Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 6 juillet 2015

Endroit : BFC Petawawa, édifice L-106, 48 terrain de parade Nicklin, Petawawa (ON).

Chefs d’accusation :

• Chefs d’accusation 1, 3, 5, 7, 9, 11, 13, 15 : Art. 130 LDN, fraude (art. 380 C. cr.).
• Chefs d’accusation 2, 4, 6, 8, 10, 12, 14, 16, 17 : Art. 130 LDN, abus de confiance par un fonctionnaire public (art. 122 C. cr.).

VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 3, 7 : Coupable. Chefs d’accusation 2, 4, 5, 6, 8, 16, 17 : Non coupable. Chef d’accusation 15 : Coupable avec un verdict spécial, le montant fraudé dans les détails est 4514.63$. Chefs d’accusation 9, 10, 11, 12, 13, 14 : Retirés.

SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 30 jours.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Edmunds, 2015 CM 3011

 

Date : 20150820

Dossier : 201450

 

Cour martiale générale

 

Base de soutien de la 4e Division du Canada Petawawa

Petawawa (Ontario)

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et –

 

Caporal-chef N.S. Edmunds, accusé

 

 

En présence du : Lieutenant-colonel L.‑V. d’Auteuil, J.M.


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE DÉCISION CONCERNANT UNE OBJECTION SOULEVÉE À L’INTENTION DU JUGE MILITAIRE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Le caporal‑chef Edmunds a présenté il y a deux jours sa requête concernant une objection à l’intention du juge. Un avis écrit concernant la présente affaire a été reçu le 20 juillet 2015 au Cabinet de l’Administratrice de la cour martiale.

 

[2]               Essentiellement, le caporal‑chef Edmunds prétend que certains des commentaires que j’ai formulés et certaines de mes interventions lors de l’instruction de deux questions préliminaires concernant la présente cour martiale générale, qui consistaient en une requête de divulgation et une requête en vue d’obtenir des détails complémentaires, ainsi que la manière dont j’ai géré les conférences en cabinet, pourraient soulever, chez un observateur renseigné et raisonnable, une crainte raisonnable de partialité eu égard au juge militaire qui préside l’espèce.

 

[3]               Le caporal‑chef Edmunds est accusé de 17 infractions militaires punissables en vertu de l’alinéa 130(1)a) de la Loi sur la défense nationale. Neuf d’entre elles sont des accusations d’abus de confiance par un fonctionnaire, en contravention à l’article 122 du Code criminel et huit autres sont des accusations de fraude, en contravention à l’article 380 du Code criminel. Selon les allégations, ces infractions auraient été commises à Petawawa, ou à proximité de Petawawa, dans la province de l’Ontario, au cours des mois de mars, avril, juin et septembre 2011.

 

[4]               Comme l’indique l’ordre de convocation, le caporal‑chef Edmunds a comparu devant la Cour martiale générale le 6 juillet 2015 en matinée. Avant cette date, quatre conférences préparatoires ont été tenues par téléphone, soit le 14 avril, le 11 mai ainsi que les 4 et 15 juin 2015. Lors de ces conférences, des discussions ont porté sur l’ordre dans lequel seraient instruites les requêtes et le statut des requêtes, sur la mise au rôle de l’audience concernant les questions préliminaires et le procès principal, de même que sur la question de la divulgation.

 

[5]               Les 6, 7 et 8 juillet 2015, j’ai instruit, à Petawawa, la requête de divulgation présentée par l’accusé. J’ai tenu trois réunions en cabinet avec les avocats afin de discuter de questions liées à la gestion du procès. La première réunion a eu lieu juste avant le début du procès. J’ai confirmé l’ordre dans lequel les cinq requêtes seraient instruites, leur état et la durée requise pour l’audition de chacune d’entre elles. J’ai également tenté de confirmer le calendrier prévu pour le procès, en tenant compte du fait que deux semaines en juillet étaient prévues pour aborder des questions préliminaires en l’absence du comité, et que deux autres semaines étaient prévues en novembre aux fins de l’instruction de la preuve dans le cadre du procès principal. J’ai aussi demandé aux avocats à ce moment-là de préciser les questions liées à la divulgation et j’ai évalué, avec eux, la durée nécessaire pour l’audition de cette requête seulement.

