Courts Martial

Decision Information

Summary:

Date of commencement of trial: 16 October 2023

Location: 2 Canadian Division Support Base, Detachment St-Jean, building Megastructure, room A-171, 25 Grand-Bernier South, St-Jean-sur-Richelieu, QC

Language of the trial: French

Charges:

Charge 1: S. 130 NDA, committed a fraud (subsection 380(1) CCC).
Charge 2: S. 83 NDA, disobedience of a lawful command.
Charge 3: S. 129 NDA, neglect to the prejudice of good order and discipline.

Results:

FINDINGS: Charge 1: Guilty. Charges 2, 3: Withdrawn.
SENTENCE: Imprisonment for a period of 45 days.

Decision Content

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COUR MARTIALE

 

Citation : R. c. Laflamme, 2023 CM 3014

 

Date : 20231025

Dossier : 202304

 

Cour martiale permanente

 

Base de soutien de la 2e Division du Canada

Détachement Saint-Jean

Saint-Jean-sur-Richelieu (Québec), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté le Roi

 

- et -

 

Caporal V. Laflamme, contrevenant

 

 

En présence du : Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.C.A.


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

Introduction

 

[1]               Le caporal (cpl) Laflamme a été accusé d’une infraction punissable en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale (LDN) pour fraude, contrairement au paragraphe 380(1) du Code criminel, d’une infraction de désobéissance à un ordre légitime contrairement à l’article 83 de la LDN, et d’une infraction de négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline contrairement à l’article 129 de la LDN.

 

[2]               Le procès a débuté le 16 octobre 2023, comme prévu à l’ordre de convocation. La poursuite a présenté son premier témoin et elle a complété son interrogatoire principal. L’avocat du cpl Laflamme a débuté le contre-interrogatoire, qu’il a interrompu parce qu’il a soulevé la question de la nature des déclarations que le cpl Laflamme aurait faites à ce témoin lors de deux rencontres différentes et sur lesquelles la poursuite désirait faire reposer en partie sa preuve au soutien des accusations. À ses yeux, ce témoin, qui n’était pas un policier, lui apparaissait comme une personne en autorité au moment où il a fait ses déclarations, et il a signalé la question au juge du procès comme le prévoit la jurisprudence sur cette question.

 

[3]               Le 17 octobre 2023, j’ai donc entendu la question soulevée par le cpl Laflamme dans le cadre d’un voir-dire concernant l’admissibilité de deux déclarations qu’il aurait faites à une personne en autorité. Le 18 octobre 2023, j’ai rendu ma décision et j’ai déclaré que le cpl Laflamme ne s’était pas acquitté de son fardeau de démontrer qu’une question valable avait été soumise à l’examen de la Cour concernant le statut de la personne qui a reçu ses déclarations, soit la majore (maj) Desmarais, lors des rencontres qu’il a eues avec elle le 13 décembre 2021 et au mois de mars 2022. J’ai donc rejeté sa requête.

 

[4]               À la suite de ma décision, l’avocat du cpl Laflamme a demandé que j’ajourne le procès pour une dizaine de minutes, ce que j’ai accordé. Lors de notre retour en salle d’audience, il a demandé à la Cour, conformément à l’article 112.26 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), d’autoriser son client à substituer un aveu de culpabilité à un plaidoyer de non-culpabilité qu’il avait fait au début du procès concernant le premier chef d’accusation.

 

[5]               La Cour a autorisé le cpl Laflamme à substituer un aveu de culpabilité au plaidoyer de non-culpabilité qu’il avait enregistré concernant le premier chef d’accusation, car après avoir fait les vérifications d’usage avec ce dernier, elle considérait qu’il était dans l’intérêt de la justice de donner effet à l’entente qui était intervenue entre l’accusé et la poursuite afin de régler l’ensemble de cette affaire.

 

[6]               En conformité avec le paragraphe 165(2) de la LDN, le procureur de la poursuite a alors demandé la permission à la cour de retirer la mise en accusation qu’elle avait faite concernant le deuxième et le troisième chef d’accusation. La Cour a permis à la poursuite de procéder au retrait de ces deux accusations.

 

[7]               Après avoir respecté les exigences du paragraphe 112.25(1) des ORFC, la Cour a accepté et enregistré le plaidoyer de culpabilité présenté par le cpl Laflamme concernant le premier chef d’accusation, et, par le fait même, le déclare maintenant coupable de ce chef.

 

[8]               Les parties n’étant pas d’accord quant à la peine qui devrait être infligée au cpl Laflamme par la Cour, j’ai donc procédé à une audition sur sentence. Le 20 octobre 2023, j’ai entendu la preuve de la poursuite, et le 23 octobre 2023, j’ai entendu celle du cpl Laflamme.

 

[9]               Le 23 octobre 2023, j’ai aussi entendu les représentations des avocats des deux parties quant à la sentence devant être imposée au contrevenant par la Cour.

 

[10]           Il est maintenant de mon devoir en tant que le juge militaire désigné pour présider cette cour martiale de déterminer la peine qui doit lui être infligée.

