Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 22 octobre 2013.

Endroit : BFC Shilo, aménagements pour lectures d’entraînement, édifice C106, 106 chemin Patricia, Shilo (MB).

Chefs d’accusation

• Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, décharger une arme à feu avec une intention particulière (art. 244 C. cr.).
• Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 130 LDN, décharger une arme à feu avec insouciance (art. 244.2 C. cr.).
• Chef d’accusation 3 (subsidiaire au chef d’accusation 4) : Art. 130 LDN, décharger une arme à feu avec une intention particulière (art. 244 C. cr.).
• Chef d’accusation 4 (subsidiaire au chef d’accusation 3) : Art. 130 LDN, décharger une arme à feu avec insouciance (art. 244.2 C. cr.).
• Chef d’accusation 5 : Art. 130 LDN, voies de fait graves (art. 268 C. cr.).
• Chef d’accusation 6 : Art. 130 LDN, usage d’une arme à feu lors de la perpétration d’une infraction (art. 85(1) C. cr.).
• Chef d’accusation 7 : Art. 130 LDN, port d’une arme dissimulée (art. 90 C. cr.).
• Chef d’accusation 8 : Art. 130 LDN, possession d’une arme à feu dans un lieu non autorisé (art. 93 C. cr.).
• Chef d’accusation 9 : Art. 130 LDN, possession d’une arme à feu chargé à autorisation restreinte (art. 95 C. cr.).

Résultats

• VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 4, 5, 6, 9: Coupable. Chef d’accusation 2, 3, 7, 8: Retirés.
• SENTENCE : Emprisonnement pour une période de six ans et destitution du service de Sa Majesté.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

Référence : R. c. Stillman, 2013 CM 4028

Date : 20131023

Dossier : 201322

Cour martiale permanente

Base des Forces canadiennes Shilo
Shilo (Manitoba) Canada

Entre :

Sa Majesté la Reine

- et -

Caporal-chef C.J. Stillman, accusé

Devant : Lieutenant-Colonel J-G Perron, J.M.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE LA DÉCISION


(Prononcés de vive voix)

[1]               Le caporal-chef Stillman est accusé d’avoir déchargé une arme à feu avec une intention particulière, en contravention de l’article 244 du Code criminel du Canada; d’avoir déchargé une arme à feu avec insouciance, en contravention de l’article 244.2 du Code criminel; de voies de fait graves, en contravention de l’article 268 du Code criminel; d’usage d’une arme à feu lors de la perpétration d’une infraction, en contravention de l’article 85 du Code criminel; et de possession d’une arme à feu à autorisation restreinte avec des munitions, en contravention de l’article 95 du Code criminel. Chaque accusation a été portée en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale. L’accusé a plaidé non coupable à chacune des accusations.

[2]               Avant que la Cour n’analyse la preuve et les accusations, il convient d’aborder la présomption d’innocence et la norme de preuve au-delà de tout doute raisonnable. Quoique ces principes soient bien connus des avocats, ce n’est peut-être pas le cas des autres personnes présentes dans la salle d’audience.

[3]               La présomption d’innocence est probablement le principe le plus fondamental de notre droit criminel, et la norme de preuve au-delà de tout doute raisonnable en est une composante essentielle. Dans les affaires régies par le Code de discipline militaire, comme dans celles qui relèvent du droit criminel canadien, toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que la poursuite prouve sa culpabilité au-delà de tout doute raisonnable. L’accusé n’a pas à prouver qu’il est innocent. C’est à la poursuite qu’il revient d’établir chaque élément de l’infraction au-delà de tout doute raisonnable. L’accusé est présumé innocent tout au long du procès jusqu’à ce que le juge des faits prononce le verdict.

[4]               La norme de preuve au-delà de tout doute raisonnable ne s’applique pas aux éléments individuels ou distincts de la preuve qui fondent les arguments de la poursuite, mais à l’ensemble de la preuve sur laquelle elle s’appuie pour établir la culpabilité. Le fardeau de prouver la culpabilité de l’accusé au-delà de tout doute raisonnable incombe à la poursuite et n’est jamais transféré à l’accusé. Si, après avoir examiné l’ensemble de la preuve, le tribunal a un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé, il doit le déclarer non coupable.

