Courts Martial

Decision Information

Summary:

Date of commencement of trial: 11 July 2022

Location:

Régiment du Saguenay, 2678 chemin de la Réserve, Saguenay, QC: 11-29 July 2022

3 Wing Bagotville, 87 Stratford Street, Alouette, QC: 13-14 September 2022, 4-12 October 2022, 21-25 November 2022, 14 December 2022, 10-12 January 2023, 14 April 2023, 27 July 2023, 28-29 November 2023 and 29 February 2024

Asticou Centre, block 2600, room 2601, courtroom, 241 de la Cité-des-Jeunes Boulevard, Gatineau, QC: 23 September 2022, 29 November 2022, 19 December 2022, 22 December 2022, 8-11 May 2023, 5-14 July 2023 and 21-23 November 2023

Language of the trial: French

Charges:

Charges 1, 2, 3, 4: S. 130 NDA, sexual assault (s. 271 CCC).

Decision Content

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AUDITION DEVANT UN JUGE MILITAIRE

 

Citation: R. c. Houde, 2022 CM 3006

 

Date: 20220531

Dossier: 202141

 

Procédure préliminaire

 

Centre Asticou

Gatineau (Québec), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal-chef C. Houde, accusé

 

 

En présence du :  Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.C.A.


 

MOTIFS FOURNIS PAR ÉCRIT DE LA DÉCISION CONCERNANT UNE DEMANDE CONJOINTE D’ORDONNANCE DE PROCÈS BILINGUE

 

[1]               Suite à la conférence préparatoire qui s’est tenue dans le cadre d’une conférence téléphonique le 1er avril 2022 avec moi-même, à titre de juge désigné pour présider la cour martiale du caporal-chef Houde, et les avocats des deux parties, la poursuite a déposé auprès du Cabinet du juge militaire en chef un avis écrit en conformité avec l’article 112.04 des Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC) demandant au juge militaire présidant sa cour martiale d’émettre une ordonnance à l’effet que l’administratrice de la cour martiale procède à la sélection de membres et de membres substituts bilingues pour la formation du comité de la cour martiale.

 

[2]               Cette demande est faite de manière conjointe avec l’accusé à titre de procédure préliminaire en vertu de l’article 187 de la Loi sur la défense nationale (LDN).

 

[3]               Cette requête préliminaire faite suite à la discussion que j’ai eue avec les avocats des deux parties dans le cadre de la conférence préparatoire mentionnée précédemment et durant laquelle je leur ai indiqué que si cette demande était faite de manière conjointe à l’effet que le procès soit bilingue, je pourrais considérer rendre une telle décision sans la tenue d’une audition formelle et en me basant uniquement sur les motifs invoqués dans l’avis écrit. Une telle proposition ayant été faite par la poursuite dans son avis écrit, et considérant l’accord des parties, j’ordonnerai donc que le procès soit bilingue. Cependant, je crois important et nécessaire d’expliquer les motifs qui m’amènent à prendre une telle décision.

 

[4]               Le caporal-chef Houde est accusé de quatre infractions punissables en vertu de l’article 130 de la LDN pour agression sexuelle, contrairement à l’article 271 du Code criminel.

 

[5]               Selon les détails pour chacun des chefs d’accusation, il est allégué que l’ensemble de ces infractions auraient été commises à l’égard d’une même plaignante, mais à des moments et des lieux différents : deux d’entre elles auraient été commises en Roumanie entre août 2018 et janvier 2019, alors que les deux autres auraient eu lieu à ou près de la Base des Forces canadiennes Bagotville entre janvier et décembre 2019.

 

[6]               Comme il est indiqué à l’ordre de convocation daté du 12 avril 2022, le caporal-chef Houde a choisi le français comme langue de procès.

 

[7]               La poursuite a indiqué dans sa requête qu’elle a l’intention de faire témoigner la plaignante, ce qui constituera sa preuve principale sur les quatre chefs d'accusation, et que cette dernière lui a mentionné qu’elle désirait rendre témoignage dans la langue anglaise.