 

La preuve

 

[11]           La preuve documentaire est constituée des éléments suivants :

 

a)                  une déclaration du commandant intérimaire, le maj Lambert, daté du 5 octobre 2023 concernant les points pertinents des états de service du contrevenant;

 

b)                  le sommaire des dossiers du personnel militaire concernant le contrevenant en date du 4 octobre 2023;

 

c)                  un extrait du relevé informatique de la solde du contrevenant au moment de sa libération des Forces armées canadiennes (FAC) au mois d’août 2022;

 

d)                  une copie du sommaire des circonstances lu par le procureur de la poursuite et pour lequel le contrevenant a reconnu la véracité de son contenu;

 

e)                  une déclaration du commandant du 438e Escadron tactique d’hélicoptères (ETAH) daté du19 octobre 2023 sur les répercussions militaires;

 

f)                   une copie du rapport d’appréciation du personnel concernant le contrevenant pour la période d’évaluation d’avril 2020 à mars 2021;

 

g)                  une copie d’une lettre d’appréciation à propos du contrevenant de la part du superviseur de la maintenance des véhicules du 438e ETAH, le cplc St-Arneault, en date du 15 novembre 2020;

 

h)                  une copie du rapport d’appréciation du personnel concernant le contrevenant pour la période d’évaluation d’avril 2019 à mars 2020.

 

[12]           La poursuite a cité trois témoins, soit l’adjudante à la retraite Couture, l’adjudant Hachez et la maje Desmarais.

 

[13]           Le cpl Laflamme a cité deux témoins, soit sa conjointe actuelle, madame Beauchamp-Vinette, et un ami de longue date, monsieur Normandin.

 

[14]           Finalement, la Cour a pris connaissance judiciaire des éléments énumérés et contenus à l’article 15 des Règles militaires de la preuve.

 

Les faits

 

Circonstances reliées à la commission de l’infraction

 

[15]           La preuve déposée devant la Cour inclut un sommaire des circonstances qui se lit comme suit :

 

« SOMMAIRE CONJOINT DES CIRCONSTANCES

 

1.         En tout temps pertinent, le Cpl Laflamme était membre de la Force régulière, affecté à des unités de la région de Montréal, notamment à compter du 26 juillet 2019 au 438e Escadron tactique d’Hélicoptères (438 ESC TAC HEL) à St-Hubert, Qc.

 

2.         Le 22 mai 2014, le Cpl Laflamme a soumis au CRHM – Montréal, par l’entremise de sa salle des rapports, le formulaire DEMANDE/AUTORISATION DE L’INDEMNITÉ DE VIE CHÈRE indiquant comme résidence principale l’adresse du 547 rue Moreau, Montréal.

 

3.         Cette indemnité est entrée en vigueur de façon rétroactive à compter du 15 mai 2014.

 

4.         Le 13 décembre 2021, la capitaine-adjudante et la commis-chef du 438 ESC TAC HEL ont rencontré le Cpl Laflamme pour éclaircir la situation concernant son adresse résidentielle.

 

5.         Pendant la rencontre, le Cpl Laflamme a été informé de l’importance de mettre son adresse à jour dans son dossier, et du recouvrement financier possible s’il n’avait plus droit à l’IDVC. La capt-adjt et la commis-chef ont demandé au Cpl Laflamme de mettre à jour son adresse avec la salle des rapports le plus tôt possible.

 

6.         Le 9 mars 2022, le cpl Laflamme a fourni une adresse à Saint-Liboire en vigueur depuis novembre 2021. Saint-Liboire ne figurant pas dans un secteur de vie chère, l’IDVC a donc été officiellement arrêtée avec la date rétroactive de novembre 2021.

 

7.         Du 15 mai 2014 au mois de novembre 2021, la résidence principale du Cpl Laflamme n’était pas au 547 rue Moreau, Montréal.

 

8.         Pendant la période du 15 mai 2014 et 30 novembre 2021, le Cpl Laflamme a reçu l’indemnité de vie chère au montant de $505.00 par mois. Le total de l’indemnité reçue pour cette période est de $45,450.00.

 

9.         Le commandant de l’escadron 438 a recommandé au Directeur – Administration (Carrières militaires) la libération du Cpl Laflamme en vertu du motif 5(f) – Inapte à continuer son service militaire suivant six mesures correctives reçues depuis 2014, soit deux avertissements écrits pour des écarts de conduite, et quatre mises en garde et surveillance pour des rendements insuffisants et des écarts de conduite, incluant notamment de fausses déclarations concernant son état de santé.

 

10.       Le 23 août 2022, le Cpl Laflamme a été libéré des Forces armées canadiennes au titre du numéro 5f) du tableau de l’article 15.01 des ORFC. »

 

Circonstances reliées au cpl Laflamme

 

[16]           Le cpl Laflamme s’est enrôlé dans la force de réserve le 26 août 2008. Il a transféré avec la force régulière en 2013, et il en a été libéré le 23 août 2022. Il a donc été membre des FAC pendant une période ininterrompue de quinze ans à titre de technicien en gestion du matériel. Il a porté le grade de soldat (confirmé) à compter du 30 mai 2009 et il a été promu au grade de caporal le 5 octobre 2012. Durant son séjour dans la force régulière, il a porté le grade de caporal.

 

[17]           À titre de membre de la force de réserve, il a été occupé des termes de service en classe A et en classe B à différents moments de sa carrière, et à divers endroits comme St-Hubert, Valcartier, Borden et Montréal.

 

[18]           Comme membre de la force régulière, il a été muté en novembre 2013 comme technicien en approvisionnement au Centre de mise en service du matériel de l'armée Montréal, puis comme technicien en gestion du matériel à la base de soutien de la 2e Division du Canada Valcartier, détachement Montréal en juillet 2017, et finalement à titre de technicien en approvisionnement à St-Hubert au 438e ETAH en juillet 2019.