[5]               Un doute raisonnable n’est ni fantaisiste ni frivole. Il ne repose ni sur la compassion ni sur des préjugés, mais sur la raison et le sens commun. Il surgit à la fin de l’instance non seulement sur la base de ce que la preuve révèle à la Cour, mais aussi de ce qu’elle ne révèle pas. Le fait qu’une personne ait été accusée n’est en rien un signe de sa culpabilité. La norme du doute raisonnable tient beaucoup plus à la certitude absolue qu’à la preuve selon la prépondérance des probabilités.

[6]               D’autre part, il convient de rappeler qu’il est presque impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. La poursuite n’est pas tenue de le faire. La certitude absolue est une norme de preuve qui n’existe pas en droit. Il incombe seulement à la poursuite de prouver la culpabilité de l’accusé, en l’espèce le caporal-chef Stillman, au-delà de tout doute raisonnable. Pour mettre les choses en perspective, si la Cour était ou aurait été convaincue que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, ce dernier serait acquitté puisque la preuve d’une culpabilité probable ou vraisemblable n’est pas une preuve de culpabilité au-delà de tout doute raisonnable.

[7]               La preuve peut être constituée des dépositions livrées sous serment ou affirmation solennelle par des témoins devant la Cour au sujet de ce qu’ils ont observé ou de ce qu’ils ont fait. Il peut s’agir de documents, de photographies, de cartes ou d’autres éléments introduits par les témoins, de la déposition de témoins experts, d’admissions formelles de faits venant de la poursuite ou de la défense, ou de questions dont la Cour a une connaissance judiciaire.

[8]               Ayant rappelé le fardeau et la norme de preuve, j’aborderai à présent les questions dont la Cour est saisie. La preuve présentée en l’espèce est principalement composée de ce qui suit : des éléments dont la Cour a pris judiciairement connaissance, des aveux judiciaires et des pièces. La Cour a pris judiciairement connaissance des faits et questions conformément à l’article 15 des Règles militaires de la preuve. L’accusé a fait un aveu judiciaire aux termes de l’alinéa 37b) des Règles militaires de la preuve, versé en pièce 3. La poursuite a également présenté quatre autres pièces.

[9]               L’alinéa 37b) des Règles militaires de la preuve prévoit :

37. Lorsque, dans le cours de son procès, l’accusé choisit de faire une admission complète ou partielle de faits incriminants à l’égard d’une infraction pour laquelle il subit un procès, il peut faire des aveux judiciaires

[…]

b) après avoir nié sa culpabilité, sans égard au fait qu’il décide aussi de déposer ou non comme témoin sous serment, en admettant personnellement ou par l’intermédiaire de son procureur ou de l’officier qui le défend, aux fins de se dispenser de la preuve, un fait que le procureur à charge doit prouver; […]

[10]           Le deuxième paragraphe de l’article 38 des Règles militaires de la preuve prévoit :

(2) Si l’accusé, après avoir nié sa culpabilité, reconnaît, autrement que dans le cours de son propre témoignage, un fait allégué contre lui, la cour peut accepter cette reconnaissance comme preuve définitive du fait en cause.

[11]           L’accusation no 1 allègue que le caporal-chef Stillman a déchargé une arme à feu avec une intention particulière en contravention de l’article 244 du Code criminel. Les détails de l’accusation se lisent comme suit : [traduction] « En ce que, le ou vers le 29 juillet 2012, à la base des Forces canadiennes Shilo (Manitoba) ou à proximité, il a déchargé une arme à feu à autorisation restreinte dans l’intention de blesser, de mutiler, de défigurer le bombardier Trimm, S.P., ou de mettre sa vie en danger ».

[12]           Il incombait à la poursuite de prouver les éléments essentiels suivants de l’infraction au-delà de tout doute raisonnable :

a)                  l’identité de l’accusé comme contrevenant à la date et au lieu allégués dans l’acte d’accusation;

b)                  le caporal-chef Stillman a utilisé une arme à feu;

c)                  il s’agissait d’une arme à feu à autorisation restreinte;

d)                  le caporal-chef Stillman a intentionnellement déchargé une arme à feu sur le bombardier Trimm;

e)                  en déchargeant l’arme à feu, le caporal-chef Stillman avait l’intention de blesser, de mutiler, de défigurer le bombardier Trimm ou de mettre sa vie en danger.