 

[8]               Tel je l’ai mentionné dans ma décision de R. c. Thibeault, 2014 CM 3022 au paragraphe 11, la Loi sur les langues officielles s’applique aux procédures devant la cour martiale, ce qui a pour conséquence qu’un témoin peut être entendu par la Cour dans l’une des deux langues officielles de son choix, soit l’anglais ou le français. Ici, la plaignante a choisi de témoigner en anglais. Par ce que les procédures devant la cour martiale se déroulent en français, comme il a été choisi par l’accusé, cela nécessite donc la présente d’un interprète pour permettre au juge de faits de comprendre en français la preuve qui lui sera présentée.

 

[9]               Cependant, pour des raisons pratiques, les deux parties font valoir conjointement qu’il serait mieux que le juge des faits comprenne l’anglais et le français sans l’aide d’un interprète et demande donc à la Cour que le procès soit bilingue, ce qui aurait pour conséquence que les membres et membres substituts choisis par l’administratrice de la cour martiale pour constituer le comité de la cour martiale générale soient bilingues, c’est-à-dire qu’ils soient en mesure de comprendre le français et l'anglais sans l’aide d’un interprète.

 

[10]           Pour soutenir leur prétention, les parties invoquent la nature objectivement sérieuse des accusations, le fait qu’en évitant le filtre d’un interprète, la compréhension de la preuve fournit par la plaignante sera d’autant plus juste, et cela permettra surtout de la confronter potentiellement à ses déclarations antérieures qui sont aussi en anglais sans avoir à les interpréter.

 

[11]           Même si cela n’est pas demandé, ni invoqué de quelconque manière par les avocats, je crois que leur demande que la cour martiale, et par le fait même le juge militaire qui la préside, utilise les mêmes attributions qu’une cour supérieure de juridiction criminelle sur des questions relevant de la compétence de la cour martiale pour régler cette question, tel que prévu à l’article 179 de la LDN, est indicatif de leur part que l’application de l’article 530 du Code criminel serait permise et appréciée de leur part.

 

[12]           Je suis d’accord avec les parties qu’il n’existe aucune disposition dans la LDN qui permettrait de régler la question qui est soulevée par les parties, soit d’ordonner la tenue d’un procès bilingue. Par contre, l’application de l’article 530 du Code criminel permettrait à la Cour de considérer et déterminer le bien-fondé de la demande conjointe des parties.

 

[13]           Dans Thibeault, l’accusé avait argumenté que l’article 530 du Code criminel s’appliquait aux procédures de la cour martiale. J’avais évidemment décidé que les dispositions de nature procédurale du Code criminel ne s’appliquaient pas directement aux procédures devant une cour martiale.

 

[14]           J’avais refusé d’appliquer cette disposition pour déterminer la question devant moi, qui était d’une nature différente de celle que je traite aujourd’hui. J’avais jugé suffisant de référer aux dispositions applicables de la Constitution canadienne et de la Loi sur les langues officielles pour régler la question, car la situation soulevait des facteurs différents que je devais considérer dans les circonstances, soit la question de l’équité du procès, du droit de l’accusé d’être représenté par l’avocat de son choix et le droit de l’accusé de choisir la langue du procès.

 

[15]           Ici, la question principale est de savoir si le juge des faits doit être en mesure de comprendre le français et l'anglais sans l’aide d’un interprète. Cette question est spécifiquement abordée par le paragraphe 530(1) du Code criminel qui se lit comme suit :

 

530 (1) Sur demande d’un accusé dont la langue est l’une des langues officielles du Canada, faite au plus tard au moment de la comparution de celui-ci au cours de laquelle la date du procès est fixée, un juge, un juge de la cour provinciale, un juge de la Cour de justice du Nunavut ou un juge de paix ordonne que l’accusé subisse son procès devant un juge de paix, un juge de la cour provinciale, un juge seul ou un juge et un jury, selon le cas, qui parlent la langue officielle du Canada qui est celle de l’accusé ou, si les circonstances le justifient, qui parlent les deux langues officielles du Canada.