 

[6]               Durant cette réunion, l’avocat de la défense m’a dit que le caporal‑chef Edmunds avait des réserves quant à la tenue de réunions de ce genre en son absence. J’ai rassuré l’avocat de la défense au sujet du but d’une telle réunion en cabinet, et je lui ai dit que je fournirais en audience publique un résumé à l’égard duquel les avocats auraient la possibilité de formuler des commentaires et de fournir des renseignements supplémentaires.

 

[7]               Le 6 juillet 2015, au tout début du procès, j’ai présenté en audience publique un résumé de la réunion tenue en cabinet et j’ai expliqué au caporal-chef Edmunds le but de cette réunion, qui visait à assurer la gestion du procès. J’ai aussi invité les avocats à présenter des commentaires au sujet de mon résumé de cette réunion.

 

[8]               Plus tard en après-midi, j’ai tenu une seconde réunion en cabinet, où l’avocat de la défense a répété le fait que son client se méfiait de la tenue de telles réunions en son absence, pour lesquelles n’était effectué aucun enregistrement. J’ai ensuite offert à l’avocat de la défense de faire venir son client en cabinet pour qu’il assiste à la réunion, et c’est ce qu’il a fait. La principale question discutée concernait l’introduction d’un grand nombre de documents classifiés, pour lesquels la procureure de la poursuite a proposé d’utiliser un cartable qu’elle avait préparé et de rassembler la majeure partie des documents que l’avocat de la défense et elle‑même avaient l’intention d’utiliser lors de cette requête. Elle devait s’assurer que tous les documents du cartable étaient rayés de la liste de sécurité et le remettre à l’avocat de la défense afin qu’il le vérifie et l’approuve. Il a ensuite été convenu que j’ajourne la procédure jusqu’au lendemain, ce que j’ai fait.

 

[9]               J’ai ensuite tenu une troisième réunion en cabinet, le 8 juillet 2015 en après-midi, en l’absence du caporal‑chef Edmunds. Son avocat m’a dit que son client voulait être présent et qu’il avait des réserves parce que la séance n’était pas enregistrée. Essentiellement, lors du témoignage présenté par le capitaine Tarso, un témoin appelé par le caporal‑chef Edmunds, j’ai eu à me prononcer sur une objection soulevée par la procureure de la poursuite eu égard à l’existence d’un rapport d’enquête de l’unité. Dans la salle d’audience, en l’absence du témoin, j’ai ensuite discuté avec les avocats de la nature de l’objection, ce qui m’a amené à commenter le fait que le requérant, dans le contexte d’une requête de divulgation, doit savoir ce qu’il cherche à obtenir pour éviter une recherche à l’aveuglette. Essentiellement, j’ai dit à l’avocat de la défense que je ne peux faire droit à une telle requête si elle devient une occasion de chercher à obtenir de l’information dont il n’a aucune raison de soupçonner l’existence.

 

[10]           J’ai également eu une longue discussion avec la procureure de la poursuite concernant la nature de la requête de divulgation et ce qui semble en être le but. La procureure de la poursuite a ensuite dit à la Cour qu’elle n’avait pas examiné la question de la divulgation dans le contexte de la requête relative à l’abus de procédure présentée par le caporal‑chef Edmunds et qu’elle serait disposée à revoir sa position sur ce point.

 

[11]           J’ai ensuite tenu une réunion en cabinet afin de me renseigner sur le temps qu’il faudrait à la procureure de la poursuite pour donner suite à la divulgation et quelle serait l’incidence sur la mise au rôle d’autres requêtes devant être instruites. Je suis revenu en cour et j’ai communiqué les renseignements obtenus à la suite de cette réunion. La procédure a été ajournée pour une semaine. J’aimerais ajouter qu’aucune de ces réunions en cabinet n’a été enregistrée.

