Courts Martial

Decision Information

Summary:

Date of commencement of trial: 1 November 2021

Location: Longue-Pointe Garrison, building 213, 6560 Hochelaga Street, Montréal, QC

Language of the trial: French

Charge:

Charge 1: S. 130 NDA, sexual assault (s. 271 CCC).

Results:

FINDING: Charge 1: Guilty.
SENTENCE: Imprisonment for a period of 30 days, a reduction in rank to the rank of private and a fine in the amount of $5000.

Decision Content

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COUR MARTIALE

 

Citation: R. c. El-Zein, 2021 CM 3012

 

Date: 20211201

Dossier: 202111

 

Cour martiale permanente

 

Base de soutien de la 2e Division du Canada Valcartier

Détachement Montréal

Montréal (Québec), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal M. El-Zein, accusé

 

 

En présence du :  Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.C.A.


 

Restriction à la publication : Par ordonnance de la Cour rendue en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l’article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement permettant d’établir l’identité de la personne décrite dans la présente cour martiale, « D.F. », comme étant la plaignante.

 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Oralement)

 

Introduction

 

[1]               Le caporal El-Zein a été accusé d’une infraction punissable en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale (LDN) pour agression sexuelle contrairement à l’article 271 du Code criminel.

 

[2]               L’accusation se lit comme suit :

 

« Premier chef d’accusation

 

Article 130 de la Loi sur la défense nationale

 

INFRACTION PUNISSABLE SELON L’ARTICLE 130 DE LA LOI SUR LA DÉFENSE NATIONALE, SOIT L’AGRESSION SEXUELLE CONTRAIREMENT À L’ARTICLE 271 DU CODE CRIMINEL

 

Détails : En ce que, le ou vers le 7 mai 2019, à ou près de la ville de Laval, Canada, il a agressé sexuellement D.F. »

 

[3]               Essentiellement, la poursuite prétend que l’accusé aurait commis cette infraction dans l’après-midi du 7 mai 2019 pendant qu’il pratiquait la course à pied en compagnie de la plaignante. Ils étaient alors tous les deux en service dans le cadre de l’Opération LENTUS et l’infraction alléguée se serait produite dans un sentier boisé situé près de l’édifice utilisé pour cette opération et qui héberge normalement les membres du 6e Bataillon du Royal 22e Régiment à Laval, province de Québec.

 

La preuve

 

[4]               La poursuite a cité un seul témoin, soit la plaignante, qui aurait été le témoin direct des gestes commis par le caporal El-Zein à son égard. Une copie des messages échangés entre l’accusé et la plaignante sur Facebook Messenger en date du 5 et 6 mai 2019 a aussi été déposée par le procureur de la poursuite.

 

[5]               Le caporal El-Zein a décidé de témoigner pour sa propre défense.

 

[6]               Finalement, la Cour a pris connaissance judiciaire des éléments énumérés et contenus à l’article 15 des Règles militaires de la preuve.

 

Les faits

 

[7]               D.F. et le caporal El-Zein se sont connus au printemps 2019 dans le cadre de l’Opération LENTUS. Cette opération des Forces armées canadiennes (FAC) visait essentiellement à intervenir auprès des collectivités de la région de Montréal et Laval dans le cadre des inondations qui se sont produites au printemps 2019.

 

[8]               La plaignante et l’accusé sont des membres de deux unités différentes de la force de réserve et ils se sont portés volontaires pour travailler à plein temps sur l’Opération LENTUS. Les membres des FAC ont été regroupés et hébergés dans une bâtisse à Laval abritant normalement une unité de réserve, soit le 6e Bataillon du Royal 22e Régiment.

 

[9]               D.F. a participé à l’Opération LENTUS du 21 avril au 20 mai 2019. Alors que durant la première semaine de sa participation à cette opération, elle a surtout aidé à remplir et fournir des sacs de sable pour aider à stabiliser la situation liée aux inondations, elle s’est retrouvée, à compter de la deuxième semaine, soit vers la fin du mois d’avril, à être responsable d’assigner et superviser les tâches générales liées à la présence des membres des FAC dans la bâtisse à Laval.

 

[10]           À ce moment, D.F. était avec les FAC depuis seulement environ deux ans et portait le grade de soldat. C’est dans ce contexte que le caporal El-Zein a rencontré la plaignante pour la première fois. Il était avec les FAC depuis peu, puisqu’il n’avait complété que sa formation de base et qu’il n’était pas encore qualifié pour porter le grade de soldat.

 

[11]           Selon l’accusé, c’est dans la petite cuisinette située dans l’édifice du 6e Bataillon du Royal 22e Régiment que le caporal El-Zein et la plaignante se sont vus et rencontrés pour la première fois. Toujours selon lui, lorsque D.F. le regardait, ses yeux brillaient et elle lui souriait constamment. Il a affirmé qu’elle lui parlait timidement, chaleureusement et avec douceur. Essentiellement, toujours selon son témoignage, elle se comportait de manière différente avec lui qu’avec les autres soldats.

 

[12]           Selon la plaignante, différents militaires lui étaient assignés chaque jour pour qu’elle puisse effectuer les tâches générales qui étaient de sa responsabilité. Ainsi, elle affirme que c’est lorsque le caporal El-Zein a été affecté aux tâches générales sous sa supervision qu’elle l’a plutôt rencontré pour la première fois. Elle ne se rappelle pas de s’être comportée de manière différente avec lui qu’avec d’autres militaires sur place.

 

[13]           Le caporal El-Zein a témoigné que la relation s’est beaucoup développée dans les jours qui ont suivis. Ils se rencontraient sur le terrain de parade près des lits de camp, au mess et ils pouvaient passer environ un total de deux heures ensembles durant le déroulement de toute une journée. Puisqu’elle était une musicienne, elle l’a invité personnellement à assister à une prestation de contrebasson qu’elle donnait à l’intérieur sur le terrain de parade au bénéfice de tous les militaires présents.

 

[14]           La plaignante n’a aucun souvenir d’avoir fait une invitation personnelle à l’accusé pour qu’il assiste à sa prestation musicale, mais elle se souvient d’en avoir parlé à des groupes de personnes, ce qui pourrait inclure l’accusé. Elle a nié avoir passé beaucoup de temps seule avec le caporal El-Zein au cours d’une journée, considérant l’horaire chargé qu’elle avait. Elle dit avoir été amicale avec tout le monde. Cependant, elle a reconnu qu’elle croisait et jasait souvent avec l’accusé. Elle a dit qu’il lui semblait qu’une amitié commençait et qu’ils s’entendaient bien avant que l’incident allégué se produise.

 

[15]           Quelques jours après leur rencontre initiale, soit le 2 mai 2019, le caporal El-Zein a fait une invitation à D.F. pour devenir son ami sur Facebook, ce qu’elle a accepté. Elle dit avoir fait cela comme pour plusieurs autres militaires qui lui ont fait une telle demande durant cette période.

