Courts Martial

Decision Information

Summary:

Date of commencement of trial: 18 November 2019

Location: 2 Wing Bagotville, building 81, Windsor Street, Alouette, QC

Charges:

Charge 1: S. 130 NDA, sexual assault (s. 271(b) CCC).
Charge 2: S. 129 NDA, conduct to the prejudice of good order and discipline.
Charge 3: S. 95 NDA, ill-treated of subordinates.

Results:

FINDINGS: Charges 1, 2, 3: Guilty.
SENTENCE: A reduction in rank to the rank of captain.

Decision Content

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COUR MARTIALE

 

Citation:  R. c. Duquette, 2019 CM 3016

 

Date:  20191123

Dossier:  201928

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Bagotville, Québec

Alouette (Québec), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Major J.R.É. Duquette, accusé

 

 

En présence du :  Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.C.A.


 

Restriction à la publication : Par ordonnance de la Cour rendue en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l’article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement permettant d’établir l’identité de la plaignante ou des témoins de la poursuite.

 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Oralement)

 

[1]               Le major Duquette a été accusé d’une infraction punissable en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale (LDN) pour agression sexuelle contrairement à l’article 271 du Code criminel; de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline pour harcèlement sexuel contrairement à l’article 129 de la LDN; et d’avoir maltraité une personne qui, en raison de son grade, lui est subordonnée contrairement à l’article 95 de la LDN.

 

[2]               Les accusations se lisent comme suit :

 

« Premier chef d’accusation

 

Article 130 LDN (271(b) C.cr.)

 

INFRACTION PUNISSABLE SELON L’ARTICLE 130 DE LA LOI SUR LA DÉFENSE NATIONALE, SOIT L’AGRESSION SEXUELLE, CONTRAIREMENT À L’ARTICLE 271(B) DU CODE CRIMINEL

 

Détails : En ce que, entre le 1er et le 2 décembre 2018, à ou près de la 2e Escadre de Bagotville, province de Québec, il a agressé sexuellement P.B.

 

Deuxième chef d’accusation

 

Article 129 LDN

 

COMPORTEMENT PRÉJUDICIABLE AU BON ORDRE ET À LA DISCIPLINE

 

Détails : En ce que, entre le 1er et le 2 décembre 2018, à ou près de la 2e Escadre de Bagotville, province de Québec, il a harcelé sexuellement P.B. contrairement à la DOAD 5012-0.

 

Troisième chef d’accusation

 

Article 95 LDN

 

MAUVAIS TRAITEMENT À L’ÉGARD DE SUBALTERNES

 

Détails : En ce que, entre le 1er et le 2 décembre 2018, à ou près de la 2e Escadre de Bagotville, province de Québec, il a maltraité P.B. qui en raison de son grade et de son emploi lui était subordonné en lui touchant les fesses. »

 

 

[3]               Essentiellement, la poursuite prétend que l’accusé aurait commis ces infractions dans la soirée du 1 décembre 2018 dans le cadre d’un party de Noël organisé dans un édifice sur la Base des Forces canadiennes (BFC) Bagotville pour les militaires et leurs conjoints de la 2e Escadre Bagotville.

 

[4]               La poursuite a cité trois témoins qui auraient été des témoins directs des gestes commis par le major Duquette, soit la plaignante et deux autres témoins. Elle a aussi introduit une copie de la Directive et ordonnance administrative de la défense (DOAD) 5012-0, Prévention et résolution du harcèlement.

 

[5]               Le major Duquette a décidé de témoigner pour sa propre défense. Il a aussi présenté six autres témoins : le capitaine Lavoie, le capitaine McDuff, l’adjudant-maître McFadden-Davies, le major Michaud, le sergent Gaudet et son épouse, madame Véronique Germain.

 

[6]               Il a aussi introduit un certain nombre de documents :

 

a)                   un croquis fait en cour par l’un des témoins de la poursuite dans le cadre de son contre-interrogatoire démontrant la position de la victime, de l’accusé et du témoin sur le plancher de danse au moment de la commission des gestes que ce témoin a décrits à la Cour (Pièce 5);

 

b)                   une photographie de chacun des deux témoins cités par la poursuite (Pièce 6 et Pièce 7);

 

c)                   un croquis fait en cour par le capitaine Lavoie démontrant le plan de la salle de réception où a eu lieu le party de Noël le 1er décembre 2018 à la BFC Bagotville (Pièce 8);

 

d)                   un courriel avec trois pièces jointes envoyé par le major Duquette à l’adjudant-maître McFadden-Davies (Pièce 10);

 

e)                   deux photographies de madame Véronique Germain (Pièce 9 et Pièce 11).

 

[7]               Il a aussi fait des admissions à propos des éléments essentiels relatifs à l’identité, la date et le lieu concernant les trois infractions, dispensant ainsi la poursuite d’en faire la preuve. Au même effet, il a admis avoir connaissance du contenu de la DOAD 5012-0, Prévention et résolution du harcèlement, au moment de la commission des infractions alléguées.

 

[8]               Finalement, la Cour a pris connaissance judiciaire des éléments énumérés et contenus à l’article 15 des Règles militaires de la preuve, et aussi plus particulièrement du contenu de la DOAD 5012-0, Prévention et résolution du harcèlement.

 

[9]               Le 1er décembre 2018, le party de Noël de la 2e Escadre Bagotville a eu lieu à « la Barn » à la BFC Bagotville. Les militaires et civils membres de cette unité et leurs conjoints y étaient invités.

 

[10]           De 17 h à 18 h avait lieu le cocktail de bienvenue. Une personnification d’Elvis a été faite à 18 h et le souper a débuté vers 18 h 30. Vers 20 h 30, une remise de cadeaux et de présents a été effectuée. Par la suite, la danse a débuté vers 20 h 50.

 

[11]           La danse avait lieu sur un plancher de 20 pieds par 20 pieds, occupant une surface de 400 pieds carrés. Des tables qui avaient servi pour le souper avaient été disposées de manière à permettre à ceux qui ne dansaient pas de s’asseoir et socialiser. Il y a avait aussi un bar situé dans un coin de la salle. La Pièce 8 indique d’ailleurs en détail la disposition de l’ensemble des éléments physiques de la salle.

 

[12]           L’ensemble des témoins a indiqué que l’éclairage était plutôt tamisé, que la musique était très forte et qu’il fallait parler fort sur le plancher de danse pour qu’une autre personne entende. La Cour comprend que pour tenir une conversation assez normale avec quelqu’un d’autre, il était nécessaire de quitter le plancher de danse et s’en éloigner, incluant le fait d’aller s’asseoir à une table dans la salle.

