances des propos transmis, par exemple le contexte de la relation entre les parties sont également pertinents à la détermination du caractère inopportun ou offensant. Cette question n’est pas réglée simplement sur la base de la perception nécessairement suggestive de la personne visée. D’ailleurs, selon la DOAD 5012-0 sur la prévention et résolution du harcèlement, le fait que le comportement eut été offensant envers une personne ne constitue que l’un des critères devant être réunis pour conclure qu’il y a eu harcèlement.

 

[60]           En ce qui a trait au principe voulant que l’on doive éviter la surcriminalisation, il explique selon moi qu’il existe des limites à décortiquer les raisons ayant amené une personne à consentir à une relation ou un échange de nature sexuelle, surtout lorsque l’intégrité physique de la personne n’est pas en cause, comme en l’espèce. On peut imaginer, dans la vie de tous les jours, qu’une personne qui est intéressée à des échanges sexuels, virtuels ou autres, avec son ou sa partenaire peut vouloir l’inciter à consentir à participer à ces échanges, par exemple alors qu’ils se retrouvent au lit le soir. Ces incitations n’ont pas à intéresser le droit criminel. Une fois que l’existence d’une relation interpersonnelle est établie, il existe une zone d’échanges découlant de cette relation qui est appropriée dans les circonstances, même si le même comportement pourrait être totalement inapproprié envers quelqu’un avec qui il n’y a pas de relation. Lorsque une relation tourne mal, il est en général inopportun de revenir en arrière et de faire une microanalyse des démarches des parties à la relation pour déterminer si, à quelque moment, il aurait pu y avoir un commentaire ou un geste pouvant a posteriori être considéré inopportun, dans l’œil d’un partenaire déçu ou amer et ce, en autant que le consentement était validement obtenu au moment des faits. C’est selon moi le cas en l’espèce.

 

[61]           Les soumissions de la poursuite sur le fait que le capitaine Morin-Nappert pouvait se sentir obligée de participer aux échanges ne me convainquent aucunement que son consentement était vicié de quelque manière que ce soit. Tel que mentionné, ces officiers étaient de même grade et de niveau de responsabilité comparables. Bien que le capitaine Renaud eut un statut supérieur dans l’organigramme, il n’y avait aucun lien hiérarchique entre les deux. Il n’y a aucune preuve de menaces de la part du capitaine Renaud de nature physique, réputationnelle ou professionnelle en lien avec l’initiation et la poursuite des échanges de messages textes. L’impulsivité du capitaine Renaud a été mentionnée en lien avec un épisode n’ayant rien à voir sa relation avec le capitaine Morin-Nappert et est insuffisant pour justifier toute crainte qu’elle a pu avoir qui remettrait en question son consentement.

 

[62]           La preuve de la poursuite me laisse avec un doute en ce qui a trait à l’absence de consentement du capitaine Morin-Nappert concernant sa relation personnelle avec le capitaine Renaud. Donc, la transmission par messagerie texte par celui-ci de propos de nature sexuelle ne peut être considérée comme étant inopportun et offensant dans les circonstances. Ce comportement, décrit aux détails du troisième chef d’accusation, n’a pas été prouvé à la norme applicable, et ne peut donc soutenir un verdict de culpabilité à l’accusation de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

 

La transmission de messages textes de nature sexuelle le 23 septembre 2017

 

[63]           Le deuxième comportement reproché au capitaine Renaud est d’avoir continué de transmettre des propos de nature sexuelle après que le capitaine Morin-Nappert eut retiré son consentement le 22 septembre 2017, spécifiquement en initiant un échange de nature sexuelle le lendemain, alors que le capitaine Morin-Nappert était au restaurant.

 

[64]           Le témoignage du capitaine Morin-Nappert est à l’effet qu’elle avait selon elle exprimé de manière claire qu’elle ne désirait plus être l’objet de propos semblables de la part du capitaine Renaud le 22 septembre 2017, après qu’il eut verbalement formulé un commentaire sur les « chattes ». Je suis prêt à accepter que le capitaine Morin-Nappert pouvait croire qu’elle avait exprimé une fin de non-recevoir à tout propos futurs de cette nature. Par contre, pour les raisons mentionnées précédemment, ce qui importe pour engager la responsabilité criminelle du capitaine Renaud est ce qu’il savait ou aurait dû savoir. Donc, la poursuite a le fardeau d’établir en preuve de manière suffisamment précise ce que le capitaine Renaud se serait fait dire pour permettre à la Cour de conclure hors de tout doute raisonnable qu’il aurait dû cesser toute approche de nature sexuelle dès ce moment.

 

[65]           Je dois dire qu’au moment du témoignage du capitaine Morin-Nappert sur cette question, ma compréhension était qu’elle avait avisé le capitaine Renaud que le type de commentaires qu’il venait de faire, dans les circonstances où il venait de les faire, n’étaient plus bienvenue. À la lumière de la position de la poursuite, j’ai réécouté le témoignage et ma conclusion sur cette question n’a pas changé.

 

[66]           Lorsque le capitaine Morin-Nappert a été interrogée sur le moment de la fin des échanges de messages textes de nature sexuelle, elle a mentionné « jusqu’au 22 septembre où est-ce que je lui aurais demandé de tsé de, tsé de, je lui ai dit que j’étais inconfortable avec les messages textes. » Après, le procureur a voulu avoir plus de détails en demandant : « Tantôt, vous avez indiqué là qu’y a un moment lui avez indiqué que vous étiez inconfortable, pouvez-vous me parler de cette journée-là? » Le capitaine Morin-Nappert alors décrit les circonstances d’un incident où une remarque sur les « chattes » aurait été formulée. Par la suite l’échange suivant a lieu avec la procureure:

 

« Q. Pis c’tait quelle journée ça? R. C’était la—l’vendredi donc 22 septembre.

 

Q. Qu’est-ce que vous avez fait après? R. Ben j’lui ai mentionné, j’lui ai dit, tsé Joel, les commentaires de s’genre ça mets inconfortable. Par la suite pis y’était là, y’était comme un peu penché pis moi j’tais là, lui y’était là, y’était un peu penché, y m’r’garde, y’m’dit O.K. y m’r’garde d’in yeux pis y m’dit O.K. pis par la suite y part pis y s’occupe des—y s’occupe de ses troupes.

 

[…]

 

Q. Donc suivant cette journée-là est-ce que vous avez eu d’autres contacts avec le capitaine Renaud? R. Oui, le 23 septembre, j’étais au restaurant au centre-ville de Constanta, y’avait capitaine Melissa Chandler, y’avait E.T. qui était assis à la table, y’avait major Pigeon-Fournier, major La Haye qui était assis à la table pis j’ai r’çu des messages textes. Pis c’était—faque là j’tais comme y’a pas compris pis là y’était quand même assez insistant à vouloir que j’participe à conversation donc oui là c’est là ou ait-ce que y’a eu la scène où est-ce que dans—l’allusion de la scène où est-ce que j’rentrais dans sa chambre pis jouais avec mon corps pis par la suite lui jouait avec son corps par la suite lui m’lichait l’clitoris pis moi après ça j’lui faisais une fellation.

 

Q. Quand vous dites-là qu’y’avait pas compris qu’est-ce que vous voulez dire par là? R. Ben le 22 septembre tsé j’lui ai mentionné qu’j’étais inconfortable avec les conversations de ce genre et les messages textes donc. . .

 

Q. Qu’est-ce que ça signifiait pour vous? R. Ben ça signifie que si tu—si j’te dit que chu pas confortable avec quelque chose que tu arrêtes. »

 

[67]           Cet échange révèle selon moi que le capitaine Morin-Nappert faisait état de « commentaires de s’genre », c’est-à-dire les commentaires sur les chattes, les commentaires associés aux échanges de nature sexuelle étant d’un tout autre genre, comme l’extrait que je viens de citer le révèle. Il s’agit alors de scénarios incluant sexe oral et masturbation. Je comprends qu’elle a mentionné à quelques reprises qu’elle avait dit au capitaine Renaud que les messages textes la rendaient mal à l’aise. Il est même possible que c’est ce qu’elle est venue à penser. Par contre, ce qui compte c’est ce qu’elle lui a dit le 22 septembre 2017, et non ce qu’elle pense, croit ou sent qu’elle lui a dit.

 

[68]           Je suis également préoccupé par le fait que le 23 septembre 2017, alors que le capitaine Renaud initie selon elle un scénario d’échanges sexuel par messages textes qu’elle qualifie de non bienvenue car ça la rend inconfortable, non seulement elle fait défaut de réitérer sa demande de la veille, mais en plus, participe activement à l’échange et au scénario. Comment puis-je conclure hors de tout doute raisonnable que le capitaine Renaud aurait dû comprendre qu’il devait cesser ses agissements? Je suis conscient que le capitaine Morin-Nappert a témoigné avoir participé à cet échange pour ne pas mettre le capitaine Renaud « en crisse » comme elle a dit. Ç’est le choix qu’elle a cru bon faire à ce moment-là, au lieu du choix qu’elle aurait fait la veille, soit de signifier son inconfort. La conséquence de ce choix est que le capitaine Renaud pourrait ne pas savoir que les échanges ne sont plus bienvenus.

 

Conclusion sur la première catégorie

 

[69]           Il m’est donc impossible d’être convaincu hors de tout doute raisonnable qu’il y a eu signification le 22 septembre 2017 que les messages textes de nature sexuelle futurs étaient non bienvenus. L’échange de messages textes du 23 septembre 2017 ne peut donc être considéré comme étant inopportun et offensant dans les circonstances. Ce comportement, décrit aux détails du troisième chef d’accusation, n’a pas été prouvé à la norme applicable, et ne peut donc soutenir un verdict de culpabilité à l’accusation de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

 

Deuxième catégorie – la transmission d’une photographie d’un pénis par message texte

 

[70]           Je me suis prononcé en détail sur la question de la photo de pénis lors de mon analyse de la crédibilité des témoins, spécifiquement du capitaine Morin-Nappert et je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’étendre l’analyse d’avantage. Le capitaine Morin-Nappert a menti au sujet de la photo à de nombreuses reprises. Ultimement elle a expliquée aux enquêteurs qu’elle avait nié l’existence de la photo en raison du fait qu’elle l’avait rapidement effacée et n’avait pas pris le temps de confirmer son origine. Elle avait donc un doute qui l’empêchait de partager cette information à ce moment. Or la poursuite a le devoir de prouver le comportement allégué en lien avec le troisième chef hors de tout doute raisonnable. Comment est-ce que la Cour peut n’avoir aucun doute raisonnable alors que le témoin, à un moment clé de l’enquête, en avait un?