 

[16]           Selon l’accusé, lui et la plaignante ont continué à socialiser et il se rappelle qu’elle le regardait d’une manière particulière, car elle le fixait avec son regard d’une manière intense.

 

[17]           Le 5 mai 2019, à 23 h 11, le caporal El-Zein a envoyé un message sur Facebook Messenger à la plaignante. Il a témoigné que c’est un message de nature plus personnel qu’il n’enverrait pas à n’importe qui, et qu’il l’a fait parce qu’il se sentait suffisamment proche de la plaignante pour le faire.

 

[18]           Il lui a demandé par écrit que si elle avait l’occasion de dormir collée avec lui, est-ce qu’elle le ferait? Elle lui a répondu, toujours par écrit, qu’elle ne voulait pas lui cacher que ça lui tenterait. Il lui a alors fait parvenir une photo de deux chats, l’un placé dans le dos de l’autre et lui mordillant une oreille avec le commentaire « Humm » et accompagnée d’un émoji clin d’œil. Puis il lui a écrit bonne nuit avec un émoji sourire.

 

[19]           À 23 h 34, elle lui a écrit : « De la chaleur aide à détendre, ça c’est sûr … » avec un émoji sourire suivi du signe plus. Ce à quoi il a répondu par écrit à 4 h 37 le lendemain, 6 mai 2019 : « C’est vrai ».

 

[20]           La plaignante a qualifié cet échange de messages textes comme étant la première fois où elle a exprimé un début d’intérêt plus personnel à l’égard du caporal El-Zein. Cependant, pour elle, cela ne constituait pas l’expression d’un désir sexuel quelconque.

 

[21]           Pour le caporal El-Zein, la question qu’il a posée et la réponse qu’il a obtenue conduisaient vers quelque chose de sexuel entre eux et l’image qu’il a envoyée renforçait d’ailleurs cette idée. Il a perçu cette réponse comme un intérêt de la part de D.F. d’aller au-delà de s’embrasser et de se faire des câlins. Cependant, il n’a pas inféré quoique ce soit quant au consentement de la plaignante concernant une future activité sexuelle avec lui.

 

[22]           D.F. et l’accusé ont tous les deux reconnu que le contenu de cet échange de messages textes était de nature très personnelle, car ce n’est pas le genre de chose qu’ils diraient de manière générale à n’importe qui.

 

[23]           Le 6 mai 2019 en après-midi, la plaignante a rejoint le caporal El-Zein près de son lit de camp en raison d’une invitation qu’il lui avait faite pour aller courir en sa compagnie et celle d’un autre militaire. Cependant, à son arrivée, elle a appris que le militaire en question s’était désisté à la dernière minute, ce que l’accusé a confirmé dans son témoignage. Malgré cela, D.F. a accepté d’aller s’entraîner en allant courir seulement avec l’accusé.

 

[24]           Ils ont tous les deux quitté la bâtisse ensemble et ils ont emprunté un sentier dans lequel ils se sont mis à courir ensemble. Selon la plaignante, durant cette course, le caporal El-Zein s’est mis à lui poser des questions de nature très personnelle et intime portant sur sa vie privée, sa famille et ses études. Cela a débouché sur une exploration par le caporal El-Zein d’une possibilité d’avoir des relations sexuelles avec elle. Elle dit qu’elle a été surprise par les sujets et la dynamique de cette conversation, et qu’elle a tenté de changer de sujet à quelques reprises. Elle a affirmé qu’à un certain point, elle ne savait plus quoi faire pour que cela cesse. Elle a aussi indiqué qu’elle a mentionné à l’accusé qu’elle préférait mieux connaître la personne avant d’avoir des relations sexuelles avec elle.

 

[25]           Selon le caporal El-Zein, cette conversation a bel et bien eu lieu et la plaignante y a pris une part active, car elle lui a aussi posé des questions de nature très personnelle sur le plan sexuel comme le nombre de partenaires sexuels qu’il aurait eus et qui étaient militaires. Il confirme qu’il lui a demandé si elle était intéressée par lui, si elle le trouvait de son goût, ainsi que les positions sexuelles qu’elle préfère. Il a affirmé qu’il a exploré la possibilité, durant le retour à la bâtisse de l’unité, d’avoir des relations sexuelles avec la plaignante dans les jours qui suivraient l’incident allégué. L’objet de la discussion concernait le fait que cela puisse se passer dans un endroit précis, comme une voiture ou un motel. Il nie catégoriquement que ce sujet spécifique ait été discuté avant l’incident allégué. C’est plutôt après qu’une telle chose a été l’un des sujets de leur conversation.

 

[26]           Il a aussi affirmé que D.F. n’évitait pas ses questions, mais qu’au contraire, elle semblait participer de son plein gré à la conversation même si elle était de nature très personnelle. Il dit qu’elle souriait et qu’elle le regardait avec insistance.

 

[27]           Lorsqu’ils sont tous les deux arrivés à un endroit plus dégagé du sentier, près d’un boulevard, ils se sont arrêtés et D.F. en a profité pour s’asseoir sur une roche de dimension suffisante et qui formait une sorte de siège.

 

[28]           La plaignante a déclaré qu’une fois assise, le caporal El-Zein est venu s’asseoir immédiatement près d’elle et qu’il lui a demandé s’il pouvait l’embrasser, ce à quoi elle a répondu non. Elle aurait alors tourné sa tête et son regard vers le sol à sa gauche, soit du côté opposé à l’accusé. Ce dernier aurait alors posé sa main gauche sur le bas de son dos et il aurait pris son autre main pour tourner sa tête vers lui, l’obligeant d’une certaine façon à se tourner et il l’aurait embrassé. Elle dit qu’elle a gardé la bouche ouverte, mais n’a pas utilisé sa langue et qu’elle n’a pas répondu de manière réciproque à ce baiser. Elle s’est levée, ce qu’il aurait aussi fait, et il l’a embrassé sur la bouche alors qu’ils étaient face à face.

 

[29]           L’accusé confirme qu’ils se sont assis sur la roche, mais qu’ils ont d’abord jasé ensemble. Puis il aurait mis sa main sur sa hanche. Elle le regardait et lui souriait. Il aurait compris qu’elle aimait cela. Il l’aurait alors embrassé sur le cou, ce que la plaignante affirme ne pas se rappeler, mais qui pourrait être possible, étant donné qu’un tel geste peut correspondre à la manière dont se déroulaient les choses. Selon l’accusé, c’est à ce moment-là qu’elle lui aurait alors mentionné qu’elle doit apprendre à mieux le connaître avant de faire cela.