 

[19]           La preuve révèle que le cpl Laflamme a fait l’objet de plusieurs actions administratives durant son séjour dans la force régulière. En 2014, il aurait fait l’objet d’avertissements écrits pour lesquels il n’aurait pas réussi à respecter les mesures correctives exigées. Cependant, la chaîne de commandement aurait accepté d’établir un nouveau plan pour remédier aux manquements du cpl Laflamme.

 

[20]           En 2016, le contrevenant aurait fait l’objet d’une mise en garde et surveillance qui aurait débouché sur un examen administratif quant à son maintien au sein des FAC à la suite d’une recommandation de son commandement de le libérer. Cette recommandation a été refusée et une nouvelle mise en garde et surveillance a été mise en place afin de l’aider à corriger son comportement.

 

[21]           Les documents qui ont été déposés devant la Cour révèlent que le cpl Laflamme a eu une excellente performance au travail pour la période d’évaluation d’avril 2019 à mars 2020 et d’avril 2020 à mars 2021. Cependant, le témoignage d’un de ses superviseurs, l’adjudant Hachez, a révélé que pour la période allant du mois d’avril 2021 au mois de mars 2022, l’évaluation du travail du cpl Laflamme concluait à une performance qui laissait plutôt à désirer.

 

[22]           La preuve entendue durant le procès a démontré que c’est en raison de problèmes de nature personnelle et de santé à l’automne 2021 que des superviseurs ont conclu à une utilisation différente au travail du cpl Laflamme au sein du 438ETAH, soit à distance à partir de la maison. Cependant, cela a aussi attiré leur attention quant à son véritable lieu de résidence, entraînant par le fait même un examen plus minutieux de ce sujet précis au cours du mois de décembre 2021 par les autorités du 438e ETAH concernant l’éligibilité du cpl Laflamme à l’indemnité différentielle de vie chère (IDVC) qu’il recevait depuis plusieurs années.

 

[23]           C’est en raison de cette analyse plus approfondie de la situation, et des constats qu’ils ont faits sur le sujet du versement de l’IDVC au cpl Laflamme, que les autorités de l’unité ont transmis le dossier à la police militaire en janvier 2022. À la suite de l’enquête, la Cour comprend qu’une accusation de fraude a été portée à laquelle le contrevenant a choisi de reconnaître sa culpabilité devant la cour martiale.

 

[24]           La preuve entendue par la Cour a aussi révélé que le cpl Laflamme est parent d’un garçon âgé de neuf ans et qu’il a eu une partenaire de vie dont il s’est séparé en 2021. Depuis sa séparation, il a rencontré une autre personne qu’il fréquente depuis deux ans, soit madame Beauchamp-Vinette, et avec qui il partage à parts égales sur le plan financier, la propriété d’une maison qu’il habite avec elle depuis au moins un an. La mère de sa nouvelle conjointe réside avec eux.

 

[25]           Le cpl Laflamme occupe un emploi rémunéré depuis janvier 2023 dans une entreprise, Keezee Auto, dont le président et propriétaire est un ami de longue date, soit depuis plus de vingt-cinq ans. Cette entreprise se spécialise dans la vente d’automobiles usagées et le cpl Laflamme s’occupe de la gestion informatique de l’entreprise. De plus, le cpl Laflamme est un partenaire d’affaire à part entière avec son ami pour un nouveau projet d’affaire concernant une entreprise de café, bar laitier et marché qui doit ouvrir le 1er décembre 2023.

 

[26]           Son ami, monsieur Normandin, a affirmé que malgré son plaidoyer de culpabilité à une accusation de fraude, le lien de confiance qui existe entre lui et le cpl Laflamme n’a aucunement été brisé, car il le connaît depuis très longtemps.

 

[27]          Durant la procédure sur sentence, le cpl Laflamme a exprimé ses excuses pour tous les problèmes et troubles qu’il avait causés en raison de son attitude liée à l’enquête administrative menée par son unité concernant son éligibilité à l’IDVC. Plus particulièrement, il s’est excusé pour son comportement à l’égard de la chaîne de commandement du 438e ETAH, des membres et superviseurs de cette unité qui ont été impliqués dans l’enquête, du commandant du 438e ETAH et plus généralement auprès des FAC.

 

Le droit applicable

 

[28]          Le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline qui est une dimension essentielle de l’activité militaire dans les FAC. Ce système a pour but de prévenir toute inconduite ou, d’une façon plus positive, de veiller à promouvoir la bonne conduite. C’est au moyen de la discipline que les FAC s’assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès en toute confiance et fiabilité.

 

[29]          Les objectifs essentiels de la détermination de la sentence par une cour martiale sont de favoriser l’efficacité opérationnelle des FAC en contribuant au maintien de la discipline, de la bonne organisation et du moral, ainsi que de contribuer au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre.

 

[30]          La LDN mentionne les objectifs et principes fondamentaux de la détermination de la peine applicable par les tribunaux militaires, incluant la cour martiale. Ainsi, le juge militaire doit prendre en compte les objectifs et principes fondamentaux énoncés aux articles 203.1 et suivants de la LDN.

