Courts Martial

Decision Information

Summary:

Date of commencement of trial: 10 February 2020

Location: 2nd Canadian Division Support Base Valcartier, building CC-119, room 123, Casgrain Street, Courcelette, QC

Charge:

Charge 1: S. 130 NDA, sexual assault (s. 271 CCC).

Results:

FINDING: Charge 1: Guilty.
SENTENCE: Imprisonment for a period of 18 months.

Decision Content

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COUR MARTIALE

 

Citation:  R. c. Thibault, 2021 CM 5001

 

Date:  20210120

Docket:  201944

 

Cour martiale permanente

 

Centre Asticou

Gatineau (Québec), Canada

 

Entre :

 

Sergent A.J.R. Thibault, requérant

 

- et -

 

Sa Majesté la Reine, intimée

 

 

En présence du : Capitaine de frégate C.J. Deschênes, J.M.


 

Restriction à la publication : Par ordonnance de la Cour rendue en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l’article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement permettant d’établir l’identité de la victime.

 

DÉCISION CONCERNANT LA DEMANDE DE ROUVRIR SA PREUVE DANS LE CADRE DE LA DEMANDE EN RÉCUSATION DU REQUÉRANT

 

(Oralement)

 

Introduction

 

[1]               Le requérant, le sergent Thibault, a été trouvé coupable d’une accusation d’agression sexuelle le 18 février 2020 à la suite d’un procès contesté. Un mois avant la détermination de la peine fixée au 10 août 2020, il signifiait une « Requête pour arrêt des procédures vu une déclaration de culpabilité par un tribunal qui n’est pas indépendant, impartial et équitable en vertu de l’article 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés » (ci-après requête en nullité de procès) alléguant la violation de son droit d’être jugé par un tribunal impartial et indépendant. Cette requête était suivie en octobre d’une demande de récusation de la soussignée d’entendre cette requête en nullité. La requête en récusation était entendue lors d’une audition tenue le 21 décembre 2020 et la Cour avisait les parties à ce moment qu’elle rendrait sa décision sur cette requête le 14 janvier 2021. Le 12 janvier 2021, le requérant faisait signifier une requête pour déposer de la preuve nouvelle au soutien de sa requête en récusation. Le requérant allègue que l’information qu’il entend maintenant déposer en preuve est pertinente à sa demande en récusation et qu’il a agi en toute diligence afin d’obtenir l’information en question. L’intimée conteste cette dernière prétention.

 

Contexte

 

Cheminement du dossier après la condamnation du 18 février 2020

 

[2]               À la suite de sa condamnation pour une agression sexuelle commise à l’été 2011, la Cour a accepté la demande du requérant d’ajourner le procès de plusieurs mois, afin que le sergent Thibault puisse bénéficier de la confection d’un rapport présentenciel aux fins de la détermination de la peine. Le procès devait reprendre au printemps 2020 mais, puisque la crise sanitaire causée par la COVID-19 n’a pas permis que le procès se poursuive à ce moment, la détermination de la peine a été fixée au 10 août 2020. Entre-temps, soit le 9 juillet 2020, à la suite de décisions de la cour martiale ordonnant un arrêt des procédures dans certains dossiers, au motif qu’un ordre du chef d’état-major de la défense (CEMD) d’octobre 2019 (ci-après ordre visé) violait le droit de l’accusé à être jugé par un tribunal indépendant, le requérant signifiait une requête en nullité de procès alléguant la violation de son droit d’être jugé par un tribunal impartial et indépendant. Cette requête datée du 8 juillet 2020 allègue, entre autres, « [qu’il] n’était pas équitable de ne pas avisé [sic] le tribunal qu’elle (la soussignée) était aviseur [sic] du CEMD au moment de l’émission de l’ordre du 19 janvier 2018 qui a fait en sorte que l’indépendance de la cour Martiale [sic] soit attaquée ».

 

[3]               Le 30 juillet 2020, l’avocat de défense au dossier, Me Morin, indiquait qu’il n’était pas en mesure de procéder à court terme pour des raisons de santé et qu’il préférait attendre d’avoir plus de détails sur sa situation médicale avant de fixer une date d’audition. Il était alors convenu d’en reparler avec les parties au début septembre 2020. Le 4 septembre 2020, Me Morin informait la Cour et la poursuite qu’il devait cesser d’occuper et qu’un avocat des Services d’avocats de la défense prendrait la relève. C’est en effet le capitaine de frégate Létourneau qui représente le sergent Thibault depuis ce temps.