[13]           D’après l’aveu judiciaire versé en pièce 3, vers 0600 heures le 29 juillet 2012, le caporal-chef Stillman se trouvait à l’unité de logement résidentiel (ULR) sise au 53, avenue Kingston, BFC Shilo. Les bombardiers Trimm et Cote partageaient cette URL, voir les paragraphes 4 et 6 de la pièce 3. La BFC Shilo se trouve au Manitoba, voir le paragraphe 2 de la pièce 3.

Cette preuve établit, au-delà de tout doute raisonnable, la date et le lieu de chaque infraction, tels qu’ils sont allégués dans l’acte d’accusation. Le caporal-chef Stillman a reconnu avoir tiré sur les bombardiers Trimm et Cote, voir le paragraphe 16 de la pièce 3. Cette preuve établit, au-delà de tout doute raisonnable, que le caporal-chef Stillman est le contrevenant.

[14]           Le caporal-chef Stillman a-t-il utilisé une arme à feu? Une arme à feu est une arme munie d’un canon à partir duquel un coup, une balle ou un autre objet peut être déchargé, et dont l’utilisation peut tuer ou gravement blesser quelqu’un. Le caporal-chef Stillman a reconnu que le pistolet dont il s’est servi pour tirer sur les bombardiers Trimm et Cote était un modèle Remington 1911R1 semi-automatique de calibre .45. Le 29 juillet 2012, ce pistolet fonctionnait parfaitement, voir le paragraphe 16 de la pièce 3. Cette preuve établit au-delà de tout doute raisonnable que le caporal-chef Stillman a utilisé une arme à feu pour chacune des infractions, tel qu’il est allégué dans l’acte d’accusation.

[15]           S’agissait-il d’une arme à feu à autorisation restreinte? Ce type d’arme est ainsi défini à l’article 84 du Code criminel :

a) Toute arme de poing qui n’est pas une arme à feu prohibée;

b) toute arme à feu — qui n’est pas une arme à feu prohibée — pourvue d’un canon de moins de 470 mm de longueur qui peut tirer des munitions à percussion centrale d’une manière semi-automatique;

c) toute arme à feu conçue ou adaptée pour tirer lorsqu’elle est réduite à une longueur de moins de 660 mm par repliement, emboîtement ou autrement;

d) toute arme à feu désignée comme telle par règlement.

[16]           Le caporal-chef Stillman a reconnu que son pistolet est une arme de poing et une arme à feu à autorisation restreinte au sens de l’article 84 du Code criminel, voir le paragraphe 16 de la pièce 3. La preuve dont la Cour dispose établit au-delà de tout doute raisonnable que le pistolet utilisé par le caporal-chef Stillman était une arme à feu à autorisation restreinte.

[17]           Le caporal-chef Stillman a-t-il intentionnellement déchargé une arme à feu sur le bombardier Trimm? Pour que l’arme à feu ait été intentionnellement déchargée sur quelqu’un, son utilisateur doit l’avoir délibérément, plutôt qu’accidentellement, pointée dans la direction de cette personne et fait feu. Il n’est pas nécessaire que la balle tirée du pistolet frappe ou blesse quelqu’un. Le juge des faits doit examiner toutes les circonstances liées à l’utilisation de l’arme à feu et user de bon sens pour trancher cette question.

