Cour martiale
Informations sur la décision
Résumé :
Date de l'ouverture de la révision judiciaire du maintien sous garde : 6 janvier 2009
Endroit : BFC Petawawa, édifice L-106, Petawawa (ON)
Résultats
•Le requérant a été remis en liberté sur remise d'une promesse.
Contenu de la décision
Page 1 de 8 Référence : Capitaine R.A. Semrau c. R. Dossier : AC RÉVISION JUDICIAIRE DU MAINTIEN SOUS GARDE CANADA ONTARIO BASE DES FORCES CANADIENNES PETAWAWA Date : 7 janvier 2009 SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D’AUTEUIL, J.M. LE CAPITAINE R.A. SEMRAU (Demandeur) c. SA MAJESTÉ LA REINE (Intimée) ORDONNANCE DU JUGE MILITAIRE (Prononcée de vive voix) INTRODUCTION [1] Le Capitaine R.A. Semrau a été conduit devant moi conformément à l’article 159 de la Loi sur la défense nationale (ci-après appelée LDN) afin que je tienne une audition visant à déterminer s’il doit être maintenu sous garde. [2] Les événements qui ont mené à la présente audition sont l’arrestation du Capitaine Semrau, le 30 décembre 2008, en Afghanistan, par un membre du Service national des enquêtes des Forces canadiennes (ci-après appelé SNEFC) et le dépôt d’une accusation contre lui par ce même service le 31 décembre 2008 pour une infraction punissable aux termes de l’article 130 de la LDN de meurtre au deuxième degré, en contravention du paragraphe 235(1) du Code criminel du Canada (ci-après appelé Code criminel), meurtre qui se serait produit en Afghanistan vers le 19 octobre 2008.
Page 2 de 8 LA PREUVE [3] La preuve qui m’a été soumise se compose essentiellement des faits suivants : a. La pièce n o 1, une lettre, en date du 4 janvier 2009, adressée à l’administratrice de la cour martiale et demandant la tenue d’une audition par un juge militaire relativement au maintien sous garde du Capitaine Semrau; b. La pièce n o 2, une note de service de l’officier réviseur, en date du 1 er janvier 2009, ordonnant que le Capitaine Semrau soit maintenu sous garde et conduit devant un juge militaire pour révision judiciaire de sa détention; c. La pièce n o 3, un procès-verbal de procédure disciplinaire, en date du 31 décembre 2008, relativement à l’accusation portée contre le Capitaine Semrau; d. La pièce n o 4, un exposé écrit, en date du 30 décembre 2008, relativement à l’arrestation du Capitaine Semrau; e. La pièce n o 5, un rapport de détention signé par le Capitaine Semrau le 31 décembre 2008; f. La pièce n o 6, un rapport médical, en date du 31 décembre 2008, attestant de l’aptitude physique du Capitaine Semrau à la détention; g. La pièce n o 7, une lettre, en date du 1 er janvier 2009, que le Commandant de l’Équipe de liaison et de mentorat opérationnel (ci-après appelée ELMO) a adressée au Commandant du détachement arrière du 3 RCR au sujet de l’arrestation du Capitaine Semrau; h. La pièce n o 8, un exposé conjoint des faits se rapportant aux circonstances de l’infraction qui aurait été commise par le Capitaine Semrau; i. La pièce n o 9, un deuxième exposé conjoint des faits concernant des renseignements sur la situation personnelle du Capitaine Semrau; j. La pièce n o 10, une proposition des conditions dont devrait être assortie toute promesse signée par le Capitaine Semrau advenant sa mise en liberté. k.