 

[12]           Nous nous sommes réunis à nouveau le 15 juillet 2015 dans la salle d’audience du Centre Asticou à Gatineau, avec l’assentiment des deux parties. À ce moment-là, la procureure de la poursuite a remis à l’avocat de la défense un certain nombre de cartables. Il a été convenu à ce moment-là que l’avocat de la défense aurait besoin de parcourir ces cartables afin d’établir sa position à l’égard de la requête de divulgation. La procédure a été ajournée jusqu’au lendemain.

 

[13]           Le 16 juillet 2015, l’avocat de la défense s’est dit satisfait de la divulgation et a déclaré que le débat dans le contexte de la requête de divulgation se limiterait donc à l’accès aux parties caviardées des documents qu’il a reçus ou des documents pour lesquels la poursuite a réclamé des privilèges. J’ai ensuite convenu avec les avocats d’un calendrier aux fins de la présentation d’observations écrites avant la prochaine date d’audience à la Cour. À la suite d’une proposition faite par les avocats, j’ai procédé à l’instruction de la requête présentée par le caporal-chef Edmunds en vue d’obtenir des détails.

 

[14]           En guise de preuve, l’avocat de la défense a présenté l’avis écrit relatif à la requête, ainsi que l’acte d’accusation. Je me suis ensuite adressé à la procureure de la poursuite afin de savoir si elle avait des éléments de preuve qu’elle souhaiterait produire concernant la requête. Elle a informé la Cour qu’elle aimerait présenter le [traduction] « témoignage anticipé », qui correspond au document que la poursuite a envoyé à l’accusé afin d’informer ce dernier des témoins qu’elle prévoyait appeler à témoigner, du but pour lequel un témoin sera appelé à témoigner, et de la nature du témoignage proposé pour ce témoin. La procureure de la poursuite a également dit à la Cour qu’elle désirait présenter deux rapports d’enquête, qui ont été divulgués à l’accusé, à l’appui de son argument selon lequel les détails indiqués relativement aux huit accusations de fraude sur l’acte d’accusation étaient appropriés pour permettre à l’accusé de préparer sa défense adéquatement.

 

[15]           L’avocat de la défense s’est opposé à la présentation de ces documents parce que la poursuite n’avait pas le droit de le faire conformément aux Règles militaires de la preuve. Un ajournement de courte durée lui avait été accordé auparavant pour lui permettre d’examiner sa position au vu des commentaires et des renvois juridiques faits par la poursuite. Un deuxième ajournement a été accordé à l’avocat de la défense pour qu’il puisse prendre connaissance de certains cas de jurisprudence présentés par la poursuite. Il a ensuite été autorisé à commenter ces cas. J’ai invité la procureure de la poursuite à commenter ces cas au vu de son point de vue quant à l’autorité que détient la Cour d’évaluer le caractère suffisant des détails en fonction des renseignements divulgués à l’accusé.

 

[16]           La procureure de la poursuite a ensuite réitéré sa position selon laquelle les détails relatifs aux accusations de fraude étaient assez clairs pour permettre à l’accusé de préparer adéquatement sa défense. L’avocat de la défense a déclaré à la Cour qu’il était d’un avis contraire, et que la Cour devait évaluer ces détails sans passer en revue les documents divulgués.

 

[17]           Plutôt que de trancher sur la question de l’admissibilité des documents, j’ai alors exprimé mon avis selon lequel, en prenant uniquement les détails de chaque accusation de fraude, je ne voyais pas en quoi cela empêcherait l’accusé de préparer adéquatement sa défense. Autrement dit, j’ai déclaré que, indépendamment du fait que l’accusé ait ou non reçu tout autre renseignement, à première vue, les détails relatifs à chaque accusation de fraude semblaient suffisants pour permettre à l’accusé de préparer sa défense. J’ai ensuite invité l’avocat de la défense à présenter ses arguments concernant l’insuffisance des détails.

