Courts Martial

Decision Information

Summary:

Date of commencement of trial: 22 March 2022

Location: Asticou Centre, block 2600, room 2601, courtroom, 241 de la Cité-des-Jeunes Boulevard, Gatineau, QC

Language of the trial: French

Charge:

Charge 1: S. 117(f) NDA, an act of a fraudulent nature not particularly specified in sections 73 to 128 of the National Defence Act.

Results:

FINDING: Charge 1: Guilty.
SENTENCE: A reduction in rank to the rank of captain.

Decision Content

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COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Martimbeault, 2022 CM 5007

 

Date : 20220322

Dossier : 202209

 

Cour martiale permanente

 

Centre Asticou

Gatineau (Québec) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Major J.L.D. Martimbeault, contrevenant

 

 

Devant : Capitaine de frégate C.J. Deschênes, J.M.


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

Introduction

 

[1]               Le major Martimbeault a avoué sa culpabilité à une accusation portée au terme de l’alinéa 117f) de la Loi sur la défense nationale (LDN), soit d’avoir commis un acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la LDN, pour avoir soumis des demandes d’indemnité et de remboursement totalisant 24 260 $, sachant qu’il n’y avait pas droit. La Cour doit maintenant imposer une peine juste et équitable qui assurera le maintien de la discipline militaire.

[2]               Dans le cadre de la procédure de la détermination de la peine, les avocats de la poursuite et de la défense ont présenté une recommandation conjointe quant à la peine à imposer. Ils recommandent à la Cour l’imposition d’une peine de rétrogradation au grade de capitaine. La Cour doit maintenant examiner la peine suggérée par les parties afin de déterminer si celle-ci satisfait au critère applicable.


Faits

[3]               Dans le cadre de la procédure à suivre en vue de déterminer la peine à infliger, en conformité avec la règlementation applicable, la poursuite a informé la Cour des circonstances entourant la commission de l’infraction pour laquelle le major Martimbeault a plaidé coupable. Il a formellement admis la véracité des faits entourant la commission de l’infraction, tels que décrits dans le Sommaire conjoint des circonstances, qui se lit comme suit :

 

« SOMMAIRE CONJOINT DES CIRCONSTANCES

 

1.                  A l’époque pertinente à la présente cause, le Major Martimbeault était membre de la force régulière des Forces canadiennes. Il était affecté au Groupe de soutien des Forces canadiennes – Détachement Londres. Il occupait la position de commandant du détachement. Il a occupé ce poste de juillet 2016 à juin 2019. Il a transféré à la Force de réserve à l’automne 2020.

 

L’indemnité pour le tutorat

 

2.                  Lors de sa mutation à Londres, le Maj Martimbeault était accompagné de son épouse ainsi que de leurs quatre (4) enfants d’âge scolaire.

 

3.                  Tel que stipulé au Chapitre 10 des Directives sur la rémunération et les avantages sociaux applicables aux Forces canadiennes (DRAS) dans la directive qui est intitulé : Directive sur le service militaire à l’étranger, tout le personnel en affectation à un lieu de service à l’extérieur du Canada et accompagné de personnes à charge d’âge scolaire a droit à une aide afin que les enfants puissent recevoir un enseignement primaire et secondaire comparable à celui qui se donne au Canada et qui leur permettra de réintégrer sans trop de difficultés le système scolaire canadien. Les indemnités sont conformes aux modalités, notamment de la Directive sur le service extérieur (DSE) 34 – Indemnités scolaires. Cette directive est émise par le Conseil national mixte, mais s’applique au personnel des FC par référence dans le chapitre 10 des DRAS. Les bénéfices incluent notamment des leçons particulières (ci-après tutorat) dans la deuxième langue officielle afin d'offrir jusqu'à 50 heures d'enseignement par année scolaire à chaque enfant.