[18]           Le bombardier Trimm buvait avec le caporal-chef Stillman à l’ULR 53 jusqu’à ce qu’une dispute éclate. Le bombardier Trimm a demandé au caporal-chef Stillman de s’en aller, mais celui-ci a refusé. Le bombardier Trimm l’a alors frappé plusieurs fois à la tête, provoquant des coupures, des ecchymoses, et la tuméfaction d’un des yeux du caporal-chef Stillman. Le bombardier Trimm lui a alors répété de s’en aller et le caporal-chef Stillman s’est exécuté. Après cette bagarre, les bombardiers Trimm et Cote sont descendus au rez-de-chaussée de l’ULR 53 et ont regardé la télévision. Juste avant 0600 heures, le caporal-chef Stillman est revenu et est entré par la porte de devant sans frapper. Les bombardiers Trimm et Cote étaient dans le salon lorsqu’il est entré. En voyant le visage ensanglanté et ecchymosé de ce dernier, le bombardier Trimm s’est excusé pour ce qu’il avait fait. Le caporal-chef Stillman a réclamé son téléphone portable, qu’il avait laissé dans le sous-sol de l’ULR. Le bombardier Trimm est descendu au sous-sol le chercher. Lorsqu’il l’a remis au caporal-chef Stillman, l’écran était brisé parce que le bombardier Trimm l’avait jeté par terre dans le sous-sol. Le caporal-chef Stillman se tenait debout juste à l’entrée du salon, près de la porte de l’ULR. Lorsqu’il a récupéré son téléphone, le caporal-chef Stillman s’est tourné vers la porte de devant pour s’en aller, puis il a dit [traduction] « Ah oui », a fait un mouvement vers la ceinture de son short, a tiré un pistolet, est retourné dans le salon et a immédiatement tiré sur le bombardier Trimm à moins d’un mètre de distance. Ni lui ni le bombardier Cote n’avaient vu l’arme à feu avant que le caporal-chef Stillman ne la sorte, et ils ne s’imaginaient pas qu’il en possédait une ou qu’il avait l’intention de tirer sur l’un d’eux. Le coup que le caporal-chef Stillman a tiré sur le bombardier Trimm l’a atteint à la cuisse gauche, juste au-dessus du genou, et la balle est ressortie par le mollet gauche. La balle a causé à la fois une blessure d’entrée et de sortie à la jambe du bombardier Trimm, ainsi qu’une hémorragie importante. Ce dernier a été transporté ensuite en ambulance au Brandon Regional Health Centre en vue d’un traitement médical d’urgence, voir les paragraphes 4 à 9 de la pièce 3. Cette preuve établit au-delà de tout doute raisonnable que le caporal-chef Stillman a intentionnellement déchargé une arme à feu sur le bombardier Trimm.

[19]           Le caporal-chef Stillman avait-il l’intention de blesser, de mutiler, de défigurer le bombardier Trimm ou de mettre sa vie en danger lorsqu’il a déchargé l’arme à feu? La poursuite n’a pas à prouver toutes ces intentions; l’une d’elles suffit. Pour déterminer l’intention du caporal-chef Stillman, la Cour doit examiner l’ensemble de la preuve, notamment tout ce qui s’est dit ou fait dans les circonstances. La Cour peut déduire, en vertu du bon sens, qu’une personne connaît généralement les conséquences prévisibles de ses actes et des moyens dont elle se sert pour les accomplir. Cependant, la Cour n’a pas à tirer une telle inférence au sujet du caporal-chef Stillman. Elle doit d’ailleurs se garder de le faire si l’ensemble de la preuve fait naître dans son esprit un doute raisonnable quant à la question de savoir s’il avait l’une de ces intentions.

[20]           L’intention de blesser consiste à causer des lésions de nature à pénétrer, couper, percer ou déchirer la peau ou quelque partie du corps. Ce doit être plus qu’une chose insignifiante, fugace ou mineure, comme une égratignure. L’intention de mutiler est celle de paralyser, d’estropier quelqu’un ou de le rendre infirme. L’intention de défigurer est celle de déformer ou d’altérer l’aspect de quelqu’un. L’intention de mettre la vie d’autrui en danger est celle de mettre quelqu’un dans une situation ou un état qui peut causer sa mort.

[21]           Le caporal-chef Stillman a tiré un coup de feu sur le bombardier Trimm à moins d’un mètre de distance. Ce coup l’a atteint à la cuisse gauche, juste au-dessus du genou, et la balle est ressortie par le mollet gauche. La preuve dont la Cour dispose établit au-delà de tout doute raisonnable que le caporal-chef Stillman connaissait les conséquences prévisibles de ses actes et des moyens dont il s’est servi pour les accomplir. Il a décidé de tirer sur le bombardier Trimm avec un pistolet de calibre .45 et son intention était de le blesser. Il a également eu l’intention de mettre la vie du bombardier Trimm en danger lorsqu’il l’a mis dans une situation ou dans un état qui pouvait causer sa mort.

[22]           La Cour conclut que le procureur a prouvé cette infraction au-delà de tout doute raisonnable.