Page 3 de 8 LES FAITS [4] Le 30 décembre 2008, le Capitaine Robert Semrau a été arrêté par un membre du SNEFC relativement au meurtre au deuxième degré d’un rebelle blessé qui aurait été commis au cours d’une opération en Afghanistan vers le 19 octobre 2008. Au moment des événements et de son arrestation, le Capitaine Semrau était membre de l’ELMO. Un exposé écrit et un rapport de détention ont été rédigés ce jour-là, et présentés au Capitaine Semrau le lendemain. [5] Le 31 décembre 2008, une accusation a été portée contre le Capitaine Semrau. Ce même jour, l’officier réviseur a obtenu tous les documents requis et, le 1 er janvier 2009, il a décidé de maintenir la détention du Capitaine Semrau et a informé ce dernier de cette décision. En fait, étant donné la nature de l’infraction reprochée au Capitaine Semrau, l’officier réviseur n’avait pas d’autre choix selon le règlement. [6] Le fait est que, le meurtre au deuxième degré étant une infraction désignée telle qu’elle est définie à l’article 153 de la LDN parce qu’il s’agit d’une infraction punissable en vertu de l’article 130 de la LDN qui est répertoriée à l’article 469 du Code criminel, le règlement pose clairement que, devant une situation impliquant une telle infraction, l’officier réviseur doit ordonner le maintien sous garde de l’accusé et faire en sorte qu’il soit conduit devant un juge militaire pour la révision judiciaire de son maintien sous garde. [7] Le 1 er janvier 2009, l’officier réviseur a ordonné que le Capitaine Semrau soit conduit devant un juge militaire. Pour ce faire, le Capt Semrau a été ramené au Canada, plus précisément à la BFC Petawawa, où il est actuellement détenu. [8] Le 4 janvier 2009, l’administratrice de la cour martiale a été officiellement informé de l’ordonnance prononcée par l’officier réviseur, et le juge militaire en chef a immédiatement chargé un juge militaire, plus précisément moi, de la révision judiciaire du maintien sous garde. [9] Le 5 janvier 2009, j’ai tenu, avec les deux avocats, une conférence téléphonique afin de fixer la date et le lieu de cette révision judiciaire. [10] Au cours de l’après-midi du 6 janvier 2009, j’ai procédé à la révision judiciaire du maintien sous garde du Capitaine Semrau conformément à l’article 105.27 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ci-après appelé ORFC). LE DROIT APPLICABLE [11] D’abord, il importe de rappeler qu’une personne justifiable du Code de discipline militaire qui demande à être remise en liberté avant le procès est présumée
Page 4 de 8 innocente de l’infraction ou des infractions qui lui est ou lui sont reprochée(s). L’alinéa 11e) de la Charte canadienne des droits et libertés garantit le droit de ne pas être privé d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable sans juste cause et consacre l’effet de la présomption d’innocence à toute étape de révision de la détention dans le processus de justice militaire. [12] L’article 159.3 de la LDN est ainsi rédigé : (1) Malgré l’article 159.1, le juge militaire ordonne le maintien en détention lorsque la personne est accusée d’avoir commis une infraction désignée, et ce jusqu’à ce qu’elle soit traitée selon la loi, à moins qu’elle ne lui fasse valoir l’absence d’un fondement de cette mesure. (2) Lorsque la personne lui fait valoir l’absence de fondement de cette détention, il ordonne sa mise en liberté, pourvu qu’elle remette une promesse assortie des conditions mentionnées à l’article 158.6 qu’il estime indiquées, à moins qu’il ne fasse valoir des arguments contre l’application des conditions. [13] Alors, considérant que le Capitaine Semrau, la personne en détention, est accusé d’une infraction désignée, c’est à lui qu’il incombe de faire valoir l’absence de fondement de sa détention, sans quoi je devrai ordonner son maintien en détention. [14] Afin de me convaincre d’ordonner sa mise en liberté assortie de conditions, le Capitaine Semrau doit établir à ma satisfaction, selon la prépondérance des probabilités, conformément à l’article 159.2 de la LDN, que : a. sa détention n’est pas nécessaire pour assurer sa comparution devant le tribunal militaire pour y être jugé selon la loi; b. sa détention n’est pas nécessaire pour assurer la