 

4.                  Pour les années scolaires 2017/2018 et 2018/2019, le Maj Martimbeault a demandé l’indemnité afin que ses quatre enfants, qui fréquentaient des écoles anglaises, puissent recevoir des cours de tutorat en français. Afin d’être autorisé à toucher l’indemnité, le Maj Martimbeault a suivi la procédure indiquée et a remis trois soumissions provenant d’enseignants pouvant effectuer le tutorat. La Gestion de l’éducation des enfants (GEE) qui est un organisme des Services de bien-être et moral des Forces canadiennes, a approuvé la demande du Maj Martimbeault.

 

Le service de tutorat

 

5.                  Parmi les soumissions envoyées, la soumission qui était la plus basse provenait de Mme Desruisseaux. Elle était également la seule tutrice s’exprimant dans un français d’origine québécois plutôt que de la France. Elle possédait un Brevet d’enseignement du Ministère de l’Éducation du Gouvernement du Québec. Celle-ci a donc été sélectionnée par le Maj Martimbeault afin de fournir le tutorat aux quatre enfants pour l’année scolaire 2017/2018 et, suite au même processus, pour 2018/2019.

 

6.                  Mme Desruisseaux, une amie de longue date de la famille Martimbeault, a offert les services de tutorat en langue française aux quatre enfants du Maj Martimbeault via Skype à partir de son domicile au Canada et lors d’un voyage à Londres.

 

Les réclamations pour le tutorat

 

7.                  Le 15 février 2018, le Maj Martimbeault a demandé et reçu des avances sur les réclamations (une réclamation par enfant devait être soumise) d’un montant total de 4889,40 $ pour le tutorat de l’année scolaire 2017/2018. Le 9 juillet 2018, le Maj Martimbeault recevait la somme de 8682,60 $ lors de la finalisation des réclamations pour le tutorat offert par Mme Desruisseaux en 2017/2018. Le 21 août 2018, le Maj Martimbeault a demandé et reçu la somme de 10 668,00 $ comme avance pour le tutorat de l’année scolaire 2018/2019. La somme totale reçue par le Maj Martimbeault concernant le tutorat fourni par Mme Desruisseaux pendant les deux années scolaires s’élève à 24 260,00 $

 

8.                  Au soutien des réclamations de tutorat, le Maj Martimbeault a transmis le 3 juillet 2018, un courriel de Mme Desruisseaux indiquant que des montants lui avaient été payés suite à des factures du 28 mars 2018, 31 mai 2018 et 20 juin 2018. Le Maj Martimbeault a également soumis un total de 12 factures datées du 28 mars 2018, 31 mai 2018 et 20 juin 2018 au nom de Mme Desruisseaux. Le Maj Martimbeault a soumis, entre le 4 septembre 2018 et le 19 juin 2019, d’autres reçus au nom de Mme Desruisseaux. La documentation laissait notamment croire que Mme Desruisseaux habitait à Londres.

 

L’enquête

 

9.                  Puisque le Maj Martimbeault avait indiqué qu’il payait Mme Desruisseaux en argent comptant pour les services de tutorat cela a été trouvé surprenant compte tenu des sommes en jeu. Le GEE a audité le dossier avant que les réclamations de l’année scolaire 2018/2019 ne soient finalisées. Le dossier d’audit a rapidement été transféré aux policiers militaires.

 

10.              L’enquête policière a démontré que Mme Desruisseaux n’avait jamais résidé en Angleterre bien que l’adresse des reçus et factures le laissait croire. Elle n’a d’ailleurs jamais présenté de soumissions, ni de factures ou de reçus au Maj Martimbeault. Elle a offert le tutorat sans expectative de rémunération. La signature qui appert sur certains des documents soumis en son nom n’est pas la sienne. Elle a déclaré qu’elle avait ouvert une case postale en Angleterre à la demande du Maj Martimbeault. Elle a soumis un courriel confirmant les services rendus aux enfants du Maj Martimbeault à la demande de celuici [sic]. Elle a reçu du Maj Martimbeault la somme de 1438,59 $ en remboursement du billet d’avion lors du voyage à Londres de quelques semaines à l’été 2018 et 3000,00 $ pour les services qu’elle a rendus.