 

[4]               Lors de la conférence préparatoire suivante, soit le 18 septembre 2020, le capitaine de frégate Létourneau a fait part de son intention de retirer la requête datée du 8 juillet 2020 afin de déposer un nouvel avis de requête qui ciblerait la question de l’indépendance judiciaire. Il mentionnait aussi son intention de demander la récusation de la soussignée d’entendre cette requête. À l’insistance du capitaine de frégate Létourneau auprès de la soussignée de connaître son intention en lien avec cette question particulière, la soussignée informait alors les parties de son intention de se récuser. Elle les informait aussi qu’elle devait faire certaines vérifications à cet égard, particulièrement la procédure appropriée en l’espèce, et qu’elle informerait les parties de sa position lors de la prochaine conférence préparatoire qui était fixée au 30 septembre 2020. Lors de cette conférence téléphonique du 30 septembre 2020, le capitaine de frégate Létourneau informait la soussignée qu’il avait déposé une nouvelle requête en nullité de procès le matin même. C’est pendant cette conférence téléphonique que la soussignée instruisait les parties qu’une audition préliminaire à la requête en récusation aurait lieu afin que la Cour puisse entendre la position respective des parties sur la question de la récusation. Cette audition était fixée au 9 octobre 2020.

 

Audition préliminaire à la demande de récusation - 9 octobre 2020

 

[5]               Lors de l’audition du 9 octobre 2020, dans le cadre de ses prétentions, le requérant soumettait des allégations au soutien de sa demande de récusation. Il prétendait, entre autres, qu’il y a une crainte raisonnable de partialité pour la soussignée d’entendre la requête en nullité, vu ses antécédents professionnels, en particulier lorsqu’elle était conseillère juridique au Cabinet du CEMD à l’époque où l’ordre visé a été émis originalement. En conséquence, elle devrait se récuser. Lorsque la soussignée a demandé au requérant de combien de temps il avait besoin pour déposer un avis de requête en bonne et due forme, le requérant a demandé un ajournement d’une durée indéterminée afin de présenter ses allégations en lien à la demande de récusation dans le cadre d’une demande à la Cour fédérale. La demande d’ajournement était rejetée par la Cour. Une nouvelle demande d’ajournement de quarante-cinq jours était présentée par le requérant quelques minutes plus tard, ajournement qui lui permettrait de pouvoir préparer un avis de requête plus étoffé demandant la récusation de la soussignée, et lui permettant également de soumettre une demande d’accès à l’information quant au rôle que la soussignée aurait pu avoir dans le développement de l’ordre original. Un ajournement de cinquante-trois jours était alors accordé afin de fournir au requérant le temps qu’il jugeait nécessaire afin de préparer son avis de requête. L’audition de la requête en récusation était fixée au 21 décembre 2020.

 

Procédures à la cour fédérale

 

[6]               À la suite de l’audition du 9 octobre 2020, le requérant a déposé plusieurs procédures devant la Cour fédérale le 30 octobre 2020 puis le 13 novembre 2020, mettant en cause la soussignée personnellement, dont des requêtes visant à prohiber la soussignée d’entendre sa requête en nullité, ainsi que sa requête en récusation. Sous la plume du juge Roy, la Cour fédérale rendait sa décision le 14 décembre 2020 dans Thibault c. Canada (Directeur des poursuites militaires), 2020 CF 1154, rejetant la demande du sergent Thibault pour l’émission d’un bref de prohibition provisoire. Le requérant n’ayant pas déposé la bonne procédure, la Cour fédérale a traité cette dernière comme une requête pour l’obtention d’une mesure provisoire avant de rendre la décision définitive sur l’obtention d’un bref de prohibition.