protection ou la sécurité du public, eu égard aux circonstances, y compris toute probabilité marquée que, s’il est mis en liberté, il commettra une infraction ou nuira à l’administration de la justice. [15] L’alinéa 159.2c) de la LDN énonce un troisième critère qu’il ne faut pas appliquer, selon moi, principalement en raison de l’arrêt prononcé par la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Hall [2002] 3 R.C.S. 309. [16] L’alinéa 159.2c) de la LDN est ainsi rédigé : c) d’une autre juste cause, eu égard aux circonstances, notamment le fait que l’accusation paraît fondée, la gravité de l’infraction, les circonstances entourant sa perpétration et le fait
Page 5 de 8 que la personne encourt, en cas de condamnation, une longue peine d’emprisonnement. Il importe de dire que cet alinéa ne renvoie à aucune notion précise comme la confiance envers l’administration de la justice. Cette notion précise peut être incluse dans la catégorie plus générale concernant « une autre juste cause », mais, contrairement au libellé antérieur ou actuel de l’alinéa 515.10c) du Code criminel, cette notion précise n’a jamais été envisagée dans la LDN. [17] Dans l’arrêt Hall, mentionné précédemment, la partie de l’alinéa 515(10)c) du Code criminel, dans sa version de l’époque, qui permettait la détention « [s’]il est montré une autre juste cause » a été jugée inconstitutionnelle, et ces mots ont été radiés de la disposition applicable. Parce qu’ils conféraient au juge un pouvoir discrétionnaire illimité de refuser d’accorder la mise en liberté sous caution, les mots contestés ont été considérés incompatibles avec l’al. 11e) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantit le droit « de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable » et avec la présomption d’innocence. Selon un principe de justice fondamental, un individu ne peut pas être détenu en vertu d’une disposition législative imprécise. [18] Le libellé de l’alinéa 159.2c) de la LDN étant identique - « une autre juste cause »- , il me serait difficile de donner effet à un tel alinéa, compte tenu du fait qu’il reprend le libellé qui était utilisé dans l’alinéa 515(10)c) du Code criminel et qui a été déclaré inconstitutionnel par la Cour suprême du Canada pour cause d’imprécision. [19] Compte tenu de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hall, précédemment mentionné, je n’ai d’autre choix que de ne pas tenir compte de l’application du critère énuméré à l’alinéa 159.2c) de la LDN. [20] Ayant pris connaissance des critères juridiques applicables, je vais maintenant examiner les questions en litige qui me sont soumises et aborder les principes juridiques. ANALYSE [21] Je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le maintien sous garde du Capitaine Semrau n’est pas nécessaire pour assurer sa comparution devant le tribunal militaire pour y être jugé selon la loi. [22] En fait, le Capitaine Semrau a avancé en preuve le fait qu’il n’a aucun dossier disciplinaire ou criminel, que ce soit avec les Forces canadiennes ou avec les Forces britanniques. Il a été libéré de l’Armée britannique avec honneur. Il est marié, il
Page 6 de 8 a un enfant et il peut compter sur des liens familiaux solides. Il est citoyen canadien et il est prêt à remettre tout passeport qu’il peut avoir en sa possession. Il prévoit demeurer dans la résidence familiale que lui et son épouse ont achetée en juillet 2008, à Pembrooke. Il entend demeurer sous autorité militaire et il travaillera à son unité, la 3 RCR, en attendant la suite des événements. De plus, la représentante des Forces canadiennes ne considère pas que le Capitaine Semrau représente un risque de fuite. [23] Je suis également convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le maintien sous garde du Capitaine Semrau n’est pas nécessaire pour assurer la protection ou la sécurité du public, eu égard aux circonstances, y compris toute probabilité marquée que, s’il est mis en liberté, il commettra une infraction ou nuira à l’administration de la justice. [24] L’événement sur lequel repose l’accusation portée contre lui présente des circonstances exceptionnelles très particulières et s’inscrit dans un contexte précis. En fait, cet événement