Courts Martial

Decision Information

Summary:

Date of commencement of trial: 8 November 2021

Location: 2 Canadian Division Support Base Valcartier, the Academy, building 534, room 227, Courcelette, QC

Language of the trial: French

Charges:

Charge 1: S. 130 NDA, assault causing bodily harm to a person (para. 267b) CCC).
Charge 2: S. 130 NDA, assault (para. 266a) CCC).
Charge 3: S. 86 NDA, fought with a person subject to the Code of Service Discipline.
Charge 4: S. 97 NDA, drunkenness.

Results:

FINDINGS: Charge 1: Guilty of the lesser and included offence of assault (S. 266 CCC). Charges 2, 4: Withdrawn. Charge 3: Guilty.
SENTENCE: A severe reprimand and a fine in the amount of $3000.

Decision Content

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COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Bruyère, 2022 CM 5004

 

Date : 20220224

Dossier : 202033

 

Cour martiale permanente

 

Base de soutien de la 2e Division du Canada Valcartier

Garnison Valcartier (Québec), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Soldat A. Bruyère, contrevenant

 

 

En présence du Capitaine de frégate C.J. Deschênes, J.M.


 

SENTENCE

 

(Oralement)

 

Introduction

 

[1]               Le soldat Bruyère doit répondre à quatre accusations à l’égard d’actes de violence commis dans la soirée du 17 au 18 décembre 2018 contre sa partenaire de l’époque, la caporale Goudreau-Prince, et contre un autre membre des Forces armées canadiennes (FAC), alors qu’il était en vacances à Cuba. Le 8 novembre 2021, au commencement du procès, le soldat Bruyère a plaidé coupable à l’infraction de voie de fait simple, une infraction moindre et incluse à l’accusation de s’être livré à des voies de fait causant des lésions corporelles à la victime, la caporale Goudreau-Prince. Il a aussi plaidé coupable au troisième chef d’accusation, une accusation de querelles et désordres, pour s’être battu avec un justiciable du code de discipline militaire, étant le caporal A. Berthelot. La Cour a accordé la permission à la poursuite de retirer les deuxième et quatrième chefs d’accusation. Considérant que la poursuite a accepté le plaidoyer de culpabilité à l’infraction moindre et incluse de voies de fait, la Cour a accepté et enregistré le plaidoyer de culpabilité pour cette infraction, ainsi que pour la troisième accusation, querelles et désordres. À la suite de la présentation de la preuve sur sentence de la poursuite en novembre dernier, la Cour a ordonné un ajournement à la demande de la défense afin de lui permettre d’obtenir un rapport présentenciel.

 

[2]               La Cour doit maintenant déterminer et imposer une peine juste et proportionnelle, eu égard aux circonstances de l’affaire et à la situation du contrevenant, en conformité avec les principes de détermination de la peine tel qu’établie dans la Loi sur la défense nationale (LDN). En particulier, la Cour doit déterminer s’il y va de l’intérêt véritable du soldat Bruyère, sans nuire à l’intérêt public, de l’absoudre inconditionnellement eu égard aux circonstances de cette affaire.

 

Circonstances entourant la commission des infractions

 

[3]               Les circonstances entourant la commission des infractions ont été résumées dans le sommaire conjoint des circonstances qui a été lu et déposé en pièce par la poursuite. Le soldat Bruyère a admis la véracité de ces faits. Ceux-ci peuvent se résumer ainsi.

 

[4]               En décembre 2018, le soldat Bruyère, qui était affecté au 2e Bataillon du Royal 22e Régiment (2R22R), à Valcartier, se rend à Cayo Santa Maria, Cuba avec sa copine de l’époque, la caporale Goudreau-Prince, afin de rebâtir leur relation de couple. Le 17 décembre 2018 en après-midi, alors qu’ils sont dans leur chambre d’hôtel, un conflit éclate entre les deux. La situation s’envine et le soldat Bruyère saisi la caporale Goudreau-Prince par les poignets, la force sur le lit et la maintient couchée sur le dos en se plaçant sur elle à califourchon, l’insultant. La caporale Goudreau-Prince tente de repousser le contrevenant avec ses jambes, le grafignant et lui serrant la peau pendant que ce dernier la roue de coups de tête et lui tire les cheveux, arrachant la robe et la chaîne en or qu’elle porte. Elle crie de toutes ses forces et il lâche prise.

 

[5]               Pendant qu’elle se change, le couple se lance des propos acrimonieux. Le soldat Bruyère s’élance alors vers la victime et lui a assène un coup de poing à la mâchoire, coup qui la projette au sol. Ressentant une douleur à la mâchoire et à l’oreille, sonnée et étourdie, elle quitte la chambre.

 

[6]               Inquiète pour son argent, passeport et autres pièces d’identité, la victime retourne à la chambre afin de les récupérer. Alors qu’elle tente de prendre ses effets personnels, le contrevenant s’approche d’elle. Elle lui demande de ne pas la toucher. La situation dégénère et le contrevenant recommence à pousser et à frapper la victime qui se recroqueville sur le lit pour se protéger. Debout sur le lit, le soldat Bruyère assène des coups de pied puis saisi la victime à la gorge, tentant de l’étrangler. Il lui arrache aussi plusieurs mèches de cheveux. La caporale Goudreau-Prince réussit finalement à se libérer et à quitter la chambre.

 

[7]               Dans le corridor, la victime demande à une femme de chambre d’appeler les agents de sécurité. En attendant qu’ils arrivent, la femme de chambre isole la caporale Goudreau-Prince dans une pièce. Les agents de sécurité l’escorte ensuite à la chambre du couple afin de permettre à la victime de récupérer ses effets personnels. Elle est par la suite relocalisée dans une autre chambre de l’hôtel.

 

[8]               Plus tard dans la soirée, alors qu’elle consomme un breuvage alcoolisé assise au bar du lobby de l’hôtel, la caporale Goudreau-Prince reconnaît un autre membre du 2R22R, le caporal A. Berthelot, qui séjourne par hasard au même hôtel avec sa conjointe et des amis. La caporale Goudreau-Prince l’approche et lui demande si elle peut passer la soirée avec lui et ses amis. Il accepte qu’elle se joigne au groupe. Au cours de la soirée, questionnée sur la présence d’un hématome autour de son oeil, la caporale Goudreau-Prince, émotive, raconte les évènements impliquant le contrevenant.

 

[9]               Lorsque la soirée se termine au petit matin, par mesure de prudence, le caporal A. Berthelot raccompagne la victime à sa nouvelle chambre. À ce moment, le contrevenant, ivre, s’approche rapidement d’eux et crie au caporal A. Berthelot, « C’est quoi, t’essaies de voler ma blonde? » Le caporal A. Berthelot somme le soldat Bruyère de ne pas s’approcher, lui indiquant que la caporale Goudreau-Prince ne veut pas le voir. Se plaçant derrière le caporal A. Berthelot, la victime demande au soldat Bruyère de s’en aller. Le soldat Bruyère s’avance alors et pousse le caporal A. Berthelot sur la poitrine avec ses deux mains, faisant reculer ce dernier. Ignorant un deuxième avertissement du caporal A. Berthelot, le soldat Bruyère s’élance vers lui et lui a assène un coup de poing au visage, faisant reculer le caporal A. Berthelot de quelque pas. Craignant pour sa sécurité et celle de la victime, le caporal A. Berthelot entoure de ses bras le contrevenant afin de le restreindre. Ils finissent tous deux au sol, le contrevenant se frappant la tête contre le trottoir. Constatant que le soldat Bruyère saigne du visage et semble avoir de la difficulté à respirer, la victime s’approche tandis que le caporal A. Berthelot place le soldat Bruyère en position latérale de sécurité. Ce dernier se relève subitement et frappe la caporale Goudreau-Prince d’un coup de poing au visage, lui causant un hématome autour de son autre oeil. Le caporal A. Berthelot restreint le contrevenant de nouveau. Deux agents de sécurité de l’hôtel, témoins de la scène, prennent alors le soldat Bruyère en charge.

 

[10]           La caporale Goudreau-Prince a subi certaines répercussions économiques en conséquence des évènements, notamment la perte d’une robe d'été d’une valeur d’environ 60 $, les coûts liés à la réparation de la chaîne en or pour un montant d’environ de 80 $, la perte d’un pendentif qui lui avait été offert par ses parents d’une valeur approximative de 250 $ ainsi que les frais de location d’une chambre d'hôtel jusqu’à la fin de son voyage pour un montant de 280 $.

 

Positions des parties

 

Poursuite

 

[11]           La poursuite recommande une peine d’emprisonnement d’une durée minimum de quatre-vingt-dix jours. S’appuyant sur les arrêts R. c. Laurendeau, 2007 QCCA 1593 et R. c. Guerrero Silva, 2015 QCCA 1334, des décisions de la cour d’appel du Québec, elle soumet que la peine devrait viser les objectifs de dissuasion générale et spécifique et de dénonciation puisqu’il s’agit d’un cas de violence conjugale.