 

[18]           J’ai ensuite eu une discussion avec l’avocat de la défense, et j’ai autorisé la procureure de la poursuite à présenter des commentaires sur ce point. J’ai demandé à l’avocat de la défense s’il souhaitait répliquer aux commentaires de sa collègue, et il a refusé de répliquer. J’ai par la suite donné les motifs de ma décision et rejeté la requête. J’ai reporté l’audience au 18 août 2015.

 

[19]           Le 18 août 2015, j’ai amorcé la tenue d’un voir-dire en vue de poursuivre l’audience de la présente requête.

 

[20]           L’avocat de la défense allègue que, durant l’instruction de la demande en vue d’obtenir des détails, j’ai dit que j’avais déjà pris ma décision sur cette question avant de lui donner l’occasion de présenter des observations à cet égard. Qui plus est, il est allégué que je me suis impliqué dans la mêlée en faisant certaines interventions et en formulant certains commentaires, faisant ainsi preuve de partialité ou de parti pris.

 

[21]           Par ailleurs, il est allégué qu’en tenant des réunions en cabinet sans enregistrement, et ce, à deux reprises sans que l’accusé ne soit présent, j’ai enfreint l’article 650 du Code criminel qui prévoit expressément que l’accusé doit être présent au tribunal pendant tout son procès.

 

[22]           En ce qui concerne la question de la tenue de réunions en cabinet, il est également allégué qu’il y a eu violation du droit de l’accusé à un procès public devant un tribunal impartial conformément à l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés et qu’il a été porté atteinte à son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, en contravention à l’article 7 de la Charte, car certains principes de justice fondamentale, notamment celui d’être présent pendant tout son procès et celui de la transparence, n’ont pas été respectés. Par conséquent, l’avocat de la défense aimerait qu’un juge suppléant soit nommé ou qu’il y ait annulation du procès.

 

[23]           Le critère applicable afin d’établir si les commentaires et les interventions d’un juge ont soulevé une crainte raisonnable de partialité est « de savoir si une personne raisonnable et bien renseignée, qui serait au courant de l’ensemble des circonstances pertinentes et qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, conclurait que la conduite du juge fait naître une crainte raisonnable de partialité » (voir Miglin c. Miglin, 2003 CSC 24, au paragraphe 26, et R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, au paragraphe 111).

 

[24]           Le fardeau d’établir l’existence de partialité pèse sur le requérant (R. c. S. (R.D.), au paragraphe 144). Il incombe donc au caporal‑chef Edmunds de prouver qu’il existe une crainte réelle de partialité; un simple soupçon n’est pas suffisant. Bref, c’est à lui qu’il incombe de réfuter la présomption d’intégrité et d’impartialité des juges comme en témoigne le serment prêté par chaque juge militaire avant d’exercer ses fonctions.

 

[25]           Voici ce que la Cour suprême du Canada a fait remarquer au paragraphe 105 de l’arrêt R. c. S. (R.D.) :

 

[...] la partialité dénote un état d’esprit prédisposé de quelque manière à un certain résultat ou fermé sur certaines questions.

 

[26]           Dans la même décision, la conduite requise d’un juge est décrite en ces termes au paragraphe 120 :

 

Peu importe leur formation, leur sexe, leur origine ethnique ou raciale, tous les juges ont l’obligation fondamentale envers la collectivité de rendre des décisions impartiales et de paraître impartiaux. Il s’ensuit que les juges doivent s’efforcer de ne prononcer aucune parole et de n’accomplir aucun acte durant le procès ou en rendant jugement qui puisse donner à une personne raisonnable et bien renseignée l’impression qu’une question a été jugée prématurément ou tranchée sur la foi de suppositions ou de généralisations stéréotypées.