 

[71]           À la lumière de ceci, ainsi que des doutes exprimés en lien avec la crédibilité du capitaine Morin-Nappert, je n’ai d’autre choix que de conclure que la poursuite a fait défaut de prouver hors de tout doute raisonnable la transmission d’une photo de pénis par le capitaine Renaud. Ce comportement, décrit aux détails du troisième chef d’accusation, n’a pas été prouvé à la norme applicable, et ne peut donc soutenir un verdict de culpabilité à l’accusation de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

 

Troisième catégorie – les communications verbales qui comportent quatre incidents allégués: la blague sur les « chattes » du 22 septembre 2017, la mention le 25 ou 26 septembre 2017 qu’elle allait voir sa queue, la mention d’un possible « trip à trois » avec sa femme au retour du déploiement et la mention d’un rêve qu’il avait eu à l’effet qu’elle était nue avec une tuque bleue le 3 ou 4 octobre 2017

 

[72]           Pour évaluer si l’accusation a été prouvée, je dois premièrement déterminer si ces propos ont été tenus, ensuite déterminer ce qui a été dit pour me permettre, dans un troisième temps, de déterminer si ces propos sont inopportuns et offensants tel qu’allégué aux détails du troisième chef d’accusation.

 

[73]           En ce qui concerne la première étape, le capitaine Renaud nie avoir tenu ces propos. Le défi pour la poursuite est significatif, considérant mes conclusions sur la crédibilité du capitaine Morin-Nappert et le besoin de corroboration de ses propos pour éviter une erreur judiciaire. Malheureusement, aucune des allégations sur les propos attribués au capitaine Renaud n’est corroborée. C’est le cas également de la blague alléguée sur les « chattes », même si, selon la poursuite, le capitaine Renaud aurait formulé le même genre de commentaire à E.T. Même si j’acceptais que c’était le cas, il ne s’agirait pas d’une corroboration : ce qui aurait été dit à cette autre occasion n’a aucun lien avec les faits allégués par le capitaine Morin-Nappert.

 

[74]           De plus, les démentis du capitaine Renaud ont une certaine plausibilité à la lumière de l’ensemble des témoignages.

 

[75]           En niant avoir fait une quelconque blague sur les « chattes », le capitaine Renaud ajoute que la journée où ce commentaire aurait été formulé, alors que les avions étaient déviés vers une autre base, il était trop occupé pour faire des blagues. À la lumière du témoignage d’autres témoins sur l’importance de cet incident et le rôle joué par le capitaine Renaud pour la protection des avions dans de telles circonstances, ainsi que du sérieux qu’il mettait à réaliser ses tâches, selon les témoins, je suis d’avis que ses démentis sur ce point sont vraisemblables, malgré mes réserves sur sa crédibilité.

 

[76]           Le commentaire allégué à l’effet que « ben au moins une chose de positif su’l’tour tu vas voir ma queue » est incongru à mes yeux. Il m’est difficile de comprendre du témoignage du capitaine Morin-Nappert le contexte de ce commentaire dans le cadre d’une conversation qu’elle mentionnait avoir avec le capitaine Renaud sur ses frustrations à elle en lien avec sa chaîne de commandement. Pourquoi dirait-il une chose comme ça alors que leur relation était uniquement virtuelle et qu’il n’y avait aucune discussion ou compréhension de la possibilité de voir le pénis du capitaine Renaud dans le futur, tel que mentionné? Selon le capitaine Morin-Nappert, il y avait eu transmission d’une photo de pénis dans le passé. Par contre, aucun lien n’a été fait ni aucun contexte expliqué sur ce qu’elle aurait pu répondre à cette remarque.

 

[77]           Mes doutes sont les mêmes en ce qui a trait aux deux allégations restantes. Pourquoi est-ce que le capitaine Renaud proposerait un « trip à trois » impliquant sa femme au capitaine Morin-Nappert alors qu’il vient, dans le cadre de la même conversation, de lui signifier que leur relation virtuelle devait cesser et les messages échangés devaient être effacés? Pourquoi, quelques jours plus tard, le capitaine Renaud aurait-il dit au capitaine Morin-Nappert, avec qui la relation s’était tendue significativement, qu’il avait rêvé qu’elle était nue, portant uniquement sa tuque bleue? Ces commentaires sont complètement bizarres et la Cour n’a pas eu d’explication suffisante sur le contexte qui permettrait d’attacher un élément de plausibilité suffisant pour conclure que ces remarques ont été faites. Dans les circonstances, seul un témoignage d’une crédibilité et fiabilité irréprochable pourrait me permettre de conclure que ces remarques ont bel et bien été faites. Malheureusement, ce n’est pas le cas du témoignage du capitaine Morin-Nappert.

 

[78]           Même si ce n’est pas nécessaire, je tiens à mentionner qu’en lien avec la deuxième étape, d’autres difficultés se présentent en ce qui a trait à la preuve de ce qui a été dit. Par exemple, la blague sur les « chattes » aurait été faite le 22 septembre 2017, provoquant la remarque discutée plus tôt sur la mention verbale par le capitaine Morin-Nappert au capitaine Renaud à l’effet que les commentaires du genre la rendent inconfortable. La preuve ne révèle malheureusement qu’un minimum de détails sur les mots échangés, ne permettant pas à la Cour de conclure hors de tout doute raisonnable que ces propos sont inopportuns et offensants. L’échange qui suit, en réponse à une demande de la procureure de décrire ce qui s’est produit le 22 septembre 2017, est révélateur :

 

« R. […] y’était à ma droite pis un moment donné y’m’fait un—y’m’sort une joke sur les chattes, pourquoi on est v’nu à cette joke là j’en ai aucune idée, il m’a fait une joke cé chatte.

 

Q. C’était quoi la blague? Pouvez-vous nous indiquer c’était quoi la blague? R. Non, j’me souviens pas d’la blague sur les chattes.

 

Q. Pour vous qu’est-ce que ça signifie le mot « chatte »? R. Ça signifie « vagin ». C’est ça qui faisait allusion. »

 

[79]           Finalement, il y a lieu de mentionner, même si ce n’est pas nécessaire, que même si l’existence des remarques et la nature des propos avaient été prouvés, des difficultés demeureraient en ce qui a trait au caractère inopportun et offensant de ceux-ci. La conversation ne se déroulait pas entre deux militaires qui n’avaient que des contacts strictement professionnels jusque-là. Elle impliquait des personnes entretenant une relation de nature personnelle qui ont échangé des propos explicites sur des scénarios d’activités sexuelles les impliquant. Après avoir échangé les propos mis en preuve sur le sexe oral et la masturbation, il m’appert difficile de démontrer que les propos du capitaine Renaud, par exemple à l’effet qu’il avait rêvé d’elle nue avec sa tuque bleue, seraient offensants dans le contexte de leur relation.

 

5.                  Conclusion sur le troisième chef

 

[80]           Pour toutes ces raisons, je ne peux conclure hors de tout doute raisonnable à la culpabilité du capitaine Renaud en lien avec les propos qu’il aurait formulé verbalement au capitaine Morin-Nappert. Considérant mes conclusions précédentes sur les échanges de messages textes et la transmission d’une photo de pénis, je me dois de conclure que la poursuite ne s’est pas déchargé de son fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable que le capitaine Renaud a transmis verbalement et par messagerie texte des photographies numériques et des propos inopportuns et offensants au capitaine Morin-Nappert, tel qu’allégué au troisième chef d’accusation. Le capitaine Renaud devra donc être déclaré non coupable de ce chef.

 

[81]           Je tiens à préciser que cette conclusion et les motifs qui la sous-tendent en ce qui a trait au manque de contexte et aux explications en lien avec les propos rapportés par le capitaine Morin-Nappert ne constituent en rien un reproche visant un quelconque manque d’efforts de sa part en lien avec son témoignage. Même s’il est vrai qu’en tant que témoin elle éprouvait certaines difficultés à énoncer les faits de manière claire et ordonnée en procédant avec un évènement à la fois, la responsabilité de clarifier un témoignage de manière à assister la Cour reviens aux avocats qui l’interrogent, dans ce cas, la poursuite.

 

E.  Le premier chef d’obstruction de la justice 

 

1.             Introduction

 

[82]           Maintenant que l’analyse du troisième et plus complexe chef de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline a été effectué, il y a lieu de se tourner vers l’analyse des deux autres chefs impliquant le capitaine Morin-Nappert. Le premier chef est porté sous l’article 130 de la LDN pour obstruction de la justice contrairement au paragraphe 139(2) du Code criminel, qui prévoit essentiellement que quiconque volontairement tente de quelque manière d’entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans.

 

[83]           Les détails de ce chef d’accusation sont similaires aux détails du troisième chef et se lisent comme suit :

 

« Détails : En ce que, entre le ou vers le 29 septembre 2017 et le ou vers le 6 octobre 2017, à ou près de Constanta, Roumanie, il a volontairement tenté d’entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice, en demandant à V.M. de supprimer de son téléphone intelligent des photographies et des textos à caractère sexuel qu’il lui avait transmis. »

 

2.             Les éléments essentiels de l’infraction

 

[84]           En plus des éléments d’identité, de dates et de lieux qui ne sont pas contestés, les autres éléments essentiels de cette infraction sont les suivants :

 

L’actus reus : l’accusé a agi de manière à entraver, détourner ou contrecarrer le cours de la justice, spécifiquement en demandant au capitaine Morin-Nappert de supprimer de son téléphone intelligent des photographies et des textos à caractère sexuel qu’il lui avait transmis, tel que spécifié aux détails.

 

La mens rea : l’accusé avait l’intention d’agir de manière à entraver, détourner ou contrecarrer le cours de la justice.