 

[12]           Advenant le cas où la Cour n’entend pas appliquer le facteur statutaire de la LDN reconnaissant comme facteur aggravant que la violence ait été portée contre un conjoint ou époux malgré la modification de l’article du Code criminel qui élargit son application aux partenaires intimes, la poursuite soumet que les facteurs aggravants énumérés à l’article 203.2 de la LDN ne sont pas exhaustifs. En d’autres termes, même si la victime n'était pas reconnue comme conjointe de fait lors de la commission des infractions, la Cour devrait considérer comme aggravant que la victime était la partenaire intime du contrevenant. Elle ajoute que même si le système de justice militaire n’a pas l’habitude de traiter de ce type de cause, il a tout de même les outils à sa disposition pour lui permettre de le faire de façon adéquate.

 

[13]           La poursuite affirme que l’abus de confiance est un facteur aggravant distinct de celui de la relation de couple qui existait lors de la commission de la première infraction. Elle a aussi considéré aggravant l’état d’intoxication du contrevenant lors de la commission des infractions, les séquelles psychologiques et physiques de la victime ainsi que le fait qu’il l’a saisie par la gorge, un acte extrêmement dangereux. La poursuite a aussi considéré aggravant la répétition des gestes et la brutalité des agressions.

 

[14]           À titre de facteurs atténuants, elle a considéré le plaidoyer de culpabilité, qui est néanmoins amoindri par la contestation de la sentence, ainsi que par la contestation constitutionnelle soumise par la défense, contestation qui a été éventuellement rejetée par la Cour. La poursuite a aussi tenu compte de l’absence d’antécédent judiciaire.

 

[15]           À titre de facteurs qu’elle a considérés neutres, la poursuite a tenu compte de la situation personnelle du contrevenant, notamment son emploi et son réseau de soutien. Elle soumet que l’opinion de l’expert quant à son risque peu élevé de récidive a peu de poids puisqu’il est uniquement basé sur du ouï-dire, et que le manque de volubilité du contrevenant lors de sa rencontre avec l’expert alors qu’il était volubile lors de son témoignage devant la Cour démontre qu’il tentait de se présenter sous un jour différent avec l’expert. Bien qu’il y ait des efforts de réhabilitation, ceux-ci devraient être mitigés par l’absence de preuve entre le trouble de la personnalité et le comportement délictueux. La poursuite prétend de plus qu’il n’y a aucune preuve que le contrevenant a effectué des démarches sérieuses avant tout récemment, fournissant des excuses pour ne pas avoir agi à cet égard avant 2021. La poursuite soumet qu’il a encore besoin d’aide malgré son affirmation selon lequel son suivi en psychoéducation consistait à peaufiner ou perfectionner ses outils de gestion des émotions. Son sarcasme et son hostilité évidents lors de son contre-interrogatoire en sont la preuve. Elle soumet aussi comme facteur neutre le lieu de l’infraction, étant la chambre d’hôtel qui est un endroit privé similaire à une maison d’habitation.

 

[16]           La poursuite a aussi allégué qu’il y avait des contradictions importantes entre le témoignage du contrevenant et celui de sa conjointe actuelle. Par exemple, la poursuite prétend que la preuve révèle la présence de violence psychologique. Elle affirme aussi que la preuve soumise quant à sa consommation d’alcool était contradictoire et qu’il semble nier la présence de problème d’abus d’intoxicants. D’ailleurs, elle affirme qu’il semble éviter de confronter ses problèmes en consommant du cannabis.

 

[17]           Elle soumet finalement que le cas du contrevenant ne satisfait pas aux conditions d’une absolution inconditionnelle puisqu’il s’agit de la commission de voies de fait dans le contexte de violence conjugale. Le désir du contrevenant de devenir pompier et réserviste, et de travailler dans le domaine de la construction tout à la fois, est douteux. L’argument à l’effet que le soldat Bruyère ne pourra plus se rendre aux États-Unis s’il possède un casier judiciaire n’est pas un facteur pertinent. L’intérêt public ne milite pas en faveur d’une absolution inconditionnelle dans son cas. En appliquant le principe de la proportionnalité, la peine proposée, soit une peine d’emprisonnement d’une durée minimum de quatre-vingt-dix jours, satisfait également au principe de l’harmonisation des peines.

 

Défense

 

[18]           La défense recommande que le soldat Bruyère soit absous inconditionnellement, une mesure qu’elle prétend être appropriée à la lumière de la situation du contrevenant et des critères élaborés dans l’arrêt R..v. Fallowfield,(1973) 13 C.C.C. (2d) 450. Au soutien de sa recommandation, la défense soumet de plus qu’il n’y a pas de mesure alternative disponible dans le système de justice miliaire qui pourrait, par ailleurs, être considérée et imposée au cas présent, tel l’imposition d’une ordonnance de probation.

 

[19]           Subsidiairement, la défense recommande l’imposition d’une amende de 1 000 $, amende que le contrevenant a la capacité de payer. La défense plaide aussi que si une peine d’emprisonnement devait être imposée, celle-ci devrait être suspendue, car l’incarcération n’aurait aucun effet positif sur le soldat Bruyère. À tout évènement, puisque la Cour doit imposer la peine la moins contraignante, en considérant les peines contenues dans l’échelle des peines en commençant vers le bas de celle-ci, la défense considère comme déraisonnable la position de la poursuite. La réinsertion sociale du soldat Bruyère est importante, et son cheminement pour se réhabiliter comporte des défis. Dans ce contexte, la défense explique que c’est le principe de proportionnalité qui est le plus important; chaque cas doit être évalué à son mérite. En conséquence, l’objectif visé par la peine devrait être la réinsertion sociale.

 

[20]           En réponse aux arguments de la poursuite, la défense affirme que la preuve n’est pas déterminante à savoir si le soldat Bruyère et la caporale Goudreau-Prince formaient un couple puisqu’il n’y a aucune preuve qu’ils étaient intimes ni qu’ils cohabitaient. La Cour ne devrait donc pas considérer la prétendue relation de couple à titre de facteur aggravant. La défense soumet, de surcroît, qu’il n’y a aucune preuve de corrélation entre les ecchymoses aux yeux de la victime et les voies de fait commis par le contrevenant; ce fait ne devrait donc pas être considéré comme aggravant. Quant au poids à accorder à la preuve d’expert, la défense note que le psychologue a suivi la procédure standard lorsqu’il a confectionné son rapport.

 

[21]           La défense énumère à titre de facteurs atténuants l’absence d’antécédents judiciaires et le plaidoyer de culpabilité, l’effet dissuasif des procédures, le témoignage émouvant de la conjointe du contrevenant, le soutien social et familial dont bénéficie le soldat Bruyère ainsi que sa situation relative à sa santé mentale. Même s’il n’était pas diagnostiqué à l’époque de la commission des infractions, il y avait des signes précurseurs de troubles déjà présents. Le soldat Bruyère est maintenant diagnostiqué et médicamenté. Il a sollicité de l’aide de son propre chef, et continue toujours dans son processus de suivi. Il est assidu dans sa prise de médicaments.

 

[22]           De plus, trois ans se sont écoulés depuis et il n’y a aucune allégation ou accusation pendante relative à des actes de violence. Le contrevenant n’a d’ailleurs jamais contacté ni la caporale Goudreau-Prince, ni le caporal A. Berthelot à la suite de la commission des infractions; il n’y a aucune crainte pour leur sécurité. Il n’existe d’ailleurs présentement aucun problème de violence physique et psychologique. La défense soumet qu’à l’exception des événements qui ont menés aux accusations contre le soldat Bruyère, l’agressivité du contrevenant était dirigée uniquement contre lui-même.

 

[23]           Le contrevenant n’avait que vingt-quatre ans à l’époque. Il possède des antécédents professionnels positifs et aucune mesure administrative n’a été prise contre lui eut égard aux infractions auxquelles il a plaidé coupable. Le rapport présentenciel est favorable. La défense rappelle à la Cour que le soldat Bruyère s’est excusé à la caporale Goudreau-Prince et aux FAC. De plus, les voies de fait consistaient en une seule transaction. Les deux membres visés par les actes de violence n’ont subi aucune blessure causant des lésions permanentes. Le soldat Bruyère a aussi indemnisé la victime d’un montant de 670 $ et a fait un don de 500 $ à la communauté, soit au Centre d’aide aux victimes d’actes criminels – Capitale nationale et Chaudière-Appalaches. À titre de facteur neutre, il a subi une blessure superficielle à la suite de l’altercation avec le caporal A. Berthelot.