 

[13]           Au moment où ce party a eu lieu, la plaignante a mentionné qu’elle connaissait le major Duquette depuis environ deux ans. Leur relation était professionnelle. Elle l’a rencontré lorsqu’elle est arrivée en janvier 2017 à la BFC Bagotville, car elle le croisait de temps à autre dans l’édifice où elle travaillait. Elle avait aussi assisté à une épluchette de blé d’Inde qu’il avait organisée chez lui à l’été 2018 à titre d’activité de cohésion de l’unité.

 

[14]           Le major Duquette et la plaignante se sont rencontrés au début de la soirée. Il semble qu’il était facile de remarquer la présence de la plaignante parce qu’elle était vêtue de manière peu conventionnelle pour ce genre d’événement, comme décrit par l’ensemble des témoins l’ayant vue et qui ont été entendus dans cette cause : elle portait un pyjama fait d’une seule pièce (one piece) avec des carreaux rouges et noirs. Elle enlevait le haut de temps à autre durant la danse parce qu’elle avait chaud et l’attachait à sa taille. Elle portait une camisole noire en dessous.

 

[15]           La plaignante étant impliquée dans l’organisation de la soirée, elle a quitté vers 2 h 15 le 2 décembre 2019. Le major Duquette a quitté les lieux avec son épouse précédemment vers 23 h 30.

 

[16]           Durant la soirée, au début de la danse, l’accusé et la plaignante auraient eu un contact de nature accidentelle, épaule à épaule, selon cette dernière. Le major Duquette a admis dans son témoignage qu’il se serait retrouvé à danser près de la plaignante durant la soirée.

 

[17]           La plaignante a raconté deux incidents distincts à la Cour.

 

[18]           Le premier incident aurait eu lieu vers 22 h. Alors qu’elle était dans un cercle de danse sur le plancher de danse et qu’elle-même dansait, elle s’est tournée vers sa droite pour changer de position et elle a été touchée à la fesse gauche. Lorsqu’elle s’est retournée, elle a constaté que le bras droit du major Duquette descendait, qu’il se retirait alors qu’il était positionné un peu en arrière à sa gauche. Il est clair qu’il y a eu un contact, mais elle a été incapable d’en expliquer la nature exacte à la Cour, car elle a été surprise et elle a figé, ce qui explique qu’elle ne se rappelle pas de la nature du toucher.

 

[19]           Quant au major Duquette, il aurait simplement continué à danser comme si de rien n’était.

 

[20]           La plaignante a mentionné que l’épouse du major Duquette était dans le cercle de danse et qu’à son avis, elle aurait vu l’incident, car son visage exprimait une émotion de colère.

 

[21]           La plaignante a quitté la piste de danse et elle est allée voir son copain à qui elle a raconté ce qui venait de se passer. Il a réagi d’une manière signifiant de ne pas trop s’en faire avec cela et de retourner danser. Elle était choquée et déconcertée par tout cela.

 

[22]           Elle est retournée danser par la suite. Un peu plus tard dans la soirée, un peu avant 23 h, un deuxième incident impliquant le major Duquette se serait produit. Le major Duquette aurait dansé près d’elle, il se serait positionné directement devant elle. Par la suite, il se serait collé sur elle et il lui aurait agrippé les deux fesses avec ses deux mains en lui disant à l’oreille : « T’es fucking hot. » Elle l’aurait alors repoussé puis il serait reparti danser. Cela aurait duré en tout de cinq à dix secondes. Selon les témoins de la poursuite, il y aurait eu un malaise parmi les gens qui auraient assisté à la scène.

 

[23]           La plaignante a alors quitté la piste de danse et elle est allée voir son copain. Ce dernier lui aurait dit quelque chose signifiant simplement ne pas retourner danser.

 

[24]           Elle a dit qu’elle ne se sentait pas bien à ce moment-là, qu’elle était choquée et déconcertée par ce qui venait d’arriver.

 

[25]           Par la suite, elle a rencontré son amie. Cette dernière était un peu plus loin et positionné en diagonale au moment de cet incident, et elle aurait assisté à la scène. Une amie de cette amie aurait vu la même chose.

 

[26]           Lors de cette conversation, l’amie de la plaignante lui aurait alors demandé de confirmer si ce qui venait de se passer s’était réellement passé, ce que la plaignante a confirmé. Elle aurait posé la question en ces termes : « Y t’as-tu réellement pogné les fesses? » La plaignante a alors répondu que c’était le cas.

 

[27]           De plus, selon la plaignante et ces deux témoins, l’épouse du major Duquette aurait assisté à cet événement alors qu’elle était en dehors du plancher de danse. Elle leur a apparu fâchée suite à de la réaction de son visage et en raison de cela, elle serait sortie de la salle.

 

[28]           La plaignante est éventuellement retournée danser, tout en demeurant vigilante quant à la présence du major Duquette. Elle ne l’a pas recroisé de la soirée.

 

[29]           Le major Duquette nie catégoriquement que ces deux incidents se sont passés. Il a affirmé avoir dansé la plupart du temps sur la piste de danse, à l’exception du temps qu’il a pris pour aller boire de l’eau ou aller aux toilettes. Il a dansé en présence de son épouse et avec d’autres personnes, incluant d’autres femmes.

 

[30]           Il a dit à la Cour qu’il a passé une belle soirée et que rien d’exceptionnel n’est arrivé, sauf en ce qui a trait à la question de sa mutation hors pays. Alors qu’il a appris durant la soirée qu’une telle chose ne pourrait se matérialiser, lui et son épouse ont appris au moment de quitter la fête que des efforts étaient encore faits pour qu’une telle chose se concrétise.

 

[31]           Les témoins cités par le major Duquette et qui étaient présents dans la salle lors de cette soirée ont confirmé cet état de fait. De plus, lorsqu’ils étaient en présence du major Duquette sur le plancher de danse, ils n’ont rien remarqué de particulier. Ils n’ont rien remarqué qui s’apparenterait à une perturbation quelconque durant la soirée sur le plancher de danse.

 

[32]           L’épouse du major Duquette a dit à la Cour qu’elle n’avait pas vu les incidents relatés par la plaignante se produire. Elle a confirmé qu’elle a passé la vaste majorité du temps avec son mari sur le plancher de danse. Comme son mari l’a affirmé, si de tels événements s’étaient produits, ce qu’elle nie fermement, cela aurait mis fin à leur soirée et ils seraient retournés à la maison, car elle est jalouse et possessive. Selon l’accusé, cela aurait mis fin à la soirée, et probablement à leur mariage.