 

[31]          En conséquence, l’infliction d’une peine par le juge militaire doit prendre en compte au moins un des objectifs suivants:

 

a)                   renforcer le devoir d’obéissance aux ordres légitimes;

 

b)                   maintenir la confiance du public dans les Forces canadiennes en tant que force armée disciplinée;

 

c)                   dénoncer les comportements illégaux…;

 

d)                   dissuader les contrevenants et autres personnes de commettre des infractions;

 

e)                   favoriser la réinsertion sociale des contrevenants;

 

f)                    favoriser la réinsertion des contrevenants dans la vie militaire;

 

g)                   isoler, au besoin, les contrevenants des autres officiers et militaires du rang ou de la société en général;

 

h)                   assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

 

i)                    susciter le sens des responsabilités chez les contrevenants, notamment par la reconnaissance des dommages causés à la victime et à la collectivité.

 

[32]          Le juge militaire doit aussi prendre en compte les principes suivants :

 

a)                   l’adaptation de la peine aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant…;

 

a)                    l’harmonisation des peines, c’est-à-dire l’infliction de peines semblables à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;

 

b)                   l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté par l’emprisonnement ou la détention, d’examiner la possibilité de peines moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient;

[…]

 

c)                    l’infliction de la peine la moins sévère possible qui permet de maintenir la discipline, l’efficacité et le moral des Forces canadiennes;

 

d)                   la prise en compte des conséquences indirectes du verdict de culpabilité ou de la sentence.

 

[33]          La Cour suprême du Canada a indiqué que le principe de la proportionnalité, au chapitre de la détermination de la peine, est un principe fondamental (voir R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, au paragraphe 37, et R. c. Nur, 2015 CSC 15, aux paragraphes 42 et 43), de sorte que la détermination de la sentence par un juge, y compris un juge militaire, est un processus extrêmement personnalisé.

 

[34]          Comme le juge LeBel l’a dit au paragraphe 37 de l’arrêt Ipeelee :

 

La proportionnalité représente la condition sine qua non d’une sanction juste. Premièrement, la reconnaissance de ce principe garantit que la peine reflète la gravité de l’infraction et crée ainsi un lien étroit avec l’objectif de dénonciation. La proportionnalité favorise ainsi la justice envers les victimes et assure la confiance du public dans le système de justice.

 

[…]

 

Deuxièmement, le principe de proportionnalité garantit que la peine n’excède pas ce qui est approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant. En ce sens, il joue un rôle restrictif et assure la justice de la peine envers le délinquant. En droit pénal canadien, une sanction juste prend en compte les deux optiques de la proportionnalité et n’en privilégie aucune par rapport à l’autre.

 

[35]          De plus, le principe de la proportionnalité vise à réconcilier ces différents objectifs et à rendre la sentence infligée au contrevenant proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant, comme il est indiqué à l’article 203.2 de la LDN.

 

Position des parties

 

[36]          La poursuite m’a invité à infliger au contrevenant une peine d’emprisonnement d’une durée de soixante jours, assortie d’une ordonnance prononcée en vertu de l’article 203.9 de la LDN à l’égard du cpl Laflamme de verser d’ici un an la somme totale de 45 450 $ à titre dédommagement pour la perte de fonds publics qui lui ont été injustement versés par les FAC en raison de la commission de l’infraction de fraude pour laquelle il a reconnu sa culpabilité.

 

[37]          Le procureur de la poursuite a référé la Cour aux objectifs de la dissuasion générale, de dénonciation et de réparation pour justifier sa suggestion. Il a affirmé qu’il s’agit de la peine minimale appropriée dans les circonstances, considérant l’application du principe de l’harmonie des peines.

 

[38]          À titre de facteurs aggravants, il a invité la Cour à considérer l’abus de confiance découlant du comportement du cpl Laflamme, la préméditation, la durée de l’infraction, soit neuf ans et demi, et l’ampleur du montant.

 

[39]          Comme facteurs atténuants, il a suggéré que la Cour considère le plaidoyer de culpabilité, l’absence d’antécédents judiciaires et le jeune âge du contrevenant.

 

[40]          Le cpl Laflamme, par le biais de son avocat, a soumis à la Cour qu’il n’a pas été démontré qu’il n’existe pas de peine moins contraignante que l’incarcération du contrevenant afin de respecter les objectifs et principes énoncés. À son avis, une rétrogradation au grade de soldat combinée à un blâme répondrait aux exigences applicables en matière de détermination de la peine.

 

[41]          Évidemment, dans la mesure où la Cour serait en désaccord avec cette suggestion et que cette dernière considérerait que l’incarcération constitue la peine minimale applicable dans les circonstances, il avance qu’une peine d’emprisonnement de quatorze jours devrait être imposée par la Cour, et qu’un tel nombre de jours d’emprisonnement constituerait la peine minimale requise dans les circonstances.

 

[42]          Au surplus, il affirme que la Cour devrait, soit exercer son autorité qui lui est conférée par la loi à l’article 215 de la LDN de suspendre l’exécution de cette peine d’incarcération, soit ordonner qu’elle soit purgée de façon discontinue conformément à l’article 148 de la LDN, à raison de deux jours par semaine, soit le samedi et le dimanche, pour un total de quatorze jours.

 

[43]          Quant à la demande d’ordonnance de dédommagement, il est d’avis que la poursuite ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve d’en démontrer hors de tout doute raisonnable la valeur exacte, considérant la possibilité que le contrevenant ait pu véritablement bénéficier d’une telle indemnité pour une somme inférieure à ce qu’il a réellement reçu.

 

Analyse

 

[44]          Dans le cadre de cette cour martiale, j’estime que la sentence à être imposée doit surtout viser les objectifs de maintien de la confiance du public dans les FAC, de dénonciation, de dissuasion générale et de la réparation des torts causés.