 

[30]           Le caporal El-Zein a témoigné qu’il a alors compris qu’il devait prendre une pause et retarder la chose. Il avait d’abord perçu qu’il pouvait l’embrasser en raison de l’ambiance de la conversation, du plaisir qu’elle semblait avoir en sa présence, du langage non verbal exprimé par le regard intense qu’elle avait à son égard, de ses yeux qui brillaient, de son sourire, de son ton de voix chaleureux et doux lorsqu’elle lui parlait, et d’une certaine forme de timidité qu’elle semblait avoir. En raison du commentaire qu’elle a formulé, il a alors décidé de prendre un peu plus de temps pour la connaître.

 

[31]           Ils auraient donc continué de parler pendant environ vingt minutes, puis le caporal El-Zein aurait placé une de ses mains sur la tête de la plaignante et un doigt de son autre main sur son menton et il l’aurait embrassé avec la langue, ce qu’elle aurait fait aussi. Il aurait compris alors qu’elle aimait cela et ils auraient eu du plaisir. Il confirme qu’il ne lui a jamais demandé si elle voulait l’embrasser, mais qu’elle a participé de son plein gré selon lui. Il a affirmé qu’en raison des circonstances, il a jugé qu’il était adéquat pour lui d’embrasser la plaignante.

 

[32]           Selon la plaignante, alors qu’ils étaient tous les deux en position debout en train de s’embrasser, le caporal El-Zein l’aurait invité à se déplacer dans un cercle formé par plusieurs arbres tout près de l’endroit où ils se trouvaient. Elle lui aurait alors répondu qu’elle n’était pas intéressée à faire cela. Il lui aurait demandé de lui faire une petite suce, en référence à une fellation et elle lui aurait répondu qu’elle ne voulait pas. Elle a dit qu’elle se sentait en danger et que l’accusé n’a pas reconnu son désintérêt concernant tout ce qui se passait de nature sexuelle. Il l’aurait alors prise par la main pour la guider et l’amener dans le cercle d’arbres. Elle affirme qu’elle était figée et qu'elle n’a pas résisté quand il l’a amenée à cet endroit. Elle a confirmé qu’il ne l’a pas menacé ou ne lui a pas ordonné non plus d’aller là.

 

[33]           Suivant le caporal El-Zein, afin d’avoir plus d’intimité, il a alors invité D.F. à le suivre près du cercle d’arbres. Il l’a prise gentiment par la main et il l’a guidée vers cet endroit. Il n’a senti et ni perçu de résistance ou de réprobation de sa part. Cependant, il a affirmé qu’elle avait l’air hésitante et un peu perdu, avec un sourire en coin, comme si elle se demandait où elle allait. Une fois rendus près de l’endroit, ils auraient continué à s’embrasser de manière totalement réciproque. Puis, il l’aurait à nouveau guidée par la main. La plaignante aurait alors demandé où ils allaient, ce à quoi l’accusé aurait répondu qu’ils se dirigeaient à l’intérieur du cercle d’arbres pour avoir plus d’intimité, et elle aurait verbalement acquiescé.

 

[34]           La plaignante a relaté qu’une fois rendu dans le cercle d’arbres, le caporal El-Zein l’aurait prise contre lui et il l’aurait embrassé. C’est alors qu’il aurait pris la main de la plaignante et il l’aurait guidé sous son sous-vêtement et il l’aurait placé sur son pénis. Elle a dit qu’elle a senti son pénis devenir en érection lorsque l’accusé a pris sa main et l’a mise dessus. Par la suite, il aurait placé sa propre main sous le sous-vêtement de la plaignante et il aurait touché sa vulve avec son doigt. Tout en faisant cela, il l’aurait encouragé à le masturber. Elle a affirmé que sa main était bien placée sur le pénis de l’accusé, mais qu’elle ne bougeait pas, qu’elle n’était en aucun temps active et qu’elle n’a pas répondu de manière réciproque à ce que l’accusé lui faisait en touchant sa vulve. Elle a témoigné que tout cela aurait duré environ deux minutes, puis qu’elle lui aurait dit qu’elle ne voulait pas faire çà ici et elle serait sortie du cercle d’arbres. L’accusé aurait alors ajusté ses vêtements et il serait sorti du cercle d’arbres. En se déplaçant, il aurait marché dans des excréments d’un animal. Il aurait alors tenté de les enlever, puis ils auraient tous les deux repris leur course en direction de leur point de départ.

 

[35]           Le caporal El-Zein a témoigné que lorsqu’il s’est retrouvé à l’intérieur du cercle d’arbres avec D.F., ils sont demeurés debout dans les bras l’un de l’autre et ils s’embrassaient. Elle lui aurait alors caressé les bras et les épaules, tout en lui disant, avec un sourire coquin, qu’il était musclé. À ce moment, il n’y avait aucun doute à son esprit qu’elle désirait être touchée de manière sexuelle par lui. Il lui aurait alors touché les fesses et elle aurait tripoté les siennes. Il a admis qu’il ne lui a pas demandé s’il pouvait agir ainsi. Il lui aurait caressé les seins, puis il aurait pris sa main et il l’aurait mise sur son pénis sous son sous-vêtement. Il a reconnu qu’il ne lui a rien demandé quant au fait de pouvoir poser de tels gestes.

 

[36]           Elle lui aurait alors dit, avec un air coquin, que c’est quelque chose qu’ils ne pouvaient pas faire à cet endroit, ce à quoi il lui aurait répondu de ne pas s’inquiéter. Elle aurait alors commencé à le masturber. Il aurait mis sa propre main dans ses petites culottes et il aurait placé le bout du doigt dans son vagin, ce qui l’aurait fait gémir de plaisir. Elle aurait alors réagi en exprimant verbalement que c’était bon. Il lui aurait demandé si elle aimait ça et elle aurait répondu oui. La plaignante a nié catégoriquement qu’une telle demande lui a été faite par l’accusé et qu’elle n’aurait pas gémi comme il le prétend parce que cela ne pouvait arriver aussi vite selon elle.

 

[37]           L’accusé a affirmé que des gens passaient près de l’endroit où ils se trouvaient. Ils arrêtaient brièvement de faire ce qu'ils faisaient et recommençaient. Il lui aurait demandé de le sucer, en référence au fait de lui faire une fellation, ce qu’elle aurait refusé parce que le sol était sale à cet endroit. Quelques instants plus tard, il a réalisé qu’il n’avait pas avisé son supérieur qu’il avait quitté le bâtiment, comme c’était son devoir de le faire, qu’il n’avait pas son cellulaire avec lui pour être rejoint, et qu’en conséquence il devait donc s’en retourner. Il a donc cessé de faire ce qu’il faisait avec la plaignante, car il devait partir. Il a admis que le militaire qui s’était désisté pour la course savait qu’il était parti courir à l’extérieur de la bâtisse. D.F. est sortie du cercle d’arbres en premier, suivi de l’accusé. Ce dernier a alors constaté qu’il avait marché dans des excréments d’un animal et il aurait mentionné ce fait à la plaignante. Ils auraient alors tous les deux repris leur course en direction de leur point de départ.