 

11.              L’enquête a révélé que le Maj Martimbeault a réclamé les sommes liées au tutorat de ses enfants. Bien qu’il ait peut-être eu droit à cette indemnité pour ces enfants, les paiements auraient dû être versés en bonne et due forme au tuteur approuvé.

 

Le remboursement complet

 

12.              Les réclamations du tutorat de l’année scolaire 2018/2019 n’ont jamais été finalisées et, lors du transfert du Maj Martimbeault de la Force régulière à la Force de réserve en septembre 2020, il a dû rembourser le montant de 10 688,00 $ qu’il avait reçu comme avances pour le tutorat de 2018/2019.

 

13.              Le 1er février 2022, dans le cadre du règlement de la présente cause, le Maj Martimbeault a volontairement remboursé aux Forces canadiennes la somme de 13 572,00 $, pour les services de tutorat couvrant l’année scolaire 2017/2018, incluant les avances et réclamations finalisées. »

 

Question en litige

 

[4]               La Cour doit maintenant déterminer si la peine proposée, soit une rétrogradation au grade de capitaine, serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, ou serait par ailleurs contraire à l’intérêt public.

 

Position des parties

 

Poursuite

 

[5]               La procureure soumet que la suggestion commune satisfait au critère de l’intérêt public. Selon elle, la peine à imposer doit viser les objectifs de dénonciation, de dissuasions générale et spécifique. Elle soumet que la gravité objective de l’infraction concernée est un facteur aggravant, ainsi que la somme concernée par l’acte frauduleux, le degré de sophistication requis pour commettre l’infraction et le fait que l’accusé est un membre d’un grade supérieur. La poursuite confirme avoir également tenu compte des facteurs atténuants présents dans ce dossier, soit le plaidoyer de culpabilité, la restitution volontaire des sommes, le retrait de sa participation à un déploiement prévu au début de cette année en raison des procédures judiciaires qui pèsent contre lui, ainsi que ce qu’elle réfère à l’autodestitution,  le major Martimbeault ayant choisi de libérer des Forces armées canadiennes (FAC) volontairement en conséquence des procédures pesant contre lui.

[6]               La poursuite explique que, malgré qu’elle ait été informée très récemment de sa libération, elle considère que la peine proposée de rétrogradation au grade de capitaine serait conforme aux principes énoncés par la Cour suprême du Canada (CSC) dans l’arrêt R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43, puisqu’il héritera en conséquence, d’un casier judiciaire.

 

Défense

 

[7]               La défense explique que la peine de rétrogradation imposée à un ancien membre des FAC aura l’effet escompté, car en vertu du paragraphe 60(3) de la LDN, l’accusé est réputé avoir le même statut qu’avant sa libération, et doit être considéré détenir le grade de major. Sa libération ne fait aucune différence selon la défense, ce qui importe étant son statut au moment de l’imposition de la peine par cette Cour. Son avocat soumet aussi que sa chaîne de commandement a considéré sa situation en lien avec ces procédures avant d’accepter sa demande de libération des FAC.

 

[8]               La défense plaide aussi que l’accusé avait droit à ses sommes. Il avait droit de soumettre ses réclamations; en d’autres termes, les FAC auraient remboursé les montants réclamés. Par contre, il soumet que c’est l’utilisation des sommes qui était frauduleuse. La défense concède néanmoins que le major Martimbeault n’aurait pas dû les réclamer.