 

Audition de la requête en récusation - 21 décembre 2020

 

[7]               Lors de l’audition du 21 décembre 2020, le requérant s’est dit prêt à procéder sur la requête en récusation. Il a déposé comme pièces, son avis de requête en récusation datée du 30 novembre 2020 (pièce R2-1), ainsi qu’un affidavit de quatre pages en anglais daté du 26 octobre 2020 et signé par Mme Phyllis Nadeau, technicienne juridique, membre du personnel des Services d’avocats de la défense. Cet affidavit a été déposé en liasse avec dix pièces. Le requérant y a joint un deuxième affidavit de deux pages en anglais de Mme Nadeau daté du 10 novembre 2020 (pièces R2-2). Le requérant a aussi déposé au soutien de sa requête un troisième affidavit de deux pages en anglais de Mme Nadeau daté du 19 novembre 2020 (pièce R2-3) dans lequel elle affirme – je traduis librement – avoir fait une demande d’accès à l’information le 15 octobre 2020 demandant l’accès à tous documents en lien avec l’ordre visé, documents reçus, envoyés ou faisant référence à la soussignée entre le 1er juillet 2017 et le 31 juillet 2019, lorsque cette dernière servait comme conseillère juridique membre du Juge-avocat général (JAG) au Cabinet du CEMD. Cet affidavit était déposé en liasse avec deux pièces en annexe : la première étant un courriel de réponse à Mme Nadeau provenant de Mme Dagenais de la Direction de l’Accès à l'information et protection des renseignements personnels au ministère de la Défense nationale, daté du 18 novembre 2020, expliquant que sa direction avait dû prendre une extension afin de pouvoir répondre à la demande d’accès à l’information. La deuxième annexe jointe à l’affidavit du 19 novembre 2020 est une lettre signée de Mme Deirdra Finn datée du 12 novembre 2020. La signature indique que Mme Finn est la Directrice - Accès à l'information et protection des renseignements personnels au ministère de la Défense nationale. Dans sa lettre adressée à Mme Nadeau, elle y indique que des documents pertinents ont été identifiés en lien avec la demande d’accès à l’information du 15 octobre 2020 de Mme Nadeau, qu’une consultation de leur part était requise, et qu’une réponse finale sur la demande d’accès à l’information lui serait fournie au plus tard le 13 janvier 2021. Le requérant a également fourni à la Cour lors de cette audition, les mémoires des faits et du droit préparés et déposés à la Cour fédérale, documents qui constituent les représentations écrites du requérant dans le cadre de sa requête en récusation.

 

[8]               Le sergent Thibault a témoigné brièvement, et disant renoncer en partie au privilège du secret professionnel de l’avocat, a expliqué à la Cour que lors du procès menant au verdict de culpabilité, son avocat de l’époque n’était pas au courant des décisions récentes de la cour martiale concernant l’ordre visé, et l’en informait quelques semaines après sa condamnation du 18 février 2020.

 

[9]               L’intimée a déposé un avis de demande en irrecevabilité de la demande d’avortement du procès pour violation de l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés en réponse aux allégations du requérant (pièce R2-4).

 

[10]           Les parties ont alors clos leur preuve et ont plaidé sur la requête en récusation. À la fin des plaidoiries, la Cour a informé les parties qu’elle rendrait sa décision le 14 janvier 2021.

 

Audition du 14 janvier 2021

 

[11]           Le 12 janvier 2021, le requérant transmettait à l’administratrice de la cour martiale son avis de requête pour déposer de la preuve nouvelle sur la requête en récusation. Au lieu de rendre sa décision comme prévu le 14 janvier 2021, la Cour a procédé à l’audition de cette nouvelle requête.

 

La question en litige

 

[12]           La demande du requérant de rouvrir sa preuve afin de permettre l’admission de l’information caviardée, obtenue le 5 janvier 2021 à la suite de sa demande d’accès à l’information, rencontre-t-elle les critères applicables pour ce type de demande présenté après sa condamnation, mais pendant le délibéré de la Cour sur la demande de récusation?