 

[38]           D.F. a témoigné que le retour au bâtiment de l’unité a été le prolongement de ce qui venait de se passer, car le caporal El-Zein lui a proposé d’organiser une rencontre de nature sexuelle. Elle aurait essayé de changer de sujet en évitant de répondre à ses questions. À leur arrivée, elle lui aurait mentionné qu’elle allait voir concernant cette invitation afin de lui fournir une réponse pour mettre fin à la conversation. Elle dit qu’elle se sentait inconfortable dans sa peau alors que tout cela se passait lors du retour. Ils se sont finalement quittés.

 

[39]           Le lendemain, par l’intermédiaire d’un autre soldat, elle a fait savoir au caporal El-Zein qu’elle voulait qu’il la laisse tranquille. L’accusé serait venu la rencontrer pour discuter et elle lui aurait fait remarquer qu’elle n’était plus intéressée à le voir parce qu’il ne l’avait pas respecté, soit qu’il n’avait pas accepté son choix de dire non aux avances qu’il lui avait fait. Il lui aurait alors proposé de rester « chill » pour éviter un malaise. Elle lui a reparlé seulement pour des fins professionnelles lorsque l’accusé a été désigné pour prendre les responsabilités qu’elle assumait quant à l’exécution de tâches générales.

 

[40]           Selon le caporal El-Zein, lors de la course de retour, il a proposé à D.F. de continuer plus tard ce qu’ils avaient initié entre eux sur le plan sexuel. Il lui aurait alors proposé d’avoir une activité sexuelle dans une voiture durant le jour ou le soir, dans un endroit plus isolé, ce que la plaignante n’aurait pas été à l’aise de faire. Elle aurait alors souri et lui aurait plutôt proposé de se rendre dans un motel, ce avec quoi il était d’accord. Cependant, elle lui aurait indiqué qu’elle avait des emplettes à faire et qu’ils pourraient se rencontrer plus tard pour prendre une crème glacée ensemble et en discuter. Elle lui aurait aussi fait promettre de garder secret ce qui venait de se passer entre eux. Sur ce dernier point, la plaignante a indiqué dans son témoignage qu’elle ne se rappelait pas d’avoir exprimé une telle chose, mais qu’il soit possible qu’elle l’ait dite.

 

[41]           Toujours selon l’accusé, lorsqu’ils sont arrivés à l’unité, ils se sont brièvement étirés ensemble, puis ils se sont rendus aux douches, endroit où ils se sont séparés. Contrairement à ce qu’il avait promis de faire, il a rapporté à certains de ses amis, dont certains sont aussi des amis de la plaignante, l’aventure qu’il venait juste de vivre en sa compagnie. Lorsqu’il l’a aperçu au loin dans la bâtisse plus tard dans la soirée, alors qu’il était sans nouvelle d’elle, il lui a envoyé un message texte à 20 h 47 : « Hey, you’re back ». Elle n’a jamais répondu à son message.

 

[42]           N’ayant aucune nouvelle de D.F., il a donc demandé à un de ses amis de vérifier auprès de la plaignante ce qui se passait. Son ami lui est revenu en lui disant qu’elle lui a affirmé qu’elle n’était plus intéressée par l’accusé. Le caporal El-Zein a décidé d’aller la voir directement. Lors de leur rencontre, elle lui dit qu’elle n’est plus intéressée par lui parce qu’il lui a manqué de respect. Il a compris qu’elle référait alors au fait qu’il aurait raconté à certains de ses amis ce qui s’était passé sur le plan sexuel entre elle et lui lors de la course qu’ils ont faite ensemble, contrairement à la promesse qu’il lui avait faite de ne pas en dire un mot.

 

Le droit applicable

 

La présomption d’innocence et le doute raisonnable

 

[43]           Avant que la Cour n’expose son analyse juridique, il convient d’aborder certains principes fondamentaux de droit, tels que la présomption d’innocence, le fardeau et la norme de preuve hors de tout doute raisonnable qui est une norme inextricablement liée aux principes fondamentaux appliqués dans tous les procès pénaux, la question de crédibilité et de la fiabilité des témoignages, la notion de preuve et des éléments essentiels concernant l’infraction dont fait l’objet le caporal El-Zein. Si l’ensemble de ces principes sont évidemment bien connus des avocats, ils ne le sont peut-être pas des membres des FAC et de toute autre personne qui ont assisté aux audiences de cette cour martiale, et ils méritent donc d’être réitérés afin de faciliter la compréhension de la décision rendue par cette Cour.

 

[44]           Le premier et le plus important des principes de droit applicables à toutes les causes découlant du code de discipline militaire et du Code criminel est la présomption d’innocence. À l’ouverture de son procès, le caporal El-Zein est présumé innocent et cette présomption ne cesse de s’appliquer que si la poursuite a présenté une preuve qui convainc la Cour de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[45]           Deux règles découlent de la présomption d’innocence. La première est que la poursuite a le fardeau de prouver la culpabilité. La deuxième est que la culpabilité doit être prouvée hors de tout doute raisonnable. Ces règles sont liées à la présomption d’innocence et visent à assurer qu’aucune personne innocente n’est condamnée.

 

[46]           Le fardeau de la preuve appartient à la poursuite et n’est jamais renversé. Le caporal El-Zein n’a pas le fardeau de prouver qu’il est innocent. Il n’a pas à prouver quoi que ce soit.

 

[47]           Que signifie l’expression « hors de tout doute raisonnable »? Un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il n’est pas fondé sur un élan de sympathie ou un préjugé à l’égard d’une personne visée par les procédures. Au contraire, il est fondé sur la raison et le bon sens. Il découle logiquement de la preuve ou d’une absence de preuve.

 

[48]           Il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue, et la poursuite n’est pas tenue de le faire. Une telle norme serait impossible à satisfaire. Cependant, la norme de preuve hors de tout doute raisonnable s’apparente beaucoup plus à la certitude absolue qu’à la culpabilité probable. La Cour ne doit pas déclarer le caporal El-Zein coupable à moins d’être sûre qu’il est coupable. Même si elle croit que le caporal El-Zein est probablement coupable ou vraisemblablement coupable, cela n’est pas suffisant. Dans ces circonstances, la Cour doit accorder au caporal El-Zein le bénéfice du doute et le déclarer non coupable parce que la poursuite n’a pas réussi à convaincre la Cour de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[49]           Il est important pour la Cour de se rappeler que l’exigence de preuve hors de tout doute raisonnable s’applique à chacun des éléments essentiels d’une infraction. Elle ne s’applique pas aux éléments de preuve de manière individuelle. La Cour doit décider, à la lumière de l’ensemble de la preuve, si la poursuite a prouvé la culpabilité du caporal El-Zein hors de tout doute raisonnable.