 

[9]               Son avocat explique qu’une peine de rétrogradation est une peine élevée dans l’échelle des peines. C’est sa situation qui dicte la peine qui devrait être imposée. À cet égard, malgré la position de commandant du détachement qu’il détenait lors de la commission de l’infraction, il n’était pas responsable des fonds concernés. S’ajoute à cela qu’il y a eu des délais pour entendre sa cause en cour martiale (CM), un fait constituant aussi un facteur atténuant. L’accusé voulait procéder rapidement par procédure sommaire, mais sa chaîne de commandement a choisi de référer la cause pour être jugée par une cour martiale, entraînant des délais importants pour la conclusion des procédures. De plus, toujours dans le contexte de sa situation personnelle, il a participé à de nombreux déploiements, démontrant son niveau d’expérience militaire et de dévouement au sein des FAC.

 

[10]           Finalement, référant à l’affaire R. c. Berlasty, 2019 CM 2032, qui contient en annexe un tableau qui brosse de façon détaillée les peines imposées dans des cas similaires, et le cas du capitaine de frégate Martin, qui serait la cause la plus pertinente, la peine proposée est conforme au principe de l’harmonisation des peines. Faisant un parallèle avec la décision Anthony-Cook où la CSC a considéré qu’un ajout de six mois d’emprisonnement par le juge du procès à la peine proposée de dix-huit mois était jugé comme étant du tinkering (remaniement), la défense allègue que le juge n’a pas nécessairement toute l’information en main, laissant entendre que la Cour devrait faire preuve de déférence envers leur recommandation conjointe.

 

La preuve

 

[11]           La poursuite a déposé en preuve la documentation énumérée à l’article 111.17 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), soit les points pertinents des états de service de l’accusé daté 21 mars 2022, une copie certifiée du sommaire de dossiers personnels du membre datée 21 mars 2022, une copie certifiée du guide de solde en anglais en date du 8 mars 2022, ainsi que quatre reçus officiels du gouvernement du Canada en date du 1 février 2022 pour le paiement d’une somme totalisant 13 572 $. De son côté, la défense a déposé de consentement, un sommaire conjoint des faits.

 

L’analyse

 

[12]           Une sanction juste doit viser un ou plusieurs objectifs énumérés dans la LDN, notamment la dénonciation des comportements illégaux, la dissuasion tant générale que spécifique et la réinsertion sociale des contrevenants. Dans le cadre de la détermination de la peine visant ces objectifs, le juge doit appliquer les principes que l’on retrouve dans la LDN, en particulier le principe fondamental qui établit que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant. La peine doit donc être adaptée aux circonstances aggravantes et atténuantes liées à la perpétration de l’infraction, ainsi qu’à la situation du contrevenant. Elle doit aussi être semblable à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. Elle se doit d’être la peine la moins sévère possible qui permette de maintenir la discipline, l’efficacité et le moral des FAC. Finalement, les conséquences indirectes du verdict de culpabilité ou de la sentence doivent être prises en considération.

 

[13]           Dans notre système de justice militaire, tout comme celui des cours criminelles, les avocats de la poursuite et de la défense protègent et défendent les intérêts de la partie qu’ils représentent. Lorsqu’ils conviennent de recommander au juge une peine en particulier, le juge du procès devrait supposer qu’ils ont considéré les principes applicables à la détermination de la peine tout en veillant aux intérêts de leur client. Ils ont aussi une connaissance approfondie des faits pertinents de la cause, ainsi que des forces et des faiblesses de la preuve. La preuve soumise dans le cadre de la détermination de la peine et les représentations des parties, doivent faire état des éléments qu’ils ont considérés afin de justifier leur position en fonction des faits de la cause, car le critère que le juge doit appliquer lors de l’appréciation de la recommandation conjointe a pour effet de limiter grandement sa discrétion à ce stade de la procédure.

 

[14]           Selon ce critère appelé critère de l’« intérêt public », la Cour ne devrait rejeter la recommandation conjointe que si la peine proposée est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou si elle n’est pas, par ailleurs, dans l’intérêt public. En d’autres termes, une recommandation conjointe déconsidérerait l’administration de la justice si celle-ci est tellement dissociée des circonstances entourant l’infraction et de la situation du contrevenant que son acceptation amènerait les personnes renseignées et raisonnables, au fait de toutes les circonstances pertinentes, à croire que le système de justice militaire a cessé de bien fonctionner.