 

[33]           Lors de son retour au travail le mardi, car elle avait congé le lundi, la plaignante ne savait pas trop quoi faire. Cela l’avait chicotée toute la fin de semaine. Elle a même contacté une psychologue durant cette même fin de semaine. Cette dernière l’a encouragé à faire une dénonciation.

 

[34]           En faisant une mauvaise blague, ce qu’elle a reconnu d’emblée, elle a tenté d’attirer l’attention de son superviseur, l’adjudant Montemont, sur ce sujet précis. Cela a fonctionné et après lui avoir relaté ce qui s’était passé, il a pris la décision d’aviser lui-même la police militaire.

 

[35]           La plaignante a donc été contactée par la police militaire. Malgré sa crainte quant aux conséquences, elle a décidé de porter plainte.

 

[36]           Le superviseur immédiat du major Duquette a convoqué ce dernier dans son bureau et il l’a informé de la plainte qui avait été portée contre lui et qu’une enquête aurait lieu.

 

[37]           Le fait qu’une enquête a eu lieu et que des accusations ont été portées par la suite a eu des conséquences majeures sur lui et ses proches. Il appert clairement que cela a eu un impact psychologique et physique sur lui et les membres de sa famille. Cela a affecté sa performance au travail. Son épouse a dû changer d’emploi en raison de l’attitude de certains employés suite à la publicité qu’à engendrée cette situation.

 

[38]           L’acte d’accusation a été signé le 30 mai 2019 et le directeur des poursuites militaires a procédé à la mise en accusation le 7 juin 2019. L’ordre de convocation pour cette cour martiale permanente a été signé par l’administratrice de la cour martiale le 28 août 2019. L’audience sur le verdict a débuté le 18 novembre 2019, tel que mentionné dans ce dernier document, et elle a duré quatre jours, se terminant en début d’après-midi le 21 novembre 2019.

 

[39]           Avant que la Cour n’expose son analyse juridique, il convient d’aborder la question de la présomption d’innocence, du fardeau et de la norme de preuve hors de tout doute raisonnable, norme inextricablement liée aux principes fondamentaux appliqués dans tous les procès pénaux, de la question de crédibilité et de la fiabilité des témoignages, de la notion de preuve et des éléments essentiels concernant chacune des infractions dont fait l’objet le major Duquette. Si l’ensemble de ces principes sont évidemment bien connus des avocats, ils ne le sont peut-être pas des autres personnes présentes dans la salle d’audience.

 

[40]           Le premier et le plus important des principes de droit applicables à toutes les causes découlant du code de discipline militaire et du Code criminel est la présomption d’innocence. À l’ouverture de son procès, le major Duquette est présumé innocent et cette présomption ne cesse de s’appliquer que si la poursuite a présenté une preuve qui convainc la Cour de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[41]           Deux règles découlent de la présomption d’innocence. La première est que la poursuite a le fardeau de prouver la culpabilité. La deuxième est que la culpabilité doit être prouvée hors de tout doute raisonnable. Ces règles sont liées à la présomption d’innocence et visent à assurer qu’aucune personne innocente n’est condamnée.

 

[42]           Le fardeau de la preuve appartient à la poursuite et n’est jamais renversé. Le major Duquette n’a pas le fardeau de prouver qu’il est innocent. Il n’a pas à prouver quoi que ce soit.

 

[43]           Que signifie l’expression « hors de tout doute raisonnable »? Un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il n’est pas fondé sur un élan de sympathie ou un préjugé à l’égard d’une personne visée par les procédures. Au contraire, il est fondé sur la raison et le bon sens. Il découle logiquement de la preuve ou d’une absence de preuve.

 

[44]           Il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue, et la poursuite n’est pas tenue de le faire. Une telle norme serait impossible à satisfaire. Cependant, la norme de preuve hors de tout doute raisonnable s’apparente beaucoup plus à la certitude absolue qu’à la culpabilité probable. La Cour ne doit pas déclarer le major Duquette coupable à moins d’être sûre qu’il est coupable. Même si elle croit que le major Duquette est probablement coupable ou vraisemblablement coupable, cela n’est pas suffisant. Dans ces circonstances, la Cour doit accorder au major Duquette le bénéfice du doute et le déclarer non coupable parce que la poursuite n’a pas réussi à convaincre la Cour de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[45]           Il est important pour la Cour de se rappeler que l’exigence de preuve hors de tout doute raisonnable s’applique à chacun des éléments essentiels d’une infraction. Elle ne s’applique pas aux éléments de preuve de manière individuelle. La Cour doit décider, à la lumière de l’ensemble de la preuve, si la poursuite a prouvé la culpabilité du major Duquette hors de tout doute raisonnable.

 

[46]           Le doute raisonnable s’applique à la question de la crédibilité. À l’égard de toute question, la Cour peut croire un témoin, ne pas le croire ou être incapable de décider. La Cour n’a pas besoin de croire ou de ne pas croire entièrement un témoin ou un groupe de témoins. Si la Cour a un doute raisonnable quant à la culpabilité du major Duquette en raison de la crédibilité des témoins, la Cour doit le déclarer non coupable.

 

[47]           Si la preuve, l’absence de preuve, la fiabilité ou la crédibilité d’un ou plusieurs témoins soulèvent dans l’esprit de la Cour un doute raisonnable sur la culpabilité du major Duquette sur un chef d’accusation, la Cour doit le déclarer non coupable de ce chef.

 

[48]           À cette étape-ci, il est peut-être bon de rappeler certains principes de base concernant la détermination de la crédibilité d’un témoin par la cour, tels qu’énoncés par le juge Watt dans la décision de R. c. Clark, 2012 CACM 3, aux paragraphes 40 à 42 :

 

[40]      Premièrement, les témoins ne sont pas « présumés dire la vérité ». Le juge des faits doit apprécier le témoignage de chaque témoin en tenant compte de tous les éléments de preuve produits durant l’instance, sans s’appuyer sur aucune présomption, sauf peut-être la présomption d’innocence : R. c. Thain, 2009 ONCA 223, 243 CCC (3d) 230, au paragraphe 32.

 

[41]      Deuxièmement, le juge des faits n’est pas nécessairement tenu d’admettre le témoignage d’un témoin simplement parce qu’il n’a pas été contredit par le témoignage d’un autre témoin ou par un autre élément de preuve. Le juge des faits peut se fonder sur la raison, le sens commun et la rationalité pour rejeter tout élément de preuve non contredit : Aguilera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 507, au paragraphe 39; R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, aux paragraphes 9 à 11.