 

La crédibilité et la fiabilité des témoignages

 

[50]           Le doute raisonnable s’applique à la question de la crédibilité. À l’égard de toute question, la Cour peut croire un témoin, ne pas le croire ou être incapable de décider. La Cour n’a pas besoin de croire ou de ne pas croire entièrement un témoin ou un groupe de témoins. Si la Cour a un doute raisonnable quant à la culpabilité du caporal El-Zein en raison de la crédibilité des témoins, la Cour doit le déclarer non coupable.

 

[51]           Si la preuve, l’absence de preuve, la fiabilité ou la crédibilité d’un ou plusieurs témoins soulèvent dans l’esprit de la Cour un doute raisonnable sur la culpabilité du caporal El-Zein quant au chef d’accusation, la Cour doit le déclarer non coupable de ce chef.

 

[52]           À cette étape-ci, il est peut-être bon de rappeler certains principes de base concernant la détermination de la crédibilité d’un témoin par la Cour, tels qu’énoncés par le juge Watt dans la décision de R. c. Clark, 2012 CACM 3, aux paragraphes 40 à 42 :

 

[40]      Premièrement, les témoins ne sont pas « présumés dire la vérité ». Le juge des faits doit apprécier le témoignage de chaque témoin en tenant compte de tous les éléments de preuve produits durant l’instance, sans s’appuyer sur aucune présomption, sauf peut-être la présomption d’innocence : R. c. Thain, 2009 ONCA 223, 243 CCC (3d) 230, au paragraphe 32.

 

[41]      Deuxièmement, le juge des faits n’est pas nécessairement tenu d’admettre le témoignage d’un témoin simplement parce qu’il n’a pas été contredit par le témoignage d’un autre témoin ou par un autre élément de preuve. Le juge des faits peut se fonder sur la raison, le sens commun et la rationalité pour rejeter tout élément de preuve non contredit : Aguilera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 507, au paragraphe 39; R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, aux paragraphes 9 à 11.

 

[42]      Troisièmement, comme on le demande régulièrement et nécessairement aux jurys dans les affaires civiles et pénales, le juge des faits peut accepter ou rejeter tout ou partie d’un témoignage versé au dossier. Autrement dit, l’appréciation de la crédibilité n’est pas dépourvue de nuances. On ne peut non plus déduire de la conclusion selon laquelle un témoin est crédible que son témoignage est fiable et encore moins qu’il permet à une partie de se décharger du fardeau de preuve sur une question précise ou dans son ensemble.

 

L’évaluation du témoignage de l’accusé

 

[53]           La Cour a entendu le caporal El-Zein témoigner. Lorsqu’une personne accusée d’une infraction témoigne, la Cour doit évaluer son témoignage comme elle le ferait à l’égard de tout autre témoin, en suivant les directives mentionnées plus tôt au sujet de la crédibilité des témoins. La Cour peut accepter la preuve du caporal El-Zein en totalité ou en partie ou l’écarter entièrement.

 

[54]           Évidemment, si la Cour croit le témoignage du caporal El-Zein selon lequel il n’a pas commis l’infraction reprochée, elle doit le déclarer non coupable.

 

[55]           Cependant, même si la Cour ne croit pas le témoignage du caporal El-Zein, mais que son témoignage soulève néanmoins dans son esprit un doute raisonnable quant à un élément essentiel de l’infraction, elle doit le déclarer non coupable de cette infraction.

 

[56]           Si la Cour ne sait pas qui croire, elle a alors un doute raisonnable et elle doit déclarer le caporal El-Zein non coupable.

 

[57]           Même si le témoignage du caporal El-Zein ne soulève pas dans l’esprit de la Cour un doute raisonnable quant à un élément essentiel de l’infraction reprochée, si, après avoir examiné l’ensemble de la preuve, elle n’est pas convaincue hors de tout doute raisonnable de la culpabilité du caporal El-Zein, elle doit l’acquitter.

 

[58]           La Cour ne doit examiner que la preuve qui lui est présentée dans la salle d’audience. Elle est constituée de témoignages et de pièces produites.

 

[59]           Les réponses d’un témoin aux questions qui lui sont posées font partie de la preuve. Les questions qui sont posées par les avocats ou la Cour, par contre, ne constituent pas de la preuve, à moins que le témoin ne soit d’accord avec ce qui est demandé. Seules les réponses constituent de la preuve.

 

Les éléments essentiels de l’accusation

 

[60]           Maintenant, qu’en est-il des différents éléments essentiels concernant l’accusation à être prouvée par la poursuite?

 

[61]           L’infraction d’agression sexuelle est une agression, au sens du paragraphe 265(1) du Code criminel, qui est commise dans des circonstances de nature sexuelle, de manière à porter atteinte à l’intégrité sexuelle de la victime (voir R. c. Chase, [1987] 2 R.C.S. 293, au paragraphe 11).

 

[62]           Dans l’arrêt R. c. Ewanchuk, [1999] 1 R.C.S. 330, au paragraphe 23, il a été établi que deux éléments doivent être prouvés, soit l’acte en question et l’intention de le commettre.

 

[63]           L’actus reus, soit la commission de l’acte, est considéré prouvée lorsqu’il a été démontré par la poursuite, hors de tout doute raisonnable, qu’il y a eu des attouchements, la nature sexuelle de ceux-ci et l’absence de consentement de la part de la victime.

 

[64]           Ainsi, la poursuite doit prouver les éléments essentiels suivants hors de tout doute raisonnable :

 

a)                  que le caporal El-Zein a touché la plaignante, directement ou indirectement;

 

b)                  que le caporal El-Zein a touché la plaignante de manière intentionnelle;

 

c)                  que le caporal El-Zein a touché la plaignante dans des circonstances de nature sexuelle ;

 

d)                  que la plaignante ne consentait pas à l’activité sexuelle en question;

 

e)                  que le caporal El-Zein savait que la plaignante ne consentait pas à l’activité sexuelle en question;

 

Analyse

 

[65]           La preuve est claire est sans équivoque à l’effet que le caporal El-Zein est bien la personne qui a touché D.F. directement, de manière intentionnelle et dans des circonstances de nature sexuelle le 6 mai 2019 à Laval. La nature volontaire des attouchements et la connotation sexuelle des contacts sont clairement établies par leur témoignage respectif, que ce soit lorsque l’accusé a embrassé la plaignante, qu’il lui a caressé les fesses et les seins, lorsqu’il a pris sa main pour qu’elle touche son pénis et qu’il a touché sa vulve avec un doigt de sa propre main.