 

[24]           En concluant, la défense soumet que le contrevenant a fait montre d’introspection et d’empathie. Il a dû recommencer sa vie à la suite de sa libération des FAC; il a maintenant un travail stable. Un casier judiciaire aurait tout de même un impact nuisible significatif sur tout emploi futur, en particulier sur ses aspirations professionnelles. Il a le droit à une deuxième chance. En conséquence, l’absolution inconditionnelle est appropriée dans l’instance.

 

La preuve de la poursuite

 

[25]           Dans le cadre de la procédure de détermination de la peine, en conformité avec l’article 112.51 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), la poursuite a déposé en preuve la documentation énumérée à l’article 111.17 des ORFC. La poursuite a de plus déposé, de consentement, un sommaire conjoint des faits contenant les détails de la perte économique de la victime. Cette perte pécuniaire qui n’a pas fait, et ne fera pas l’objet de réclamation à un assureur, est évaluée à un montant total de 630 $.

 

[26]           La victime a préparé une déclaration en conformité avec le paragraphe 203.6(1) de la LDN. Cette disposition établit que, pour déterminer la peine à infliger au contrevenant, la cour martiale doit prendre en considération la déclaration de toute victime sur les dommages ou les pertes qui lui ont été causés par la perpétration de l’infraction. La poursuite a offert au justiciable concerné par le troisième chef d’accusation, le caporal A. Berthelot, de préparer une déclaration au même effet. Celui-ci n’a pas tenu à fournir une déclaration.

 

La preuve de la défense

 

[27]           La défense a déposé en preuve les documents suivants: un diplôme d’études professionnelles en Intervention en sécurité incendie daté du 12 juillet 2014; une lettre de l’employeur actuel du contrevenant signée et datée du 15 février 2022; un reçu d’un don de 500 $ au Centre d’aide aux victimes d’actes criminels – Capitale nationale et Chaudière-Appalaches daté du 8 février 2022; une lettre d’excuse à la victime et aux FAC datée du 10 janvier 2022 qui a été lue en cour par le Soldat Bruyère; une lettre du Dr  Dauphinais, datée du 18 février 2022; une lettre de madame Lévesque, psychothérapeute, datée du 14 février 2022; un sommaire des faits en liasse avec en annexe le curriculum vitae du Dr Vaillancourt, psychologue; ainsi que le rapport d’expertise psychologique de ce dernier daté du 10 décembre 2021.

 

[28]           Le soldat Bruyère a témoigné des démarches entreprises pour consulter avant, et depuis les évènements de décembre 2018. Le contrevenant a fait état des troubles de personnalités qui l’affligent, de sa consommation d’alcool ainsi que de sa situation professionnelle, familiale et sociale. Mme Andréa Johnson, sa conjointe depuis janvier 2019, a témoigné de leur situation personnelle, de sa connaissance générale des circonstances de la commission des infractions pour lesquelles le contrevenant a avoué sa culpabilité, et de sa relation avec le contrevenant depuis le début de celle-ci. Le Dr Dauphinais, médecin de famille, a témoigné, ainsi que Mme Pascale Lévesque, psychothérapeute. Le caporal D. Berthelot, un ami proche du contrevenant, et le Dr Vaillancourt à titre d’expert en psychologie légale, ont aussi témoigné pour la défense. Ce dernier a expliqué lors de son témoignage que la confection de son rapport est fondée sur l’information fournie par l’avocat du soldat Bruyère, notamment la divulgation de la preuve concernant les accusations auxquelles le contrevenant a plaidé coupable, des documents concernant ses consultations en santé mentale de 2018 à 2020 ainsi que son dossier psychiatrique militaire de 2018. Le Dr Vaillancourt a aussi témoigné avoir eu une rencontre d’une durée de quatre heures en novembre 2021 avec le contrevenant.

 

[29]           Finalement, la Cour a pris connaissance judiciaire des faits et des questions énumérées aux articles 15 et 16 des Règles militaires de la preuve à la demande et du consentement des parties, en particulier la situation liée à la COVID.

 

Analyse

 

Principes applicables à la détermination de la peine

 

[30]           Dans le système de justice criminelle, le choix des objectifs d’une peine est déterminé notamment par la nature des infractions concernées et la gravité objective de celles-ci, les faits de la cause, les circonstances personnelles du contrevenant et son degré de responsabilité. Lorsque les circonstances de l’affaire sont graves, la peine devrait généralement viser l’objectif de dissuasion générale et de dénonciation, ce qui impliquera une peine plus sévère. Néanmoins, si le contrevenant démontre qu’il y a des chances de réinsertion sociale, notamment en plaidant coupable, ou en ayant pris des démarches sérieuses afin de traiter la source de son comportement délinquant par le biais par exemple de traitements et de suivis par un professionnel de la santé, l’objectif de réinsertion peut être privilégié. À tout le moins, ce dernier objectif ne peut être complètement ignoré, même si ce sont les objectifs de dissuasion tant générale que spécifique, et de dénonciation, qui doivent être avant tout visés la peine. Cela étant, il ne s’agit pas nécessairement de choisir un objectif au détriment des autres; la Cour doit viser l’atteinte d’un équilibre dans l’application des principes de détermination de la peine, s’assurant que la peine soit proportionnelle à la gravité des infractions concernées et au degré de responsabilité du contrevenant.

 

[31]           Les principes applicables au système de justice militaire sont fort semblables, mais adaptés aux particularités du contexte militaire. Comparant les principes de détermination de la peine des systèmes de justice civile et militaire, la Cour d’appel de la cour martiale du Canada dans R. c. Darrigan, 2020 CACM 1 insistait, « sur l'importance d'un système de justice militaire distinct qui préserve la discipline, l'efficacité et le moral ». La Cour rappelait que cette, « fonction est bien sûr essentielle au maintien des Forces armées canadiennes prêtes à intervenir pour la défense de la sécurité de notre pays » et rejetait l'attachement de la Couronne dans cet appel au modèle civil de détermination de la peine parce qu’il ne tient pas compte, « du rôle fondamental des Forces armées canadiennes et du code disciplinaire qui lie ses membres ».

 

[32]           D’ailleurs, la LDN établit les objectifs et principes que la Cour doit appliquer lors de ce processus. Les objectifs essentiels de la détermination de la peine sont de favoriser l'efficacité opérationnelle des Forces canadiennes en contribuant au maintien de la discipline, de la bonne organisation et du moral, et de contribuer au respect de la loi et au maintien d'une société juste, paisible et sûre. L’atteinte de ces objectifs essentiels se fait par l’infliction d’une peine qui vise l’un ou plusieurs objectifs énumérés dans la loi, telle la dénonciation, la dissuasion et la réinsertion sociale. L’importance relative accordée à chacun des objectifs variera en fonction des circonstances de l’affaire et de la situation du contrevenant.

 

[33]           Le principe fondamental de la détermination de toute peine est celui de la proportionnalité, c’est-à-dire que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant. Ce principe se doit d’être la préoccupation principale de la Cour lorsqu’elle détermine la peine à imposer, considérant les autres principes de détermination de la peine, notamment celui de l’harmonisation des peines, principes qui se veulent indispensables au principe fondamental. Il s’agit en effet de trouver un juste équilibre, car la détermination de la peine est un processus individualisé, « [l'] individualisation et l'harmonisation de la peine doivent être conciliées pour qu'il en résulte une peine proportionnelle », R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, au paragraphe 53.

 

[34]           À cet égard, la loi spécifie que la peine doit être adaptée aux circonstances aggravantes et atténuantes liées à la perpétration de l’infraction et à la situation du contrevenant. Dans les cas de violence conjugale, le préjudice causé à la victime revêt une grande importance dans le contexte de facteurs aggravants. Or, c’est la peine la moins sévère possible qui permet de maintenir la discipline, l'efficacité et le moral des FAC qui doit être imposée. La Cour doit aussi tenir compte de son obligation, avant d'envisager une peine d’incarcération, d'examiner la possibilité de peines moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient. Finalement, les conséquences indirectes du verdict de culpabilité ou de la sentence doivent être prises en compte lors de la détermination de la peine.

 

Objectifs

 

[35]           La Cour a considéré la gravité objective des accusations auxquelles le contrevenant a plaidé coupable, infractions qui prévoient, dans le cas de voie de fait, un emprisonnement maximal de cinq ans, et dans le cas de querelles et désordres, un emprisonnement de moins de deux ans. La jurisprudence a reconnu que la dissuasion générale et spécifique ainsi que la dénonciation sont les objectifs qui devraient avoir préséance lors de la détermination de la peine d’infractions commises par le contrevenant contre son partenaire. J’accepte, pour cette raison, et pour les raisons que j’expliquerai plus loin, que la peine à imposer au soldat Bruyère doit viser ces objectifs. Néanmoins, cela ne veut pas dire que la Cour doive faire fi de la réinsertion sociale du contrevenant, surtout dans les cas comme celui-ci où le contrevenant a entrepris des démarches sérieuses pour adresser les troubles à la source de son comportement violent. En effet, la détermination de la peine demeure un processus individualisé tel que je l’ai déjà mentionné.

