Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 16 décembre 2014.

Endroit : BFC Gagetown, édifice F-1, Oromocto (NB).

Chefs d'accusation :

• Chef d'accusation 1 (subsidiaire aux chefs d'accusation 2, 3) : Art. 93 LDN, comportement déshonorant.
• Chef d'accusation 2 (subsidiaire aux chefs d'accusation 1, 3) : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
• Chef d'accusation 3 (subsidiaire aux chefs d'accusation 1, 2) : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
• Chef d'accusation 4 : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Cour martiale générale (CMG) (est composée d'un juge militaire et d'un comité)

Résultats :

• VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3 : Non coupable. Chef d’accusation 4 : Coupable.
• SENTENCE : Une amende au montant de 400$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Booth, 2014 CM 4017

 

Date : 20141218

Dossier : 201402

 

Cour martiale générale

 

Salle d’audience de Gagetown

Oromocto (Nouveau-Brunswick), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et –

 

Soldat B.R. Booth, requérant

 

 

En présence du : Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.


 

MOTIFS RELATIFS À UNE FIN DE NON-RECEVOIR

 

(Prononcés de vive voix)

 

INTRODUCTION

 

[1]               L’accusé, le soldat Booth, est accusé de quatre infractions au code de discipline militaire relativement à des événements survenus en août 2013 pendant son service à Oromocto (Nouveau‑Brunswick), à la Base de soutien de la 5e Division du Canada Gagetown ou à proximité de celle‑ci. Il doit subir son procès devant une cour martiale générale. Avant la date prévue du procès, l’avocat du soldat Booth a présenté une fin de non‑recevoir en vertu de l’article 112.24 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), demandant au juge militaire présidant la cour martiale générale de conclure que les deuxième et troisième chefs d’accusation figurant dans l’acte d’accusation ne font pas état d’une infraction d’ordre militaire, car les interdictions relatives au harcèlement et au comportement raciste sont respectivement invalides.

 

[2]               Dans les deux chefs d’accusation contestés, qui sont alternatifs, on allègue un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline, en contravention de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale (LDN). En voici les détails :

 

Deuxième chef d’accusation : [traduction] « En ce que, entre le 5 et le 31 août 2013 inclusivement, à Oromocto (Nouveau‑Brunswick) ou près de là, il a harcelé le soldat West, en contravention de la DOAD 5012‑0 ».

 

Troisième chef d’accusation : [traduction] « En ce que, entre le 5 et le 31 août 2013 inclusivement, à Oromocto (Nouveau‑Brunswick) ou près de là, il a eu un comportement raciste à l’égard du soldat West, en contravention de l’OAFC 19‑43 ».

 

POSITION DES PARTIES

 

[3]               Le requérant soutient que l’interdiction relative au harcèlement contenue dans la DOAD 5012‑0 et celle relative au comportement raciste contenue dans l’OAFC 19‑43 sont toutes deux illégales parce qu’elles excèdent les pouvoirs du Chef du personnel militaire (CPM) et du Chef d’état‑major de la défense (CEMD) respectivement. Le requérant prétend que l’émission d’interdictions générales à l’égard de certains types de comportement constitue une fonction disciplinaire qui ne peut être exercée que par règlement pris par le gouverneur en conseil ou le Ministre de la défense nationale comme le prévoit l’article 12 de la LDN.

 

[4]               En réponse, la poursuite fait valoir que la DOAD 5012‑0 et l’OAFC 19‑43 sont deux ordonnances émises dans le cadre de l’exercice du pouvoir du CEMD, prévu à l’article 1.23 des ORFC, d’émettre des ordres et directives dans l’accomplissement de ses fonctions en vertu de la LDN qui, selon l’article 18 de la LDN, comprennent : a) la direction et la gestion des Forces canadiennes, sous réserve des règlements et sous l’autorité du ministre et b) l’émission de tous les ordres et directives visant à donner effet aux décisions et instructions du gouvernement fédéral ou du ministre. Ces ordonnances, et les prohibitions qu’elles contiennent, sont tout à fait valides, et le fait d’y contrevenir peut constituer une infraction d’ordre militaire en vertu du paragraphe 129(2) de la LDN.