 

[66]           Ainsi, les témoignages de la plaignante et du caporal El-Zein correspondent sans problème et démontrent hors de tout doute raisonnable chacun de ces éléments essentiels de l’accusation.

 

[67]           Les témoignages de la plaignante et de l’accusé concordent aussi quant au lieu de l’infraction, considérant que tous les deux ont confirmé être ensemble au même endroit lorsque les incidents allégués se seraient produits. Ils ont mentionné tous les deux qu’ils sont allés courir ensemble sur un sentier, qu’ils se sont arrêtés près d’un boisé et qu’ils se sont assis sur une roche placée à la fin du sentier en question, et qu’ils se sont tous les deux retrouvés dans un boisé par la suite, ce qu’ils ont identifié comme étant le cercle d’arbres.

 

[68]           Quant à la date à laquelle le tout se serait produit, il appert que l’acte d’accusation réfère au 7 mai 2019, ce qui a été confirmé par le témoignage de la plaignante, alors que le caporal El-Zein a plutôt mentionné la date du 6 mai 2019 en se fiant essentiellement à celle apparaissant dans les messages textes échangés entre les deux parties impliquées dans les faits de cette affaire.

 

[69]           La jurisprudence reconnaît depuis longtemps que la date apparaissant à un acte d’accusation dans le cadre d’une accusation de nature pénale ou criminelle constitue un élément à être prouvé par la poursuite hors de tout doute raisonnable seulement dans les circonstances qui font que la date est un élément essentiel en raison d’un alibi invoqué par l’accusé ou qu’il s’agisse d’un élément crucial pour la défense d’un accusé (voir R. c. B. (G.), [1990] 2 R.C.S. 30). En d’autres mots, même si le moment de l’infraction doit être précisé dans un acte d’accusation, il n’a pas à être identifié ni démontré même s’il existe une divergence entre ce qui est allégué et ce qui est prouvé, à moins que les exceptions auxquelles j’ai fait référence s’appliquent.

 

[70]           Ainsi, dans le cadre de ce procès, malgré l’existence d’une divergence d’une journée entre la date précisée dans les détails de l’accusation et la preuve présentée par la poursuite à la Cour, cette dernière n’a pas à prouver cet élément hors de tout doute raisonnable, car les exceptions applicables ne s’appliquent pas dans les circonstances. La défense n’a pas présenté d’alibi et les circonstances concernant cette cause ne font pas de la date un élément crucial pour la défense de l’accusé.

 

[71]           En conséquence, la Cour considère que la poursuite s’est déchargée de son fardeau de preuve sur ces questions qu’elle avait l’obligation de démontrer.

 

[72]           Par contre, la preuve présentée par la poursuite et l’accusé diffère substantiellement sur l’élément essentiel relatif à l’absence de consentement communiqué par la plaignante.

 

[73]           Pour répondre à cette question, l'accent est mis sur l'état d'esprit de la plaignante et la perception que le caporal El-Zein a de cet état d'esprit n'est pas pertinente.

 

[74]           Le consentement signifie l’accord volontaire de la plaignante à l’activité sexuelle en question. Il doit avoir été donné à l’égard de chacun des actes qui ont eu lieu. La plaignante n’a pas l’obligation d’exprimer son absence de consentement, par des paroles ou son comportement.

 

[75]           Il n’y a pas de consentement à moins que la plaignante ait, dans son esprit, accepté l’activité sexuelle au moment où celle-ci se produisait.

 

[76]           Le consentement à une forme d’activité sexuelle ne vaut pas consentement à toutes les formes d’activité sexuelle. Par exemple, le consentement à l’emploi d’une certaine force ne vaut pas consentement à l’emploi d’une force plus grande; le fait de consentir à être touché sur une partie du corps ne vaut pas consentement à être touché sur d’autres parties du corps; le consentement à une forme de contact ne vaut pas consentement à toute forme de contact. De plus, une personne peut révoquer son consentement ou en limiter la portée à tout moment.

 

[77]           Le silence ne vaut pas consentement, pas plus que la soumission ou le fait de ne pas résister.

 

[78]           Il est aussi bon de rappeler qu’on ne peut inférer le consentement uniquement de la relation qui existe entre la personne qui est accusée et celle qui a porté plainte.

 

[79]           Pour que le consentement soit valide, la plaignante doit être consciente et capable de donner son consentement pendant toute la durée de l’activité.

 

[80]           La Cour a entendu une preuve selon laquelle la plaignante n’a pas consenti à l’activité sexuelle en question. Il revient à la Cour de décider si cette preuve la convainc hors de tout doute raisonnable que la plaignante n’y a pas consenti. La Cour doit examiner tous les éléments de preuve, y compris les circonstances entourant le contact physique entre l’accusé et la plaignante, afin de décider si la plaignante n’y a pas consenti. La Cour prend compte de toute parole prononcée ou de tout geste posé, y compris une preuve de comportement ambigu ou contradictoire, et de tout autre signe indiquant l’état d’esprit de la plaignante à ce moment-là.

 

[81]           Essentiellement, la plaignante a témoigné qu’elle n’a jamais consenti à aucun attouchement fait par le caporal El-Zein. Elle a d’ailleurs exprimé à l’accusé son désir de mieux connaître la personne avec qui elle aurait une activité sexuelle avant que cela se produise réellement, que ce soit avec lui ou quelqu’un d’autre. Ce dernier fait a même été confirmé par l’accusé dans le cadre de son propre témoignage et il a situé cette remarque exprimée par la plaignante juste après l’avoir embrassé dans le cou, ce qui confirme son refus d’aller plus loin avec lui, à ce moment-là, dans toute forme d’activité sexuelle.

 

[82]           Elle a mentionné qu’en aucun temps durant les incidents de nature sexuelle qu’elle a décrite, elle a été active ou a dit ou fait quoique ce soit qui aurait pu laisser penser au caporal El-Zein qu’elle exprimait son consentement ou son approbation. Elle a dit qu’elle se sentait menacée et intimidée par les gestes de nature sexuelle posés par l’accusé et qu’en conséquence elle a figé, car elle ne savait pas trop à quoi s’attendre de la part de la personne qui l’agressait, espérant que son absence de réciprocité et sa passivité suffiraient à faire comprendre au caporal El-Zein son absence totale de consentement concernant tout ce qui se passait. C’est à la fin de l'interaction entre les deux qu’elle a pu exprimer finalement son désir de mettre fin à tout cela, ce qu’elle a fait.

 

[83]           La divergence de perspective des deux protagonistes concernant la tenue d’activités sexuelles est apparue clairement dans le témoignage de chacun d’eux. D.F. n’a pas caché son désir et son intérêt à mieux connaître le caporal El-Zein à partir du moment où elle l’a rencontré pour la première fois. Elle a même confirmé que l’échange des messages textes constituait une manière de se courtiser (flirter) entre eux. Cependant, pour elle, ces messages ne témoignaient d’aucune intention de sa part d’avoir des activités sexuelles avec l’accusé.