 

[42]      Troisièmement, comme on le demande régulièrement et nécessairement aux jurys dans les affaires civiles et pénales, le juge des faits peut accepter ou rejeter tout ou partie d’un témoignage versé au dossier. Autrement dit, l’appréciation de la crédibilité n’est pas dépourvue de nuances. On ne peut non plus déduire de la conclusion selon laquelle un témoin est crédible que son témoignage est fiable et encore moins qu’il permet à une partie de se décharger du fardeau de preuve sur une question précise ou dans son ensemble.

 

[49]           La Cour a entendu le major Duquette témoigner. Lorsqu’une personne accusée d’une infraction témoigne, la Cour doit évaluer son témoignage comme elle le ferait à l’égard de tout autre témoin, en suivant les directives mentionnées plus tôt au sujet de la crédibilité des témoins. La Cour peut accepter la preuve du major Duquette en totalité ou en partie ou l’écarter entièrement.

 

[50]           Évidemment, si la Cour croit le témoignage du major Duquette selon lequel il n’a pas commis les infractions reprochées, elle doit le déclarer non coupable.

 

[51]           Cependant, même si la Cour ne croit pas le témoignage du major Duquette, mais que son témoignage soulève néanmoins dans son esprit un doute raisonnable quant à un élément essentiel de l’infraction, elle doit le déclarer non coupable de cette infraction.

 

[52]           Même si le témoignage du major Duquette ne soulève pas dans l’esprit de la Cour un doute raisonnable quant à un élément essentiel de l’infraction reprochée, si, après avoir examiné l’ensemble de la preuve, elle n’est pas convaincue hors de tout doute raisonnable de la culpabilité du major Duquette, elle doit l’acquitter.

 

[53]           La Cour ne doit examiner que la preuve qui lui est présentée dans la salle d’audience. Elle est constituée de témoignages et de pièces produites. Elle peut également comprendre des admissions, comme c’est le cas ici, car les avocats des deux parties se sont entendus sur certains faits.

 

[54]           Les réponses d’un témoin aux questions qui lui sont posées font partie de la preuve. Les questions qui sont posées par les avocats ou la cour, par contre, ne constituent pas de la preuve, à moins que le témoin ne soit d’accord avec ce qui est demandé. Seules les réponses constituent de la preuve.

 

[55]           Maintenant, qu’en est-il des différents éléments essentiels pour chacune des accusations à être prouvées par la poursuite?

 

[56]           Disons tout d’abord qu’il appartient au procureur de la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable l’identité de la personne en tant qu’auteur de chacune des infractions, et la date et le lieu tels qu’allégués dans les détails de chacune des infractions. Il est à noter que suite aux admissions faites par le major Duquette, la poursuite a été dispensée de faire une telle preuve concernant spécifiquement ces éléments essentiels.

 

[57]           La Cour se limitera donc à identifier les éléments essentiels propres à chacune des infractions dont le major Duquette fait l’objet.

 

[58]           Le major Duquette est accusé d’agression sexuelle. L’article 271 du Code criminel est ainsi rédigé :

 

271  Quiconque commet une agression sexuelle est coupable :

 

a)  soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans . . .;

 

b)  soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois ou, si le plaignant est âgé de moins de seize ans, d’un emprisonnement maximal de deux ans moins un jour, la peine minimale étant de six mois.

 

[59]           Ainsi, la poursuite doit prouver les éléments essentiels suivants hors de tout doute raisonnable :

 

a)                  que le major Duquette a touché directement ou indirectement la plaignante;

 

b)                  que le major Duquette a touché intentionnellement la plaignante;

 

c)                  que le major Duquette a touché la plaignante dans des circonstances de nature sexuelle;

 

d)                 que la plaignante ne consentait pas à l’activité sexuelle en question;

 

e)                  que le major Duquette savait que la plaignante ne consentait pas à l’activité sexuelle en question.

 

[60]           Dans l’arrêt R. c. Chase, [1987] 2 RCS 293, à la page 302, le juge McIntyre a donné une définition de l’agression sexuelle comme étant des voies de fait portant atteinte à l’intégrité sexuelle de la victime.

 

[61]           Le paragraphe 265(1) du Code criminel énonce notamment :

 

265 (1)  Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas :

 

a)  d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement;

 

[62]           Dans l’arrêt R. c. Ewanchuk, [1999] 1 RCS 330, au paragraphe 23, il a été établi que deux éléments doivent être prouvés, soit l’acte en question et l’intention de le commettre.

 

[63]           L’actus reus, soit la commission de l’acte, est considéré prouvé lorsqu’il a été démontré par la poursuite, hors de tout doute raisonnable, qu’il y a eu des attouchements, la nature sexuelle de ceux-ci et l’absence de consentement de la part de la victime.

 

[64]           Le consentement signifie l’accord volontaire de la plaignante à l’activité sexuelle en question. Le consentement doit avoir été donné à l’égard de chacun des actes qui ont eu lieu. Une plaignante n’a pas l’obligation d’exprimer son absence de consentement, par des paroles ou son comportement.

 

[65]           Il n’y a pas de consentement à moins que la plaignante ait, dans son esprit, accepté l’activité sexuelle au moment où celle-ci se produisait.

 

[66]           Notez bien que le consentement à une forme d’activité sexuelle ne vaut pas consentement à toutes les formes d’activité sexuelle. Par exemple, le consentement à l’emploi d’une certaine force ne vaut pas consentement à l’emploi d’une force plus grande; le fait de consentir à être touché sur une partie du corps ne vaut pas consentement à être touché sur d’autres parties du corps; le consentement à une forme de contact ne vaut pas consentement à toute forme de contact. De plus, une personne peut révoquer son consentement ou en limiter la portée à tout moment.

 

[67]           Le silence ne vaut pas consentement, pas plus que la soumission ou le fait de ne pas résister.

 

[68]           Il est aussi bon de rappeler qu’on ne peut inférer le consentement de l’habillement de la plaignante.

 

[69]           Pour que le consentement soit valide, la plaignante doit être consciente et capable de donner son consentement pendant toute la durée de l’activité.

 

[70]           La Cour a entendu une preuve selon laquelle la plaignante n’a pas consenti à l’activité sexuelle en question. Il revient à la Cour de décider si cette preuve la convainc hors de tout doute raisonnable que la plaignante n’y a pas consenti. La Cour doit examiner tous les éléments de preuve, y compris les circonstances entourant le contact physique entre l’accusé et la plaignante, afin de décider si la plaignante n’y a pas consenti. La Cour prend compte de toute parole prononcée ou de tout geste posé, y compris une preuve de comportement ambigu ou contradictoire, et de tout autre signe indiquant l’état d’esprit de la plaignante à ce moment-là.