 

QUESTION EN LITIGE

 

[5]               Les observations écrites se rapportant à la demande mentionnent les différentes autorités qui ont participé à l’émission de l’OAFC 19‑43 et de la DOAD 5012‑0, la première ayant été émise par le CEMD, et la dernière par le CPM, en vertu de délégations autorisant le CPM à émettre des DOAD au nom du CEMD. Lors des plaidoiries, les deux parties ont convenu que si le CEMD a le pouvoir d’émettre la DOAD 5012-0, alors son pouvoir a été légalement délégué au CPM.

 

[6]               La seule question en litige dans la présente demande est donc de savoir si le CEMD a le pouvoir d’émettre les interdictions en matière de harcèlement et de comportement raciste contenues dans la DOAD 5012‑0 et l’OAFC 19‑43 respectivement, ou si ce pouvoir appartient au Gouverneur en conseil ou au ministre.

 

CADRE LÉGISLATIF ET RÉGLEMENTAIRE

 

[7]        Pour analyser le pouvoir d’émettre lesdites interdictions, il est nécessaire de brosser un tableau du cadre législatif et réglementaire régissant les pouvoirs des différentes personnes qui jouent un rôle dans les questions régies par la LDN.

 

[8]        Les dispositions pertinentes de la LDN qui attribuent des pouvoirs de réglementation généraux au Gouverneur en conseil, au Ministre de la défense nationale et au Conseil du Trésor (CT) figurent aux articles 12 et 13. Ces dispositions sont ainsi libellées :

 

12. (1) Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements concernant l’organisation, l’instruction, la discipline, l’efficacité et la bonne administration des Forces canadiennes et, d’une façon générale, en vue de l’application de la présente loi.

 

(2)            Sous réserve de l’article 13 et des règlements du gouverneur en conseil, le ministre peut prendre des règlements concernant l’organisation, l’instruction, la discipline, l’efficacité et la bonne administration des Forces canadiennes et, d’une façon générale, en vue de l’application de la présente loi.

 

(3)                 Le Conseil du Trésor peut, par règlement :

 

a)                   fixer les taux et conditions de versement de la solde des juges militaires, du directeur des poursuites militaires et du directeur du service d’avocats de la défense;

 

b)                   fixer, en ce qui concerne la solde et les indemnités des officiers et militaires du rang, les suppressions et retenues;

 

c)                   prendre toute mesure concernant la rémunération ou l’indemnisation des officiers et militaires du rang qu’il juge nécessaire ou souhaitable de prendre par règlement pour l’application de la présente loi.

 

[...]

 

13. Le ministre ne peut prendre de règlements dans les domaines où la présente loi, ailleurs qu’à l’article 12, attribue explicitement des pouvoirs réglementaires au gouverneur en conseil ou au Conseil du Trésor.

 

[9]        Le pouvoir du CEMD d’établir des règles ou d’émettre des interdictions est énoncé à l’article 1.23 des ORFC, un règlement pris par le Gouverneur en conseil, qui est ainsi libellé :

 

1.23 POUVOIR DU CHEF D'ÉTAT-MAJOR DE LA DÉFENSE D'ÉMETTRE DES ORDRES ET DIRECTIVES

 

(1)           Sous réserve de l’alinéa (2), le chef d’état-major de la défense peut émettre des

ordres et directives qui ne sont pas incompatibles avec la Loi sur la défense nationale ni avec les règlements pris par le gouverneur en conseil, le Conseil du Trésor ou le ministre :

 

a)            soit dans l’accomplissement de ses fonctions en vertu de la Loi sur la défense nationale;

 

b)            soit pour expliquer les règlements ou les mettre à exécution.