 

Preuve

 

[13]           Le 12 janvier 2021, le requérant a déposé au dossier de la cour au soutien de sa demande, l’information qu’il tente d’introduire comme preuve nouvelle et a référé à son contenu de façon générale lors de l’audition du 14 janvier 2021. Cette information est composée d’un affidavit en anglais daté du 11 janvier 2021 et signé par Mme Phyllis Nadeau. Dans son affidavit, Mme Nadeau affirme, de nouveau, avoir fait une demande d’accès à l’information le 15 octobre 2020. Y est annexée la réponse signée numériquement le 4 janvier 2021 par Mme Deirdra Finn et reçue par l’affiant le 5 janvier 2021. La réponse adressée à Mme Nadeau l’avise que les documents recherchés ont été trouvés et sont joints à la lettre de réponse. Elle l’avise aussi que certaines informations ont été retenues au terme de l’article 23 de la Loi sur l’accès à l’information. Jointe à la réponse, on y trouve notamment, des échanges de courriels entre la soussignée et des membres du Cabinet du JAG, ou encore, entre ces derniers, des mémos et des ébauches de mémos, ainsi que des ordres du CEMD, incluant l’ordre visé. Vu la nature protégée par le secret professionnel de l’avocat, tous ces documents, sauf les ordres du CEMD, ont été presque entièrement caviardés. On n’y retrouve que le bloc signature, quelques fois accompagné du sujet en rubrique et, dans le cas de courriels, les adresses courriel de l’expéditeur et du ou des destinataire(s). Sur certains des documents, par contre, on y trouve des notes écrites à la main qui semblent être de nature privilégiée, mais qui n’ont, de toute évidence, pas été caviardées.

 

Le droit applicable

 

Pouvoirs de la cour martiale

 

[14]           Au niveau des dispositions applicables, l’article 112.51 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC) prévoit que, dans le cadre de la détermination de la peine, après avoir entendu les parties, la cour martiale peut d’office exiger la production des éléments de preuve pertinents, rappeler des témoins, citer d’autres témoins et les interroger. Dans ce cadre particulier où les règles de preuve sont appliquées de façon plus souple puisque l’accusé a déjà été trouvé coupable, la cour martiale a permis dans le passé à une partie qui le demande de rouvrir sa preuve. Voir par exemple R. v. Corporal E.J. Haché, 2004 CM 18; R. c. Paradis, 2010 CM 3025. Comme le confirme l’arrêt Haché, il ne semble pas y avoir de disposition spécifique dans la Loi sur la défense nationale (LDN) ou les ORFC qui prévoit la réouverture de la preuve à la demande d’une partie. Ceci dit, les pouvoirs conférés à la cour martiale que l’on retrouve à l’article 179 de la LDN comprennent l’autorité pour la Cour de se prononcer sur une telle demande de common law, tandis que l’article 101.04 des ORFC guide la Cour dans la procédure générale à suivre.

 

Critères applicables pour permettre la réouverture de la preuve d’une partie

 

[15]           La permission de rouvrir sa preuve après que les parties aient clos la présentation de leur preuve est une mesure exceptionnelle puisque la Cour doit assurer la protection de l’intégrité du processus judiciaire et la finalité des jugements. Le caractère exceptionnel de cette mesure prend aussi sa source selon le principe bien établi qu’une partie — que ce soit la poursuite ou la défense — doit présenter toute sa preuve dans son entièreté au moment de la présentation de celle-ci. Elle ne peut pas scinder sa preuve. En d’autres termes, elle ne peut pas attendre le moment qu’elle juge propice pour présenter un nouvel élément de preuve.

 

[16]           La Cour suprême du Canada (CSC) a énoncé les critères applicables dans l’arrêt Palmer c. la Reine, [1980] 1 R.C.S. 759 afin de déterminer si une cour d’appel peut faire droit à une demande de recevoir de la preuve nouvelle. Ces critères ont servi d’ailleurs à guider notre cour d’appel dans la décision R. c. Cole, 1997 CanLII 17153 (CACM). Selon le premier critère, la Cour ne devrait généralement pas admettre une preuve qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produite au procès. Deuxièmement, la preuve doit être pertinente, en ce sens qu’elle doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès. Troisièmement, la preuve doit être plausible, en ce sens qu’on puisse raisonnablement y ajouter foi. Finalement, elle doit être telle que si l’on y ajoute foi, le juge saisi d’une telle demande doit être convaincu que son admissibilité aura une incidence sur le résultat.