 

[71]           La mens rea est l’intention de se livrer à des attouchements sur une personne, tout en sachant que celle-ci n’y consent pas, en raison de ses paroles ou de ses actes, ou encore en faisant montre d’insouciance ou d’aveuglement volontaire à l’égard de cette absence de consentement.

 

[72]           Pour prouver que l’accusé savait que la plaignante ne consentait pas, la poursuite doit prouver l’une des situations suivantes :

 

a)                  que l’accusé savait vraiment que la plaignante ne consentait pas à l’activité sexuelle en question;

 

b)                  que l’accusé savait qu’il existait un risque que la plaignante ne consente pas à l’activité sexuelle en question et que l’accusé ne s’en est pas soucié;

 

c)                  que l’accusé avait connaissance de signes indiquant que la plaignante ne consentait pas à l’activité sexuelle en question, mais qu’il a délibérément choisi de les ignorer parce qu’il ne voulait pas connaître la vérité.

 

[73]           Le major Duquette est accusé de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline pour avoir harcelé sexuellement la plaignante, contrairement à l’article 129 de la LDN, qui se lit en partie comme suit :

 

129  (1)  Tout acte, comportement ou négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline constitue une infraction passible au maximum, sur déclaration de culpabilité, de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté.

 

(2)  Est préjudiciable au bon ordre et à la discipline tout acte ou omission constituant une des infractions prévues à l’article 72, ou le fait de contrevenir à :

 

a)  une disposition de la présente loi;

 

b)  des règlements, ordres ou directives publiés pour la gouverne générale de tout ou partie des Forces canadiennes;

 

c)  des ordres généraux, de garnison, d’unité, de station, permanents, locaux ou autres.

 

[74]           En plus de prouver l’identité, la date et le lieu de l’infraction, la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants :

 

a)                  le comportement allégué s’est réellement produit;

 

b)                  le préjudice au bon ordre et à la discipline;

 

c)                  l’état d’esprit blâmable.

 

[75]           L’article 129 de la LDN est une disposition générale qui criminalise tout comportement jugé préjudiciable au bon ordre et à la discipline au sein des Forces armées canadiennes (FAC).

 

[76]           L’article 129 de la LDN ne crée pas deux infractions, soit une en vertu du paragraphe 129(1) de la LDN et une autre en vertu de du paragraphe 129(2) de la LDN. Au contraire, il s’agit d’une seule et même infraction.

 

[77]           Le paragraphe 129(1) de la LDN nous indique simplement que tout acte, comportement ou négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline est une infraction. De manière générale, une preuve hors de doute raisonnable d’un préjudice au bon ordre et à la discipline doit être faite, alors que la preuve d’un tel préjudice peut être quelquefois inférée des circonstances si la preuve indique clairement que le préjudice est une conséquence naturelle d’un fait prouvé.

 

[78]           Le paragraphe 129(2) de la LDN nous indique que dans certaines conditions particulières, le préjudice au bon ordre et à la discipline est réputé en être un. Il s’agit cependant d’une présomption qui peut être réfutable.

 

[79]           Dans certains cas, le paragraphe 129(2) de la LDN est nul dans la mesure où il a pour conséquence de dispenser la poursuite d’établir hors de tout doute raisonnable la culpabilité de la personne accusée avant que celle-ci n’ait à répondre à l’accusation ou en d’autres mots, qu’il permet une déclaration de culpabilité malgré l’existence d’un doute raisonnable dans l’esprit du juge des faits quant à la culpabilité de l’accusé. Ici, cette question n’a pas été soulevée et ne semble pas s’appliquer au contexte de cette affaire.

 

[80]           Il est bon de spécifier que l'expression « bon ordre » employée à l'article 129 de la LDN est assez vaste pour inclure le bon ordre au sens donné à ces mots dans la vie civile dans leur application aux civils et au sens qui leur est attribué dans la vie militaire, dans leur application aux membres d'une force militaire.

 

[81]           La discipline militaire est la pierre angulaire d’une force armée effective et efficiente dans une démocratie. Si les exigences de la discipline militaire ne sont pas atteintes, l’autorité militaire peut en être affectée et cela ne peut qu’avoir pour conséquence de jeter le discrédit sur le service affaiblissant l’autorité des personnes concernées. Cela peut être aussi perçu comme étant préjudiciable au concept de discipline militaire.

 

[82]           Comme l’a déclaré le colonel J.-B. Cloutier en 2003 dans sa thèse de maîtrise à l’université d’Ottawa intitulée L’utilisation de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale dans le système de justice militaire canadien, à la page 29, la discipline militaire « permet une application contrôlée de la force dans l’accomplissement de l’objectif militaire en permettant de canaliser l’effort de chacun en fonction des besoins du groupe vers le succès de la mission. »

 

[83]           Il est à noter que la conduite qui est préjudiciable au bon ordre ne l’est pas nécessairement à la discipline, dépendant des circonstances. Cependant, la conduite qui est préjudiciable à la discipline est considérée comme l’étant aussi au bon ordre. En d’autres mots, il n’est pas suffisant de prouver que la conduite était préjudiciable au bon ordre, mais il faut prouver qu’elle était aussi préjudiciable à la discipline.

 

[84]           Maintenant, que veut dire le mot « préjudice » ? Il n’est pas défini dans la Loi ou les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC). Selon l’article 1.04 des ORFC, les mots et expressions sont interprétés selon le sens ordinaire approuvé, indiqué dans Le Petit Robert s'il s'agit d'un texte français. Comme mentionné par la Cour d’appel de la cour martiale du Canada (CACM) dans R. c. Golzari, 2017 CACM 3, Le Petit Robert définit le mot « préjudiciable » lorsqu’utilisé dans l’expression « préjudiciable au » qui porte, peut porter préjudice à quelqu’un. Quant au mot « préjudice », le même dictionnaire définit ce mot comme un acte ou événement nuisible aux intérêts de quelqu’un. De la manière dont le mot « préjudiciable » est utilisé dans une accusation, et tel qu’il a été indiqué dans la décision de la CACM dans Golzari au paragraphe 78, il signifie une conduite qui « tend à ou est susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur la discipline ». Comme l’exprime la CACM dans le même paragraphe, « [l]a discipline militaire exige qu’un comportement soit puni s’il existe un risque véritable d’effets préjudiciables au bon ordre au sein de l’unité; cela constitue plus qu’une simple possibilité de préjudice. »

 

[85]           Quant à l’esprit blâmable du major Duquette concernant cette infraction, il s’agit de celui de l’accusé en relation avec la conduite qui lui est reprochée au moment de l’infraction alléguée. Cette infraction n’exige pas de la part du major Duquette une intention spécifique de causer un préjudice au bon ordre et à la discipline par sa conduite.