 

Facteurs aggravants

 

[36]           Eu égard aux facteurs aggravants du premier chef d’accusation, la Cour a considéré :

 

a)                  Les préjudices physiques et psychologiques ainsi que la perte pécuniaire de la victime. De toute évidence, la caporale Goudreau-Prince est une jeune femme forte, résiliente et courageuse. Malgré tout, ce ne sont pas seulement les coups que le contrevenant lui a portés, et la douleur physique qui s’en est suivi, qui l’ont fait souffrir. Ses paroles ont aussi eu un effet dévastateur sur elle. Sa conduite continue de l’affecter aujourd’hui. En effet, en plus des ecchymoses causées par l’agression, tel que révélé par le sommaire des circonstances, la victime explique dans sa déclaration que son estime personnelle a été anéantie par l’agression, tant par la honte vécue que par la culpabilité qui continue de l’habiter. Se considérant comme une personne habituellement forte, elle s’est sentie particulièrement vulnérable à ce moment. D’ailleurs, l’agression lui a causé des difficultés à développer une relation saine avec son nouveau conjoint.

 

En plus des pertes pécuniaires qu’elle a subies pour le paiement d’une chambre d’hôtel et pour les dommages causés à ses effets personnels, sa participation à un déploiement de six mois à Dakar, Sénégal, a été annulée à deux reprises parce qu’elle devait être présente aux procédures devant la cour martiale. Ces annulations lui ont évidemment occasionné la perte de bénéfices financiers ainsi que l’opportunité d’acquérir l’expérience opérationnelle qui lui aurait probablement valu un avancement professionnel. De surcroît, le support fourni à la victime par son frère a occasionné à ce dernier des coûts de déplacement de Fermont, au nord du Québec, pour rejoindre et accompagner la victime à Québec à son retour de Cuba.

 

b)                  La vulnérabilité de la victime lors de l’agression. Elle était seule, dans un endroit inconnu, à l’étranger. De plus, lorsque l’agression contre elle a débuté, la victime était isolée avec le contrevenant dans une chambre d’hôtel, à l’abri des regards.

 

c)                  La victime était dans une relation de couple avec le contrevenant. À cet égard, l’alinéa (iii) du paragraphe 203.3a) de la LDN énumère comme circonstance aggravante le fait que les mauvais traitements ont été infligés par le contrevenant à son époux ou conjoint de fait. Bien que la caporale Goudreau-Prince n’était pas reconnue dans le sommaire des dossiers personnels des militaires comme étant la conjointe du soldat Bruyère, je suis d’accord avec l’interprétation de la poursuite que la liste de circonstances aggravantes qui se trouvent au paragraphe 203.3a) de la LDN ne constitue pas une liste exhaustive. En effet, avant l’énumération des facteurs aggravants, le législateur y a ajouté le terme « notamment », impliquant que d’autres facteurs, non énumérés dans la loi, pouvaient aussi être considérés comme circonstances aggravantes. L’article 203.3 démontre l’intention du législateur de voir comme aggravant les cas où l’infraction commise comporte de la violence infligée par le contrevenant à son partenaire au sens plus large. D’ailleurs, la terminologie du Code criminel élargit l’application de ce facteur aggravant aux individus qui ne sont ni mariés ni légalement reconnus comme étant conjoints de fait, puisque le code contient plutôt le terme « partenaire intime » pour justifier l’infliction d’une peine d’emprisonnement supérieure à la peine d’emprisonnement maximale prévue pour l’acte criminel visé par la peine. Il est dommage que la LDN n’ait pas fait partie de cette réforme législative pour refléter les changements sociétaux à cet effet.

 

En résumé, pour démontrer l’existence et l’applicabilité de ce facteur aggravant, il importe peu que la victime soit reconnue aux yeux de la loi comme étant épouse ou conjointe du contrevenant; le fait de ne pas respecter les formalités de reconnaissance du statut de conjoint de fait en conformité des critères contenus dans les règlements et politiques des FAC ne nullifie donc pas l’application de ce facteur aggravant. C’est l’existence de la relation privilégiée entre des partenaires intimes, et le lien de confiance qui en découle naturellement, qui rendent aggravantes les circonstances de la commission d’une infraction contre la victime. En l’occurrence, la preuve établit hors de tout doute que le contrevenant était dans une relation intime avec la victime. Le soldat Bruyère a effectivement admis qu’il formait un couple avec la victime à l’époque, qu’ils étaient allés ensemble à Cuba dans le but de rebâtir leur relation de couple et y partageait une chambre à l’hôtel. Sa relation avec la victime, contemporaine à la commission de la première infraction, constitue un facteur aggravant.

 

J’accepte aussi que l’abus de confiance puisse être considéré à titre de facteur aggravant distinct qui est présent dans le cas du soldat Bruyère, bien que cette confiance soit intrinsèque à la nature même d’une relation entre des partenaires intimes. En effet, il était la seule personne qui était familière à la victime ce soir-là, elle lui faisait confiance. Il a brisé sa confiance en s’en prenant à celle qui était en droit de s’attendre à ce qu’il la protège contre ce type de conduite.

 

d)                  La répétition des actes violents. Il s’agissait d’une série d’actes violents et continus impliquant notamment la saisie des poignets de la victime par la force, de coups de poing au visage, des coups de pied et une tentative d’étranglement. Malgré ses supplications, et malgré les interventions d’un frère d’armes, le contrevenant continuait de s’en prendre à la victime.

 

e)                  La consommation d’alcool. La Cour a considéré que le contrevenant a choisi de s’enivrer à la suite de la première attaque, alors même qu’il avait, plus tôt dans la soirée, agit avec violence envers la victime.

 

Les facteurs atténuants

 

[37]           La LDN prévoit également que doivent être considérés les facteurs atténuants présents dans le dossier lors de la détermination d’une peine juste et proportionnée. Cet exercice ne vient en rien nier la gravité des infractions, ou minimiser le préjudice causé à la victime. Dans cette affaire, les facteurs atténuants suivants ont été considérés :

 

a)                  Le jeune âge et le grade junior du contrevenant à l’époque de la commission de l’infraction. À vingt-quatre ans et étant soldat, ce jeune âge peut supporter l’existence d’un potentiel de réinsertion sociale. La Cour note que la poursuite ne semble pas avoir accordé beaucoup de poids à ce facteur, bien que celui-ci soit généralement considéré pertinent par la jurisprudence pour juger du potentiel de réinsertion sociale chez le contrevenant.

 

b)                  L’absence de fiche et conduite et d’antécédent criminel connu.

 

c)                  Le plaidoyer de culpabilité a un impact significatif à titre de facteur atténuant. En effet, quand un contrevenant offre un plaidoyer de culpabilité, il reconnaît ses torts. La compensation payée à la victime sans qu’une ordonnance ait été émise à cet effet, et la lettre d’excuse du soldat Bruyère, font foi de cette reconnaissance. Le plaidoyer de culpabilité présente également une économie d’effort et de ressources importantes pour le système de justice. Il évite aussi aux victimes de devoir venir rendre témoignage, une expérience qui présente généralement une importante charge émotive. Je n’accepte pas la suggestion de la poursuite à l’effet que le plaidoyer de culpabilité devrait être mitigé par les choix tactiques passés de la défense. À la suite du rejet de la contestation constitutionnelle, le contrevenant a très tôt fait valoir son intention de plaider coupable, contrairement aux cas jurisprudentiels soumis par la poursuite. En conséquence, la Cour accepte sans bémol le plaidoyer de culpabilité.

 

Conséquences indirectes de la peine

 

[38]           En outre, la Cour doit tenir compte des conséquences indirectes reliées à la condamnation. Le soldat Bruyère a quitté les FAC de façon volontaire, bien que la situation reliée aux procédures actuelles ait joué un rôle dans sa décision de libérer, ayant témoigné que les incidents à Cuba ont détruit sa carrière; il avait l’impression qu’il avait une cible sur lui. De plus, il est un support financier et apporte du soutien émotif à sa conjointe. Cette dernière subira aussi les conséquences d’une peine sévère.

 

Situation du contrevenant

 

Situation professionnelle

 

[39]           Le contrevenant est présentement âgé de vingt-sept ans. Il a joint les FAC le 7 juin 2017 et a servi comme fantassin. Il a été libéré le 3 août 2020. Étant donné sa courte carrière dans les FAC, il n’est pas surprenant que ses états de service soient plutôt succincts.

 

[40]           La preuve révèle qu’il est détenteur d’un diplôme d’études professionnelles en Intervention en sécurité incendie depuis juillet 2014 et qu’il caresse le rêve de suivre les pas de son père de devenir pompier tout en servant dans la Réserve. Aussi détenteur d’un diplôme en réfection de toiture, il est présentement employé à titre de contremaître pour une compagnie de toiture et est très apprécié de son employeur. Ce dernier continuerait de l’employer advenant le cas où le contrevenant ait un casier judiciaire en conséquence des procédures actuelles.