 

3.             Les prétentions des parties

 

[85]           En lien avec les détails du premier chef d’accusation, la poursuite précise que la conduite reprochée au capitaine Renaud s’est manifestée à deux reprises, c’est-à-dire au cours des rencontres du 30 septembre et du 5 octobre 2017 avec le capitaine Morin-Nappert pendant lesquelles le capitaine Renaud a dans un premier temps demandé au capitaine Morin-Nappert de supprimer les textos de son téléphone, et dans un deuxième temps de confirmer la suppression de ces mêmes textos. La distinction entre les deux gestes n’est pas importante, surtout que le capitaine Renaud a admis, au cours de son témoignage, avoir fait les deux demandes en question.

 

[86]           Il s’agit d’un élément qui différencie la tâche d’analyse du présent chef d’accusation, en comparaison avec l’analyse compliquée qui devait être réalisée en lien avec le troisième chef. Les faits relatifs aux actions détaillées aux chefs d’accusation sont essentiellement admis. Le capitaine Renaud a effectivement demandé au capitaine Morin-Nappert de supprimer de son téléphone intelligent des photographies et des textos à caractère sexuel qu’il lui avait transmis.

 

[87]           La défense soutien, en ce qui concerne l’actus reus de l’infraction d’entrave prévue au paragraphe 139(2) du Code criminel, que les gestes du capitaine Renaud ne visaient pas le cours de la justice, considérant qu’il n’y avait aucune justice en cours aux moments où ces demandes ont été faites, c’est-à-dire aucune enquête existante ou projetée et encore moins de procédures judiciaires. La défense est d’avis qu’il ne pouvait y avoir d’enquête car il n’y avait pas de crime de commis dans l’échange de textos entre le capitaine Renaud et le capitaine Morin-Nappert. En ce qui a trait à la mens rea, la défense soutien que la preuve est à l’effet que l’intention du capitaine Renaud lors des deux interactions avec le capitaine Morin-Nappert était de faire cesser les rumeurs, tel que demandé par ses supérieurs.

 

[88]           Pour sa part, la poursuite soumet que le capitaine Renaud, en tant que policier militaire, devait savoir que ses actions avec le capitaine Morin-Nappert et d’autres étaient répréhensibles et que les rumeurs qui avaient surgis sur ces échanges rendaient une plainte et/ou une enquête probable. La poursuite allègue que le capitaine Renaud a agi dans le but de s’assurer de la destruction de toute preuve qui pourrait être jugée compromettante dans le cadre d’une telle enquête.

 

4.             Analyse

 

L’actus reus

 

[89]           En ce qui concerne l’actus reus, il est évident qu’une demande visant la destruction d’éléments de preuve potentiel est une entrave. L’argument de la défense est à l’effet que cette entrave ne visait pas le cours de la justice. Sur cette question, il est important de préciser qu’un accusé peut commettre l’infraction s’il entrave ou contrecarre une enquête portant sur des accusations dont il croit pouvoir faire l’objet, même si aucune accusation n’a encore été portée. La jurisprudence est également à l’effet que l’expression « le cours de la justice » doit recevoir une interprétation large et inclut l’étape de l’enquête donnant lieu à une poursuite judiciaire ou quasi-judiciaire. Cette expression s’applique à une enquête strictement disciplinaire comme une enquête du Barreau visant l’un de ses membres (voir R. c. Wijesinha, 1995 3 RCS 422).

 

[90]           En l’espèce, la preuve est à l’effet que chacune des interactions où le capitaine Renaud s’est adressé au capitaine Morin-Nappert pour lui demander de supprimer ou de confirmer la suppression des textos qu’ils avaient échangé était en réaction à une intervention d’un officier supérieur, en l’occurrence le major Turcotte, à son endroit. Cette intervention du major Turcotte était de nature formelle et sérieuse, selon son témoignage, confirmé par le témoignage du major La Haye, présent lors de la deuxième rencontre. La DOAD 5019-1, mise en application en théâtre d’opération roumain par le TFSO produit comme Pièce 12, prévoit que la chaîne de commandement possède l’autorité et même le devoir d’évaluer si une relation personnelle est préjudiciable, de prendre les mesures administratives et disciplinaires qui conviennent selon les circonstances et d’imposer des limites aux relations personnelles, s'il y a lieu.

 

[91]           Considérant que l’expression « le cours de la justice » doit recevoir une interprétation large, je suis d’avis que même si j’accepte l’argument de la défense, conforme au témoignage du capitaine Renaud sur l’absence de crime en lien avec son échange de textos avec le capitaine Morin-Nappert, il reste qu’au moment de son intervention auprès d’elle, il était avisé formellement de préoccupations importantes de la part de la chaîne de commandement sur sa relation, qui pouvait faire l’objet d’une détermination en ce qui a trait à sa nature préjudiciable ou non, de manière à déterminer si des mesures administratives ou disciplinaires s’imposeraient. Au niveau de l’actus reus, il y avait donc une enquête possible, peu importe si le capitaine Renaud en était conscient ou non. Donc, le comportement reproché au capitaine Renaud pouvait être de nature à entraver, détourner ou contrecarrer le cours de la justice. L’actus reus de l’infraction a été prouvé.

 

La mens rea

 

[92]           Je dois maintenant considérer si la mens rea a été prouvée hors de tout doute raisonnable. La poursuite a un fardeau considérable dans le cadre d’une poursuite pour entrave. Elle doit non seulement prouver que le capitaine Renaud avait l’intention d’agir d’une manière tendant à entraver le cours de la justice, en l’espèce l’intention de demander la suppression des textos, mais aussi qu’il avait l’intention spécifique que ces gestes entravent, détournent ou contrecarrent le cours de la justice. Les gestes en question doivent avoir été portés dans le but d’entraver ou de détourner le cours de la justice ou avec la connaissance ou la conscience qu’ils conduiraient ou pourraient conduire à entraver le cours de la justice.

 

[93]           Pour décider si c’est le cas, la Cour dois examiner tous les éléments de preuve, y compris les circonstances révélant ce que l’accusé savait, toute parole qu’il a prononcée ou tout geste qu’il a posé dans les circonstances de l’espèce.

 

[94]           La théorie de la poursuite est à l’effet que le capitaine Renaud, immédiatement après avoir été confronté sur ses échanges de textos de nature sexuelle avec le capitaine Morin-Nappert, a senti la soupe chaude en ce qui a trait à une enquête possible sur ses agissements. Il s’est empressé lors des deux occasions de demander et d’obtenir la confirmation que le capitaine Morin-Nappert avait supprimé ces textos de son téléphone intelligent de façon à ce que ces informations ne soient pas disponibles lors d’une enquête à venir.

 

[95]           La preuve de faits similaires admise à la demande de la poursuite est à l’effet que le capitaine Renaud, lors d’une conversation avec le caporal Montreuil, avait obtenu que celle-ci supprime leur historique de communication sur Facebook Messenger sur la base d’un subterfuge, c’est-à-dire une attaque sur les comptes Facebook des canadiens en mission en Roumanie. Après qu’on ait dû lui rafraîchir la mémoire, le caporal Montreuil a témoigné à l’effet que le capitaine Renaud avait également mentionné la possibilité qu’une personne considère ces échanges comme étant non approprié et ait une cause contre lui en vertu de l’Opération HONOUR. Lors de son contre-interrogatoire, le capitaine Renaud a plutôt mentionné qu’il tentait de protéger le caporal Montreuil car elle aurait fait état d’une relation inappropriée passée dans le cadre de ces échanges. Ceci étant dit, mon évaluation du témoignage du caporal Montreuil est à l’effet qu’elle n’a jamais cru qu’il y eut quelque chose de répréhensible dans ses échanges avec le capitaine Renaud et n’a jamais craint qu’une enquête puisse la viser en lien avec ces échanges. Le capitaine Renaud non plus ne croyait pas avoir fait quoi que ce soit de répréhensible et a témoigné de manière convaincant sur cette question, autant en ce qui a trait à ses échanges avec le caporal Montreuil que ceux avec le capitaine Morin-Nappert.

 

[96]           La poursuite me demande d’inférer que le capitaine Renaud « sentait la soupe chaude » après avoir été confronté par le major Turcotte en deux occasions. On soumet donc que je devrais être convaincu que le capitaine Renaud avait la conviction d’avoir fait quelque chose qui pourrait être sanctionné. Par contre, ce n’est pas la seule inférence que je puisse faire.

 

[97]           Le témoignage du capitaine Renaud est à l’effet qu’il n’y a rien de mal à ce qu’une personne comme lui s’engage dans des échanges de nature personnelle, impliquant entre autre la sexualité, avec d’autres militaires, peu importe leur grade. Ce n’est pas la position des FAC, tel qu’il appert de la DOAD 5019-1 et ce n’est pas l’avis du major Turcotte, ni celle des majors La Haye et Pigeon-Fournier, selon leur témoignage. Il est très plausible selon moi que l’intervention sans équivoque du major Turcotte a eu pour effet d’éveiller le capitaine Renaud sur le fait que des personnes en autorité pouvaient avoir une opinion complètement différente de la sienne en ce qui a trait à la nature de sa relation avec le capitaine Morin-Nappert et possiblement d’autres relations de nature personnelle qu’il pouvait entretenir avec d’autres militaires, dont le caporal Montreuil.

 

[98]           Ce qui préoccupait tout particulièrement, selon les témoignages des majors, c’était les rumeurs. La préoccupation venait de plus haut. Le lieutenant-colonel Hickey, commandant du contingent, a mentionné lors de son témoignage que les rumeurs et les commérages de nature sexuelle érodent la cohésion et empêchent les troupes de se concentrer sur la mission, si bien qu’il ne désirait avoir aucune controverse de cette nature au cours du déploiement. Il a d’ailleurs mentionné au cours de son témoignage avoir expliqué aux troupes à de nombreuses occasions que l’une des choses qu’il hait le plus sont les commérages, les rumeurs et les drames (en anglais, langue de son témoignage : gossip, rumours and drama). Il m’apparait donc fort plausible que lorsque le capitaine Renaud s’est vu confronté par le major Turcotte, il n’avait d’autres choix que d’agir. Sa priorité devenait dès lors de s’assurer qu’il était clair pour le capitaine Morin-Nappert que leur relation était terminée et qu’elle ne devait plus être discutée. Selon le témoignage du capitaine Morin-Nappert, c’est exactement de cette manière qu’elle a perçu cette demande : elle a témoigné à l’effet que le capitaine Renaud l’a abordé en se plaignant du fait que la chaîne de commandement l’avait approchée à propos de rumeurs à l’effet qu’il transmettait des messages textes de nature sexuelle à des femmes du contingent. Il lui a demandé d’effacer leurs échanges, ce qu’elle a fait, apparemment sur le champ. Lors de son témoignage, elle a mentionné qu’elle croyait que cela mettrais fin aux messages à caractère sexuel et qu’en conséquence, elle s’était sentie un petit peu libérée.