 

[15]           Afin de déterminer si la peine satisfait au critère de l’intérêt public, la recommandation conjointe doit être examinée à la lumière des circonstances entourant la commission de l’infraction, des facteurs aggravants et atténuants, de la situation du contrevenant, et ce, en considération des principes de la détermination de la peine expliqués plus tôt.

 

Gravité de l’infraction

 

[16]           La peine maximale prévue dans la Loi pour une infraction donnée est indicative de la gravité objective de l’infraction en question. Au terme de l’article 117 de la LDN, une personne trouvée coupable de cette infraction s’expose à une peine maximale d’un emprisonnement de deux ans, sans distinction aucune du montant impliqué au titre de privation des intérêts pécuniaires de la victime. Son équivalent du Code criminel, l’article 380, prévoit comme peine maximale un emprisonnement de quatorze ans si le montant concerné dépasse 5 000 $.

 

Facteurs à considérer pour ce type d’infraction

 

[17]           Ayant considéré la gravité objective et la nature de l’infraction, les autres aspects essentiels de cette cause ont fait l’objet de considération lors de la détermination de la peine. D’ailleurs, la décision R. c. Caporal-chef K.M. Roche, 2008 CM 1001 énumère, au paragraphe 16, les facteurs particulièrement pertinents à la détermination de la peine pour ce type d’infraction, notamment :

 

[16]…la nature et l'étendue de la fraude et la perte économique ou pécuniaire réelle de la victime; le degré de préméditation dans la planification et la mise en œuvre de la fraude; le comportement du contrevenant après la commission de l'infraction y compris le remboursement des victimes; la collaboration avec les autorités ainsi que le plaidoyer de culpabilité à la première opportunité; les antécédents judiciaires; le bénéfice personnel tiré de la fraude; le lien d'autorité et de confiance envers la victime; et, la motivation sous-jacente à la commission de la fraude.

 

Facteurs aggravants

 

[18]           À ce titre, eu égard aux facteurs aggravants du cas en l’espèce, le dossier de la Cour et la preuve soumise dans le cadre de la détermination de la peine révèlent que :

 

a)                  l’infraction a été commise alors que le major Martimbeault détenait le grade de major et de surcroît, occupait la position de commandant du détachement de Londres. Bien que la preuve au dossier soit insuffisante pour conclure que la commission de l’infraction comportait spécifiquement l’utilisation abusive de son grade ou de son autorité, par exemple parce que le contrevenant était responsable des fonds utilisés pour le paiement de l’indemnité, ou encore étant le supérieur direct de ceux qui administraient les fonds, il aurait utilisé sa position pour l’obtention des sommes, il a toutefois violé la confiance de ceux qui devaient administrer ses réclamations, des membres de son détachement, des FAC et du public en général, en utilisant des moyens frauduleux pour s’enrichir au détriment des contribuables;

 

b)                  il a aussi abusé la confiance d’un membre du public avec qui lui et sa famille entretenaient une relation d’amitié de longue date, Mme Desruisseaux, qui offrait ses services professionnels de tutorat à ses enfants sans attente de rémunération, en lui demandant de contribuer, à son insu, à la supercherie, entre autres en exigeant d’elle qu’elle produise des pièces justificatives au soutien de ses demandes de réclamations, et en gardant pour soi-même les sommes qui lui étaient destinées. Elle n’a reçu de lui que la somme de 1 438,59 $ en remboursement du billet d’avion lors de sa visite à Londres à l’été 2018 et de 3 000 $ pour les services professionnels qu’elle a rendus;

 

c)                  la fraude s’est déroulée sur une certaine période, réclamant pour deux années consécutives;