 

[86]           Le major Duquette est aussi accusé d’avoir maltraité une personne qui en raison de son grade lui est subordonnée. L’article 95 de la LDN se lit comme suit :

 

95  Quiconque frappe ou de quelque autre façon maltraite un subordonné — par le grade ou l’emploi — commet une infraction et, sur déclaration de culpabilité, encourt comme peine maximale un emprisonnement de moins de deux ans.

 

[87]           Pour que la Cour tire la conclusion selon laquelle le major Duquette est coupable de l’infraction d’avoir maltraité la plaignante qui lui aurait été subordonnée par le grade, la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants :

 

a)                  le fait que le major Duquette a maltraité la plaignante;

 

b)                  le fait que la plaignante était une subordonnée en raison du grade du major Duquette;

 

c)                  l’état d’esprit blâmable du major Duquette.

 

[88]           Chaque membre des FAC doit respecter la dignité de toute personne, y compris celle de ses subordonnés. Une telle infraction vise essentiellement à éviter les situations d’abus de pouvoir ou d’autorité au sein d’une telle organisation, lequel abus pourrait ainsi miner la confiance et le moral devant habiter les soldats accomplissant leur mission.

 

[89]           Comme je l’ai mentionné dans ma décision R. c. Murphy, 2014 CM 3021, en ce qui a trait à l’état d’esprit blâmable, la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable que le major Duquette avait l’intention de maltraiter la plaignante dans le cadre de l’exercice d’un tel lien hiérarchique.

 

[90]           La question centrale dans cette cause est de déterminer si le major Duquette a commis ou non les gestes allégués par la poursuite et qui ont donné lieu aux accusations. Il n’appartient pas à l’accusé de démontrer que les événements n’ont pas eu lieu. La Cour n’a pas non plus la tâche de comparer les versions entre elles et choisir l’une d’elle plutôt qu’une autre. Il s’agit pour la Cour de déterminer, à la lumière de l’ensemble de la preuve, si elle est satisfaite hors de tout doute raisonnable que les événements qui sont à la base des infractions alléguées ont bel et bien eu lieu.

 

[91]           J’aimerais d’abord disposer du premier incident auquel la plaignante a fait référence. Tel que suggéré par la poursuite, je suis d’avis que la plaignante a bel et bien décrit deux incidents distincts. Après avoir révisé la preuve de la plaignante, j’en viens aussi à la conclusion, à la lumière des témoignages des deux autres témoins, que ces derniers n’ont pas assisté et n’ont pas fourni de preuve visant à corroborer ce premier incident.

 

[92]           En effet, il appert que dans son témoignage, la plaignante, après avoir décrit le premier incident à la Cour, a affirmé que les deux autres témoins avaient vu aussi cet incident. Pour justifier sa position, elle a mentionné qu’elle avait parlé à ces deux témoins après les faits. Or, comme la poursuite le suggère, je comprends de son témoignage qu’elle a conclu ainsi, non pas parce qu’elle a parlé à ces deux témoins immédiatement après le premier incident, mais parce qu’il lui apparaissait que les deux témoins, après leur avoir parlé seulement après le deuxième incident, avaient vu les deux incidents.

 

[93]           Or, la preuve de ces deux témoins est claire à l’effet qu’ils ont vu un seul incident, et celui qu’ils ont décrit réfère au deuxième incident relaté par la plaignante.

 

[94]           La Cour conclut donc que la preuve de la poursuite sur le premier incident se base uniquement sur le témoignage de la plaignante, tel que suggéré par la poursuite.

 

[95]           Afin d’éviter une longue analyse qui serait inutile en raison de la conclusion de la Cour sur ce fait et sa portée réelle, il est nécessaire d’aborder l’impact de cette preuve à l’encontre de l’élément essentiel de l’intention de l’accusé à l’égard des trois chefs accusations dans la perspective où la Cour aurait rejeté le témoignage de l’accusé.

 

[96]           Essentiellement, la plaignante a témoigné qu’elle avait été touchée par quelqu’un une première fois. Elle a donc établi qu’elle avait fait l’objet d’un contact. L’admission de l’accusé quant à l’identité, combiné au fait qu’elle a identifié que l’accusé était sur place, fait en sorte qu’il est clair que la Cour aurait conclu que le major Duquette aurait été l’auteur de ce contact.

 

[97]           Par contre, dans cette perspective, la preuve de l’intention d’avoir un tel contact n’aurait pas convaincu la Cour de cet aspect hors de tout doute raisonnable. Tel qu’établi par certains témoins, un plancher de danse peut entraîner un contact accidentel avec d’autres personnes. Cette possibilité existe et il aurait été très difficile pour la Cour de conclure qu’une telle chose n’aurait pas pu arriver. En conséquence, même si la Cour avait conclu que le témoignage de l’accusé n’était pas fiable et crédible, et qu’il ne soulevait aucun doute raisonnable même une fois écarté par la Cour, la poursuite n’aurait quand même pas réussi à convaincre la Cour hors de tout doute raisonnable quant à l’intention de l’accusé de toucher ou de commettre les infractions alléguées, car il est possible que ce premier incident découle tout simplement d’un acte accidentel alors que l’accusé dansait près de la plaignante.

 

[98]           La Cour doit maintenant déterminer si les gestes allégués concernant le deuxième incident décrit par la plaignante et qui a fait l’objet d’une corroboration par deux témoins ont été commis par le major Duquette.

 

[99]           Le major Duquette a témoigné pour sa défense. L’essence de sa version des faits et de la preuve qu’il a présentée à la Cour corrobore essentiellement celles de la plaignante et des témoins de la poursuite quant au déroulement des étapes de la soirée et les heures auxquelles elles ont eu lieu : le cocktail, le souper et la danse.

 

[100]       La Cour arrive à la même conclusion quant à l’atmosphère qui régnait durant la soirée : les gens présents étaient d’humeur joyeuse et festive, et ils avaient du plaisir.

 

[101]       Quant à l’état physique et psychologique des participants de cette soirée, il est clair que tout est basé sur une certaine perception, que ce soit pour soi-même, et encore plus pour les autres. La Cour retient de la preuve que les témoins ont su évaluer honnêtement leur état physique et psychologique en raison de leur consommation d’alcool lors de cette soirée et conclut qu’aucun témoin n’a dit quoi que ce soit qui susciterait une crainte quant à la véracité de leur témoignage sur ce point.