 

[99]           Par contre, les rumeurs n’ont pas cessé, ayant été reprises par le sergent Verdi, subalterne du capitaine Morin-Nappert dans la section génie construction, dans le contexte d’une situation conflictuelle en lien avec une enquête policière considérée non justifiée sur la modification de la tente « Canada House » par la section. Ces rumeurs sont venues à l’oreille du major Turcotte le 4 octobre 2017 et il a témoigné que la situation lui déplaisait.

 

[100]       Le témoignage du major La Haye est également éloquent sur la position de la chaîne de commandement en ce qui concerne les rumeurs. Alors qu’il est commandant par intérim le 30 septembre 2017, au moment d’aller souper, il est informé par le capitaine Renaud de sa relation d’échange de textos de nature sexuelle avec le capitaine Morin-Nappert. La réaction du major La Haye est immédiate : il ordonne au capitaine Renaud de cesser cette relation immédiatement. Relatant sa rencontre subséquente du 5 octobre 2017 en compagnie du major Turcotte, il mentionne qu’il était à ce moment préoccupé d’apprendre que la situation n’était pas réglée, le capitaine Renaud avait répondu à son ordre le 30 septembre 2017 à l’effet que la relation était terminée, mais là on en parle encore. Clairement, il voulait, tout comme le major Turcotte, que cela cesse. Le major Turcotte a témoigné à l’effet qu’il a demandé au capitaine Renaud de s’assurer que les textos soient effacés. Le major La Haye a témoigné n’avoir pris aucune autre action et n’avoir pas rencontré le capitaine Morin-Nappert. Celle-ci avait donc essentiellement raison de croire que le major La Haye n’allait pas prendre action sans une plainte formelle, qu’elle a formulé le 6 octobre 2017, soit après les deux rencontres avec le capitaine Renaud lors desquelles il lui a demandé de supprimer les textos.

 

[101]       Je suis d’avis que la preuve révèle que, pour des raisons qui peuvent fort bien être valides, entre autre en raison du tempo opérationnel, la chaîne de commandement n’avait aucune intention d’enquêter ou de gérer de quelque autre manière le problème perçu des rumeurs qui persistaient sur les échanges de textos entre le capitaine Renaud et le capitaine Morin-Nappert. L’intention de la chaîne de commandement était de faire disparaître le problème sans délai, avec un minimum de fracas. La preuve ne révèle aucun propos laissant envisager que des mesures disciplinaires ou administratives aux conséquences négatives pouvaient être prises à l’endroit du capitaine Renaud lors des conversations avec ses supérieurs le 30 septembre 2017 et le 5 octobre 2017, avant ses rencontres avec le capitaine Morin-Nappert. On semble au contraire lui faire confiance en plaçant la responsabilité pour la disparition du problème exclusivement sur ses épaules.

 

[102]       Selon la preuve des acteurs clés de la chaîne de commandement, le message transmis au capitaine Renaud était à l’effet que l’affaire était entendue : sa relation devait cesser et on devait arrêter d’en parler. Les attentes du major Turcotte étaient claires : les échanges devaient cesser et les textos être effacés. Une enquête était encore possible, tel que mentionné précédemment dans mes conclusions sur l’actus reus de l’infraction d’entrave. Par contre, je ne suis pas convaincu que le capitaine Renaud pouvait se douter que c’était le cas suite à la position communiquée par les majors Turcotte et La Haye. Il est plausible que sur la base de ce que ses supérieurs venaient de lui dire juste avant qu’il n’aborde le capitaine Morin-Nappert autant le 30 septembre 2017 que le 5 octobre 2017, le capitaine Renaud n’avait pas l’intention d’entraver le cours de la justice mais bien de répondre aux attentes que sa chaîne de commandement avait mis en lui de faire cesser les rumeurs en lien avec sa relation et de s’assurer que rien de cela ne remonte à la surface dans le futur.

 

[103]       En tentant de répondre à ces attentes, le capitaine Renaud a fort possiblement adopté des moyens qui impliquaient des mensonges, comme la menace informatique mentionnée au caporal Montreuil. Il est plausible qu’il ait considéré que la fin justifiait les moyens. Il est aussi plausible qu’il ait considéré sa demande d’effacer les textos comme une manière de s’assurer que les choses ne puissent faire surface de nouveau, par chantage (sextortion) ou autrement, tel qu’il l’a expliqué, surtout que des informations sensibles concernant son épouse avaient été échangées.

 

5.             Conclusion

 

[104]       Dans les circonstances, la poursuite ne m’a pas convaincu hors de tout doute raisonnable que le capitaine Renaud avait l’intention spécifique d’entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice en lien avec le premier chef d’accusation. Il doit donc être déclaré non coupable de ce chef.

 

F. Le deuxième chef d’abus de confiance

 

1.             Introduction

 

[105]       Le dernier des trois chefs impliquant les allégations du capitaine Morin-Nappert est le deuxième chef qui est porté sous l’article 130 de la LDN pour abus de confiance, contrairement à l’article 122 du Code criminel, qui prévoit essentiellement que tout fonctionnaire qui, relativement aux fonctions de sa charge, commet une fraude ou un abus de confiance est passible d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans.

 

[106]       Les détails de ce chef d’accusation se lisent comme suit :

 

« Détails : En ce que, entre le ou vers le 29 septembre 2017 et le ou vers le 6 octobre 2017, à ou près de Constanta, Roumanie, étant un officier de la police militaire, il a commis un abus de confiance relativement aux fonctions de sa charge en demandant à V.M. de supprimer de son téléphone intelligent des photographies et des textos à caractère sexuel qu’il lui avait transmis. »

 

2.             Les éléments essentiels de l’infraction

 

[107]       En plus des éléments d’identité, de dates et de lieux qui ne sont pas contestés les autres éléments essentiels de cette infraction sont les suivants, selon l’arrêt R. c. Boulanger, 2006 2 R.C.S. 49, paragraphe 58 :

 

a)                  l’accusé est un fonctionnaire;

 

b)                  l’accusé agissait dans l’exercice de ses fonctions lorsqu’il a commis l’acte reproché;

 

c)                  l’accusé a manqué aux normes de responsabilité et de conduite que lui impose la nature de sa charge ou de son emploi;

 

d)                 la conduite de l’accusé représente un écart grave et marqué par rapport aux normes que serait censé observer quiconque occuperait le poste de confiance de l’accusé; et

 

e)                  la mens rea, c’est-à-dire que l’accusé a agi dans l’intention d’user de sa charge ou de son emploi public à des fins autres que l’intérêt public, par exemple dans un objectif de malhonnêteté, de partialité, de corruption ou d’abus.

 

3.             Les prétentions des parties

 

[108]       La poursuite soutien essentiellement que tous ces éléments essentiels ont été prouvés hors de tout doute raisonnable et que le capitaine Renaud s’est rendu coupable d’abus de confiance. La position de la poursuite repose en grande partie sur sa soumission, implicite dans la formulation des détails de l’infraction, que le statut d’officier de la police militaire du capitaine Renaud fait en sorte qu’il était continuellement dans ses fonctions lors du déploiement en Roumanie. Ses agissements auprès du capitaine Morin-Nappert, en demandant la suppression des textos à caractère sexuel qu’il lui avait transmis, constituent donc une violation de plusieurs de ses obligations en vertu du Code de déontologie de la police militaire DORS/2000-14.

 

[109]       Pour sa part, la défense soutien que le capitaine Renaud n’était d’aucune manière dans l’exercice de ses fonctions de policier militaire au moment où il a demandé la suppression des textos et donc que ses agissements n’ont rien à voir avec les normes de responsabilité et de conduite que lui impose la nature de sa charge ou de son emploi. La défense ajoute que le capitaine Renaud n’a aucunement agi dans l’intention d’user de sa charge ou de son emploi public à des fins autres que l’intérêt public.

 

4.             Analyse

 

L’exercice des fonctions

 

[110]       Il n’y a aucun doute que la question litigieuse clé pour ce chef d’accusation est celle de déterminer si le capitaine Renaud agissait dans l’exercice de ses fonctions d’officier de la police militaire lorsqu’il a commis l’acte qu’on lui reproche, c’est-à-dire la demande faite au capitaine Morin-Nappert de supprimer et celle de confirmer la suppression des textos à caractère sexuel qu’il lui avait envoyé.

 

[111]       Sur cette question, j’ai émis certaines réserves sur la position de la poursuite lors des plaidoiries lorsqu’on a suggéré qu’un officier de la police militaire comme le capitaine Renaud, lors d’un déploiement, est dans l’exercice de ses fonctions peu importe ce qu’il fait, même lors d’un après-midi à la plage.

 

[112]       La poursuite n’a pu me fournir une quelconque autorité à l’effet qu’un titulaire de charge publique est toujours dans l’exercice de ses fonctions peu importe ce qu’il ou elle fait. La défense, pour sa part, m’a soumis une décision de la Cour du Québec, sous la plume du juge Jean-F. Keable (Luc Bertrand c. Me Paul Monty, 2003 CanLII 49432 (QC CQ)) siégeant en appel d’une décision du comité de déontologie policière, qui commente sur des points de vue différents adoptés par des juges de la Cour du Québec sur la notion d’exercice des fonctions policières. L’analyse, fort complète, permet de conclure selon la défense, que les agissements reprochés au capitaine Renaud en lien avec les demandes au capitaine Morin-Nappert ne font pas partie ni des activités propres à la fonction policière ou au statut de policier, ni des activités qui poursuivaient une fin policière. La défense soumet donc que le capitaine Renaud n’agissait pas dans l’exercice de ses fonctions lorsqu’il a commis les gestes qu’on lui reproche.