 

Situation matrimoniale

 

[41]           Au niveau de sa situation matrimoniale, le soldat Bruyère a rencontré sa conjointe en janvier 2019. Ils habitent ensemble depuis plus de deux ans. Ils considèrent l’achat d’une maison ensemble dans les années à venir et tentent depuis trois mois d’avoir un enfant.

 

Habitudes de consommation d’alcool

 

[42]           Quant aux habitudes de consommation et à l’abus d’alcool du contrevenant, d’emblée, le soldat Bruyère a reconnu devant la Cour que sa consommation d’alcool était problématique depuis janvier 2018. Il explique ses abus de consommation par le fait qu’il n’était pas heureux dans sa relation avec la victime. À cette époque, il consommait souvent, buvant par exemple un litre de bière qu’il a référé à un « bubba ». Sa consommation lui occasionnait des trous de mémoire. D’ailleurs, le lendemain de la commission des infractions, parce qu’il était en état d’ébriété avancé la veille, il ne se rappelait pas s’être battu avec le caporal A. Berthelot; il ne le connaissait même pas. Il s’est réveillé dans une clinique cubaine où il a reçu quatre points de suture, présumant qu’il avait eu un échange de coup de poing avec un autre individu.

 

[43]           Le soldat Bruyère a témoigné que les abus d’alcool ont perduré jusqu’à l’été 2021 alors qu’il consommait à toutes les fins de semaine, les vendredi ou samedi ou les deux jours, et quelquefois la semaine également. Typiquement, il buvait une dizaine de bières. Mme Johnson a témoigné qu’au début de sa relation avec le soldat Bruyère, ils étaient tous deux constamment en état d’ébriété les fins de semaine et que le contrevenant buvait du fort et de la bière. C’est lorsqu’il consommait de l’alcool que le contrevenant devenait agressif. Selon ses dires, cette réaction n’était pas toujours reliée à la consommation d’alcool. Le contrevenant a témoigné avoir été violent verbalement envers sa conjointe actuelle, mais a clarifié qu’il était plutôt méchant, car il lui lançait des insultes. Il y a eu un événement avec des amis en particulier où il a ressenti de la jalousie, car il percevait qu’un invité s’intéressait à sa conjointe.

 

[44]           Néanmoins, lors de moments de crise, l’agressivité du soldat Bruyère était dirigée vers lui-même. C’est d’ailleurs durant un événement de ce type qu’il a eu une première prise de conscience qu’il a initialement dit être à l’été 2020, mais qu’il a corrigée en spécifiant que c’était en 2021. Lors de cet événement, le contrevenant a tenté de se jeter du troisième étage. Sa conjointe a dû le retenir. Cette prise de conscience l’a amené à diminuer sa consommation d’alcool. C’était aussi la dernière fois où le soldat Bruyère aurait agi agressivement. À l’automne 2021, il s’est abstenu de consommer pendant quarante jours. Ensuite sa consommation était occasionnelle et consistait en une seule consommation. Il lui est arrivé à cette époque de consommer et ressentir les effets de l’alcool sans être en état d’ébriété, mais il n’a pas eu d’autre crise d’agressivité. Il aurait eu une deuxième prise de conscience au retour d’un autre voyage à Cuba le 28 décembre 2021. Il aurait réduit davantage sa consommation d’alcool, en prenant une seule consommation lors d’occasions spéciales. La conjointe du contrevent quant à elle, a témoigné qu’en janvier 2020, elle lui a donné un ultimatum : elle le quitterait s’il ne réduisait pas sa consommation d’alcool. Il aurait alors réduit sa consommation de bière et aurait éliminé le fort.

 

[45]           Dans l’évaluation de la crédibilité du contrevenant, la Cour a considéré la possibilité que le soldat Bruyère ait tenté de minimiser sa consommation d’alcool depuis 2021. Or, le témoignage du soldat Bruyère était cohérent et concordait dans son ensemble et sur des aspects cruciaux avec celui de sa conjointe actuelle ainsi que de celui des professionnels de la santé qui sont venus témoigner pour la défense. La Cour a accordé peu d’importance à certaines contradictions entre le témoignage du contrevenant et celui de sa conjointe quant au type d’alcool consommé et aux périodes de consommation; les quelques rares contradictions en question étaient mineures et s’expliquent logiquement par le passage du temps.

 

[46]           J’accepte que le contrevenant ait eu une prise de conscience qui l’a amené à réduire de façon importance sa consommation d’alcool, que ce soit par le biais d’une réflexion personnelle continue qui a débuté à l’été 2021, ou que ce soit par le biais d’un ultimatum donné par sa conjointe en janvier 2020. Il était conscient que son intoxication était la cause de comportement agressif. La Cour n’a pas de raison de douter qu’il ait effectivement réduit sa consommation d’alcool afin de prévenir ces réactions agressives.

 

[47]           Le soldat Bruyère a également été très candide à l’effet qu’il consommait quotidiennement un autre intoxicant, le cannabis. Cela étant, aucune preuve n’a été présentée démontrant que la consommation de cet intoxicant engendrait des problèmes de gestion d’émotions, bien au contraire. C’est la consommation d’alcool qui était problématique, qui paralysait une gestion efficace des émotions. Ce problème semble maintenant être sous contrôle.

 

Démarches prises pour consulter

 

[48]           De toute évidence, il était également conscient de la présence de troubles psychologiques avant décembre 2018, et avait en conséquence sollicité de l’aide professionnelle avant les évènements en question. En arrêt de travail au printemps 2018, il a consulté une psychologue et a eu neuf rencontres avec elle. Il a cessé ses rencontres car il n’y voyait pas d’amélioration. Cependant, il n’est pas demeuré passif. Il a plutôt demandé à un médecin d’obtenir un suivi, notamment en joignant un groupe de soutien. Son départ à Gagetown pour raisons de service, puis aux États-Unis, et la pandémie qui a suivie, ont repoussé l’obtention d’une aide professionnelle subséquente. Bien qu’il aurait gagné à être plus proactif pour obtenir des soins, malgré tout, avant la mise en accusation, la preuve démontre que le soldat Bruyère avait entrepris des démarches pour consulter, questionnant le bénéfice des services psychologiques qu’ils recevaient afin de voir si d’autres méthodes pouvaient s’avérer plus efficaces à la lumière de sa situation changeante.

 

[49]           À la suite de la réception des accusations, en mars 2020, la chaîne de commandement du contrevenant lui a demandé de consulter un professionnel de la santé afin de joindre un groupe de gestion des émotions, ce qui explique l’ajout dans son dossier d’une consultation pour des difficultés de nature conjugale. Un peu avant sa libération en août 2020, il a demandé au Dr Lei de le référer à un groupe de soutien, vu son comportement relié aux évènements de décembre 2018. On lui a indiqué qu’il n’était plus éligible aux services offerts par les FAC et que ce type de service devait être sollicité auprès des organismes civils. C’est en décembre 2020 qu’il demandait à son médecin de famille d’être référé à un psychiatre.

 

Diagnostic et efficacité des traitements

 

[50]           La rencontre avec un psychiatre a eu lieu en janvier 2021 et un diagnostic de trouble de personnalité limite (TPL) en a résulté en avril 2021. Le témoignage du contrevenant révèle que depuis le diagnostic, tout a changé. Il a une bonne capacité de concentration et dit se sentir plus léger et plus stable émotivement grâce aux thérapies et à la médication. Il veut continuer ses rencontres pour pouvoir passer à un groupe en psychoéducation.

 

[51]           Le Dr Dauphinais, le médecin de famille qui le traite depuis 1997, a confirmé le diagnostic de TPL en avril 2021 à la suite d’une évaluation psychiatrique. Il confirme également que le contrevenant est, depuis lors, médicamenté sur une base régulière et de manière quotidienne avec des antidépresseurs et des antipsychotiques, qu’il est fonctionnel et jugé stable. Il est, de plus, en suivi individuel en psychoéducation depuis septembre 2021, ayant complété à ce jour dix rencontres. Ce suivi vise à l’amélioration de la gestion des émotions. Sa psychothérapeute a témoigné qu’elle a constaté une bonne collaboration et une mobilisation vers les objectifs ciblées. Il est en attente pour joindre un groupe dont l’objectif est le développement de la capacité d’auto-observation, réflexion sur soi et de mentalisation.

 

[52]           En résumé, la preuve révèle que le soldat Bruyère est quelqu’un de sérieux, déterminé, qui sait où il s’en va et désireux de régler la ou les causes de son comportement agressif. Toutefois, sa quasi-sobriété est très récente. Ce facteur est indicatif que la réhabilitation du soldat Bruyère est dans la bonne voie, mais n’est pas complète. Il en va de même pour sa gestion des émotions qui doit faire l’objet de suivi. Le soldat Bruyère devra persister et continuer ses rencontres individuelles en psychoéducation afin de pouvoir rejoindre un groupe lorsque le temps sera venu. Ceci maximisera son potentiel de réinsertion sociale. Le TPL semble être effectivement pris en charge par le biais de médications, et peut-être aussi à l’aide du suivi individuel.