 

[102]       Le major Duquette a mentionné à la Cour qu’il a dansé beaucoup ce soir-là. Encore une fois, l’ensemble de la preuve présentée autant par l’accusé que par la poursuite confirme cela et aussi qu’il a dansé avec différentes personnes, incluant différentes femmes. Il a dansé la majorité du temps en présence de ou avec son épouse, ce qui est confirmé par cette dernière. La preuve de la poursuite place aussi son épouse sur le plancher de danse ou en sa présence lors des incidents allégués.

 

[103]       Comme l’a mentionné la poursuite, le major Duquette était très volubile sur des aspects accessoires lors de son témoignage, comme la question de la mutation hors pays, et beaucoup plus succinct et discret sur les événements reliés à la commission des infractions alléguées. Par contre, la Cour ne peut, seulement sur la manière dont a témoigné le major Duquette, faire une conclusion définitive.

 

[104]       En fait, les événements qu’il a relatés à la Cour diffèrent sur un seul point majeur, soit le fait que les deux incidents qui ont été mis en preuve devant la Cour par la poursuite, quant à lui, ne sont jamais arrivés. Il a affirmé à la Cour que ce qui a été relaté quant au fait qu’il a été repoussé par la plaignante et qu’il a chuchoté à l’oreille de la plaignante lors du deuxième incident allégué ne s’est jamais produit. Selon lui, s’il y avait eu un émoi ou un geste pareil qui aurait été posé, il y aurait eu beaucoup plus de témoins, beaucoup de gens seraient intervenus, et cela n’est jamais arrivé.

 

[105]       De plus, il a été très ferme à l’effet que son épouse n’a pas été témoin d’aucun des événements allégués par la poursuite et que si le premier événement s’était réellement produit, le deuxième ne serait jamais arrivé car il aurait dû retourner à la maison suite au premier. En fait, il affirme que si une telle chose était arrivée, ils ne seraient plus ensemble aujourd’hui.

 

[106]       Il a affirmé que son épouse n’aurait eu aucune tolérance à son égard s’il avait commis un tel geste en sa présence et qu’il n’aurait jamais terminé la soirée à cet endroit. Elle aurait été résolument fâchée.

 

[107]       Son épouse a confirmé qu’elle n’a pas été témoin d’incident au party du 1 décembre 2018 impliquant son mari et qui aurait pu la rendre triste. Elle a aussi dit à la Cour qu’elle n’a pas été témoin que son mari ait été poussé ce soir-là par une dame. Elle a dit qu’elle connaît la plaignante et qu’elle n’a pas vu son mari agrippé les fesses de cette dernière. Elle a affirmé qu’elle n’a pas été fâchée contre son mari durant cette soirée.

 

[108]       Selon elle, si un tel incident s’était produit, elle aurait été très fâchée, aurait sorti son mari de la piste de danse et elle serait retournée à la maison avec lui sur-le-champ en raison de son caractère possessif et jaloux.

 

[109]       Elle a dit qu’elle a passé presque que toute la soirée avec son mari sur le plancher de danse. Il y a évidemment de brefs moments où elle n’était pas avec lui.

 

[110]       Essentiellement, le major Duquette a nié catégoriquement avoir commis les actes que la poursuite lui reproche, et particulièrement le deuxième. Il a fait reposer son témoignage sur l’absence d’agitation de l’entourage où aurait eu lieu le deuxième incident en question sur le plancher de danse ou à tout autre moment durant la soirée, et sur le fait que son épouse qui était présente presque tout le temps avec lui sur le plancher de danse, aurait fortement réagi si elle avait été témoin d’une telle chose. Donc, autrement dit, l’absence de réaction durant la soirée de la part de son entourage immédiat et de son épouse, alors qu’il dansait, confirmerait ses dires quant au fait que ce qui est allégué ne s’est pas produit.

 

[111]       Ce raisonnement laisse la Cour perplexe. En effet, le deuxième incident n’a duré que cinq à dix secondes. Donc, la durée était très brève. Les témoins de la poursuite ont mentionné que cela avait causé un certain embarras, un malaise, mais rien de plus. Effectivement, considérant la durée très courte de l’incident décrit, du fait qu’il était inattendu, que les gens dansaient autour de la plaignante et pouvaient avoir leur attention ailleurs, que la musique était très forte, empêchant d’entendre presque quoi que ce soit, il est tout à fait logique qu’un tel geste ait pu passer inaperçu pour plusieurs. Pour qu’un événement cause un émoi ou une forme d’agitation palpable et visible de la part des gens autour de la plaignante, à notre avis, en raison des circonstances, il aurait fallu quelque chose d’assez fort en bruit ou en geste. Rappelons que personne n’a crié ou n’a réagi vivement selon les témoins et la plaignante.

 

[112]       Alors, que le major Duquette invoque cette situation pour appuyer ses dires nous apparaît un peu inattendu, étonnant, et jusqu’à un certain point étrange.

 

[113]       Quant au témoignage de son épouse, il apparaît à la Cour peu crédible et fiable. Il appert qu’elle est dans une position où elle sait que son témoignage peut faire pencher la balance, et être ainsi plus favorable à l’accusé. Présumé d’une réaction et prétendre ce qu’elle sera, sans appuyer cela d’exemples qui pourraient confirmer une telle tendance n’aide pas la Cour à se faire une idée si c’est une personne qui agirait vraiment comme elle le prétend.

 

[114]       Elle a bien expliqué que cela est un cauchemar et qu’elle veut que cela cesse, ce qui est en soi légitime. Par contre, elle a clairement dit qu’elle était presque en tout temps avec son mari. La preuve de la poursuite ne contredit pas cette information, bien au contraire, elle confirme cela.

 

[115]       Le major Duquette et son épouse ont discuté avec plusieurs personnes au sujet de la mutation hors pays et c’était une vive préoccupation pour eux ce soir-là. Son épouse a même admis que d’aller en Italie était son rêve et celui de l’accusé. Le major Duquette a même commenté à l’effet qu’en raison de son dévouement et de ses bons services, il considérait que c’était quelque chose qui lui était dû.

 

[116]       Dans ce contexte, que son épouse fasse un esclandre, une scène, dans les circonstances de cette soirée, devant des personnes pouvant influencer la décision reliée à sa mutation à l’extérieur du pays, aurait pu mettre en péril ce qui leur tenait à cœur, soit la mutation en Italie, et peut expliquer raisonnablement sa décision, malgré avoir assisté à la scène décrite par la plaignante, de ne pas intervenir, et aujourd’hui, de nier que quelque chose s’est réellement passé.

 

[117]       En conséquence, la Cour conclut que sur le deuxième incident qui est à la base des accusations devant cette Cour, le témoignage du major Duquette n’est pas crédible et fiable.