 

d)                  compte tenu des moyens utilisés pour obtenir les montants réclamés, il y avait un degré de sophistication et de préméditation impliqué dans la commission de l’acte frauduleux. Afin d’être autorisé à toucher l’indemnité, il a remis trois soumissions provenant d’enseignants. Il a également soumis un total de douze factures et plusieurs reçus, tous au nom de Mme Desruisseaux. L’enquête a révélé néanmoins que Mme Desruisseaux n’a jamais présenté de soumissions, ni de factures ou de reçus au contrevenant. La signature qui appert sur certains des documents soumis en son nom n’est pas la signature de la tutrice. Il a, à deux reprises, demandé et reçu des avances sur les réclamations, en raison d’une réclamation par enfant. En plus de la demande à cette dernière de produire un courriel confirmant les services de tutorat au soutien de ses réclamations, Mme Desruisseaux a déclaré qu’elle avait ouvert une case postale en Angleterre à la demande du major Martimbeault;

 

e)                  les montants reliés aux intérêts pécuniaires de la victime étaient élevés, dépassant largement le seuil du 5 000 $ prévu dans le Code criminel qui prévoit dans ce cas comme peine max un emprisonnement de quatorze ans. Pour les deux années scolaires, il a soumis des réclamations auxquelles il n’avait pas droit pour montant total de 24 260 $;

 

f)                   la fraude a été détectée à la suite d’une vérification financière, en d’autres mots, ce n’est pas de son chef que la fraude est venu au grand jour;

 

g)                  la Cour a également considéré que la conduite s’est produite dans un contexte relié au service à l’étranger.

 

Facteurs atténuants

 

[19]           Néanmoins, puisque la sentence doit être proportionnée, la Cour a également considéré les facteurs atténuants qui ressortent de ce dossier :

 

a)                  Il a plaidé coupable. Un plaidoyer de culpabilité est un facteur atténuant d’importance qui vient mitiger la peine. En outre, il constitue une indication de remords. Il permet également d’éviter que les représentants de la victime viennent témoigner, entraînant une économie importante des ressources nécessaires à la tenue d’un procès contesté;

 

b)                  Il n’y a pas eu de perte économique pour la victime. En effet, les sommes ont toutes été remboursées. Les réclamations de l’année scolaire 2018/2019 n’ont jamais été finalisées et, lors de son transfert de la force régulière à la force de réserve en septembre 2020, il a dû rembourser le montant de 10 688,00 $ qu’il avait reçu comme avances pour le tutorat de 2018/2019. Il a de plus, dans le cadre du règlement de la présente cause, volontairement remboursé aux FAC la somme de 13 572 $ pour les services de tutorat couvrant l’année scolaire 2017/2018, incluant les avances et réclamations finalisées.

 

[20]           Je n’accepte pas la suggestion de la défense voulant que le major Martimbeault avait droit à ces sommes, suggérant que ceci pourrait constituer un facteur atténuant. L’indemnité existait certes, néanmoins, les sommes n’avaient pas été déboursées lorsqu’il a soumis ses réclamations. Elles ont été réclamées de façon mensongère. D’ailleurs, la commission d’une fraude, surtout lorsqu’elle implique des deniers publics, se déroule habituellement dans le contexte d’un droit existant à une indemnité ou à une compensation. L’indemnité utilisée ne change en rien la nature frauduleuse de l’acte.

 

Autres facteurs

 

[21]           Quant à la libération volontaire des FAC, il s’agit d’une décision qui lui appartenait mais qui peut être prise en compte, car les avocats m’indiquent que cette décision a été prise en lien avec ces procédures. Il a donc choisi de subir un impact financier de taille en demandant d’être libéré des FAC.

 

Conséquences indirectes de la sentence

 

[22]           De plus, la Cour a considéré comme conséquence indirecte à la peine, qu’au terme de l’article 249.27 de la LDN, la peine suggérée amènera la création d’un casier judiciaire.