 

[27]           Cependant, il est également reconnu que, lors d’un procès, le rôle du juge ne se limite pas à celui d’un simple arbitre (voir les arrêts R. c. Felderhof, 2003 CanLII 37346 (C.A. Ont.), au paragraphe 40, et R. c. Auclair, 2013 QCCA 671, au paragraphe 55, appel interjeté à la CSC et rejeté dans l’arrêt 2014 CSC 6). Un juge de première instance a l’obligation de gérer le déroulement du procès, d’équilibrer le respect de l’équité envers les parties et de veiller à l’exécution efficace et ordonnée du processus judiciaire. La gestion comprend le contrôle, la direction et l’administration dans le déroulement d’un procès. Ce pouvoir, qui s’inscrit dans le cadre d’un vaste pouvoir discrétionnaire, a trait à l’intégralité du procès et s’étend au-delà des règles de gestion de l’instance avant la tenue du procès.

 

[28]           D’abord, comme je l’ai mentionné durant l’instruction de la présente requête, j’ai employé l’expression « recherche à l’aveuglette » dans la salle d’audience afin de rappeler à l’avocat de la défense qu’une requête de divulgation comporte des limites et qu’elle ne peut servir d’instrument d’information lorsqu’il n’existe aucune raison de justifier une action de ce genre. Cela a été dit à l’avocat de la défense en guise de rappel discret fait dans le contexte d’un interrogatoire principal de son témoin, le capitaine Tarso, le 8 juillet 2015. J’ai peut-être employé cette expression lors de la réunion en cabinet suivant mon intervention, mais c’était dans le même but. Mon commentaire ne visait pas à caractériser le travail ou l’attitude de l’avocat de la défense, mais plutôt à illustrer que même une procédure de ce genre a ses limites. Je conclus donc qu’une personne raisonnable et renseignée, au courant de l’ensemble des circonstances pertinentes, aurait conclu que ma conduite n’a pas fait naître de crainte raisonnable de partialité.

 

[29]           L’avocat de la défense a également porté à mon attention quatre commentaires et interventions que j’ai faits durant l’instruction de la requête de détails, qui soulèveraient une crainte raisonnable de partialité.

 

[30]           Il a d’abord indiqué un commentaire que j’ai fait, à savoir que, à première vue, je ne voyais aucun problème concernant les détails, et que je l’ai invité à présenter des commentaires qui pourraient me faire lire ou voir différemment ces détails. Comme je l’ai mentionné plus tôt dans la présente décision, le contexte se passe d’explications. L’avocat de la défense voulait que j’évalue les détails de chaque accusation sans tenir compte des renseignements divulgués. Je lui ai dit que, selon cette approche et à cette étape dans l’instance, je ne voyais aucun problème concernant les détails et que j’aimerais qu’il me fasse part de ses réserves dans ce contexte qui pourraient me permettre de voir les choses d’un œil différent. J’ai entendu la partie poursuivante, j’ai autorisé l’avocat de la défense à répliquer, et j’ai rendu ma décision.

 

[31]           Voici un extrait de la conversation que nous avons eue :

 

[Traduction]

 

« AVOCAT DE LA DÉFENSE : la divulgation est néanmoins inadéquate pour répondre aux questions qui s’imposent pour assurer une défense. Ce que je veux dire, à ce moment-ci, c’est que, votre Honneur, vous devez évaluer ces détails sans examiner vous-même les documents divulgués.

 

JUGE MILITAIRE : Mais si j’évalue les détails à ce moment-ci, ma décision est que cela est adéquat quand je les lis. »

 

[32]           À ce moment-là, l’avocat de la défense avait terminé la présentation de sa preuve à l’audience, et il m’a demandé de lire les détails sans tenir compte des renseignements qu’il pouvait avoir reçus, ce à quoi j’ai répondu que je ne voyais pas quel était le problème en ce qui a trait aux détails à cette étape-là, parce que ces derniers me semblaient adéquats.

 

[33]           J’estime qu’une personne renseignée et raisonnable, au courant de l’ensemble des circonstances pertinentes, aurait conclu que ma conduite n’a pas fait naître de crainte raisonnable de partialité. En fait, j’ai fait ce que l’avocat de la défense m’a prié de faire : lire les détails sans tenir compte d’autres renseignements. J’ai donné l’occasion aux avocats de formuler des commentaires au sujet de cette observation et j’ai ensuite rendu les motifs justifiant ma décision.