 

[113]       Je suis essentiellement d’accord avec la défense, surtout considérant l’absence d’autorités contraires par la poursuite. La DOAD 5019 prévoit le droit inhérent des militaires à établir les relations personnelles qu’ils souhaitent avoir. Si cet ordre prévoit qu’il puisse y avoir des relations personnelles, il en découle qu’un militaire a une vie personnelle, en plus d’une vie professionnelle et ce, même en déploiement. Ce ne veut pas dire que la vie personnelle n’est absolument pas de la compétence ou du ressort des autorités militaires. S’il existe des difficultés rendant une relation personnelle préjudiciable, des restrictions peuvent être imposées. Un ordre à cet effet se doit d’être obéi même s’il concerne une relation personnelle. Le fait que les autorités militaires puissent intervenir au niveau d’une relation personnelle, même en imposant des sanctions, ne signifie pas que le militaire est dans l’exercice de ses fonctions lorsqu’il fait quelque chose en lien avec sa relation personnelle.

 

Port du ceinturon

 

[114]       Ces remarques pourraient être suffisantes pour disposer de l’argument de la poursuite. Par contre, à la lumière des conclusions du juge Keable, dans la décision précitée, à l’effet que la notion d’exercice des fonctions doit être examinée à partir de la perception du public, je tiens à commenter sur deux éléments avancés dans le témoignage du capitaine Morin-Nappert suggérant que le capitaine Renaud a agi de manière pouvant laisser entendre qu’il agissait suivant les pouvoirs et les devoirs de sa fonction de policier militaire.

 

[115]       Le premier élément est le port ou l’absence du port du ceinturon de policier qui inclus l’arme de service, au moment où le capitaine Renaud se serait présenté au bureau du capitaine Morin-Nappert pour lui demander de le suivre parce qu’il désirait lui parler en privé.  La conversation consécutive à cette demande a eu lieu quelques instants plus tard, au bureau du capitaine Renaud. C’est durant cette rencontre le 5 octobre que le capitaine Renaud a demandé au capitaine Morin-Nappert de confirmer qu’elle avait effacé les textos à caractère sexuel qu’il lui avait transmis. Il a été suggéré que le port de l’arme à ce moment était possiblement intimidant. Le capitaine Renaud a mentionné avoir enlevé son ceinturon et l’avoir placé sur son bureau en mentionnant au capitaine Morin-Nappert que ce n’était pas le policier qui désirait lui parler. La question du ceinturon a semé beaucoup de confusion et franchement, j’ai eu beaucoup de difficulté à comprendre comment le port d’une arme en déploiement pouvait constituer une situation intimidante, surtout de la part d’une personne bien connue du capitaine Morin-Nappert, qui selon elle était un ami. Il s’agit d’un autre aspect incongru du témoignage du capitaine Morin-Nappert qui me laisse perplexe sur sa crédibilité. La poursuite a d’ailleurs admis que la question du port ou non du ceinturon n’a aucune importance.

 

Paroles attribuées au capitaine Renaud

 

[116]       Je note également que le capitaine Morin-Nappert a mentionné que le capitaine Renaud avait fait référence, entre autre lors de la conversation du 5 octobre 2017, au fait qu’il l’aurait protégée dans le passé, en référence à l’incident de la guérite le 1er septembre. Il aurait également fait un lien entre l’enquête en cours sur la tente « Canada House » et son souhait que le capitaine Morin-Nappert confirme la suppression des textos de nature sexuelle l’impliquant, disant quelque chose comme « sur la tente Canada House, lit entre les lignes. . . » pour elle, il s’agissait de chantage en lien avec les fonctions de policier militaire du capitaine Renaud.

 

[117]       Effectivement, si le capitaine Renaud a dit cela, il pourrait s’agir d’une utilisation de ses fonctions de policier militaire, en ce qu’il laisse entendre qu’il pourrait pouvoir agir en lien avec sa fonction. Par contre, je suis incapable de conclure hors de tout doute raisonnable qu’il aurait prononcé ces paroles.

 

[118]       En effet, cette allégation de chantage a été relatée non pas au moment où le capitaine Morin-Nappert témoignait chronologiquement de ce qui s’était passé et avait été dit, entre autre le 5 octobre, mais plus d’une heure plus tard dans son témoignage, dans une réponse qui n’avait aucun lien apparent avec la question qui venait de lui être posée. Son témoignage sur ce qui s’est dit le 5 octobre 2017 était si confus qu’il semble même avoir surpris la poursuite, qui a demandé un amendement des chefs d’accusation pour tenter d’inclure la notion de confirmation de la suppression des textos. Le témoignage ne fait pas état du contexte. Il est difficile de comprendre pourquoi, si le capitaine Morin-Nappert avait effacé les textos à la première occasion, il y avait un tel besoin de confirmer cette suppression, alors que l’existence de rumeurs n’a qu’un lien logique tenu avec la suppression des textos.

 

[119]       De plus, pourquoi est-ce que le capitaine Renaud, qui venait de se faire dire que le sergent Verdi avait fait un lien avec l’enquête sur la tente « Canada House » et ses textos, lien qui le préoccupait selon son témoignage, aurait renchéri en liant encore plus ses fonctions policières avec ce qu’il demandait au capitaine Morin-Nappert, lui qui s’était époumoné à mentionner aux officiers supérieurs que sa relation n’affectait en rien son travail? Je suis également préoccupé par le fait que le capitaine Morin-Nappert aurait menti à A.N. lors de leur rencontre au souper du 23 septembre 2017 en mentionnant que le capitaine Renaud lui aurait proférer des menaces pour qu’elle supprime les messages textes. Il m’appert que le capitaine Morin-Nappert puisse vouloir couvrir ce mensonge en alléguant des menaces subséquentes. Je n’ai donc aucune confiance en la crédibilité de ses propos.

 

[120]       Je n’ai donc pas été convaincu hors de tout doute raisonnable que le capitaine Renaud était dans l’exercice de ses fonctions d’officier de la police militaire lorsqu’il a demandé au capitaine Morin-Nappert de supprimer de son téléphone intelligent des textos à caractère sexuel qu’il lui avait transmis. Ces demandes ayant selon toute vraisemblance été formulées dans le cadre de la relation personnelle qu’il entretenait avec elle, les normes applicables à l’exercice des fonctions de policier militaire ne sont pas applicables et il ne peut y avoir de manquement ni d’écart de conduite grave et marqué.

 

La mens rea

 

[121]       Ceci est suffisant pour disposer du deuxième chef d’accusation mais je tiens à préciser qu’au niveau de la mens rea, les préoccupations mentionnées précédemment lors de l’analyse du premier chef d’accusation s’appliquent au deuxième chef. Si j’avais tort en ce qui concerne mon analyse sur l’exercice des fonctions, il demeure que la preuve entendue des supérieurs du capitaine Renaud est à l’effet qu’ils lui ont ordonné de mettre fin à sa relation et de s’assurer qu’aucune rumeur ne monte à la surface, et, pour le major Turcotte, que les textos échangés soient supprimés. Cette preuve est suffisante pour générer un doute à l’effet que le capitaine Renaud avait la mens rea requise pour commettre l’infraction d’abus de confiance, en ce que je ne peux être convaincu qu’en formulant ses demandes au capitaine Morin-Nappert, il avait l’intention d’user de sa charge à des fins autres que l’intérêt public. La preuve indique que les supérieurs du capitaine Renaud considéraient que l’intérêt public commandait que la relation et les rumeurs cessent.

 

5.             Conclusion

 

[122]       En conclusion, pour toutes ces raisons, le capitaine Renaud devra être trouvé non coupable du deuxième chef d’accusation.

 

LE QUATRIÈME CHEF IMPLIQUANT E.T.

 

A. Introduction

 

[123]       Le quatrième chef allègue un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline contrairement à l’article129 de la LDN, envers E.T. Les détails de ce chef d’accusation se lisent comme suit :

 

« Détails : En ce que, entre le 11 août 2017 et le 6 octobre 2017, à ou près de Constanta, Roumanie, il a eu un comportement inopportun et offensant envers E.T. en lui tenant des propos embarrassants et en lui simulant un acte sexuel. »

 

[124]       Les faits au soutien de ce chef d’accusation ont été établis par le témoignage de E.T. Le capitaine Renaud n’a pas témoigné spécifiquement sur les circonstances des faits allégués au soutien de ce chef d’accusation, se contentant de nier s’être comporté de manière inapproprié. Il reste donc que mes conclusions sur ce chef vont dépendre de la crédibilité que j’accorde au témoignage de E.T.

 

B. Les faits relatés par E.T.

 

[125]       Celle-ci a témoigné à propos de deux incidents distincts, tel que suggéré aux détails du chef d’accusation. Premièrement, elle a relaté un incident qui serait survenu au début septembre 2017, un soir après le travail alors qu’elle se préparait à prendre un sandwich à la cafétéria, après les heures normales de souper, en compagnie de collègues, incluant le capitaine Renaud. Elle a mentionné que dans le cadre d’une conversation amicale et divertissante, en groupe, le capitaine Renaud avait fait une petite face amusante. Elle lui a alors dit spontanément que son expression faciale le faisait ressembler à un « petit minou cute ». C’est à ce moment qu’il aurait répondu de la manière suivante, selon le témoignage de E.T. : « Mmm… ma chatte? »

 

[126]       Elle indique qu’elle était surprise, qu’elle lui a répondu que ce n’est pas ce qu’elle voulait dire du tout, que ça n’avait pas rapport. Il se serait détourné et est allé voir les choix de sandwich sans donner aucune explication et sans poursuivre les échanges. Elle a mentionné que pour elle, les mots prononcés par le capitaine Renaud avaient une connotation sexuelle, sous-entendant que s’il était un chat, il s’interrogeait à savoir si elle voulait être sa chatte. Cela l’a mise mal à l’aise. Par contre, personne qui n’était présent ne semblait préoccupé, comme si rien ne s’était passé. Elle a pensé qu’il s’agissait d’un évènement isolé.