 

[10]      Les fonctions du CEMD en vertu de la LDN sont énoncées à l’article 18 :

 

18. (1) Le gouverneur en conseil peut élever au poste de chef d’état-major de la défense un officier dont il fixe le grade. Sous l’autorité du ministre et sous réserve des règlements, cet officier assure la direction et la gestion des Forces canadiennes.

 

(2) Sauf ordre contraire du gouverneur en conseil, tous les ordres et directives adressés aux Forces canadiennes pour donner effet aux décisions et instructions du gouvernement fédéral ou du ministre émanent, directement ou indirectement, du chef d’état-major de la défense.

 

ANALYSE

 

a.        Introduction

 

[11]     Le requérant soutient qu’en imposant au personnel des Forces canadiennes, par voie d’ordonnances, des interdictions en matière de harcèlement et de comportement raciste, le CEMD a empiété sur le domaine de la discipline, que l’article 12 de la LDN a réservé au Gouverneur en conseil (G en C) ou au Ministre de la défense nationale (MDN).

 

[12]     Pour souscrire à cet argument, il me faudrait conclure que l’énumération, à l’article 12 de la LDN, des domaines dans lesquels le G en C ou le MDN peuvent prendre des règlements, exclut le pouvoir du CEMD d’émettre des ordres et des directives empiétant sur ces domaines, même dans le cadre de l’exercice légitime de ses pouvoirs de direction et de gestion des Forces canadiennes ou pour donner effet aux instructions du gouvernement fédéral ou du MDN.

 

[13]     Avec respect, je ne puis conclure que les domaines énumérés à l’article 12 de la LDN ont été attribués exclusivement au G en C ou au MDN. Les interdictions de harcèlement et de comportement raciste relèvent donc respectivement des fonctions du CEMD en vertu de la LDN.

 

b.         Les domaines énumérés à l’article 12 de la LDN n’ont pas été attribués exclusivement au G en C ou au MDN.

 

i.                    Conclure à l’attribution de pouvoirs exclusifs au G en C et au MDN affaiblirait considérablement les fonctions que la LDN confère au CEMD.

 

[14]     L’article 12 de la LDN attribue au G en C et au MDN le pouvoir de prendre des règlements dans plusieurs domaines, énumérés de la façon suivante : l’organisation, l’instruction, la discipline, l’efficacité et la bonne administration des Forces canadiennes et, d’une façon générale, en vue de l’application de la LDN.

 

[15]     Il s’agit d’une énumération très générale et non limitative. Elle comprend l’administration [ou la gestion], un domaine relevant explicitement du CEMD selon le libellé de l’article 18 de la LDN. Conclure, comme le souhaite le requérant, que chacun des domaines énumérés à l’article 12 de la LDN est interdit au CEMD reviendrait à vider de tout son sens la notion de « contrôle et [de] gestion ». Le CEMD nommé par le G en C serait dépouillé du pouvoir d’agir dans plusieurs domaines, tant que le G en C ou le MDN ne prendrait pas de règlements dans ces domaines. Il en serait ainsi même si, comme l’énumération figurant à l’article 12 le laisse entendre, ces domaines peuvent être essentiels au succès de toute organisation militaire. Cette exigence obligerait le G en C ou le MDN à microgérer chacun des aspects des Forces canadiennes par la prise de règlements, à longueur de journée, et viderait la fonction du CEMD de la plus grande partie de sa substance. Tel ne peut être l’objet de cette disposition.

 

ii.         L’argument de l’exclusivité n’est pas conforme à l’esprit de la LDN.

 

[16]              L’argument du requérant exige que l’on considère les différents acteurs de la LDN comme ayant des pouvoirs distincts définis avec précision, dans une exclusivité mutuelle. Avec respect, cette approche est défectueuse.