 

Objectifs visés

 

[23]           La jurisprudence a reconnu que la peine à imposer pour ce type d’infraction devrait généralement viser les objectifs de dissuasion générale et de dénonciation. Dans R. c. St-Jean, 6 CACM 159 en particulier, la Cour d’appel de la cour martiale (CACM) s’exprimait comme suit :

 

[22] Un abus de confiance telle la fraude est souvent très difficile à découvrir et les enquêtes qui y ont trait sont dispendieuses. Les abus de confiance minent le respect du public envers l'institution et ont pour résultat la perte de fonds publics. Les membres des Forces armées qui sont déclarés coupables de fraude, et les autres membres du personnel militaire qui pourraient être tentés de les imiter, devraient savoir qu'ils s'exposent à des sanctions qui dénonceront de façon non équivoque leur comportement et leur abus de la confiance que leur témoignaient leur employeur de même que le public et les dissuaderont de se lancer dans ce genre d'activités.

 

[24]           La CACM précisait dans ce même paragraphe que l'objectif de dissuasion n'impliquait pas nécessairement l’imposition d’une peine d’emprisonnement dans de tels cas; néanmoins, cette option n'était pas exclue, même dans le cas d'une première infraction. Chaque cas dépend des faits de la cause (voir également R. c. Darrigan, 2020 CACM 1).

 

Harmonisation des peines

 

[25]           J’ai examiné la recommandation conjointe dans le contexte du principe de l’harmonisation des peines. Dans Berlasty, une décision soumise par la défense, le caporal Berlasty recevait des indemnités à la suite d’une blessure attribuable au service militaire en tant que réserviste. Pendant une partie de cette période, il travaillait comme civil sur un chantier de construction sans avoir obtenu, ni même demandé, l’approbation au préalable des autorités de recevoir une telle rémunération alors qu’il recevait en même temps cette indemnité en lien avec son incapacité à servir. Le montant acquis frauduleusement était estimé à une somme de l’ordre de 2 500 $. Il était condamné à la suite d’un procès contesté à un emprisonnement de dix jours dont l’exécution était suspendue par le tribunal militaire, avec une amende de 4 000 $.  

 

[26]           La décision Berlasty contient un tableau joint en annexe où l’on trouve une liste avec un bref résumé de décisions rendues depuis la trilogie de décisions rendues par la CACM en 1999. Cette trilogie établissait qu’une peine d’incarcération n’était pas toujours de mise dans les cas de vols et de fraude. Dans ces trois décisions, la CACM n'a pas imposé de peines privatives de liberté pour des infractions de même nature :

 

a)                  Dans R. c. Vanier, 6 CACM 114, l’accusé avait été trouvé coupable de sept chefs d’accusation reliées à des actes à caractères frauduleux. L’appel de la poursuite de la sentence de rétrogradation au grade de lieutenant-colonel et de l’amende de 10 000 $ était rejeté;

b)                  Dans R. c. LeGaarden, 6 CACM 119, il s’agissait de plusieurs infractions dont la falsification de documents comme moyen dolosif. La peine d'emprisonnement de six mois était remplacée par une amende de 10 000 $ et un blâme; et

c)                  Dans R. c. Deg, 6 CACM 123, l’accusé avait plaidé coupable à une accusation de vol commis alors qu'il était chargé de la garde ou de la distribution d'une avance permanente ou en avait la responsabilité, à 23 accusations d'avoir fait de fausses inscriptions dans des documents officiels, et à une accusation de négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline. La peine d'emprisonnement de quatre mois était substituée à un blâme et une amende de 5 000 $.

Voir aussi R. c. Lévesque, 6 CACM 149, rendue plus tard la même année.