se serait produit dans un environnement hostile, à la suite d’une contre-attaque lancée pour répondre à une embuscade tendue par quelques insurgées et dans laquelle était tombée son équipe. Avant tout, cet événement s’est produit dans un contexte opérationnel sur un théâtre des opérations. Il y a lieu de mentionner également que, considérant sa conduite passée et actuelle dans l’armée et son intention d’accepter et de respecter les conditions que je pourrais lui imposer pour le remettre en liberté, je ne crois pas qu’il nuira d’une quelconque manière à l’administration de la justice. J’ai cru comprendre que la représentante des Forces canadiennes partage mon opinion et elle croit fermement que le Capitaine Semrau ne constitue pas un danger pour le public ni qu’il nuira à l’administration de la justice. [25] Comme je n’ai pas à analyser un troisième critère, je conclus que le Capitaine Semrau a fait valoir, selon la prépondérance des probabilités, l’absence de fondement de sa détention. [26] Même si j’ai décidé de ne pas examiner un troisième critère, je voudrais ajouter que la gravité de la nature de l’infraction ne justifierait pas, en soi, comme il est bien reconnu dans différents précédents, de maintenir la détention du Capitaine Semrau. Comme je l’ai mentionné précédemment, les circonstances de cette infraction s’inscrivent dans un contexte précis et sont vraiment exceptionnelles. Il importe également d’ajouter qu’une enquête est en cours à ce sujet et que la procédure disciplinaire en est à ses premières étapes, l’accusation portée n’en étant qu’au niveau de la chaîne de commandement, et elle n’a pas encore été soumise au directeur des poursuites militaires afin de savoir s’il y aura mise en accusation. Si j’avais dû examiner ce critère j’aurais été d’avis que le Capitaine Semrau avait fait la preuve, selon la prépondérance des probabilités, que lui refuser une mise en liberté sous caution dans le présent cas n’était pas nécessaire pour maintenir la confiance du public dans l’administration du système de justice militaire.
Page 7 de 8 DISPOSITIF [27] Veuillez vous lever Capitaine Semrau. Voici quelle est ma décision : j’estime, en me fondant sur les éléments mentionnés précédemment, que votre maintien sous garde n’est pas nécessaire. [28] Par conséquent, j’ordonne que vous soyez mis en liberté sur remise d’une promesse de respecter les conditions suivantes : a. demeurer sous autorité militaire; b. rester au Canada; c. remettre à l’officier commandant du détachement de la Police militaire de la BFC Petawawa tout passeport qui vous a été délivré; d. résider au 530, rue Mary, Pembrooke, province de l’Ontario; e. avertir l’officier commandant du détachement de la Police militaire de la BFC Petawawa 48 heures à l’avance de tout changement d’adresse résidentielle ou de numéro de téléphone de ligne terrestre; f. s’abstenir de communiquer directement ou indirectement avec : i. L’adjudant-maître D.E. Fisher; ii. Le soldat J.S. Fournier; iii. L’adjudant J.M. Longaphie; iv. Le major S.J.V. Nolan; v. Le capitaine A.R. Walker; vi. Tout ressortissant afghan qui a fait partie ou fait partie de l’Équipe de liaison et de mentorat opérationnel (ELMO) de la Force opérationnelle interarmées - Afghanistan. Il reste entendu, cependant, que cette condition n’empêche pas votre avocat de rencontrer toute personne mentionnée précédemment dans sa préparation de la procédure disciplinaire vous concernant;
Page 8 de 8 g. s’abstenir d’avoir en sa possession des armes à feu, arbalètes, armes prohibées, armes à autorisation restreinte, dispositifs prohibés, munitions, munitions prohibées et substances explosives, y compris dans le cadre de l’exercice de ses fonctions en tant que membre des Forces canadiennes. [29] L’instance concernant la révision judiciaire du maintien sous garde du Capitaine Robert A. Semrau est terminée. LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D’AUTEUIL, J.M. AVOCATS : La Major M.M.M. Trudel, Direction des poursuites militaires Représentante des Forces canadiennes Le Major S.J. Turner, Direction du service d’avocats de la défense Représentant du Capitaine R.A. Semrau, personne sous garde
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