 

[17]              Les sphères de pouvoir des différents acteurs de la LDN n’ont pas été conçues comme des voies séparées. La structure de pouvoir exposée ci‑dessus comporte plusieurs niveaux qui se recoupent dans des domaines très semblables, le cas le plus évident étant celui du G en C et du MDN, qui peuvent prendre des règlements dans des domaines tout à fait identiques. Cette structure comporte, à n’en pas douter, un risque d’empiètement, ce à quoi le législateur a remédié par un mécanisme simple mais complet reposant sur une combinaison de facteurs, comme l’attribution explicite d’un domaine dans la LDN ou l’existence d’un règlement pris par une autorité supérieure.

 

[18]              En effet, l’article 12 de la LDN indique que le mode d’intervention privilégié du G en C, du MDN et du CT en matière de défense nationale est le règlement. Le CT se voit conférer des pouvoirs sur les questions financières, comme la rémunération, mais la liste des domaines dans lesquels le G en C et le MDN peuvent respectivement prendre des règlements est la même pour les deux. Ce recoupement a nécessité l’établissement, aux articles 12 et 13 de la LDN, d’une hiérarchie selon laquelle le pouvoir du MDN de prendre des règlements est subordonné aux règlements pris par le G en C et au pouvoir explicite du G en C et du CT de prendre des règlements dans les domaines précis qui leur sont attribués dans la LDN.

 

[19]              Le recoupement s’applique également au CEMD, même si le pouvoir que le G en C confère à cet officier n’est pas de prendre des règlements, mais plutôt d’émettre des ordres et directives. Contrairement à la méthode employée à l’article 12 de la LDN pour les règlements pris par le G en C, le MDN ou le CT, l’article 1.23 des ORFC ne contient pas de liste de domaines dans lesquels le CEMD peut émettre des ordres ou directives : il peut le faire pour expliquer les règlements ou les mettre à exécution ou dans l’accomplissement de ses fonctions en vertu de la LDN, qui comprennent la direction et la gestion des Forces canadiennes et le pouvoir exclusif d’émettre des ordres et directives pour donner effet aux décisions et instructions du gouvernement fédéral ou du ministre. Il s’agit d’un pouvoir général et illimité, bien plus que le pouvoir du MDN de prendre des règlements, qui se limite aux sphères qui n’ont pas été attribuées au G en C ou au CT ou qui ne sont pas occupées par ceux‑ci. La seule limite imposée au pouvoir du CEMD d’émettre des ordres et directives est énoncée au paragraphe 18(1) de la LDN, qui prévoit que le pouvoir du CEMD d’émettre des ordres et directives dans l’accomplissement de ses fonctions de direction et de gestion est subordonné aux règlements pris par le G en C, le CT et le MDN ainsi qu’à l’autorité du ministre. Cette restriction, par contre, se limite aux ordres et directives incompatibles : le CEMD a, selon l’article 1.23 des ORFC, le pouvoir précis d’émettre des ordres pour expliquer les règlements ou les mettre à exécution, ce qu’il a fait à plusieurs reprises par l’émission de DOAD et d’OAFC, dont l’objet exprimé est de compléter et d’appuyer les textes de niveau supérieur faisant autorité comme les ORFC.

 

[20]                Par conséquent, le pouvoir du CEMD d’émettre des ordonnances comme celles interdisant le harcèlement et le comportement raciste n’est pas limité par le fait qu’une autorité supérieure pourrait occuper ce champ, mais ne peut être limité que par une occupation effective de ce champ par un règlement ou instruction existants du MDN dans le domaine, qui, alors, empêcherait seulement le CEMD d’émettre un ordre incompatible avec ce règlement.