 

[45]          Il est important de préciser que la dissuasion générale vise à ce que la sentence infligée dissuade non seulement le contrevenant de récidiver, mais aussi toute autre personne se trouvant dans une situation semblable de se livrer aux mêmes actes illicites. Comme le mentionnait d’ailleurs le juge Létourneau sur l’application de cet objectif en matière de sentence dans la décision de la cour d’appel R. c. St-Jean, 6 CACM 159, au paragraphe 22 :

 

Les membres des Forces armées qui sont déclarés coupables de fraude, et les autres membres du personnel militaire qui pourraient être tentés de les imiter, devraient savoir qu'ils s'exposent à des sanctions qui dénonceront de façon non équivoque leur comportement et leur abus de la confiance que leur témoignaient leur employeur de même que le public et les dissuaderont de se lancer dans ce genre d'activités.

 

[46]          L’objectif concernant la réinsertion sociale de cet ancien militaire doit aussi être considéré dans le cadre de la détermination de la peine devant lui être infligée.

[47]          J’ai donc retenu les circonstances aggravantes suivantes :

a)                  en ce qui a trait à la gravité objective de l’infraction, la Cour retient que l’infraction de fraude prévue à l’article 380 du Code criminel comporte une peine d’emprisonnement maximale de quatorze ans;

 

b)                  concernant la gravité subjective de cette infraction, la Cour retient d’abord l’abus de confiance commis par le contrevenant qui a découlé de la situation qui s’est produite. Comme le mentionnait le juge Létourneau dans St-Jean, toujours au paragraphe 22 :

 

Un abus de confiance telle la fraude est souvent très difficile à découvrir et les enquêtes qui y ont trait sont dispendieuses. Les abus de confiance minent le respect du public envers l'institution et ont pour résultat la perte de fonds publics. […] Dans un organisme public aussi grand et complexe que les Forces armées canadiennes, qui possède un budget considérable, qui gère une quantité énorme d'équipement et de biens de l'État et qui met en application une multitude de programmes divers, la direction doit inévitablement pouvoir compter sur le concours et l'intégrité de ses employés. Aucune méthode de contrôle, si efficace qu'elle puisse être, ne peut remplacer l'intégrité du personnel auquel la direction accorde toute sa confiance.

 

c)                  l’existence d’une certaine forme de préméditation de la part du cpl Laflamme. Même s’il ne s’agit pas d’une fraude sophistiquée, elle requiert quand même une forme de réflexion de la part du contrevenant afin d’agir dans un but précis pour obtenir quelque chose auquel il n’avait pas droit;

 

d)                  il appert que le montant versé au contrevenant à titre d’IDVC est quand même important, soit 45 450 $;

 

e)                  la durée de la commission de l’infraction est aussi impressionnante, soit neuf ans et six mois, permettant ainsi au cpl Laflamme de recevoir des fonds publics d’un montant élevé en raison de l’effet cumulatif des versements mensuels;

 

f)                   l’absence de tout remboursement ou offre de remboursement.

 

[48]          Quant aux circonstances atténuantes, la Cour retient les éléments suivants :

 

a)                  l’acceptation par le cpl Laflamme de la responsabilité de ses actions en plaidant coupable à l’infraction de fraude. Ses excuses prononcées dans le cadre de cette cour martiale démontrent aussi une certaine forme de regrets quant à la conséquence de ses gestes sur les personnes qui étaient dans son milieu de travail et sur l’organisation des FAC;

 

b)                  l’absence d’annotation à sa fiche de conduite relativement à la commission d’infractions de même nature. Il n’y a aucune indication qu’il ait commis par le passé une infraction militaire ou une infraction criminelle quelconque de nature semblable à celle qui est devant la Cour. En fait, il n’a eu aucune condamnation dans le passé;

 

c)                  son jeune âge et ses perspectives de carrière. Il est en mesure de continuer à contribuer positivement à la société et il possède un excellent potentiel pour trouver un emploi, chose qu’il a d’ailleurs déjà faite.

 

[49]          Concernant le fait que le cpl Laflamme n’est plus à l’emploi des FAC, je considère cette situation comme un facteur n’ayant aucun impact sur la détermination de la peine. Le contrevenant a été libéré des Forces canadiennes en raison de son comportement et de son inhabileté à y apporter des correctifs qui n’ont aucun lien avec l’incident à la base de l’accusation devant cette Cour. En conséquence, les raisons qui ont conduit à cette situation n’ont aucune pertinence sur la décision que doit rendre cette Cour sur la sentence.

 

[50]          Sur le plan de l’harmonisation des peines, je note que la jurisprudence récente a généralement reconnu une sentence comportant une courte période d’incarcération allant de trente à quatre-vingt-dix jours comme étant appropriée dans des circonstances similaires pour une première condamnation impliquant une telle infraction.

 

[51]          Le tableau constituant l’annexe A de la décision de la juge Sukstorf dans R. c. Beemer, 2019 CM 2031 constitue une excellente illustration de cette situation. Alors que généralement pour une infraction prévue à l’article 117 de la LDN d’acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la LDN qui prévoit comme peine maximale un emprisonnement de moins de deux ans, la sentence imposée par la cour martiale ne comporte habituellement pas d’incarcération, lorsqu’il s’agit d’une situation concernant une infraction de fraude, l’incarcération sous forme d’emprisonnement ou de détention pour une période variant de trente à quatre-vingt-dix jours est généralement considérée par la cour martiale.