 

[118]       Même si la Cour ne retient pas le témoignage de l’accusé, il appert qu’il ne soulève pas un doute raisonnable quant au fait que l’incident en question s’est déroulé tel que démontré par la poursuite.

 

[119]       Finalement, il appert que le témoignage de la plaignante apparaît à la Cour comme crédible et fiable. Elle a témoigné de manière calme et cohérente. Elle n’a pas hésité à apporter certains correctifs à ses réponses lorsqu’elle a été confrontée sur certains aspects de son témoignage. Par exemple, elle a reconnu qu’il lui était difficile de témoigner sur l’état d’ébriété de l’accusé sur la seule base de sa consommation d’alcool alors qu’elle n’a pas vraiment tenu un compte exact de ce qu’il avait consommé ce soir-là. Elle a été sincère en répondant pour elle-même sur ce même sujet et n’a aucunement évité la question. Il n’a pas été démontré qu’elle avait une position qui pouvait favoriser une partie ou une autre dans son témoignage.

 

[120]       Quant aux deux autres témoins présentés par la poursuite, il est clair qu’ils n’avaient aucun parti pris. Ils ont été pris par surprise lorsque le deuxième incident s’est produit et ont rendu un témoignage clair et cohérent en ce sens. Chacun de ces deux témoins s’est limité à décrire ce qu’ils ont vu et entendu et en aucun temps ils n’ont tenté de rendre la situation plus favorable pour la plaignante. Leur témoignage respectif était précis, crédible et fiable.

 

[121]       En ce qui a trait au témoignage de l’adjudant-maître McFadden-Davies, la Cour est d’avis qu’il peut être accepté afin d’en apprécier la teneur à la lumière de ceux fournis par les témoins de la poursuite. Essentiellement, les témoins de la poursuite se sont tous vus présenter l’essentiel de ce témoignage en contre-interrogatoire mais en raison de leur réponse, soit qu’ils ne se rappelaient pas d’avoir eu une conversation ou même avoir rencontré ce témoin dans la soirée, il devenait difficile d’exiger d’aller plus loin dans le détail des questions qui leur étaient posées dans les circonstances. Ils ont donc été confrontés aux éléments que l’accusé avait l’intention d’établir devant la Cour avec ce témoignage.

 

[122]       Par contre, l’impact du témoignage de l’adjudant-maître McFadden-Davies est, somme toute, très limité. En effet, que les témoins de la poursuite aient été dans un mode festif affecté par leur consommation d’alcool le soir des événements n’est pas surprenant. Ce témoignage a confirmé que les témoins de la poursuite étaient de bonne humeur et que la plaignante était un peu affectée par la consommation d’alcool, mais pas au point où cela diffère de ce qu’elle a décrit à la Cour dans son propre témoignage. La Cour reconnaît que l’adjudant-maître McFadden-Davies a fourni un témoignage crédible et fiable, mais l’impact de ce dernier est très limité dans cette affaire.

 

[123]       La Cour n’a constaté aucun élément qui la conduirait à conclure qu’il y a eu collusion entre ces trois témoins ou encore qu’elles ont fabriqué cette histoire comme le prétend l’avocat de l’accusé. Au contraire, leur manière de témoigner, les éléments communs de leur témoignage qui portait sur la position de l’accusé et de la plaignante, ce qui est arrivé en général et la durée de cet incident, et les éléments divergents comme le nombre de mains qu’a utilisé l’accusé sur la plaignante, sont tous des facteurs qui confirment qu’il n’y a pas eu collusion.

 

[124]       En conséquence, la Cour conclut que les témoignages de la plaignante et des deux autres témoins présentés par la poursuite sont tout à fait crédibles et fiables.

 

[125]       Maintenant, en ce qui a trait à l’accusation d’agression sexuelle, la Cour est satisfaite hors de tout doute raisonnable que la poursuite a démontré que le major Duquette a touché la plaignante, et ce, de manière intentionnelle et sans son consentement, et qu’il avait connaissance d’une telle absence de consentement de la part de la plaignante parce qu’il ne s’en est pas soucié.

 

[126]       Quant au fait qu’il a touché la plaignante dans des circonstances de nature sexuelle, la Cour est d’avis qu’en considérant la partie touchée par l’accusé, soit les fesses de la plaignante, et les mots chuchotés à son oreille au même moment, la poursuite a démontré hors de tout doute raisonnable cet élément essentiel de l’accusation, car il est clair qu’il trouvait la plaignante sexuellement attirante.

 

[127]       Concernant l’accusation de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline, la Cour est d’avis que la poursuite a démontré hors de tout doute raisonnable le comportement allégué dans l’accusation, soit du harcèlement sexuel, le comportement était préjudiciable au bon ordre et à la discipline, car l’existence de cette norme a été établie, que l’accusé a admis connaître le contenu de cette norme et que ses agissements étaient contraire au contenu de la DOAD 5012-0, et l’état d’esprit blâmable de l’accusé.

 

[128]       Finalement, à propos de l’accusation de mauvais traitement à l’égard de subalternes, la Cour est d’avis que la poursuite a démontré hors de tout doute raisonnable que l’accusé a molesté et malmené une personne qui lui était subordonnée en raison du grade, et aussi l’état d’esprit blâmable de l’accusé.

 

[129]       De plus la Cour est satisfaite que la poursuite a rencontré son fardeau de preuve quant à l’identité, la date et le lieu de l’infraction, considérant les admissions qui ont été faites par l’accusé.

 

[130]       En conséquence, considérant l’ensemble de la preuve, la Cour en vient à la conclusion que la poursuite a démontré tous les éléments essentiels de ces trois accusations hors de tout doute raisonnable et trouve ainsi coupable l’accusé d’agression sexuelle, de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline et d’avoir maltraité une personne qui en raison de son grade lui était subordonnée.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[131]       DÉCLARE le major Duquette coupable du premier chef d’accusation, soit une infraction punissable selon l’article 130 de la LDN, pour une agression sexuelle contrairement à l’article 271 du Code criminel.

 

[132]       DÉCLARE le major Duquette coupable du deuxième chef d’accusation, soit de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline contrairement à l’article 129 de la LDN.

 

[133]       DÉCLARE le major Duquette coupable du troisième chef d’accusation, soit d’avoir maltraité une personne qui en raison de son grade lui était subordonnée contrairement à l’article 95 de la LDN.


 

Avocats :

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par le major É.M.F. Baby-Cormier, le major A.J.J.P.P. Desaulniers et le capitaine F. Corbeil

 

Me C. Cantin, Me S. Morissette et Me J.-P. Gagnon, Cantin Boulianne avocats, 2456 rue St-Dominique, Jonquière (Québec), avocats de major J.R.É. Duquette

 

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