 

[84]           Quant au caporal El-Zein, il a été très transparent lors de son témoignage et il a affirmé que ces messages textes étaient clairement à connotation sexuelle, ce qui constituait un des facteurs lui laissant penser qu’il pouvait donc approcher la plaignante dans cette perspective.

 

[85]           Cette différence de perception quant au sens à donner à l’échange des messages textes est tout à fait plausible dans les circonstances et rend cohérent le récit fourni par la plaignante. Comme elle l’a exprimé, elle s’est dite surprise avec quelle rapidité et insistance le caporal El-Zein s’est mis à aborder certaines questions plus personnelles lors de la course, incluant le fait de discuter de sujet de nature sexuelle. Elle n’a pas voulu lui déplaire et elle a décidé d’échanger avec lui sur ce sujet tout en essayant de l’amener à discuter d’autres choses, ce qu’elle n’a pas réussi à faire.

 

[86]           Comme je l’ai dit auparavant, pour répondre à la question concernant l’absence ou non de consentement de la part de D.F. aux attouchements sexuels faits par le caporal El-Zein, la Cour se doit de procéder à une appréciation purement subjective de l’état d’esprit de la plaignante, ce qui a pour effet de rendre totalement non pertinent la perception que l’accusé aurait pu en avoir. Par contre, le caporal El-Zein a observé certains faits qui pourraient avoir une pertinence quant à l’évaluation de cette question.

 

[87]           Il a d’abord rapporté que la plaignante a répondu positivement aux gestes de nature sexuelle qu’il a posés, que ce soit lorsqu’il l’a embrassé, qu’il a mis la main de la plaignante sur son pénis ou qu’il ait lui-même touché la vulve de la plaignante avec un de ses doigts. Il a aussi mentionné qu’elle aurait fait certains commentaires durant les activités sexuelles qui reflétaient l’approbation de la plaignante à ce qui se passait et qui exprimait son désir de continuer en ce sens, tel que les commentaires qu’elle aurait faits quant au physique de l’accusé et le fait qu’elle aimait ce qu’il lui faisait.

 

[88]           Sur cet aspect spécifique de la preuve offert par le caporal El-Zein, la Cour doute de la sincérité de celle-ci, et par le fait même, de sa véracité. D’abord, l’accusé n’a jamais caché son grand désir d’avoir des activités sexuelles avec la plaignante suite à la réponse de cette dernière au message texte qu’il lui a envoyé. Il a confirmé son empressement à ce que cela se produise le plus rapidement possible, ayant interprété que c’était quelque chose qu’elle désirait. Son témoignage reflète essentiellement celui de la plaignante, c’est-à-dire que ce n’était plus une question de savoir si elle voulait que cela se produise, car cet aspect était déjà réglé dans son esprit, mais plutôt quand.

 

[89]           Il a affirmé devant la Cour qu’il était surtout attentif aux réponses non verbales de D.F. suite aux gestes de nature sexuelle qu’il a posés sur elle. Ainsi, la Cour peut conclure que c’est sur la base de l’absence de refus exprimé par la plaignante que l’accusé a déterminé qu’il pouvait aller plus avant, ce qui rend les quelques observations qu’il a rapportées concernant certains gestes et paroles de la plaignante peu véridiques dans les circonstances.

 

[90]           De plus, la plaignante lui a clairement exprimé qu’elle n’était pas intéressée par des activités sexuelles tant qu’elle ne connaissait suffisamment, et à sa propre satisfaction, la personne avec qui cela pouvait se produire, ce qui a été confirmé par le caporal El-Zein lui-même. Ce fait en soi, combiné à l’empressement démontré par l’accusé, soulève un doute quant à la véracité des faits qu’il aurait observé quant au consentement qu’aurait fourni la plaignante.

 

[91]           Même si la Cour ne croit pas les observations faites par l’accusé concernant certains gestes et paroles de la plaignante quant au consentement qu’elle aurait fourni, il est aussi important de spécifier que malgré cette conclusion, l’ensemble du témoignage du caporal El-Zein ne soulève aucun doute dans l’esprit de la Cour quant à la question d’absence de consentement de la part de la plaignante aux gestes de nature sexuelle qui ont été posés par l’accusé.

 

[92]           Finalement, la preuve présentée par la poursuite concernant l’absence de consentement de la plaignante aux gestes de nature sexuelle qui ont été faits par l’accusé rencontre le fardeau de preuve exigé. En effet, D.F. a exprimé qu’elle n’avait jamais consenti à aucun des gestes de nature sexuelle qui ont été posés par le caporal El-Zein à son égard, que ce soit concernant le baiser, les caresses, le fait qu’il prenne sa main et la place sur son pénis, et le fait de placer un doigt sur sa vulve et le toucher qui a suivi.

 

[93]           D.F. a témoigné de manière directe et franche. L’accusé l’a décrite lors de son témoignage comme une personne timide et chaleureuse qui parlait doucement. La Cour a pu percevoir cette douceur et timidité dans la façon dont elle a témoigné. Lorsqu’elle a été confrontée sur le déroulement des événements ou sur de possibles contradictions, elle n’élevait jamais le ton et réfléchissait bien avant de répondre. Elle a admis aisément que certaines situations ont pu se produire sans en avoir un souvenir exact. Elle n’a pas hésité à demander que certaines questions soient répétées ou reformulées afin de pouvoir bien répondre.

 

[94]           La plaignante s’est limitée à rapporter ce qu’elle avait vu et entendu sur la base de ses observations personnelles. Sa mémoire des événements semblait excellente. Lorsqu’elle a été confrontée à certains aspects de la version proposée de l’accusé et qui était contradictoire à la sienne, elle a été ferme quant à sa propre version des faits et elle a été en mesure de justifier son point de vue. Lorsqu’elle a été confrontée aux propos qu’elle a fournis à l’enquêteur lors de sa déposition initiale, si elle avait un doute sur ce qu’elle avait initialement rapporté, elle a calmement demandé d’entendre l’enregistrement vidéo de son entrevue et elle a ainsi pu clarifier certains termes que l’avocat de la défense avait mal compris.

 

[95]           En conclusion, la Cour n’a aucun doute quant à la véracité et à la fiabilité de ce qu’elle lui a rapporté et elle croit la plaignante lorsqu’elle dit qu’elle n’a jamais consenti à aucun des attouchements sexuels exercés par l’accusé sur sa personne, ce qui a pour résultat de constituer une preuve hors de tout doute raisonnable sur cet élément essentiel de l’accusation.