 

[52]          En 2000, dans la décision St-Jean, le juge Létourneau, dans son analyse à propos de l’imposition d’une sentence d’incarcération d’emprisonnement par une cour martiale concernant la commission d’une fraude, affirmait au paragraphe 22:

 

L'objectif de dissuasion n'implique pas nécessairement l'emprisonnement dans de tels cas, mais il n'en exclut pas en soi la possibilité, même dans le cas d'une première infraction. Il n'y a pas à notre Cour de règle stricte selon laquelle une fraude commise par un membre des Forces armées contre son employeur commande obligatoirement l'imposition d'une peine d'emprisonnement ou ne peut automatiquement mériter de l'emprisonnement. Chaque cas dépend des faits et des circonstances.

 

[53]          En 2008, au paragraphe 15 de la décision de R. c. Caporal-chef K.M. Roche, 2008 CM 1001, le juge militaire Dutil, alors juge militaire en chef, faisait le constat suivant concernant la peine à être infligée en matière d’infraction de fraude à une personne assujettie au code de discipline militaire:

 

[15]         Nonobstant les décisions de la Cour d'appel de la cour martiale dans les affaires St-Jean, Lévesque, Deg et Vanier, force est de constater que, depuis les modifications apportées au Code criminel en 2004 relativement à la peine maximale applicable à l'infraction de fraude de plus de 5000 dollars aux termes de l'alinéa 380(1)(a) du Code criminel, les diverses cours d'appel au Canada ont généralement infligé des peines d'emprisonnement dans le cas de fraudes importantes ou lorsqu'elles sont commises envers l'employeur qu'elles se soient déroulées sur de longues ou courtes périodes. Les tribunaux ont d'ailleurs recours à une peine privative de liberté au motif qu'elle s'impose pour atteindre les objectifs primordiaux que constituent la dissuasion générale et la dénonciation dans ce genre d'affaire, et ce même si le contrevenant n'a pas d'antécédents judiciaires; a enregistré un plaidoyer de culpabilité et a exprimé ses remords; a remboursé en totalité ou en partie les victimes; a peu de chance de récidives; et, qu'il est une personne appréciée et reconnue dans la communauté.

 

[54]          La conclusion du juge militaire Dutil était donc qu’un changement de paradigme s’était effectué à l’époque dans la jurisprudence en raison des changements législatifs apportés par le parlement canadien à la peine maximale pouvant être imposée par un tribunal au sujet de l’infraction de fraude. Je suis d’avis que ce changement est toujours d’actualité et qu’il justifie cette Cour de considérer dans les circonstances de cette affaire la peine d’incarcération de la nature de l’emprisonnement comme étant la peine appropriée dans les circonstances, parce qu’il n’existe aucune autre peine moins contraignante qui serait justifiée.

 

[55]          En effet, l’abus de confiance démontré par le cpl Laflamme, le montant et la durée de la fraude ne peuvent atteindre et respecter les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale que si une peine d’incarcération de la nature de l’emprisonnement est imposée par cette Cour, et ce malgré l’existence de certains facteurs atténuants.

 

[56]          Ici, compte tenu de l’ensemble des circonstances, il s’agit, à mon avis, de la peine minimale qui doit être imposée. L’intégrité de chacun des membres des Forces armées canadiennes constitue la source première sur laquelle repose le maintien de la discipline, l’efficacité et le moral de l’ensemble des membres qui composent les Forces canadiennes, et le succès de toute mission. Il doit être clair, autant pour le public que pour chaque membre des FAC, que la malhonnêteté de l’un de ses membres ne peut être tolérée d’aucune manière dans ces conditions.

 

[57]          Le seul type d'incarcération que la Cour croit approprier dans les circonstances est l'emprisonnement, puisque la détention vise principalement à réhabiliter les membres des FAC afin de réinstaurer chez ces derniers une discipline appropriée avant de les réinsérer au sein l’organisation. Considérant que le cpl Laflamme n’est plus un membre des FAC, la Cour ne voit pas dans quelle mesure la détention pourrait avoir quelque pertinence que ce soit dans les circonstances.

 

[58]          Avant de déterminer la durée de la peine d’emprisonnement que cette Cour entend imposer, je dois d’abord considérer si j’accepte ou non la suggestion du procureur de la poursuite d’ordonner le dédommagement au gouvernement fédéral de la somme qui a fait l’objet de la fraude.

 

[59]          En effet, comme suggéré par la juge Bennett de la cour d’appel de la Colombie-Britannique dans la décision de R. v. Nanos, 2013 BCCA 339, au paragraphe 14, l’ordonnance de dédommagement fait partie de la peine qui est prononcée par un tribunal et elle ne devrait pas faire l’objet d’une décision après que le juge a déterminé la sentence, car cela constituerait une réflexion après coup du juge qui pourrait donner lieu à l’imposition d’une peine excessive.

 

[60]          Afin d’émettre une telle ordonnance, je dois être satisfait que la perte causée est imputable à la perpétration de l’infraction et que sa valeur peut être déterminée facilement, comme indiqué au paragraphe 203.9(a) de la LDN.

 

[61]          La jurisprudence en la matière mentionne que la capacité de payer du contrevenant est un facteur qui peut être pris en compte par la Cour, mais il n’est pas nécessairement déterminatif quant à l’émission ou non de l’ordonnance.

 

[62]          La preuve révèle que le cpl Laflamme a reçu la somme mensuelle de 505 $ pendant neuf ans et six mois, ou encore 114 mois, à titre d’IDVC. Le montant total qu'il a reçu et provenant des fonds publics est de 45 450 $.