 

[53]           Il est malheureux cependant que la preuve présentée soit insuffisante afin de préciser la corrélation qui existe, s’il y en a une, entre le TPL, la gestion des émotions et la consommation d’alcool. Cette preuve aurait pu éclairer davantage la Cour sur la situation du contrevenant.

 

Relation avec la conjointe

 

[54]           Quant à la relation avec sa conjointe actuelle, le début de cette relation était plutôt tumultueux; il y aurait eu quatre à cinq crises de jalousie qui comportaient des échanges blessants entre eux deux. Or, Mme Johnson a aussi témoigné n’avoir jamais eu à craindre pour sa sécurité et que les crises ne se reproduisent presque plus depuis que le contrevenant est médicamenté. Il admet que la relation maintenant n’est pas parfaite, mais qu’il a trouvé une certaine sérénité, bien qu’ils vivent tous deux du stress causé par les procédures de cette cour martiale.

 

[55]           Il est évident que le support qu’il apporte à sa conjointe est mutuel. Elle a besoin de lui et lui a besoin d’elle. Le support que fournit le contrevenant a d’ailleurs motivé Mme Johnson à obtenir un diplôme et elle est maintenant infirmière auxiliaire.

 

Réseau de soutien

 

[56]           Le soldat Bruyère a aussi un réseau de soutien adéquat. Son ami proche, le caporal D. Berthelot, est clairement un ami loyal et dévoué sur qui il peut compter. Son médecin de famille a confirmé être disponible au besoin. Il a accès à des rencontres individuelles. Il semble que le réseau d’aide qui l’entoure est solide. Il n’est pas seul dans son combat.

 

Risque de récidive

 

[57]           Par ailleurs, la Cour a accepté le témoignage de l’expert et ses conclusions quant aux risques de récidive du contrevenant. En effet, afin d’en arriver à ses conclusions, le Dr Vaillancourt a consulté le rapport de police couvrant l’enquête sur les événements de décembre 2018, a examiné les dossiers médicaux en santé mentale du soldat Bruyère et s’est appuyé sur des faits qui ont été mis en preuve notamment par le médecin de famille et par la psychothérapeute.

 

[58]           Aux fins d’évaluer le risque de récidive, l’expert a considéré les abus d’alcool du contrevenant à l’époque de la commission des infractions, ainsi que la diminution subséquente dans sa consommation. Le Dr Vaillancourt a de plus considéré comme antécédent dans le cadre de son évaluation de récidive, une autre altercation avec la victime qui aurait eu lieu en juin 2018 alors que cette dernière et le contrevenant formaient un couple.

 

[59]           Le Dr Vaillancourt a confirmé que le contrevenant est conscient de ses difficultés, et qu’il semble intéressé à les régler. Selon l’expert, le soldat Bruyère a une qualité introspective. Il est capable de ressentir de l’empathie, mais il l’exprime de façon plus intellectualisée. Il confirme aussi que l’alcool est un facteur de risque considérable pour ce contrevenant.

 

[60]           Aux fins d’évaluation du risque de récidive, il a utilisé un certain nombre d’outils reconnu dans son domaine. Il a expliqué que la personne est classée dans une des trois catégories dont la psychopathie, une catégorie d’individus comportant un grand risque de récidive, et les personnes non psychopathes, qui présentent un faible risque de récidive. Le soldat Bruyère se situe dans cette dernière catégorie; il présente en effet très peu de facteurs de risque.

 

Attitude vis-à-vis la réhabilitation

 

[61]           Lors de son témoignage, le soldat Bruyère n’a pas tenté de blâmer la victime pour ce qui s’est passé à Cuba. Il n’a pas non plus minimisé ses actions. Bien que cela n’excuse pas son comportement de ce soir de décembre 2018, j’accepte que son intoxication à l’alcool ce soir-là était telle qu’il ne se souvient pas de s’être battu avec le caporal A. Berthelot avant de s’en prendre de nouveau à la victime. Il a accepté la responsabilité de ses actions. Sa lettre d’excuse est révélatrice de sa capacité d’introspection, qui laisse entrevoir un potentiel de réinsertion sociale. Bien qu’il aurait pu faire plus pour identifier et traiter la source de ses maux, il l’a fait éventuellement. Il y a eu également des délais considérables, hors du contrôle du contrevenant, pour que ce dernier soit enfin référé à un psychiatre, à une psychoéducatrice et pour être assigné à un groupe de soutien; la pandémie a pu contribuer à la lenteur du processus pour obtenir les traitements requis. Il continue ses traitements et rencontres de manière ponctuelle, assidue et sérieuse. Cette partie du témoignage du contrevenant a aussi été confirmée par les professionnels de la santé qui ont présenté de la preuve pour la défense.

 

Harmonisation des peines

 

[62]           La Cour doit maintenant considérer le principe de l’harmonisation des peines tout en étant informé des principes dégagés par l’arrêt R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, où le juge Wagner (plus tard juge en chef), s'exprimant pour la majorité, écrivait au paragraphe 69 que, « [l]es fourchettes de peines ne sont que des lignes directrices et qu’un outil parmi d'autres, destinés à faciliter la tâche des juges d'instance ». En effet, tel que mentionné plus tôt, tout comme le système de justice criminelle (article 718.1 du Code criminel), c’est le principe de proportionnalité qui est le principe fondamental lors de la détermination de toute peine imposée par une cour martiale (article 203.2 de la LDN).

 

[63]           Néanmoins, tel que précisé dans R. c. Darrigan, 2020 CACM 1, puisque le modèle civil de détermination de la peine ne tient pas compte, « du rôle fondamental des Forces armées canadiennes et du code disciplinaire qui lie ses membres », la Cour ne se sent pas liée par la fourchette de peines établies par la jurisprudence des cours de juridictions criminelles, jurisprudence qui a été fournie par la poursuite dans ce dossier. J’accepte plutôt que ce sont les décisions de la cour martiale et de sa cour d’appel qui guident la Cour tant au niveau des principes à suivre que de la fourchette des peines à considérer.

 

[64]           J’ai toutefois examiné la jurisprudence des cours de juridictions criminelles soumise par la poursuite afin de comparer la fourchette des peines de ces juridictions pour ce type d’infractions. À cet égard, la jurisprudence soumise par la poursuite comporte peu de ressemblance avec le cas du soldat Bruyère. Par exemple dans Guerrero Silva, le contrevenant avait plaidé coupable à une trentaine d’accusations pour des infractions perpétrées entre juillet 2012 et août 2013 qui incluaient agression sexuelle, séquestration, et infractions commises contre des agents de la paix. La moitié des accusations concernait des bris de conditions ou d’engagements commis dans le contexte du dossier de violence conjugale. Le rapport présentenciel dans Guerrero Silva concluait à une prise de conscience embryonnaire, à une motivation douteuse et à un risque de récidive bien présent. Le délinquant avait, de plus, un passé criminel imposant. Dans l’arrêt Laurendeau, les circonstances étaient aussi beaucoup plus graves. L’accusé avait plaidé coupable à huit accusations diverses. Il a récidivé quelques mois à peine après sa remise en liberté. La cour d’appel écrivait que, « l'intimé est policier, il connaît les rouages de l'administration de la justice et s'est servi de ses connaissances pour faire changer les conditions de son engagement de mise en liberté et contourner les règles. Pour arriver à ses fins, il a violé son engagement de ne pas communiquer avec sa conjointe. » En bref, la plupart des cas soumis par la poursuite où une peine d’incarcération a été imposée comportaient des circonstances plus sérieuses que dans le cas du soldat Bruyère. Dans d’autres cas, une peine de probation avait été imposée, R. c. Makeba, 2020 QCCQ 2168. Il est difficile de trouver une application de cette jurisprudence au cas présent.