 

[17]           La jurisprudence a reconnu que ce sont ces mêmes principes qui guident la décision du juge de première instance aux prises avec la demande d’une partie pour réouverture de preuve. Dans l’arrêt R. v. Kowall, 108 C.C.C. (3d) 481, où la permission d’en appeler à la CSC avait été rejetée, à la suite de la condamnation, le juge de première instance avait ajourné le procès pour la détermination de la peine. Pendant cette période, le nouvel avocat du contrevenant avait demandé la permission de rouvrir sa preuve pour permettre le témoignage d’un témoin qui était disponible lors du procès, mais que le contrevenant avait omis d’appeler lors de la présentation de sa preuve. La cour d’appel a établi que lorsque ce type de demande est soumis au juge du procès après la condamnation, ce sont les critères de Palmer qui guident le juge du procès dans l’examen de la demande. Elle précise d’ailleurs que l’arrêt R. v. Hayward, 86 C.C.C. (3d) 193, arrêt soumis au soutien des prétentions du requérant, ne s’applique que lorsque la demande est faite avant la condamnation. Après la condamnation, le test doit alors s’appliquer de façon plus rigoureuse, et le juge du procès doit se demander s’il s’agit d’une tactique de la défense de renverser une décision prise lors du procès. En effet, un accusé doit accepter les choix tactiques qu’il a faits tout au long du procès. Le fardeau de démontrer qu’elle remplit les critères applicables pour la réouverture de sa preuve incombe évidemment à la partie qui en fait la demande.

 

[18]           Il s’agit donc d’une analyse contextuelle. Les faits de la cause, la nature de l’affaire, le cheminement du dossier, l’étape de la procédure à laquelle la demande est faite, ainsi que la nature de l’information que le requérant vise à admettre en preuve, sont des aspects à prendre en considération lors de l’examen de la demande. Cette liste n’est évidemment pas exhaustive. En outre, si la preuve existait lors du procès, il y a lieu de se demander s’il s’agissait effectivement de preuve nouvelle — le critère de la diligence raisonnable est d’autant plus judicieux. À ce sujet, après avoir référé aux critères établis dans Palmer, le juge Rothstein s’exprimait comme suit dans l’arrêt R. c. Hay, [2013] 3 S.C.R. 694 au paragraphe 64 :

 

Le facteur de la diligence raisonnable existe pour assurer le caractère définitif et le déroulement ordonné du processus judiciaire criminel — des valeurs essentielles à l’intégrité du processus en matière criminelle.

 

Le critère de diligence raisonnable devrait normalement être considéré avec les autres critères de l’arrêt Palmer si l’absence de diligence avait pour effet de rejeter une preuve qui mènerait à une erreur judiciaire. En d’autres termes, s’il y a absence de diligence raisonnable, mais la preuve nouvelle à une chance raisonnable d’avoir une incidence sur le résultat du litige et qu’il est dans l’intérêt de la justice de l’admettre, la Cour devrait permettre son admission. Voir R. c. Warsing, [1998] 3 R.C.S. 579.

 

Analyse

 

Diligence raisonnable

 

[19]           Le requérant n’a pas démontré qu’il a agi avec diligence raisonnable. En premier lieu, lors du témoignage du sergent Thibault dans le cadre de la requête en récusation, où il a dit renoncer en partie au privilège du secret professionnel de l’avocat, il a expliqué que son avocat l’aurait informé de l’ordre visé quelques semaines après le prononcé du verdict, soit quelques semaines après le 18 février 2020. Malgré cela, ce n’est que sept à huit mois plus tard qu’il entreprend des démarches pour obtenir l’information qu’il juge pertinente et qui existait depuis 2017-2018. Sa requête du 8 juillet 2020 alléguait d’ailleurs que les antécédents professionnels de la soussignée auraient, selon lui, eu un impact sur l’équité du procès. Il explique ce délai pour agir par l’impression qu’aurait laissée la soussignée, le 18 septembre 2020, à l’effet qu’elle entendait se récuser de l’affaire, et qu’il ne voyait donc pas la nécessité d’obtenir l’information en cause. Il ne fournit aucune explication quant à son omission d’agir avant le 18 septembre 2020. Il ne mentionne pas non plus que la soussignée avait avisé les parties qu’il y avait de l’incertitude quant à cette position du 18 septembre 2020 ni que seulement douze jours se sont écoulés entre la mention de la récusation et l’instruction de la soussignée de procéder par audition préliminaire à la requête en récusation afin d’entendre les parties sur cette question. C’est d’ailleurs pour pallier à cette mention de récusation que la soussignée a accordé, à la demande du requérant d’un ajournement de quarante-cinq jours, un ajournement additionnel de cinquante-trois jours pour qu’il puisse préparer son avis de requête en récusation. De plus, il savait, ou aurait dû savoir, que l’information qu’il recherchait était protégée par le secret professionnel de l’avocat, que cela occasionnerait des délais additionnels pour obtenir l’information et qu’on lui fournirait ultimement des documents largement caviardés. La Cour ne peut conclure que le requérant a agi avec diligence raisonnable. Son inaction, s’étalant sur une période de presque un an, est inexplicable et inexpliquée.