 

[127]       Par contre, un deuxième incident s’est produit, lors d’une réunion journalière désigné sous l’acronyme CUB, signifiant Commander’s Update Brief, qui a eu lieu suite au retour du lieutenant-colonel Hickey au début octobre 2017. La réunion s’est déroulée à l’intérieur d’une salle de conférence dans laquelle les participants principaux sont attablés, le commandant s’assoyant à la tête de la table et les autres participants s’assoyant dans les sièges apparaissant au croquis produit comme Pièce 15. E.T. a mentionné qu’à un moment donné elle avait pris la parole pour présenter le patch brodée qu’elle avait fait réaliser pour identifier le contingent, qui était distribuée au personnel. Le capitaine Renaud s’est alors levé pour déclarer aux commandants et aux autres personnes présentes qu’il était très content du patch et qu’il félicitait E.T. pour son travail sur ce dossier. Ce compliment a été apprécié.

 

[128]       Par la suite, le capitaine a fait un petit clin d’œil en direction de E.T. « genre pour signifier I have your back » tel qu’elle a témoigné. Elle l’a alors regardé dans les yeux en voulant dire « merci ». C’est à ce moment qu’il aurait fait un geste obscène directement à E.T., comme quelqu’un qui se lèche les babines après avoir fait une fellation ayant résulté en une éjaculation, tout en se déhanchant de manière langoureuse. E.T. a, non sans difficultés, reproduit le geste lors de son témoignage.  Elle a mentionné qu’il s’agissait d’un geste sans doute obscène, et la Cour en convient.  Elle ajoute que ce geste l’a mise en état de choc. Suite à ce geste, le capitaine Renaud aurait continué sa participation à la réunion comme si rien n’était. Elle était pétrifiée. Elle a regardé autour, s’attendant à une réaction des autres participants mais, contrairement à son attente, chacun semblait avoir la tête dans ses notes. Elle témoigne que l’incident l’a fortement marqué, mais considérant qu’il y avait du travail à faire elle a dû continuer sans réellement apprivoiser ce qui c’était produit.

 

C. La crédibilité de E.T.

 

[129]       Je suis d’avis que malgré que son témoignage eu été souvent laborieux, E.T. a relaté les faits de manière sincère en tâchant de se remémorer les évènements du mieux qu’elle pouvait et surtout sans afficher d’animosité envers le capitaine Renaud, malgré son amitié avec le capitaine Morin-Nappert. E.T. tentait visiblement d’être utile à la Cour, même trop lorsqu’elle tentait de deviner ce que l’avocat voulait possiblement savoir au lieu de simplement répondre aux questions, ce qui m’a amené à intervenir. Malgré cela, elle a été capable de fournir des éléments de contexte pertinents pour permettre de comprendre la nature des évènements qu’elle relatait, un contraste significatif avec le témoignage du capitaine Morin-Nappert.  E.T. témoignait de manière factuelle, sans sembler s’être commise envers un résultat donné. Elle admettait les limites de ses connaissances ou de sa mémoire et n’essayait aucunement d’exagérer les faits au bénéfice ou détriment de l’une ou l’autre des parties. Elle a relaté ce dont elle se souvenait, sans tenter de compléter ce qui lui échappait, sa mémoire étant nécessairement incomplète en ce qui a trait à des évènements s’étant déroulés presque deux ans auparavant. Malgré les difficultés émotionnelles qu’elle a vécues au moment de relater le deuxième incident, elle a rempli son devoir de témoin avec courage, devant mimer le geste qu’elle considère dégoutant fait par le capitaine Renaud devant elle.

 

[130]       E.T. est, selon moi, un témoin honnête et crédible. Ce qui importe pour moi est de considérer si son témoignage de bonne foi est assez précis et complet pour que je puisse m’y fier pour conclure que le comportement décrit au quatrième chef d’accusation a été prouvé hors de tout doute raisonnable.

 

D. Analyse

 

[131]       Le droit applicable à l’analyse de cette accusation est tel qu’expliqué en lien avec le premier chef. Le comportement décrit aux détails du chef d’accusation doit avoir été prouvé et la Cour doit être convaincue qu’un tel comportement est préjudiciable au bon ordre et à la discipline, que ce soit en raison de la contravention d’un ordre ou directive, en l’espèce la DOAD 5012-0 sur le harcèlement considérant les détails, ou en raison de l’existence d’un préjudice au bon ordre et à la discipline indépendamment de la violation d’un ordre ou même d’une norme de conduite.

 

[132]       En ce qui a trait au premier évènement, je dois déterminer si le capitaine Renaud a eu un comportement inopportun et offensant envers E.T. en lui tenant des propos embarrassants. Tel que mentionné précédemment, pour évaluer la nature des propos, je dois être en présence d’une preuve fiable concernant la nature de ceux-ci. Les mots relayés par E.T. dans son témoignage ne sont pas en soi inappropriés. Les mots « Mmm. . .  ma chatte? » dans le contexte d’une conversation amicale, animée et positive où E.T. a elle-même initié un commentaire ou comparaison à l’effet que le capitaine Renaud avait l’air d’un minou ou d’un chat me laissent avec un doute en ce qui a trait au caractère inopportun et offensant de ce comportement. Je réalise et j’accepte que E.T. y a vu une connotation sexuelle.  Par contre, tel qu’expliqué précédemment, le comportement reproché doit être objectivement inopportun et offensant dans les circonstances, sans quoi on risque de condamner des gens sans considération de ce qu’ils savaient ou aurait dû savoir en ce qui a trait à la nature inopportune ou offensante de leur comportement.

 

[133]       Je demeure dans le doute en ce qui a trait au caractère sexuel de la réplique du capitaine Renaud qui aurait prononcé les mots qui lui sont attribués par son interlocutrice. Ce doute doit bénéficier à l’accusé. Dans les circonstances, je ne suis pas convaincu hors de tout doute raisonnable que les mots du capitaine Renaud en réplique à E.T. étaient inopportuns, offensants et embarrassants.

 

[134]       En ce qui concerne le deuxième incident, le témoignage d’E.T. était selon moi convainquant. Je n’ai aucun doute que le geste reproché au capitaine Renaud, soit la simulation d’un acte sexuel, a eu lieu. La nature inopportune et offensante du geste attribué au capitaine Renaud par E.T., un témoin que je juge crédible, ne fait aucun doute. Je ne crois pas le démenti général du capitaine Renaud et ces démentis ne suscitent en moi aucun doute. La preuve est suffisante pour conclure que ces gestes ont été commis.

 

[135]       Je suis conscient du fait que le major La Haye, lors du contre-interrogatoire par la défense, a acquiescé à la suggestion qu’il y avait eu un CUB au retour du Commandant de son absence au Canada. Par contre, le témoin ne pouvait être certain de la date exacte ni de la présence du capitaine Renaud ou de E.T. Lors de son interrogatoire, soudainement, le témoin, sans même qu’une question lui soit posé, a mentionné « faque là, c’est la situation où le capitaine Renaud aurait fait un geste et elle aurait senti que s’était des avances de nature sexuelle? Y’a aucune manière que pendant un CUB capitaine Renaud aurait pu faire ça sans que ça soit pas vu par plein de gens autour. » Cette preuve n’altère en rien ma conviction que le geste a été posé. Premièrement, la preuve ne permet pas de conclure si le major La Haye se souvenait du même CUB que celui décrit par E.T., considérant que les CUB auraient lieu à chaque jour. On n’a pas suggéré au major La Haye et il n’a pas mentionné de caractéristique du meeting qui soit de nature à me convaincre de sa présence et de son souvenir du CUB où l’évènement précis relaté par E.T. se serait produit. Je ne suis pas non plus convaincu que le geste auquel il réfère, qu’elle aurait interprété comme des avances de nature sexuelle, correspond au geste qu’elle a décrit.  En effet, celui-ci peut selon moi difficilement être considéré comme une avance. Dans les circonstances, son affirmation à l’effet que le geste n’aurait pu être posé sans que ce ne soit vu n’a que peu de valeur. De toute manière, E.T. n’a pas témoigné à l’effet que personne n’a rien vu. Elle a dit qu’en état de choc, après que le capitaine Renaud se soit détourné de son regard, elle a jeté un coup d’œil autour de la salle et tous les gens avaient les yeux dans leurs notes. Il n’est pas impossible qu’une fois que le capitaine Renaud eut terminé son allocution, les personnes présentes eurent détourné leur regard vers autre chose, que ce soit leurs notes ou la personne qui parlait ensuite. Il n’est pas non plus impossible que certaines personnes aient vu la scène mais aient décidé de ne pas s’en mêler. Après tout, l’Opération HONOUR rend disponible du matériel de formation sur l’intervention des témoins, en anglais Bystander intervention, sans doute parce qu’il s’agit d’un aspect à améliorer pour arriver à éliminer les comportements inappropriés de nature sexuelle.

 

E. Conclusions

 

[136]       Étant convaincu que la simulation d’acte sexuel décrit par E.T. a été faite par le capitaine Renaud; dans un milieu de travail; qu’elle était inopportune et offensante envers E.T., je n’ai aucune hésitation à conclure que les autres critères du harcèlement, selon la DOAD 5012-0, ont été rencontrés. Le capitaine Renaud aurait raisonnablement dû savoir que son comportement pouvait offenser. De plus, même s’il ne s’agit que d’un seul incident, j’estime qu’il s’agit d’un incident grave : une personne participant à un meeting important, en présence de son commandant, en lien avec l’accomplissement de la mission pour laquelle ses services sont requis en théâtre d’opérations ne devrait pas être soumise à une démonstration dégueulasse, obscène et de très mauvais goût du genre de ce qui a été décrit. Il est évident que cet incident a eu un impact durable sur E.T. : presque deux ans plus tard elle est encore sous le choc et j’ai dû faire sortir le public de la salle d’audience pour qu’elle puisse décrire et mimer le geste posé par le capitaine Renaud, tant ce geste l’a marqué.

 

[137]       Je conclus donc que la poursuite a fait la preuve hors de tout doute raisonnable que le capitaine Renaud s’est rendu coupable de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline en lien avec le quatrième chef d’accusation.