 

[16]           En référant à cet article, la demande qui m’est donc soumise est d’ordonner que le caporal-chef Houde, dont la langue est l’une des langues officielles du Canada, soit le français, subisse son procès devant une cour martiale générale, ce qui comprend un juge militaire et un comité, qui parle les deux langues officielles du Canada, soit le français et l’anglais, parce que les circonstances le justifient.

 

[17]           Je crois que dans les circonstances, la cour martiale doit utiliser l’article 530 du Code criminel pour régler cette question, et en conséquence, j’estime juste et approprié d’utiliser l’autorité qui m’est conférée à au paragraphe 179(2) de la LDN pour déterminer la question qui m’est soumise par les parties.

 

[18]           Dans R. c. Sarrazin, 2005 CanLII 11388 (ON CA), la Cour d’appel de l’Ontario décrit au paragraphe 40 ce qu’est un procès bilingue :

 

[TRADUCTION]

 

[40] […] Lorsque j'utilise le terme « procès bilingue » dans les présents motifs, je l'utilise pour décrire un procès devant un juge et un jury qui parlent les deux langues officielles du Canada, mais dans lequel l'anglais et le français sont utilisés de manière interchangeable comme langues de travail, selon la personne qui parle et le contexte, et l'interprétation et la traduction sont disponibles si nécessaire. Je pense que ce sens correspond davantage à ce que l'on entend généralement par ce terme dans la pratique quotidienne : les juges et les procureurs sont bilingues, mais la langue de travail des autres peut être l'une ou l'autre des langues officielles, et des services de traduction/interprétation sont fournis, le cas échéant.

 

[19]           C’est exactement ce que les parties recherchent d’un commun accord.

 

[20]           Cependant, une telle ordonnance ne peut être émise que si les circonstances le justifient. Comme je l’ai mentionné auparavant, les parties ont suggéré que la nature objectivement sérieuse des accusations, le fait qu’en évitant le filtre d’un interprète, la compréhension de la preuve fournie par la plaignante sera d’autant plus juste, et qu’elle pourra potentiellement être confrontée à ses déclarations antérieures qui sont aussi en anglais sans avoir à les interpréter, constitue l’essence des circonstances justifiant l’émission de l’ordonnance.

 

[21]           À mon avis, il y a beaucoup plus. Au paragraphe 53, la Cour d’appel de l’Ontario dans Sarrazin a très bien indiqué les implications d’une ordonnance de procès bilingue :

 

[TRADUCTION]

 

a)            Un juge et un jury bilingues permettent aux témoins de témoigner dans la langue officielle de leur choix, mais d'être compris sans le processus de filtrage de l'interprétation;

 

b)            les documents et les pièces peuvent être compris par les juges des faits dans la langue dans laquelle ils sont déposés au tribunal;

 

c)            l’accusé peut retenir les services d’un avocat qui parle soit anglais, soit français, et qui aura le droit et la capacité d’utiliser l’une ou l’autre langue au cours du procès;

 

d)            si l’accusé décide de témoigner, il peut le faire dans l’une des deux langues officielles, et alors « raconter son histoire directement, sans la barrière de l’interprétation » […];

 

e)            le juge qui préside parle les deux langues officielles, en reconnaissance du droit de l’accusé d’avoir un juge qui parle la langue de son choix;

 

f)             les juges des faits peuvent apprécier la preuve provenant des témoins de la Couronne ainsi que ceux de la défense dans les deux langues officielles;

 

g)            le besoin d’avoir recours aux services d’un interprète pour traduire tout échange entre les avocats et le juge – souvent longs au cours du procès, et fréquemment complexes, rapides et difficiles à déchiffrer – est grandement diminué;

 

h)            notablement, l’avocat de l’accusé peut faire sa plaidoirie au jury dans la langue de son choix; et

 

i)             il peut arriver que plusieurs accusés, dont la langue officielle n’est pas la même, doivent être jugés ensemble pour des raisons qui ne peuvent pas être évitées […].