 

[65]           L’examen de décisions semblables et plutôt rarissimes en cour martiale pour les cas de violence conjugale révèle que les peines imposées dans le système de justice militaire varient d’une amende, à l’emprisonnement pour une période de huit mois dans les circonstances plus graves. En particulier, dans R. c. Lieutenant-colonel G. C. Szczerbaniwicz, 2008 CM 2009, à la suite d’un procès contesté, le contrevenant était trouvé coupable de voie de fait simple contre sa conjointe et était condamné à une amende de 1 800 $. À l’autre extrême de la fourchette des peines, dans la décision non publiée de 2002 R. c. Caporal Forsyth (appel de la sévérité de la sentence rejeté, R. c. Forsyth, 2003 CMAC 9 (CanLII)), à la suite d’un procès contesté, le contrevenant était trouvé coupable de l’infraction objectivement plus grave de voies de fait causant lésions contre sa conjointe avec qui il cohabitait dans des logements familiaux sur la base. La défense n’avait présenté aucune preuve en mitigation, et quant au potentiel de réhabilitation du caporal Forsyth. La victime avait aussi subi des blessures permanentes et incapacitantes. Un emprisonnement de huit mois était imposé. Finalement, dans R. v. Rumbolt, 2019 CM 2028, ce dernier cas de violence conjugale comportant des circonstances similaires frappantes d’avec le cas en l’espèce, le caporal-chef Rumbolt plaidait coupable à une accusation de voies de fait causant des lésions corporelles. Reconnaissant les efforts de réhabilitation du caporal-chef Rumbolt, la juge militaire acceptait et imposait la recommandation conjointe d’un blâme avec une amende de 5 000 $. À également été considéré, avec ses distinctions factuelles, la décision, R. v. Simms, 2016 CM 4001, où le contrevenant, un adjudant-maître, se voyait imposer une rétrogradation au grade d’adjudant et une amende au montant de 4 000 $ pour des actes de violence commis contre des policiers militaires alors qu’il était ivre et qu’on lui avait interdit de monter à bord de l’avion avec son épouse pour se rendre à Las Vegas.

 

Application des principes aux faits de la cause

 

[66]           Ayant examiné la fourchette des peines, dans le cadre de la détermination de la peine, la LDN prévoit comme mesure offerte au juge l’absolution inconditionnelle, à l’article 203.8:

 

(1) Le tribunal militaire devant lequel comparaît l’accusé qui plaide coupable ou est reconnu coupable d’une infraction pour laquelle la loi ne prescrit pas de peine minimale ou qui n’est pas punissable d’un emprisonnement de quatorze ans ou de l’emprisonnement à perpétuité peut, s’il considère qu’il y va de l’intérêt véritable de l’accusé sans nuire à l’intérêt public, l’absoudre inconditionnellement au lieu de le condamner.

 

[67]           La LDN prévoit donc trois conditions pour qu’une absolution inconditionnelle puisse être accordée :

 

a)         il ne doit pas s’agir d’une infraction pour laquelle une peine minimale est prescrite ou qui n’est pas punissable d’un emprisonnement de quatorze ans ou plus;

 

b)         la Cour doit être convaincue qu’il y va de l’intérêt véritable de l’accusé qu’il soit absous;

 

c)         cette mesure ne doit pas nuire à l’intérêt public. Le contrevenant qui est absous inconditionnellement est réputé ne pas avoir été condamné à l’égard de l’infraction.

 

[68]           Cet article a fait l’objet de considération en cour martiale dans au moins deux affaires pour des accusations non semblables. Dans R. v. D’Amico, 2020 CM 2004, reconnaissant que le pouvoir d’une cour martiale d’ordonner une absolution inconditionnelle était relativement nouveau, la juge présidant la cour martiale avait appliqué les préceptes établis dans l’arrêt Fallowfield pour la guider dans sa détermination de l’application de cette mesure. Dans R. v. Ermine, 2021 CM 4007, le juge militaire avait décidé que l’imposition d’une absolution inconditionnelle dans les circonstances s’avérait insuffisante aux fins du maintien de la discipline, en considération de la gravité subjective de l’infraction reprochée.

 

[69]           Dans le contexte de la considération d’une absolution inconditionnelle dans des cas semblables dans le système de justice criminel, dans l’affaire Camps c. R., 2018 QCCS 5453, le délinquant avait été condamné à un sursis de prononcé de la peine et à une ordonnance de probation pour une durée de trois ans sur chacun des deux chefs d’accusation pour des infractions de voies de fait et de harcèlement criminel commises à l’égard de son ex-épouse. Dans le pourvoi en appel contestant les peines infligées par le tribunal inférieur, la Cour supérieure affirmait qu’il était bien établi que les tribunaux étaient réticents à octroyer une absolution inconditionnelle dans un contexte de violence conjugale. Néanmoins, accueillant l’appel, le juge présidant établissait que, « cette réticence n’est pas absolue et peut céder la place lorsque des circonstances particulières et exceptionnelles le justifient » (au paragraphe 87). [Emphase ajoutée.]

 

[70]           Ceci dit, selon l’affaire R. c. Paulino Mercedes, 2019 QCCQ 3402, paragraphe 38, il est inapproprié de présumer qu’il est toujours dans l’intérêt véritable d’un accusé de pouvoir bénéficier d’une absolution. Il lui appartient en effet de le démontrer. Cet intérêt véritable nécessite que l’accusé soit une personne de bon caractère; qui n’a généralement aucun antécédent judiciaire; qu’il ne présente pas de difficulté en matière de dissuasion spécifique et de réhabilitation; et qui encourt des répercussions négatives importantes en raison de l’inscription d’une condamnation à son dossier.

 

[71]           L’absolution peut être prononcée lorsque les gestes délictuels reprochés présentent une gravité relative peu importante tandis que les conséquences d’une condamnation pourraient s’avérer très sérieuses. Ce critère doit s’apprécier en tenant compte de ce que pourrait penser une personne raisonnable et renseignée quant aux faits reprochés au contrevenant et à sa situation particulière. La Cour doit donc se demander comment réagirait la personne raisonnable et bien renseignée si le contrevenant devait être absous et s’il y a un risque que le justiciable perde confiance dans le système judiciaire, le cas échéant.

 

[72]           Dans le cas en espèce, la Cour a considéré que le contrevenant a plaidé coupable et n’a aucun antécédent criminel. Il a reconnu avoir commis les infractions, a fait montre d’introspection, il s’est excusé, et ses remords semblent sincères.

 

[73]           La Cour a également considéré les séquelles subies par la victime. Cette dernière a subi des ecchymoses aux yeux ce qui constituaient, sans vouloir minimiser la douleur ressentie, des séquelles physiques passagères. Les séquelles psychologiques sont toujours présentes sans toutefois, heureusement, sembler constituer des séquelles incapacitantes.

 

[74]           Autre circonstance pertinente dans la détermination de l’imposition d’une absolution inconditionnelle est le fait que le soldat Bruyère travaille à temps plein. Cependant, la Cour ignore le nombre d’heures de travail alloué au contrevenant; elle ignore sa situation financière et s’il a reçu un retour de contribution des FAC à la suite de sa libération volontaire. Aucune preuve quant à la situation financière et professionnelle du contrevenant n’a été présentée au procès dans le cadre de la détermination de la peine. La Cour a toutefois été informée que l’employeur du soldat Bruyère continuerait de l’employer advenant l’inscription d’une condamnation à son dossier. Le contrevenant a soumis qu’avoir un casier judiciaire ruinerait la possibilité de s’enrôler dans la Réserve, pour suivre les traces de son père en devenant pompier et de voyager à l’étranger.

 

[75]           Puisque le contrevenant occupe actuellement un emploi à temps plein qui ne sera pas mis en péril à la suite d’une inscription d’une condamnation à son dossier, et puisque son désir de joindre la Réserve et devenir pompier ne constitue pas un moyen nécessaire à sa subsistance mais plutôt une préférence de carrière, la défense n’a pas établi que l’existence d’un casier judiciaire pourrait entraîner des répercussions négatives importantes. Il en va de même pour la possibilité dérobée de voyage à l’étranger que la Cour considère être une préférence liée aux loisirs. Je rappelle que le comportement délinquant du soldat Bruyère a été commis à l’égard de la partenaire de l’époque, ce qui constitue sans contredit une circonstance aggravante. Les circonstances et la gravité de la conduite reprochée ainsi que les arguments peu convaincants au soutien de la demande d’absolution inconditionnelle ne supportent donc pas l’imposition de cette mesure dans le cas présent, malgré la réhabilitation en cours. La dissuasion et la dénonciation sont des objectifs critiques à viser dans le contexte de ce type d’infraction et la Cour en ferait fi si elle absolvait le contrevenant. Une absolution inconditionnelle ne serait pas proportionnelle à la gravité des infractions et à sa situation personnelle. Cette mesure, si imposée dans son cas, minerait la confiance du public et nuirait donc à l’intérêt public. D’ailleurs, dans un cas très similaire au sien, dans R. v. Lowe, 2012 ABPC 247 (CanLII) où un jeune militaire de vingt-trois ans, accusé d’infraction reliée à la violence quasi conjugale, démontrait du remords et avait un rapport présentenciel favorable, la Cour avait jugé qu’une absolution inconditionnelle n’était pas appropriée vu les objectifs visés par la peine. La Cour n’imposera pas cette mesure en conséquence.