 

CINQUIÈME CHEF – REMARQUES DÉGRADANTES LORS D’UN SOUPER

 

A. Introduction

 

[138]       Le cinquième chef allègue un autre comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline contrairement à l’article129 de la LDN, cette fois-ci pour des propos tenus en la présence d’A.L et d’A.N. Les détails de ce chef d’accusation se lisent comme suit :

 

« Détails : En ce que, entre le 15 août 2017 et le 31 août 2017, à ou près de Constanta, en Roumanie, il a eu un comportement inopportun et offensant en présence d’A.L. et d’A.N. en tenant des propos rabaissants et humiliants envers des femmes. »

 

B. Les faits reprochés au capitaine Renaud

 

[139]       Il n’est pas contesté que le 19 août 2017 une sortie en ville suivie d’un souper sur le « boardwalk » en bord de mer de Constanta a été organisé pour souligner le départ de M. Al-Khoubbi, fonctionnaire canadien civil qui a porté assistance pour la préparation au vol des aéronefs. Le capitaine Renaud et son adjoint, le sergent Leavens, sont les hôtes; A.N. et A.L. sont invitées en tant qu’aviateurs méritants. En effet, à cette date, les membres du contingent ne peuvent quitter le camp pour des raisons autre que le devoir et le capitaine Renaud, pour assurer une meilleure représentativité au souper, a pensé inviter deux membres du contingent pour élargir le groupe et fournir une meilleure expérience à M. Al-Khoubbi.

 

[140]       Il n’est pas non plus contesté que les participants à ce souper, de leur table, pouvaient observer la foule nombreuse qui déambulait sur la promenade en bord de mer. Plusieurs de ces personnes étaient de sexe féminin et étaient vêtues légèrement, considérant qu’il s’agissait d’une soirée chaude.

 

[141]       La poursuite soutient que lors du souper, le capitaine Renaud a invité les participants à porter attention aux fesses et aux seins des femmes qui passaient près du restaurant. Interrogée par la procureure, A.N. a décrit le comportement du capitaine Renaud en ces mots: « He would always be like, I don’t know like, oh, look three o’clock or look at the girl’s tits or look at her ass. » Lorsqu’interrogée sur la fréquence de ces remarques, elle mentionne que c’était, « Pretty constant, we were on the boardwalk and we were in Europe, woman tend to not wear any bras. It was summer so there was a lot of people walking by so the comments were pretty frequent. » Pour sa part, A.L. a décrit le comportement du capitaine Renaud comme suit; « As women would walk by he would say things like, look that way, look at her and I can’t recall the exact (…) words that he used but “look at her boobs or rack”, something along those lines, like, “12 o’clock”, you know, “look 3 o’clock to your right”. . . ». En ce qui concerne la fréquence ; « Fairly often, maybe every time that a woman would walk by that he thought was—that he wanted to comment on. Maybe about ten times during the dinner. »

 

[142]       Par contre, M. Al-Khoubbi, appelé par la défense, a mentionné n’avoir rien remarqué d’anormal ou de désagréable dans les propos échangés à ce souper. En contre-interrogatoire, la poursuite, non restreinte par la prohibition des questions suggestives, s’est abstenue de demander à ce témoin précisément s’il avait entendu les propos rapportés par A.N. et A.L. La poursuite soutient que je dois conclure de ce témoignage que M. Al-Khoubbi n’a pas entendu les propos attribués au capitaine Renaud. La défense, pour sa part, soutient qu’il est impossible que des propos aussi fréquents, n’aient pas été entendus par M. Al-Khoubi, ce qui devrait amener la Cour à conclure que ces mots n’ont pas été prononcés ou, du moins, générer un doute raisonnable à savoir s’ils l’ont été, surtout considérant que M. Al-Khoubi est un témoin totalement neutre qui n’a pas acquis d’opinion négative du capitaine Renaud contrairement à A.N. et A.L.

 

[143]       En ce qui a trait à ce qu’elle pensait de ces remarques, A.N. a fait référence au souper en mentionnant :

 

« It went really well and I actually, that was when, I actually did really like Captain Renaud because I thought, well he’s a very open-minded guy, he’s very knowledgeable, we can keep up the conversation, the only thing to me that stood out, that I didn’t think it was very professional was the comments that he was making towards women walking by. I just kind of shrugged it off. »

 

Et plus tard, elle mentionne :

 

« The comments to me was coming from a Captain, it was very unprofessional mostly because, I mean, I don’t hang out with MPs let alone a Captain MP, so it was just okay, a little bit odd. »

 

En réponse au procureur qui lui demandait en lien avec la position du Capitaine Renaud lors du déploiement :

 

« Q. What were your thoughts or impressions upon hearing these comments?

 

R. I just thought it was very unprofessional. I haven’t really—because being in deployment you hang out with a lot of officers and most of them were very professional and I actually gone out for dinners with them and I’ve never had an issue so, I just—seemed unprofessional, that’s all. »

 

[144]       A.L. s’est aussi fait demandé ce qu’elle ressentait suite à ces remarques qu’elle attribuait au capitaine Renaud et a répondu ainsi :

 

« I didn’t feel like I wanted to go out on an outing like that again with him and I felt awkward and didn’t want to be there anymore. »

 

En ce qui concerne l’éventualité d’être en compagnie du capitaine Renaud suite au souper :

 

« I planned to avoid it, I knew I did not want to be in that situation again. It’s just not behaviour that I typically surround myself with or relate to anyway myself. »

 

[145]       Dans son témoignage, le capitaine Renaud a admis qu’il trouvait les femmes particulièrement jolies en Roumanie et qu’il avait discuté de l’apparence des femmes avec A.N. et A.L. Il a témoigné qu’il y avait de « charmantes dames » autour lors du souper, qu’il n’y a rien d’illégal à le dire, que d’ailleurs A.L. avait également fait des remarques sur les dames qui passaient, elle qui est lesbienne. Il a confirmé des observations qu’il a attribué à M. Al-Khoubbi, à l’effet que les femmes d’Europe de l’Est se promènent sans soutiens-gorge là-bas, même en portant des gilets très pâles, ce qui capte l’attention. Il a nié avoir dénigré quiconque. En contre-interrogatoire, il a dit ne pas se souvenir des mots exacts qu’il a utilisé pour discuter de l’apparence des dames ce soir-là mais a affirmé avec conviction qu’il n’a jamais dit « regarde ses totons, regarde son cul » car ce n’est pas lui, même avec des boys. Il a ajouté que l’on ne dénigre pas une dame en la regardant comme si c’était un déchet. On l’a traite avec respect. Il a ajouté que même à l’ère de l’Opération HONOUR, il n’est pas interdit de dire à quelqu’un qu’elle est élégante.

 

C. Analyse

 

1.             Questions à déterminer

 

[146]       Les questions que ce cinquième chef soulève sont les suivantes : Est-ce que le comportement attribué au capitaine Renaud, c’est-à-dire d’avoir eu un comportement inopportun et offensant en présence d’A.L. et A.N. et d’avoir tenu des propos rabaissants et humiliants envers les femmes a été prouvé? Le cas échéant, s’agit-il d’un comportement inopportun et offensant qui soit préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

 

[147]       Encore une fois, la réponse à ces questions nécessite une analyse de la crédibilité des témoins entendus. Je me suis déjà prononcé de manière générale sur la crédibilité du capitaine Renaud. Pour ce cinquième chef, je dois me prononcer sur la crédibilité de deux témoins de la poursuite, A.N. et A.L.

 

2.             Crédibilité des acteurs clés

 

[148]       A.N. a témoigné de manière directe et honnête. Elle a fourni des réponses articulées et complètes aux questions demandées, permettant de comprendre le pourquoi de ses positions sur les divers sujets abordés, que ce soit en interrogatoire principal ou en contre-interrogatoire. Ce témoin a fourni un compte-rendu exempt de toute animosité envers le capitaine Renaud. Tel qu’illustré par les propos cités ci-haut, sa réponse immédiate lorsque la procureure l’a interrogée sur un incident au cours du souper est à l’effet que l’évènement était fort agréable, les conversations intéressantes sur des sujets variés, le capitaine Renaud étant un interlocuteur informé et ouvert d’esprit. Ce n’est qu’après avoir précisé cela qu’elle mentionne les propos non-professionnels du capitaine Renaud sur les femmes lors du souper. Elle explique également d’autres observations qu’elle a pu faire sur le capitaine Renaud plus tard lors du déploiement, mentionnant qu’avec le temps, elle en est venue à moins l’aimer mais concède du même souffle que c’est en raison de ce que d’autres femmes qui vivaient des difficultés avec lui avaient à dire. Par ses réponses complètes et pertinentes, A.N. m’inspire une confiance certaine en ce qui concerne sa capacité à bien comprendre les évènements et son jugement sur les personnes et leurs motivations. Elle est un témoin hautement crédible à mes yeux.

 

[149]       En ce qui a trait à A.L., la situation est moins facile au niveau de la crédibilité. Je n’ai senti aucun enthousiasme de sa part à venir témoigner. Ses réponses aux questions étaient aussi brèves que possible et elle semblait avoir un ressentiment profond envers le capitaine Renaud. Elle a d’ailleurs été impliquée dans un incident de nature disciplinaire au cours du déploiement, lorsqu’elle a fait un doigt d’honneur au capitaine Renaud alors que celui-ci a demandé à ce qu’elle se dirige vers lui alors qu’elle revenait au camp ivre suite à une soirée en ville où elle avait consommé beaucoup plus que la limite de deux consommations par jour. Les regrets timides qu’elle a exprimés en lien avec cet évènement ne m’apparaissaient pas entièrement  sincères. Même si je doute de sa crédibilité en lien avec ses sentiments par rapport au capitaine Renaud, son témoignage sur les faits est confirmé par celui d’A.N., un témoin crédible.

 

[150]       Je suis d’avis que M. Al-Khoubbi est un témoin tout à fait crédible mais sa contribution est limitée en ce qui a trait au détail de ce qui a été dit. Tout ce que l’on apprend de sa part est qu’il n’a rien entendu d’inopportun ou d’offensant pendant le souper. Je le crois tout à fait sur cette question.