 

[22]           Je retiens donc les circonstances suivantes comme justifiant la demande des parties :

 

a)                  permettre aux témoins d’être entendus par la cour martiale dans la langue officielle de leur choix, mais aussi d’être compris sans le processus de filtrage de l'interprétation;

 

b)                  permettre que les documents et les pièces soient compris par les juges des faits dans la langue dans laquelle ils sont déposés au tribunal;

 

c)                  permettre à l’accusé de retenir les services d’un avocat qui parle soit anglais, soit français, et qui aura le droit et la capacité d’utiliser l’une ou l’autre langue au cours du procès;

 

d)                  permettre à l’accusé, s’il décide de témoigner, de le faire dans l’une des deux langues officielles, et alors raconter son histoire directement, sans la barrière de l’interprétation;

 

e)                  avoir un juge militaire qui préside la cour martiale qui parle les deux langues officielles, en reconnaissance du droit de l’accusé d’avoir un juge qui parle la langue de son choix;

 

f)                   avoir les membres du comité en mesure d’apprécier la preuve provenant des témoins de la poursuite ainsi que ceux de la défense dans les deux langues officielles;

 

g)                  diminuer le besoin d’avoir recours aux services d’un interprète pour traduire tout échange entre les avocats et le juge militaire qui ont lieu dans l’autre langue officielle que celle de l’accusé, qui sont souvent long au cours du procès, et fréquemment complexes, rapides et difficiles à déchiffrer;

 

h)                  permettre à l’avocat de l’accusé de faire sa plaidoirie finale aux membres du comité dans la langue de son choix.

 

[23]           Je conclus que l’ensemble de ces circonstances justifient l’ordonnance demandée par les parties, soit que le procès devant la cour martiale du caporal-chef Houde soit bilingue.

 

[24]           J’aimerais aussi mentionner qu’une telle ordonnance permettra d’appliquer les précisions prévues à l’article 530.1 du Code criminel, avec les adaptations nécessaires, ce qui signifie que :

 

a)         l’accusé et son avocat ont le droit d’employer l’une ou l’autre langue officielle durant les procédures préliminaires et au cours du procès;

 

b)         ils peuvent utiliser l’une ou l’autre langue officielle dans les actes de procédure ou autres documents durant les procédures préliminaires et au procès;

 

c)         les témoins ont le droit de témoigner dans l’une ou l’autre langue officielle durant les procédures préliminaires et au procès;

 

d)         le juge militaire qui préside peut, si les circonstances le justifient, autoriser le poursuivant à interroger ou contre-interroger un témoin dans la langue officielle de ce dernier même si cette langue n’est pas celle de l’accusé ni celle qui permet à ce dernier de témoigner le plus facilement;

 

e)         l’accusé a droit à ce que le juge militaire présidant toute procédure préliminaire et le procès parle les deux langues officielles;

 

f)         l’accusé a droit à ce que le poursuivant parle les deux langues officielles;

 

g)         la cour martiale est tenue d’offrir des services d’interprétation à l’accusé, à son avocat et aux témoins tant durant les procédures préliminaires ainsi qu’au procès;

 

h)         le procès-verbal des procédures préliminaires et celui du procès comporteront la totalité des débats dans la langue officielle originale et la transcription de l’interprétation, ainsi que toute la preuve documentaire dans la langue officielle de sa présentation à l’audience;

 

i)                   la cour martiale assura la disponibilité, dans la langue officielle qui est celle de l’accusé, du jugement, exposé des motifs compris, rendu par écrit dans l’une ou l’autre langue officielle.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[25]           ACCUEILLE la requête conjointe présentée par les deux parties.

 

[26]           ORDONNE que la cour martiale générale du caporal-chef Houde soit bilingue, soit dans les deux langues officielles, le français et l'anglais.

 

[27]           ORDONNE à l’administratrice de la cour martiale de choisir des officiers et militaires du rang habilités à siéger en vue d’agir à titre de membres du comité de la cour martiale générale et de substituts qui comprennent l’anglais et le français sans l’aide d’un interprète.

 

[28]           ORDONNE que l’avis écrit de la requête et la présente décision soient intégrés au procès-verbal de cette cour martiale.


 

Avocats :

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par la majore É.M.F. Baby-Cormier.

 

Me J.-M. Tremblay, assistant le directeur des services d’avocats de la défense, avocat du caporal-chef C. Houde.

 

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