 

[21]                La décision de prendre des règlements dans un champ donné appartient au G en C ou au MDN. Prenons les exemples que le requérant a soulevés dans ses observations écrites. Le fait que le G en C a pris les règlements se rapportant au Programme des FC sur le contrôle des drogues au chapitre 20 des ORFC ou que le MDN a pris certains des règlements relatifs à la tenue au chapitre 17 des ORFC ne dénote pas un pouvoir exclusif de ces autorités sur ces domaines. L’existence d’un règlement pris par une autorité supérieure empêche le CEMD d’émettre un ordre incompatible, mais n’empêche pas le CEMD d’émettre un ordre appuyant le règlement, ce qu’il a fait avec la DOAD 5019‑3 portant sur le Programme des FC sur le contrôle des drogues, qui complète et appuie le chapitre 20 des ORFC, et les instructions sur la tenue des Forces canadiennes, qui complètent et appuient le chapitre 17 des ORFC.

 

[22]                Il résulte de cette conclusion que même si le G en C ou le MDN avaient pris des règlements dans le cadre de l’exercice de leurs pouvoirs en vertu de l’article 12 de la LDN, cela n’empêcherait même pas le CEMD d’émettre des ordres et directives qui ne sont pas incompatibles avec ces règlements, ce qui démontre que l’argument de l’exclusivité avancé par le demandeur est défectueux.

 

            iii.        Aucune disposition de la LDN ou des ORFC ne traite du pouvoir d’agir en matière de harcèlement ou de comportement raciste.

 

[23]           La LDN et ses règlements ne contiennent aucune disposition traitant explicitement du pouvoir d’une autorité de prendre des règlements ou d’émettre des ordres ou directives en matière de harcèlement et de comportement raciste. De plus, ni le G en C ni le MDN n’ont pris ou émis, en vertu de l’article 12 de la LDN ou de tout autre texte faisant autorité, de règlements ou d’ordres en matière de harcèlement ou de comportement raciste. Le fait que le Secrétariat du CT a adopté une politique sur la prévention et la résolution du harcèlement ne constitue pas une occupation de ce champ, car cette politique ne constitue pas un règlement pris en vertu de la LDN et ne s’applique pas, de toute façon, aux Forces canadiennes.

 

[24]           Par conséquent, le champ était et demeure inoccupé par une autorité supérieure. Il était donc tout à fait loisible au CEMD d’émettre, sans aucune restriction, des ordres et directives régissant et interdisant le harcèlement et le comportement raciste.

 

c.         La DOAD 5012‑0 et l’OAFC 19‑43 ont été émises dans l’accomplissement des fonctions du CEMD en vertu de la LDN.

 

[25]           La DOAD 5012‑0 et l’OAFC 19‑43 sont des ordonnances émises en vertu du pouvoir direct ou délégué du CEMD. Cependant, elles ne sont valides que si le CEMD avait le pouvoir de les émettre en vertu de l’article 1.23 des ORFC, c’est‑à‑dire dans l’accomplissement de ses fonctions en vertu de la LDN. Dans les cas comme celui‑ci, où il ne s’agit pas de l’explication ou de la mise à exécution de règlements, les fonctions du CEMD comprennent l’une ou l’autre des fonctions suivantes : d’abord, la direction et la gestion des Forces canadiennes, sous réserve des règlements et sous l’autorité du MDN, ensuite, l’émission d’ordres et de directives visant à donner effet aux décisions et instructions du G du C ou du MDN.

 

[26]           Aux paragraphes 17 et 18 de ses observations écrites, le requérant prétend que les interdictions de harcèlement et de comportement raciste se rapportent à l’établissement d’une norme de comportement particulière au sein des Forces canadiennes, une fonction de nature disciplinaire, qui ne peut être définie par le CEMD en vertu des pouvoirs de direction et de gestion que l’article 18 de la LDN confère à cet officier. En réponse, l’intimée soutient non seulement que la DOAD 5012‑0 et l’OAFC 19‑43 portant sur le harcèlement et le comportement raciste ont respectivement été entièrement émises dans le cadre de l’exercice des fonctions de direction et de gestion du CEMD, mais aussi que ces ordonnances étaient nécessaires pour donner effet aux décisions et instructions du gouvernement fédéral.