[27]           En plus d’être informée des principes établis par la trilogie, ainsi que des peines imposées pour ce type d’infraction, tel que le réfère la cause Berlasty, la Cour a aussi considéré les cas suivants, étant particulièrement pertinents dans le contexte de l’application du principe de l’harmonisation des peines, eu égard aux sommes impliqués qui sont fort comparables, et eu égard au grade de certains des contrevenants :

 

a)                  R. c. Arsenault, 2013 CM 4007, à la suite d’un procès contesté, l’adjudant Arsenault était reconnu coupable entre autres d’une fraude au terme du Code criminel, impliquant une somme de 34 000 $. La CM condamnait le contrevenant à une détention pour une période de trente jours et une rétrogradation au grade de sergent. La CM commentait qu’une rétrogradation au grade de sergent constitue un signe très tangible que ce genre de comportement n'est pas accepté et que la combinaison de peines atteint les objectifs de dissuasion et de dénonciation;

 

b)                  RcMosher, 2019 CM 4014, où la soumission conjointe pour l’imposition d’une amende de 10 000 $ à un lieutenant-colonel était acceptée par la Cour;

 

c)                  R. c. Martin, 2014 CM 3001, où la soumission conjointe pour l’imposition d’un blâme et d’une amende de 10 000 $ à un capitaine de frégate était acceptée par la Cour;

 

d)                  R. c. Major M. Paradis, 2006 CM 75, où la soumission conjointe pour l’imposition d’une rétrogradation et d’une amende de 1 000 $ était acceptée par la Cour.

 

À la lumière de cette jurisprudence, la Cour se déclare satisfaite que la recommandation conjointe est conforme au principe de l’harmonisation des peines.

 

Situation du contrevenant

 

[28]           Le major Martimbeault à 52 ans. Il est marié et a quatre enfants. Il s’est enrôlé dans la force de réserve le 10 janvier 1987. Il a été commissionné et transféré dans la régulière à la même date, soit le 27 octobre 2000. Il a été promu au grade de major en 2010, puis a transféré de nouveau à la force de réserve à l’automne 2020. Il a pris sa retraite des FAC le 1er mars 2022.

[29]           Au cours de sa carrière, il a servi à l’étranger et a été déployé à Kaboul, Afghanistan, en 2004. Il a reçu plusieurs décorations et médailles : Force de protection des Nations Unies en Yougoslavie (FORPRONU), Médaille canadienne du maintien de la paix (MCMP), Décoration des Forces canadiennes (CD), Étoile de campagne générale – Asie du Sud-Ouest (ÉCG-ASO), et la Médaille du service spécial (MSS).

 

[30]           Les parties ont confirmé qu’il n’a pas de fiche de conduite à son dossier tant dans la force régulière que de réserve.

 

[31]           La preuve révèle également qu’une mesure, de nature administrative, lui a été imposée en conséquence des procédures de cette cour martiale; sa sélection pour participer à un déploiement outre-mer à l’Opération SOPRANO au Soudan du Sud a été annulée. Il a demandé sa libération des FAC en raison des procédures qui pèsent contre lui. Je n’ai malheureusement pas d’information sur son plan de carrière.

 

Conclusion

 

[32]           Toutefois, eu égard aux considérations particulières qui s’appliquent lors de l’appréciation du caractère acceptable d’une recommandation conjointe, la Cour conclut que la peine conjointement recommandée en l’espèce est conforme au critère de l’intérêt public. Une peine de rétrogradation est une peine élevée dans l’échelle des peines; elle a une signification d’importance et envoie un signal marqué de la part des FAC, même lorsqu’il s’agit d’un contrevenant qui n’est plus militaire, et permet de satisfaire aux objectifs de dénonciation et de dissuasion.

 

POUR CES RAISONS, LA COUR :

 

[33]           Déclare le major Martimbeault coupable d’une accusation portée au terme de l’alinéa 117f) de la LDN, soit d’avoir commis un acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la LDN.

 

[34]           LE condamne à une rétrogradation au grade de capitaine.


 

Avocats :

 

Le Directeur des poursuites militaires, tel que représenté par la majore É. Baby-Cormier

 

Major E. Carrier, Service d’avocats de la défense, avocat du major J.L.D. Martimbeault

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