 

[63]          Comme stipulé dans la politique applicable (chapitre 205 des Directives sur la rémunération et les avantages sociaux), l’IDVC vise à réduire les conséquences négatives sur le plan financier que subissent les militaires et leur famille lorsque les militaires sont affectés dans un secteur où le coût de la vie est supérieur à la moyenne nationale. Le montant des IDVC représente la différence mensuelle entre le coût de la vie de la ville-type et celui des secteurs reconnus, et il est majoré selon le taux marginal d’imposition applicable.

 

[64]          Pour avoir droit au versement de l’IDVC, le contrevenant a déclaré qu’il habitait à un certain endroit à Montréal alors que ce n’était pas le cas. Il a été accusé de fraude pour avoir reçu le montant total en raison de cette fausse déclaration.

 

[65]          Je conclus que la perte causée est imputable directement à la perpétration de l’infraction par le contrevenant.

 

[66]          Quant à la valeur de la perte, le cpl Laflamme a soulevé, par le biais de son avocat, qu’il existe un doute raisonnable quant à son exactitude. En effet, il a soumis que même s’il avait reçu la totalité du montant en raison d’une fausse déclaration qu’il avait faite quant à son lieu de résidence, la poursuite n’a pas démontré s’il pouvait être admissible à une indemnité légitime en fonction de son lieu réel de résidence pour la période en question. Ainsi, le montant auquel il aurait peut-être eu droit en toute légalité n’aurait pas été déduit du montant total qu’il a frauduleusement réclamé, soulevant ainsi un doute quant au montant pouvant lui être véritablement réclamé par le gouvernement.

 

[67]          Je ne suis pas d’accord avec ce raisonnement proposé par le contrevenant. Le versement d’une telle indemnité dépend en totalité des renseignements fournis par le militaire qui prétend y être admissible. Rien n’indique dans la preuve que le procureur de la poursuite ou les FAC étaient en possession d’une information fournie par le contrevenant pour déterminer son admissibilité réelle à une IDVC. Au contraire, la seule information qui a été introduite en preuve quant au domicile réel du contrevenant est le fait qu’il a déclaré demeurer à compter du mois de novembre 2021 dans un endroit qui n’était considéré comme un secteur de vie chère aux fins d’admissibilité de l’IDVC. Quant à la période précédant cette date, la preuve est silencieuse et rien n’indique que la poursuite ou les FAC possédaient quoi que ce soit sur cette question.

 

[68]          En conséquence, je conclus que la preuve introduite devant cette Cour quant à la valeur de la perte est suffisante pour qu’elle puisse être déterminée facilement. Il est très clair que le montant total de la fraude dont le contrevenant s’est avoué coupable est de 45 450 $.

 

[69]          Concernant la capacité de payer, les représentations des avocats des deux parties n’ont pas abordé cette question dans leur plaidoirie. Il a été démontré que le cpl Laflamme occupe un emploi rémunéré au sein d’une entreprise depuis le mois de janvier 2023, qu’il se lancera en affaires bientôt avec un ami d’enfance qui est en affaires et prospère, et qu’il sera en mesure de travailler encore longtemps pour pouvoir rembourser un tel montant.

 

[70]          De plus, en l’absence d’une preuve d’un remboursement quelconque ou même d’une intention de rembourser, je considère important qu’une telle ordonnance soit émise, considérant mes conclusions quant au lien de ce montant avec l’accusation devant cette Cour et sa vraisemblance. En effet, le simple fait de bénéficier d’une telle somme sans avoir à la rembourser d’une quelconque manière pourrait sembler, aux yeux du public et des membres des FAC, déconsidérer l’administration de la justice. En d’autres mots, l’absence d’une telle ordonnance, dans la mesure où elle respecte les conditions nécessaires à son émission, pourrait miner la confiance du public envers le système de justice militaire.

 

[71]          En conséquence, pour toutes ces raisons, j’émettrai une ordonnance de dédommagement pour cette perte à l’égard du cpl Laflamme. J’accorderai un délai total de deux ans au contrevenant pour rembourser la totalité de la somme, considérant qu’il occupe son emploi seulement depuis le début de cette année, et qu’il fait des démarches afin de se lancer en affaires. Ces activités rémunératrices auront eu suffisamment d’existence dans le temps pour lui permettre d’avoir une capacité suffisante pour rembourser la totalité de la somme.

 

[72]          La peine qui sera infligée au contrevenant comportera donc une peine d’emprisonnement assortie d’une ordonnance de dédommagement.

 

[73]          Alors, quel doit être la durée de cette peine d’emprisonnement? Prenant en compte les circonstances dans lesquelles a été commise l'infraction, considérant les principes de détermination de la peine applicables comme je les ai cités auparavant, ainsi que les peines qui ont été imposées par d'autres tribunaux militaires à des contrevenants du même genre pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables, et prenant en compte les circonstances aggravantes et atténuantes, j'en suis venu à la conclusion qu'une peine juste et équitable reflétant la gravité de l'infraction et la responsabilité du contrevenant dans le contexte précis de l'espèce doit être une peine d'emprisonnement pour une durée de quarante-cinq jours, assortie d’une ordonnance de dédommagement pour la perte du ministère de la Défense nationale et des FAC au montant de 45 450 $. Il s’agit de la peine minimale qui est appropriée dans les circonstances.