 

[27]           Le requérant n’a pas établi que les ordonnances contestées ne relèvent pas du pouvoir du CEMD. Le requérant s’est concentré abondamment et exclusivement sur l’interdiction contenue dans chaque ordonnance pour affirmer que leur objet est de nature disciplinaire. Pourtant, ces ordonnances sont bien plus que de simples interdictions. La DOAD 5012‑0 est une ordonnance - politique. Comme l’indique la DOAD 1000‑0, ce type d’ordonnance a pour objet d’expliquer la position générale du MDN et des FC sur un sujet donné, d’établir les limites à l’intérieur desquelles une organisation fonctionne, d’énoncer clairement les buts à atteindre et de donner une orientation aux décisions et aux mesures de gestion qui y sont liées.

 

[28]           Il convient de reproduire ici les dispositions de politique qui sous‑tendent les interdictions contenues dans la DOAD 5012‑0 et l’OAFC 19‑43.

 

DOAD 5012-0 Orientation de la politique sur la prévention et la résolution du harcèlement (extraits)

 

Contexte

Les FC et le MDN considèrent qu’il est essentiel d’offrir un milieu de travail qui favorise l’esprit d’équipe et encourage les personnes à fournir leurs meilleurs efforts pour atteindre les objectifs de défense du Canada. La confiance mutuelle, le soutien et le respect de la dignité et des droits de toute personne sont des éléments essentiels dans ce milieu. Non seulement le harcèlement est-il sous certaines formes contre la loi, mais il mine la confiance mutuelle et le respect des personnes et peut créer un milieu de travail malsain. Par conséquent, l’efficacité opérationnelle, la productivité, la cohésion de l’équipe et le moral peuvent en souffrir.

 

Le document Lignes directrices sur la prévention et la résolution du harcèlement fournit des renseignements détaillés à ce sujet.

 

Énoncé de politique

Les FC et le MDN s’engagent à offrir un milieu de travail où règne le respect en favorisant la prévention du harcèlement et une résolution rapide des cas de harcèlement. Tous les membres des FC et les employés du MDN ont le droit d’être traités avec équité, respect et dignité dans un milieu de travail exempt de harcèlement; ils ont par ailleurs la responsabilité de traiter les autres de la même façon.

Le harcèlement, peu importe sa forme, est une conduite inacceptable et ne sera pas toléré. Aucun membre des FC ou employé du MDN ne doit harceler autrui dans le milieu de travail. Quiconque soumet une autre personne à du harcèlement est passible de mesures disciplinaires et administratives.

 

OAFC 19-43 COMPORTEMENT RACISTE (extraits)

 

POLITIQUE

4.      Les FC souscrivent au principe de l’égalité de toutes les personnes et croient en la dignité et en la valeur de chaque être humain, sans égard, entre autres, à la race, à l’origine nationale ou ethnique, à la couleur ou à la religion. Les membres des FC doivent toujours être guidés par ce principe dans leurs relations avec leurs collègues, avec les membres du public et avec toutes les personnes avec lesquelles ils entrent en contact, tant au Canada qu’à l’étranger.

 

5.      Les attitudes racistes sont tout à fait contraires à l’éthique militaire et nuisent à l’efficacité du service militaire; par conséquent, tout comportement qui traduit de telles attitudes ne peut être toléré. Les comportements racistes sont donc interdits et entraîneront des mesures administratives, disciplinaires, ou les deux, pouvant inclure la libération. Toute personne qui présente une demande d’enrôlement dans les FC et qui est incapable ou refuse de se conformer à la politique des FC interdisant les comportements racistes ne sera pas enrôlée.