[23]           L’accusation no 4 allègue que le caporal-chef Stillman a déchargé une arme à feu avec insouciance en contravention de l’article 244.2 du Code criminel. Les détails de l’accusation sont les suivants : [traduction] « En ce que, le ou vers le 29 juillet 2012, à la base des Forces canadiennes Shilo (Manitoba) ou à proximité, il a déchargé une arme à feu à autorisation restreinte en faisant preuve d’insouciance envers la vie ou la sécurité du bombardier Cote, G.M. ».

[24]           La poursuite devait prouver les éléments essentiels suivants de l’infraction au-delà de tout doute raisonnable :

a)                  l’identité de l’accusé en tant que contrevenant à la date et au lieu allégués dans l’acte d’accusation;

b)                  le caporal-chef Stillman a utilisé une arme à feu;

c)                  il s’agissait d’une arme à feu à autorisation restreinte;

d)                  le caporal-chef Stillman a intentionnellement déchargé une arme à feu;

e)                  en déchargeant l’arme à feu, le caporal-chef Stillman a fait preuve d’insouciance envers la vie ou la sécurité du bombardier Cote.

[25]           Pour les motifs énoncés relativement à l’accusation no 1, la Cour conclut que la preuve établit au-delà de tout doute raisonnable l’identité de l’accusé comme contrevenant, à la date et au lieu allégués dans l’acte d’accusation, et que le caporal-chef Stillman a utilisé une arme à feu à autorisation restreinte.

[26]           Le caporal-chef Stillman a-t-il intentionnellement déchargé l’arme à feu? Après avoir tiré sur le bombardier Trimm, il a quitté l’ULR 53, a traversé la cour avant et s’est engagé dans la rue. Le bombardier Cote s’est servi de son téléphone portable pour composer le 9-1-1 tout en suivant le caporal-chef Stillman à l’extérieur et en lui criant après. Le bombardier Cote se tenait en haut des marches, immédiatement devant la porte d’entrée de l’ULR 53, lorsque le caporal-chef Stillman s’est retourné vers lui et a tiré un autre coup avec son pistolet. Le caporal-chef Stillman était dans la rue, à 30 ou 40 mètres environ du bombardier Cote, lorsqu’il lui a tiré dessus. La preuve établit au-delà de tout doute raisonnable que le caporal-chef Stillman a intentionnellement déchargé une arme à feu sur le bombardier Cote.

[27]           Le caporal-chef Stillman a-t-il fait preuve d’insouciance envers la vie ou la sécurité du bombardier Cote lorsqu’il a déchargé son arme à feu? La Cour suprême du Canada a défini l’insouciance en ces termes :

[…] l’insouciance comporte la connaissance d’un danger ou d’un risque et la persistance dans une conduite qui engendre le risque que le résultat prohibé se produise […] La culpabilité dans le cas d’insouciance se justifie par la prise de conscience du risque et par le fait d'agir malgré celui‑ci […].

Voir Sansregret c. La Reine, [1985] 1 RCS 570, page 584.

[28]           La balle que le caporal-chef Stillman a tirée sur le bombardier Cote l’a manqué de peu. Elle a traversé la porte d’entrée de l’ULR et a ensuite été retrouvée par les enquêteurs dans la penderie du hall d’entrée de l’ULR. La preuve établit au-delà de tout doute raisonnable que le caporal-chef Stillman a fait preuve d’insouciance envers la vie ou la sécurité du bombardier Cote lorsqu’il a déchargé l’arme à feu.

[29]           La Cour conclut que le procureur a prouvé cette infraction au-delà de tout doute raisonnable.

[30]           L’accusation no 5 allègue que le caporal-chef Stillman a commis des voies de fait graves en contravention de l’article 268 du Code criminel. Les détails de l’accusation se lisent comme suit : [traduction] « En ce que, le ou vers le 29 juillet 2012, à la base des Forces canadiennes Shilo (Manitoba) ou à proximité, il a blessé le bombardier Trimm, S.P. en tirant sur lui, commettant ainsi des voies de fait graves ».

[31]           La poursuite devait prouver les éléments essentiels suivants de l’infraction au-delà de tout doute raisonnable :

a)                  l’identité de l’accusé comme contrevenant à la date et au lieu allégués dans l’acte d’accusation;

b)                  le caporal-chef Stillman a employé la force contre le bombardier Trimm;

c)                  cet usage de la force était intentionnel;

d)                  le bombardier Trimm n’a pas consenti à ce que le caporal-chef Stillman emploie la force;

e)                  le caporal-chef Stillman savait que le bombardier Trimm n’avait pas consenti à ce qu’il emploie la force;

f)                    la force que le caporal-chef Stillman a employée contre le bombardier Trimm a blessé ce dernier.