 

[96]           L’avocat de la défense a invoqué un possible motif de la part de la plaignante pour fabriquer une partie de son témoignage, particulièrement en ce qui a trait à la question d’absence de consentement. Essentiellement, il a prétendu que puisqu’elle agissait à titre de superviseur à l’égard de l’accusé et que toute forme de fraternisation était interdite dans de telles circonstances, D.F. aurait fabriqué une partie de son témoignage afin d’éviter de faire l’objet de mesures administratives et disciplinaires sur cette question.

 

[97]           Il est important de noter qu’au moment de l’incident en question, la plaignante n’agissait pas à titre de superviseur du caporal El-Zein. Cette relation de supervision était de nature ponctuelle et il n’a pas été démontré comment cela aurait pu affecter la relation qui aurait pu exister part la suite entre la plaignante et l’accusé. La compréhension de la preuve fournie à la Cour est plutôt que suite à l’incident, c’est l’accusé qui a remplacé la plaignante dans l’exercice de supervision de ses fonctions. La réalité est qu’il s’agit de pure spéculation et qu’il n’y a aucune preuve qui a été présentée à la Cour qui pourrait soutenir une telle approche.

 

[98]           La poursuite doit finalement prouver hors de tout doute raisonnable que le caporal El-Zein savait que D.F. n'a pas consenti à l'activité sexuelle en question. Pour répondre à cette question, à ce stade, l'accent est mis sur l'état d’esprit de l'accusé.

 

[99]           La mens rea est l’intention de se livrer à des attouchements sur une personne, tout en sachant que celle-ci n’y consent pas, en raison de ses paroles ou de ses actes, ou encore en faisant montre d’insouciance ou d’aveuglement volontaire à l’égard de cette absence de consentement.

 

[100]       Pour prouver que l’accusé savait que la plaignante ne consentait pas, la poursuite doit prouver l’une des situations suivantes :

 

a)                  que l’accusé savait vraiment que la plaignante ne consentait pas à l’activité sexuelle en question; ou

 

b)                  que l’accusé savait qu’il existait un risque que la plaignante ne consente pas à l’activité sexuelle en question et que l’accusé ne s’en est pas soucié; ou

 

c)                  que l’accusé avait connaissance de signes indiquant que la plaignante ne consentait pas à l’activité sexuelle en question, mais qu’il a délibérément choisi de les ignorer parce qu’il ne voulait pas connaître la vérité.

 

[101]       Sur cette question, la Cour retient d’abord que le caporal El-Zein a été informé par la plaignante qu’elle voulait mieux le connaître avant d’avoir une activité sexuelle avec lui. Ainsi, il a été démontré que l’accusé savait vraiment que la plaignante ne consentirait pas aux activités sexuelles qui pourraient se produire à très court terme par la suite. D’ailleurs, malgré la passivité et le silence de la plaignante, il a quand même procédé aux attouchements sexuels.

 

[102]       Le caporal El-Zein a soulevé le moyen de défense de croyance sincère, mais erroné au consentement communiqué. Pour que la Cour considère ce moyen de défense présenté par l’accusé, ce dernier doit en établir d’abord la vraisemblance. Une simple affirmation de la part de l’accusé qu’il croyait que la plaignante était consentante n’est pas suffisante pour conférer la vraisemblance à une telle défense. Il faut qu’une telle affirmation soit appuyée par d’autres preuves ou circonstances concernant cette affaire.

 

[103]       Ici, la preuve qui a été présentée est à l’effet que D.F. a d’abord indiqué qu’elle voulait mieux connaître le caporal El-Zein avant d’accepter d’avoir une activité sexuelle avec lui. Ainsi, l’accusé a admis qu’il a été avisé par la plaignante qu’elle n’était pas prête et ne consentait pas à un simple baiser et à tout ce qui pourrait s’ensuivre par la suite.

 

[104]       Dans ces circonstances, l’accusé a témoigné qu’il s’est fié aux réactions non verbales de la plaignante pour confirmer qu’elle consentait à l’activité sexuelle en question, et que selon lui, elle confirmait par la suite ce qui se passait.

 

[105]       Essentiellement, le caporal El-Zein a tâté le terrain sans se soucier d’abord d’obtenir un consentement communiqué et explicite de la part de la plaignante, particulièrement sachant et ayant été avisé qu’elle désirait mieux le connaître avant de fournir un tel consentement.

 

[106]       Il appartient à l’accusé de démontrer qu’il a pris des mesures raisonnables pour s’assurer du consentement de la plaignante dans les circonstances de cette affaire afin qu’une telle défense puisse être considérée par la Cour.

 

[107]       Une tentative de l’accusé de tâter le terrain et sa conclusion découlant de la passivité démontrée par la plaignante à ses actions à l’effet qu’elle consentait aux gestes de nature sexuelle qu’il a posés, est une approche qui a été clairement rejetée par la jurisprudence comme étant une mesure raisonnable (R. c. Barton, 2019 CSC 33, au paragraphe 107), et j’en viens à la même conclusion dans cette affaire : le caporal El-Zein n’a pas établi qu’il avait pris quelque mesure raisonnable que ce soit dans cette affaire. Au contraire, il n’en a pris aucune. En conséquence, la Cour n’a pas à considérer la défense de croyance sincère, mais erronée au consentement communiqué.

 

[108]       La Cour en vient donc à la conclusion que la poursuite a donc démontré hors de tout doute raisonnable que le caporal El-Zein savait vraiment que la plaignante ne consentait pas aux activités sexuelles en question en raison du commentaire que cette dernière avait initialement fait, et que l’accusé a choisi délibérément d’ignorer. De plus, il n’a nullement pris en compte, en plus de ce qu’elle lui avait dit avant, de son silence et de sa passivité pendant les activités sexuelles en question, jusqu’à ce qu’elle lui dise finalement qu’elle mettait fin à tout cela en lui exprimant clairement que cela n’aurait pas lieu. Cette conclusion concorde d’ailleurs avec les circonstances démontrées par la preuve dans cette affaire à l’effet que ce n’était pas une question de savoir si quelque chose de nature sexuelle allait se passer avec la plaignante, mais plutôt quand cela aurait lieu.

 

[109]       En conséquence, considérant l’ensemble de la preuve, la Cour en vient à la conclusion que la poursuite a démontré hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels de l’accusation et trouve ainsi coupable le caporal El-Zein d’agression sexuelle.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[110]       DÉCLARE le caporal El-Zein coupable du premier chef d’accusation, soit une infraction punissable selon l’article 130 de la LDN, pour une agression sexuelle contrairement à l’article 271 du Code criminel.

 


Avocats :

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par le major É.M.F. Baby-Cormier et le major H. Bernatchez

 

Major A. Gélinas-Proulx, service d’avocats de la défense, avocat du caporal M. El-Zein

 

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