 

[34]           Il ne s’agissait pas d’une question tranchée à l’avance. La longue discussion que j’ai eue avec l’avocat de la défense en vue de comprendre sa position, alors que je lui ai clairement dit que j’avais de la difficulté à comprendre la raison d’être de sa position – parce que les détails semblaient assez clairs pour permettre à son client de préparer sa défense – indique que je lui ai donné pleinement la possibilité de faire valoir son point de vue avant de rendre quelque décision qui soit, tout comme je l’ai fait pour la procureure de la poursuite.

 

[35]           L’avocat de la défense a souligné trois autres extraits qui illustrent, selon ses allégations, que je suis descendu dans l’arène en fournissant un soutien à la procureure de la poursuite, ce qui aurait eu pour effet de soulever une crainte de partialité. J’ai écouté ces extraits. Mis à part le fait d’avoir tenté de clarifier la position de la poursuite à l’égard de mon pouvoir de prendre en compte, ou non, des renseignements divulgués à l’accusé, et de clarifier à quel point de tels renseignements ont été divulgués à l’accusé en ce qui concerne le « témoignage anticipé » et les rapports d’enquête, compte tenu de la nature de la requête, je ne vois pas comment ces mesures amèneraient une personne renseignée et raisonnable, étant au courant de l’ensemble des circonstances pertinentes et étudiant la question de façon réaliste et pratique, à conclure que ma conduite fait naître une crainte raisonnable de partialité.

 

[36]           Enfin, l’avocat de la défense a souligné le fait que je n’ai pas rendu de décision relativement à son objection soulevée à l’égard de la présentation de documents par la poursuite durant l’instruction de la requête visant à obtenir des détails. Essentiellement, le requérant avait terminé de présenter sa preuve et alors que la procureure de la poursuite tentait de produire des éléments de preuve pour son propre dossier, l’avocat de la défense s’est opposé à leur admissibilité. Je n’ai pas rendu de décision sur ce point, comme l’a laissé entendre l’avocat de la défense, parce que j’ai considéré la requête sans ces éléments de preuve. Ce changement dans la façon de procéder a clairement été expliqué à l’avocat de la défense et à la procureure de la poursuite : les détails relatifs aux accusations de fraude semblaient assez clairs pour permettre à son client de présenter une défense sans tenir compte des documents qui lui ont été divulgués. J’ai alors invité les avocats à présenter des observations à cet égard et j’ai exposé les motifs de ma décision.

 

[37]           La façon dont j’ai géré la requête de détails ne constitue pas un motif justifiant mon retrait. J’ai changé le cours de la procédure, à un moment donné, en évitant un long débat sur l’admissibilité de certains documents, alors que le requérant voulait que je considère sa requête sans ces documents. Ce changement n’a causé aucun préjudice au requérant, a permis de raccourcir le débat et m’a permis de considérer la question comme le requérant le désirait. Selon mon point de vue objectif, une personne renseignée et raisonnable, qui serait au courant de l’ensemble des circonstances pertinentes et qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, conclurait que ma conduite n’a pas fait naître de crainte raisonnable de partialité.

 

[38]           En ce qui a trait à l’article 650 du Code criminel, je ne vois pas comment cette disposition s’appliquerait au contexte d’une Cour martiale. L’avocat de la défense n’a pas été capable de relever une disposition en vertu de la Loi sur la défense nationale ou de son règlement afférent, qui permettrait à la Cour d’appliquer un tel article. En principe, une personne assujettie au Code de discipline militaire doit être présente en cour pendant tout son procès. En fait, aucune cour martiale ne peut commencer à siéger avant que l’accusé ne soit devant la Cour. Le juge militaire qui préside à la Cour martiale détient le pouvoir de délivrer un mandat d’arrestation si l’accusé qui a comparu devant la Cour martiale ne s’y présente pas comme prévu, mais il n’existe dans le Code de discipline militaire aucun équivalent de l’article 650 du Code criminel. Par conséquent, la Cour n’a pas enfreint l’article 650 du Code criminel.