 

[20]           De surcroit, à l’ouverture de l’audition du 21 décembre 2020, le requérant a affirmé être prêt à procéder sur la requête en récusation, bien que le 18 novembre 2020, il avait été informé par lettre que l’information qu’il recherchait lui serait fournie au plus tard le 13 janvier 2021, tel qu’il appert de l’affidavit additionnel de Mme Nadeau daté du 19 novembre 2020, et des pièces en annexe (pièce R2-3). Malgré tout, le requérant a dit à la Cour être prêt à procéder le 21 décembre 2020, et a clos sa preuve le même jour. Il a choisi de procéder en tout état de cause.

 

Les autres critères de Palmer

 

[21]           Le requérant n’a pas rencontré son fardeau d’établir que l’information qu’il considère comme étant de la preuve nouvelle satisfait aux autres critères de l’arrêt Palmer. L’information que le requérant tente d’admettre en preuve ne vise pas à influer sur la condamnation, mais vise plutôt à améliorer ou renforcer la preuve soumise dans le cadre de sa demande en récusation qui allègue une crainte raisonnable de partialité de la part de la soussignée d’entendre la requête en nullité de procès. Il tente de démontrer que la soussignée a fourni des conseils juridiques dans le cadre de la rédaction de l’ordre visé lorsque ce dernier a été originalement émis, en voulant introduire comme preuve l’information reçue qui a été largement caviardée et obtenue à la suite de sa demande d’accès à l’information d’octobre 2020. Bien que cet aspect puisse sembler pertinent à la question de la récusation, et même si on décidait d’ajouter foi à des documents largement caviardés, le critère de l’incidence sur le résultat n’est pas satisfait. En effet, le principe applicable à l’examen d’une demande de récusation est l’existence d’une crainte raisonnable de partialité, tel que l’a rappelé la CSC dans l’arrêt Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2003] 2 S.C.R. 259. Or, suivant la prétention du requérant à l’effet qu’il existe une crainte raisonnable de partialité, la biographie de la soussignée a déjà été déposée en preuve par le requérant (pièce R2-2), document qui était dans le domaine public depuis juin 2019. Cette preuve était suffisante pour étayer ses prétentions. S’ajoute à cela le fait que la soussignée a une connaissance personnelle de ses antécédents professionnels et du travail dont elle était chargée à l’époque où l’ordre visé a été originalement émis. L’information en question n’est donc d’aucune utilité.

 

Conclusion

 

[22]           Le requérant n’a pas agi en toute diligence. De plus, puisque l’information que le requérant tente de déposer ne vise qu’à solidifier sa preuve, elle n’apporte rien de nouveau au litige. Son admission n’aurait donc aucune incidence sur la décision portant sur la demande de récusation. Même si on y ajoute foi, on ne peut raisonnablement penser qu’avec les autres éléments de preuve produits à l’audition, elle aurait eu une incidence sur le résultat. Conséquemment, il n’est pas dans l’intérêt de la justice d’admettre cette information.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[23]           REJETTE la requête pour réouverture de la preuve.


 

Avocats :

 

Le capitaine de frégate M. Létourneau, Service d’avocats de la défense, avocat du requérant, le sergent A.J.R. Thibault

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par le major L. Langlois, avocat de l’intimée

 

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