 

3.             Est-ce que le comportement allégué a été prouvé?

 

[151]       Le capitaine Renaud a nié avoir prononcé les mots qui lui ont été attribués, en ce qui concerne les commentaires sur les seins et les fesses des femmes qui passaient. Par contre, il confirme même en interrogatoire principal que des commentaires avaient été émis par des participants au souper et explique qu’il y avait matière à formuler ces commentaires considérant la manière dont les femmes étaient vêtues. Il existe donc une certaine convergence dans la preuve. Des propos ont été tenus envers les femmes, la question est de savoir si ceux-ci étaient « rabaissants et humiliants » tel qu’allégué à l’accusation. Les témoins de la poursuite sont d’avis que c’était le cas, le capitaine Renaud dément. M. Al-Khoubi n’a pas entendu de propos sur les femmes qui auraient été inopportuns ou offensants. En réalité, il n’a pas témoigné avoir eu connaissance de quelconque conversation sur les femmes. Pourtant, celles-ci ont eu lieu.

 

[152]       Le capitaine Renaud a justifié ses démentis par le fait qu’on ne dénigre pas les femmes surtout que, selon ce que sa mère lui avait un jour dit, « Si tu dénigre une femme, c’est moi que tu dénigre. » Je dois dire que ces démentis me laissent perplexe. La preuve de la poursuite n’est pas à l’effet que les femmes qui ont été l’objet des commentaires du capitaine Renaud ont eu connaissance de ses propos. Il n’y a aucune preuve que des commentaires visaient directement les femmes qui participaient à la discussion. En soutenant qu’il ne traiterait pas les femmes comme des déchets, le capitaine Renaud nie avec vigueur quelque chose qui n’est pas en preuve et qui ne lui ai pas reproché.

 

[153]       Le capitaine Renaud confirme avoir fait des remarques sur l’apparence des femmes lors du souper, mais insiste pour affirmer qu’il n’est pas interdit de dire à quelqu’un qu’elle est charmante ou élégante. Sauf qu’on ne lui reproche pas ce genre de paroles. Il ne s’est pas adressé aux femmes qu’il dit avoir trouvé charmantes. Son utilisation d’un qualificatif tel que « charmante » est selon moi troublant et révélateur d’une façon de penser qui est réductrice et qui objective la femme. Selon son témoignage, ce qui lui fait dire que ces femmes sont charmantes sont leurs seins qui, selon lui, sont visibles en raison du fait qu’elles portent des vêtements pâles sans soutiens-gorge. Donc, pour lui, une femme est charmante ou élégante en raison de ses seins. C’est une chose de le penser mais le problème ici est qu’il l’a exprimé, en présence de subalternes de sexe féminin. C’est selon moi le genre de comportement hyper-sexualisé qui a trop souvent eu lieu, a été toléré et a causé tant de difficultés à des membres des FAC, et à l’organisation en général au fil des années. Je n’ai aucun doute que si le capitaine Renaud n’a eu aucune difficulté à décrire de manière aussi précise en interrogatoire qu’est ce qui exactement rendait les femmes observées charmantes, c’est-à-dire leurs seins, il n’aurait eu aucune difficulté à faire de même lors du souper et à commenter sur d’autres attributs de même nature.

 

[154]       Je n’ai aucun doute que les paroles attribuées au capitaine Renaud par A.N. dans son témoignage, d’une manière conforme au témoignage d’A.L., ont bel et bien été prononcées. Je ne crois pas les démentis du capitaine Renaud et son témoignage ne suscite pas en moi un doute raisonnable. La preuve que j’accepte me convainc que les propos ont été tenus.

 

4.             Est-ce que le comportement du capitaine Renaud constitue un comportement inopportun et offensant donc, du harcèlement?

 

[155]       La question est désormais de déterminer si ce comportement constitue une violation des ordres qui gouvernent le harcèlement, auquel cas le comportement du capitaine Renaud serait présumé être préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Si non, le comportement peut quand même être préjudiciable au bon ordre et à la discipline s’il existe une preuve de « préjudice » ou si le caractère préjudiciable du comportement peut s’inférer des faits qui ont été établis ou de la violation d’un autre ordre.

 

[156]       Les circonstances de ce cinquième chef d’accusation posent un défi d’interprétation en lien avec les six critères qui doivent être réunis pour qu’il y ait harcèlement, c’est-à-dire :

 

a)                  comportement inopportun d’une personne;

 

b)                  envers une autre personne;

 

c)                  survenu en milieu du travail;

 

d)                 offensant envers cette personne;

 

e)                  constitué d’une série d’incidents, ou d’un seul incident grave lorsque cet incident a eu un impact durable sur cette personne;

 

f)                   que la personne savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudice.

 

[157]       Le problème ici est que bien que les remarques reprochées au capitaine Renaud ont eu lieu dans une circonstance de travail, soit une fonction de départ où deux personnes méritantes sont invitées par le capitaine Renaud à assister au dernier souper de M. Al-Khoubbi en Roumanie, les cibles des commentaires ne sont pas les militaires féminines présentes. De plus, on ne peut affirmer qu’A.L. et A.N. ont été offensés au point où on peut affirmer que le comportement du capitaine Renaud constitue un incident grave qui a eu un impact durable sur eux, du moins selon le témoignage d’A.N., le seul que je trouve crédible sur cette question, considérant l’animosité exprimée par A.L. Ceci étant dit, je crois que le capitaine Renaud aurait raisonnablement dû savoir que son comportement pouvait offenser.

 

[158]       Je ne crois donc pas que le comportement en question a été du harcèlement au sens de la DOAD 5012-0, bien qu’il ait été inopportun et offensant.

 

5.             Est-ce un comportement autrement préjudiciable au bon ordre et à la discipline?

 

[159]       Je suis d’avis que la preuve révèle plusieurs avenues permettant de conclure que le comportement du capitaine Renaud en ce qui a trait à ses remarques en présence d’A.N et A.L. lors du souper constituent un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

 

[160]       Premièrement, étant d’avis que les commentaires du capitaine Renaud sont réducteurs envers les femmes tel qu’expliqué plus tôt, il s’agit selon moi de paroles qui dévalorisent un groupe de personnes en fonction de leur sexe et même de commentaires sexuels qui entrent dans la définition d’inconduite sexuelle selon la DOAD 5019-5 sur inconduite sexuelle et troubles sexuels. Comme cette DOAD prévoit au paragraphe 3.4 que « [n]ul militaire ne doit commettre d'inconduite sexuelle », une violation de cette norme est présumée être un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline en vertu de l’alinéa 129(2)b) de la LDN.

 

[161]       De plus, je suis d’avis que la poursuite s’est déchargé de son fardeau de mettre en preuve des circonstances susceptible d’appuyer une conclusion selon laquelle le comportement du capitaine Renaud lors du souper est susceptible d’être préjudiciable au bon ordre et à la discipline. En effet, A.N. s’est fort bien exprimé dans son témoignage à l’effet que selon elle et sa consœur A.L., les commentaires du capitaine Renaud étaient non professionnels pour un officier en ces mots :

 

« This is a first, because—I mean, we’re Techs, we work with men constantly, in fact, majority of the people we work with are men, and you hear men make comments. I just—not to this extent and it was odd mostly because he was a captain. He was an officer, and like, I feel like, you should be more professional as an officer, you’re not a grease monkey Tech, turning wrenches. »

 

[162]       Sa vision du rôle d’un officier est entièrement conforme à mon expérience et je suis en accord avec ce qu’elle affirme. Un officier, de par ses responsabilités accrues, entre autre pour l’exécution de la mission et la sécurité du personnel, est soumis à des normes plus strictes de comportement. Le défaut du capitaine Renaud de rencontrer ces attentes a manifestement miné son autorité aux yeux de ces deux militaires et est nul doute un facteur ayant contribué à l’incident disciplinaire qui a subséquemment impliqué A.L. considérant ce qu’elle a dit, cité précédemment, sur son inconfort à être en présence du capitaine Renaud suite au souper Je tiens à préciser que cela n’excuse pas les actions de A.L. pour autant.

 

[163]       L’importance du rôle d’un officier et le respect de l’autorité sont soulignés dans plusieurs instruments de droit militaire. Entre autre la DOAD 5019-1 à laquelle j’ai souvent référé dans la discussion sur les relations personnelles prévoit que :

 

3.2 Dans l'esprit des valeurs qui doivent être celles des militaires de carrière, les chefs et les militaires qui font partie de la chaîne de commandement sont tenus d'observer certaines normes de conduite eu égard aux relations personnelles et à la fraternisation, d'abord en prêchant par l'exemple (…)

 

[164]       Ils doivent également « préserver l'intégrité du commandement et l'exercice de l'autorité légitime, en veillant à ce que les chefs à tous les échelons demeurent objectifs et crédibles et ne compromettent pas les relations de supérieur à subordonné et d'instructeur à stagiaire ainsi que les rapports de commandement, au Canada comme à l'étranger. »

 

[165]       Je comprends du témoignage du capitaine Renaud qu’il privilégie les relations égalitaires entre officiers et militaires du rang, tous grades confondus. Il peut fermement croire en cette philosophie mais en tant qu’officier de la police militaire, je n’ai aucun doute qu’il savait ou aurait raisonnablement dû savoir que cette vision des choses n’était pas partagée par le leadership des FAC tel qu’il devait être évident du contenu d’ordres tel que les DOAD comme celles sur les relations personnelles et les inconduites sexuelles. Par son comportement non professionnel lors du souper du 19 août 2017, il a perdu le respect de deux militaires du rang subalternes par ses propos humiliants et rabaissants envers les femmes. Son comportement était préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

 

D. Conclusion

 

[166]       Je conclus donc que la poursuite a fait la preuve hors de tout doute raisonnable que le capitaine Renaud s’est rendu coupable de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline en lien avec le cinquième chef d’accusation.

 

CONCLUSION GÉNÉRALE ET DISPOSITIF

 

POUR CES MOTIFS LA COUR :

 

[167]       DÉCLARE le capitaine Renaud non coupable des premier, deuxième et troisième chefs d’accusation.

 

[168]       DÉCLARE le capitaine Renaud coupable des quatrième et cinquième chefs d’accusation pour conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline.


 

Avocats :

 

Me Charles Cantin et Me Sylvain Morissette, Cantin Boulianne Avocats, 2456, rue Saint-Dominique, Jonquière (Québec), avocats de l’accusé, capitaine J. Renaud

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par le lieutenant-colonel D. Martin et le major É. Baby-Cormier

 

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