 

[74]          En conformité avec le paragraphe 220(3) de la LDN, j’ordonne que cette peine d’incarcération soit purgée à l’établissement de détention Sorel-Tracy, 400, rue Auber, Sorel-Tracy, province de Québec.

 

[75]          Considérant ma conclusion quant au nombre de jours que doit comporter l’infliction de la peine d’emprisonnement, je ne peux accepter la suggestion formulée par le cpl Laflamme par le biais de son avocat, d’ordonner qu’il purge cette peine de façon discontinue, puisque l’article 148 de la LDN limite l’application d’une telle ordonnance à une peine d’incarcération maximale de quatorze jours.

 

[76]          Finalement, le contrevenant m’a demandé de considérer de suspendre l’exécution de la sentence d’incarcération dans le cas où j’en imposerais une.

 

[77]          Le paragraphe 215(1) de la LDN se lit comme suit :

 

L’exécution de la peine d’emprisonnement ou de détention peut être suspendue par la cour martiale qui l’a infligée ou par la Cour d’appel de la cour martiale qui a infligé ou confirmé la sentence ou lui en a substitué une autre.

 

[78]          La suspension de l'exécution d'une peine d'emprisonnement ou de détention est un pouvoir discrétionnaire et exceptionnel qui peut être exercé par la cour martiale. Il s'agit d'un pouvoir différent de celui prévu à l'article 731 du Code criminel qui permet à un tribunal civil de juridiction criminelle de surseoir au prononcé d'une peine tout en soumettant un contrevenant à une probation ou encore à ce qui est prévu à l'article 742.1 du Code criminel relatif à l'emprisonnement avec sursis qui permet toujours à un tribunal de juridiction criminelle de condamner un contrevenant à purger une peine d'emprisonnement dans la collectivité.

 

[79]          Comme je l'ai noté dans une série de décisions depuis que j’ai rendu celle de R. c. Paradis, 2010 CM 3025, il n'y a pas de critères particuliers énumérés dans la LDN pour l'application de l'article 215.

 

[80]          L'interprétation que j'en ai faite constamment, et qui a été reprise aussi par d'autres juges militaires, est que si le contrevenant démontre, par prépondérance de preuve, l'existence de circonstances particulières qui lui sont propres ou d'exigences opérationnelles propres aux FAC justifiant alors la nécessité de suspendre l'exécution de la sentence d'emprisonnement ou détention, alors la Cour émettra une telle ordonnance.

 

[81]          Cependant, avant d’agir ainsi, la Cour se devra d’examiner, une fois qu’elle aura conclu qu’une telle ordonnance est appropriée, si la suspension de cette peine ne minera pas la confiance du public dans le système de justice militaire, en tant qu’élément du système de justice canadien en général. Si elle conclut que non, alors la Cour émettra l’ordonnance.

 

[82]          Le cpl Laflamme a démontré à la Cour qu’une ordonnance d’incarcération pour une durée de plus de quatorze jours pourrait avoir pour effet de perturber le quotidien de sa conjointe et de la mère de cette dernière qui réside avec eux. Il a aussi introduit de la preuve démontrant que son milieu de travail pourrait être perturbé et que son projet de se lancer en affaire avec l’un de ses amis pourrait être retardé.

 

[83]          À mon avis, le contrevenant n’a pas établi, par prépondérance de preuve, l’existence de circonstances exceptionnelles qui lui sont propres et qui justifieraient la nécessité de suspendre la sentence d’emprisonnement de quarante-cinq jours imposée par ce tribunal.

 

[84]          Dans les faits, le cpl Laflamme n’a pas démontré que son incarcération mettrait quoi que ce soit en péril sur le plan personnel ou quant à son emploi. Évidemment, la Cour reconnaît que son absence temporaire d’une durée relativement courte obligera sa conjointe et son employeur a réorganisé temporairement les choses en son absence, mais cela ne constitue en rien quelque chose qui peut être considéré hors du commun en raison de ces circonstances. Je rejette donc sa demande de suspendre l’exécution de la sentence d’incarcération.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[85]           DÉCLARE le cpl Laflamme coupable du premier chef d’accusation, soit d’une infraction punissable en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale pour fraude, contrairement au paragraphe 380(1) du Code criminel.

 

[86]           CONDAMNE le cpl Laflamme à une période d'emprisonnement pour une durée de quarante-cinq jours.

 

[87]           ORDONNE que le cpl Laflamme paie la somme totale de 45 450 $ à titre de dédommagement pour la perte de fonds publics suite aux versements mensuels de 505 $ faits pendant 114 mois à titre d’IDVC par le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes au contrevenant entre le 15 mai 2014 et le 30 novembre 2021, le tout en conformité avec l’alinéa 203.9a) de la Loi sur la défense nationale.

 

[88]           ORDONNE au cpl Laflamme de payer au Receveur général du Canada d’ici le 25 octobre 2025 la somme totale de 45 450 $ à titre de dédommagement pour la perte de fonds publics qui lui ont été versés par le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes, le tout en conformité avec l’article 203.902 de la Loi sur la défense nationale.

 

[89]           ORDONNE à l’administrateur de la cour martiale de faire notifier la présente décision au Directeur – Réclamations et contentieux des affaires civiles du Cabinet du conseiller juridique auprès du ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes, le tout en conformité avec l’article 203.93 de la Loi sur la défense nationale.


 

Avocats :

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par les majors B. Richard et A. Huyquart.

 

Major É. Carrier, service d’avocats de la défense, avocat du caporal V. Laflamme

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