 

Ces extraits parlent d’eux‑mêmes. Compte tenu du contexte des interdictions contenues dans chacune de ces ordonnances, j’estime que l’objet essentiel de ces ordonnances est de favoriser un milieu de travail sain, favorable à l’efficacité opérationnelle des Forces canadiennes. Il s’agit d’un domaine qui relève entièrement du pouvoir du CEMD en matière de direction et de gestion des Forces canadiennes.

 

[29]           Je ne suis pas d’accord avec les observations du requérant voulant que l’objet des ordonnances soit respectivement de créer des infractions de harcèlement et de comportement raciste. Comme il ressort clairement du libellé des deux interdictions, y compris les extraits précités, ni les ordonnances ni les interdictions elles‑mêmes ne sont énoncées dans les termes employés pour créer des infractions dans les lois. Ces interdictions ne constituent pas des infractions. Elles précisent tout au plus que toute violation de l’interdiction peut faire l’objet de mesures disciplinaires. Le requérant reconnaît que les ordonnances demeureraient valides en l’absence des interdictions. Respectueusement, je crois que les deux ordonnances forment un tout et ne peuvent, d’une manière crédible et efficiente, favoriser un milieu de travail sain, favorable à l’efficacité opérationnelle, sans interdire le comportement même que les énoncés de politique condamnent.

 

[30]              Lors des plaidoiries, l’avocat du requérant a fait valoir que l’effet combiné des interdictions et des conséquences disciplinaires énoncées au paragraphe 129(2) de la LDN fait en sorte que le CEMD ou les autres officiers militaires ont le pouvoir de créer des infractions pénales, fonction qui relève généralement du législateur. S’il est possible que les personnes assujetties au code de discipline militaire encourent une responsabilité pénale à la suite de mesures disciplinaires n’ayant pas son équivalent pour les personnes non assujetties au code, ce n’est pas à cause du pouvoir d’émettre l’ordonnance qui, en ce qui concerne la DOAD 5012‑0 du moins, est la même pour les membres des FC et les employés du MDN. Toute conséquence pénale injustifiée serait le résultat de déficiences ou d’un manque d’équité dans la disposition qui crée l’infraction elle-même ou dans la façon dont elle a été appliquée par les différentes autorités qui ont fait enquête ou déposé ou porté les accusations en vertu du code de discipline militaire. Aucune déficience de cette nature n’a été soulevée dans la preuve ou dans les observations.

 

CONCLUSION


Je conclus donc que la DOAD 5012‑0 et l’OAFC 19‑43 ont toutes deux été validement émises dans l’accomplissement des fonctions du CEMD en vertu de la Loi sur la défense nationale en ce qui concerne la direction et la gestion des FC.

 

[31]              Cette conclusion suffit pour trancher la question du pouvoir du CEMD d’émettre ces ordonnances. Il n’est donc pas nécessaire de statuer sur la question de savoir si les ordonnances ont été émises pour donner effet aux décisions et instructions du gouvernement fédéral ou du ministre. Bien que la poursuite n’ait pas été en mesure de fournir de preuve directe établissant que c’était le cas, la mention de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail du Conseil du Trésor comme références principales dans la DOAD  5012‑0, de même que la mention de l’interdiction des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur ou la religion parmi les motifs illicites en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Loi canadienne sur les droits de la personne dans l’OAFC 19‑43, constituent de solides indices que ces ordonnances sont à tout le moins corrélatives et conformes aux grands objectifs du gouvernement fédéral dans ce domaine.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[32]              CONCLUT que les deuxième et troisième chefs d’accusation figurant dans l’acte d’accusation font bel et bien état d’une infraction d’ordre militaire. Par conséquent, la Cour n’autorise pas la fin de non‑recevoir. Le procès suivra son cours relativement à tous les chefs d’accusation figurant dans l’acte d’accusation.


 

Avocats :

 

Capitaine de corvette D. Reeves et major D. Martin, Service canadien des poursuites militaires, avocats de l’intimée

 

Major D. Hodson et major E. Thomas, Direction du Service d’avocats de la défense,

avocats du requérant

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