 

[39]           Les discussions informelles tenues en cabinet entre le juge militaire qui préside à une Cour martiale et les avocats constituent pour le juge et les parties, lors du procès, un instrument de gestion du dossier permettant le déroulement du procès avec diligence et efficacité. Ces discussions aident à déterminer la durée du procès, à anticiper les problèmes qui pourront survenir et à réévaluer le calendrier de manière adéquate. Lors de réunions de ce genre, rien n’est discuté relativement à la détermination de la culpabilité d’un accusé. Cela peut survenir à la demande du juge ou des parties. Le but est de faciliter le déroulement du procès.

 

[40]           Comme l’a conclu la Cour d’appel du Québec au paragraphe 25 de l’arrêt R. c. Taillefer, 1989 CarswellQue 190, j’estime que les discussions de ce genre, malgré le fait qu’elles se tiennent lors d’une Cour martiale, ne font pas partie du procès comme tel à moins qu’elles ne concernent les intérêts vitaux de l’accusé. La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé ce qui suit au paragraphe 117 de l’arrêt R. c. Simon, 263 C.C.C. (3d) 59 :

 

[Traduction]

 

Les discussions en cabinet peuvent faire partie du « procès » aux fins du paragraphe 650(1) : Hertrich à p. 539; R. c. Laws (1998), 128 C.C.C. (3d) 516 (C.A. Ont.), à p. 521; R. c. James (2009), 244 C.C.C. (3d) 330 (C.A. Ont.), au paragraphe 17. Mais ce ne sont pas toutes les discussions en cabinet qui font partie d’un procès aux fins du paragraphe 650(1), plus particulièrement si la discussion est de nature préliminaire, qu’elle n’implique aucune décision finale et qu’elle est rapportée en audience publique en présence de l’accusé : R. c. Dunbar (1982), 68 C.C.C. (2d) 13 (C.A. Ont.), à p. 31; R. c. Chaudhary, [1988] O.J. no 1857, 7 W.C.B.( 2d) 105 (C.A.), au paragraphe 3.

 

[41]           Compte tenu du fait que trois discussions en cabinet ont eu lieu jusqu’à maintenant dans le cadre du présent procès, que l’accusé a assisté à la seconde discussion, et qu’aucun intérêt vital pour l’accusé  n’a fait l’objet de discussion ni même été soutenu par l’avocat de la défense, je conclus donc que ces discussions ne faisaient pas partie du procès et qu’il serait difficile de voir de quelle manière elles pourraient faire l’objet d’une analyse à titre d’infraction à l’article 7 de la Charte, plus précisément dans le contexte d’éléments tels que la présence de l’accusé au présent procès et de l’ouverture de la Cour. En fait, ces derniers éléments, même s’ils représentent des valeurs fondamentales de notre système de justice en droit criminel, n’ont pas été jugés comme faisant partie des principes de justice fondamentale.

 

[42]           Enfin, en ce qui a trait à la violation du droit de l’accusé à un procès public devant un tribunal impartial conformément à l’alinéa 11d) de la Charte, j’affirmerais, étant donné ma conclusion selon laquelle les discussions en cabinet ne font pas partie du procès, que la question d’une audience publique n’est donc plus pertinente.

 

[43]           En ce qui a trait à la question concernant un tribunal impartial, j’aimerais souligner l’existence d’un mécanisme tel que celui décrit à l’article 112.14 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes autorisant une partie à s’opposer à ce que le juge militaire préside à la Cour martiale, et je dois conclure que l’existence d’un tel processus assure à un accusé le respect de ce droit.

 

POUR CES MOTIFS, PAR CONSÉQUENT, LA COUR :

 

[44]      REJETTE l’opposition au juge militaire présentée par l’accusé.


 

Avocats :

 

Le Directeur des Poursuites militaires représenté par le major A.-C. Samson.

Le lieutenant-colonel D. Berntsen, Services d’avocats de la défense, avocat du caporal‑chef N.S. Edmunds

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