 

Principes reliés à l’application de l’échelle des peines

 

[76]           Cela ne veut pas dire que la Cour doive considérer maintenant la peine proposée par la poursuite étant donné qu’il a été déterminé que les objectifs de dissuasion et de dénonciation devaient être visé par la peine. En effet, dans R. c. Charbonneau, 2016 QCCA 1567, la Cour d’appel a établi à bon droit que c’était, « une erreur de croire que seul l’emprisonnement peut répondre adéquatement aux objectifs de dénonciation et de dissuasion, la sévérité n’étant pas l’apanage de l’emprisonnement » (paragraphes 14-16). De surcroît, la Cour a l’obligation statutaire, avant d’envisager la privation de liberté par l’emprisonnement, d’examiner la possibilité de peines moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient.

 

[77]           Ayant rejeté l’absolution inconditionnelle comme mesure, la Cour doit se tourner vers l’échelle des peines fournies à l’article 139 de la LDN, en commençant vers le bas de l’échelle, suivant le principe selon lequel la Cour doit considérer l’infliction de la peine la moins sévère possible qui permette de maintenir la discipline, l’efficacité et le moral des FAC.

 

[78]           À ce titre, la défense a recommandé subsidiairement qu’une peine d’une amende de 1 000 $ constituerait une peine proportionnée en l’espèce. Je dois me demander si cette peine satisfait aux objectifs identifiés plus tôt. À mon sens, ce n’est pas le cas, car cette peine n’est pas suffisante dans les circonstances puisqu’elle ne satisfait pas aux objectifs qu’elle doit viser. La recommandation, à mon sens, ne satisfait pas au principe de proportionnalité puisqu’elle est trop clémente.

 

[79]           Considérant une peine plus sévère dans l’échelle des peines, une difficulté s’impose lorsqu’il s’agit d’un contrevenant qui a été, depuis la commission des infractions, libéré des FAC et qui détenait en plus, le grade de soldat à sa libération. En effet, certaines peines ne sont pas applicables ou exécutables pour ce type de contrevenant. À titre d’exemple, au terme de la note(A) de l’article 104.09 des ORFC, la détention est une punition qui vise à réhabiliter les détenus militaires et à leur redonner l'habitude d'obéir dans un cadre militaire structuré. Une fois la peine de détention purgée, le militaire retournera en temps normal à son unité sans que sa carrière en souffre à long terme. La détention n’est clairement pas une peine indiquée pour un ancien membre des FAC. Il est à noter que cette prise de position ne s’applique pas à la peine d’emprisonnement. Quant à la rétrogradation, un soldat ne peut non plus pas être rétrogradé, car il n’existe pas de grade inférieur au grade de soldat. Voir R. c. Lévesque, 2020 CM 5014 ; R. v. McGregor, 2019 CM 4016 et R. v. Ayers, 2017 CM 1012, qui expliquent de façon plus détaillée les conséquences des peines militaires pour un contrevenant libéré des FAC.

 

[80]           Cela ne veut pas dire que le contrevenant devrait être puni plus sévèrement parce qu’il est maintenant libéré des FAC. En d’autres mots, la libération des FAC ne justifie pas que la Cour doive automatiquement imposer une peine d’emprisonnement parce que certaines peines trouvent une application pragmatique moindre dans ce cas. La Cour doit tout simplement considérer une réprimande qui est la prochaine peine dans l’échelle, et si elle est trop clémente, le blâme. Une amende peut être jumelée à chacune de ses peines. Je dois me demander si imposer une réprimande serait assez sévère pour permettre de maintenir la discipline.

 

[81]           Considérant les facteurs aggravants mentionnés précédemment, une réprimande ne constituerait pas une peine suffisante. Je suis plutôt d’avis qu’un blâme serait approprié dans les circonstances. Le blâme satisfait au principe d’harmonisation des peines, considérant les circonstances entourant la commission des infractions auxquelles le soldat Bruyère a avoué sa culpabilité, ainsi que sa situation personnelle. Le blâme est une marque de désapprobation des FAC et a un effet dissuasif sur les membres militaires. Eu égard à l’ensemble du dossier tel que détaillé plus tôt, un blâme jumelé à une amende constitue une peine qui satisferait aux objectifs visés, tout en ne compromettant pas les efforts de réhabilitation du contrevenant.

 

[82]           En bref, bien que cette peine puisse, à première vue, paraître clémente, le soldat Bruyère ne devrait pas être puni plus sévèrement eu égard à la restriction d’options imposées par l’échelle des peines, dont certaines sont soient inexécutables, soient inapplicables à un ancien membre des FAC qui détenait le grade de soldat à sa libération. 

 

[83]           Bien qu’on ne m’ait pas fait la preuve directe de sa capacité de payer, l’avocat de défense m’a assuré qu’il était en mesure de payer une amende de 1 000 $. La preuve révèle que lui et sa conjointe travaillent tous deux à temps plein. Le contrevenant avait de plus les moyens de dédommager la victime et de faire un don. Il n’a pas d’enfant ou autre personne à charge. La Cour en conclut qu’une amende de 3 000 $ n’alourdira pas sa charge financière indûment surtout avec les modalités de paiement que je considère imposer. Cette peine d’un blâme jumelé à une amende de 3 000 $ est la peine la moins sévère possible qui permette de maintenir la discipline, l’efficacité et le moral des FAC dans les circonstances spécifiques de cette cause.

 

Identification des accusés et des contrevenants

 

[84]           Après avoir examiné les dispositions des articles 196.11 et 196.14 de la LDN, puisqu’aux termes de l’article 487.04 du Code criminel, une infraction de voie de fait est une infraction secondaire et que la poursuite a expressément mentionné ne pas faire la demande pour l’émission d’une ordonnance du prélèvement d’échantillons d’ADN sur le contrevenant, une telle ordonnance ne sera pas émise dans les circonstances.

 

Ordonnance d’interdiction

 

[85]           Similairement, considérant l’absence de demande de la poursuite à cet égard, et considérant votre faible risque de récidive et votre réhabilitation en cours, la Cour conclut qu’il n’est pas souhaitable pour votre sécurité ou pour celle d’autrui de rendre une ordonnance vous interdisant d’avoir en votre possession des armes au terme de l’article 147 de la LDN.

 

Conclusion

 

[86]           En conclusion, après avoir examiné la preuve soumise par les parties et pris en compte leurs plaidoiries, en application des principes reliés à la détermination de la peine, une peine d’un blâme jumelé à une amende de 3 000 $ constitue la peine la moins sévère que la Cour peut imposer dans les circonstances. Bien qu’en principe l’absolution inconditionnelle ne soit pas une mesure automatiquement exclue face à un crime de violence conjugale, elle est non indiquée dans le présent cas.

 

[87]           En imposant cette peine, la Cour considère, tenant compte de son degré de responsabilité et de la gravité des infractions commises dans un tel contexte, que le contrevenant ne subira pas de conséquences disproportionnées quant à ses efforts de réinsertion sociale. Le soldat Bruyère est conscient du potentiel de risque de crise quant à une recrudescence de consommation d’alcool. En conséquence, il devra surveiller sa consommation d’alcool toute sa vie. Toutefois, il est dans la bonne voie.

 

[88]           D’un autre côté, la Cour est d’avis que de tenter de rejoindre les FAC comme réserviste dans un avenir proche constituerait une démarche prématurée. Le soldat Bruyère doit retrouver une stabilité permanente et non fragilisée avec l’aide d’un suivi professionnel. Ce ne sont ni le sérieux de ses démarches, ni le support qui lui manquent; c’est du temps, de la patience et de la persistance dont il a besoin. En continuant ses efforts, le temps venu, il pourra soumettre une demande de suspension de casier en vertu de la Loi sur le casier judiciaire. Si elle est acceptée, il sera alors en mesure d’explorer l’opportunité de réaliser ses ambitions professionnelles.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[89]           DÉCLARE le soldat Bruyère coupable de l’infraction moindre et incluse de voies de fait au premier chef d’accusation.

 

[90]           DÉCLARE le soldat Bruyère coupable du 3e chef d’accusation, s’être battu avec un justiciable du code de discipline militaire.

 

[91]           CONDAMNE le soldat Bruyère à un blâme jumelé à une amende au montant de 3 000 $, payable à raison de paiement mensuel de 250 $, le premier paiement étant dû le 1er mars 2022.

 

[92]           Veuillez noter qu’au terme de l’article 145.1 (1) de la LDN :

 

145.1 (1) Si le contrevenant omet de payer une amende, le ministre, outre qu’il peut se prévaloir des autres recours prévus par la loi, peut, par le dépôt du jugement infligeant l’amende, faire inscrire le montant de l’amende, ainsi que les frais éventuels, au tribunal canadien compétent.

 

(2) L’inscription vaut jugement exécutoire contre le contrevenant comme s’il s’agissait d’un jugement rendu contre lui, devant ce tribunal, au terme d’une action civile au profit du ministre.


 

Avocats :

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par la majore É. Baby-Cormier

 

Major M. Melbourne, Service d’avocats de la défense, représentant le soldat A. Bruyère

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