[32]           Pour les motifs énoncés relativement à l’accusation no 1, la Cour conclut que la preuve établit au-delà de tout doute raisonnable l’identité de l’accusé comme contrevenant à la date et au lieu allégués dans l’accusation.

[33]           Le caporal-chef Stillman a-t-il employé la force contre le bombardier Trimm? La force inclut tout contact physique avec une autre personne, même délicat. Le contact peut être direct, par exemple lorsque l’on touche une personne de la main ou avec une autre partie du corps, ou indirect, par exemple lorsque l’on touche quelqu’un avec un objet.

[34]           Le caporal-chef Stillman a tiré sur le bombardier Trimm et l’a atteint d’une balle dans la cuisse et le mollet. Le caporal-chef Stillman a touché le bombardier Trimm avec la balle de son pistolet. La preuve établit au-delà de tout doute raisonnable que le caporal-chef Stillman a employé la force contre le bombardier Trimm.

[35]           Le caporal-chef Stillman a-t-il intentionnellement employé la force? Le contact physique doit être intentionnel plutôt qu’accidentel. La Cour a déjà conclu que la preuve établit au-delà de tout doute raisonnable que le caporal-chef Stillman a intentionnellement déchargé une arme à feu sur le bombardier Trimm. La Cour conclut que le caporal-chef Stillman a intentionnellement employé la force.

[36]           Le bombardier Trimm a-t-il consenti à ce que le caporal-chef Stillman emploie la force? Pour déterminer s’il a consenti à un contact physique, la Cour doit examiner son état d’esprit et considérer l’ensemble de la preuve, notamment les circonstances ayant entouré le contact physique entre le caporal-chef Stillman et le bombardier Trimm. La Cour doit tenir compte de toutes les paroles et de tous les gestes du caporal-chef Stillman ou du bombardier Trimm, et de toute manifestation de l’état d’esprit du bombardier Trimm à ce moment-là. Le fait que ce dernier n’ait pas résisté ne signifie pas qu’il a consenti aux actions du caporal-chef Stillman. Le consentement requiert l’acquiescement volontaire du bombardier Trimm au contact physique, sans l’influence de la force, de menaces, de la peur, de la fraude ou d’un abus d’autorité.

[37]           Le caporal-chef Stillman s’est dirigé vers la porte d’entrée pour s’en aller, puis il a déclaré [traduction] « Ah oui », a fait un geste vers la ceinture de son short, en a tiré le pistolet, est retourné dans le salon et a immédiatement tiré un coup de feu sur le bombardier Trimm à moins d’un mètre de distance. Ni lui ni le bombardier Cote n’avaient vu l’arme à feu avant que le caporal-chef Stillman ne la sorte, et ils ne s’imaginaient pas qu’il en possédait une ou qu’il avait l’intention de tirer sur l’un d’eux; voir le paragraphe 9. La preuve établit au-delà de tout doute raisonnable que le bombardier Trimm n’a pas consenti à la force employée par le caporal-chef Stillman.

[38]           Le caporal-chef Stillman savait-il que le bombardier Trimm n’avait pas consenti à la force qu’il a employée? Pour prouver que ce dernier savait que le bombardier Trimm n’avait pas donné son consentement, le procureur doit prouver l’un des éléments suivants :

a)                  le caporal-chef Stillman savait effectivement que le bombardier Trimm n’avait pas donné son consentement;

b)                  le caporal-chef Stillman savait qu’il y avait un risque que le bombardier Trimm n’ait pas donné son consentement, mais il a persisté au mépris de ce risque;

c)                  le caporal-chef Stillman savait par certains signes que le bombardier Trimm n’avait pas donné son consentement, mais il a délibérément choisi de les ignorer parce qu’il ne voulait pas connaître la vérité.

L’un de ces éléments suffit pour établir que le caporal-chef Stillman savait que le bombardier Trimm n’avait pas donné son consentement.

[39]           Toute personne raisonnable sait qu’il est improbable qu’un individu consente à ce qu’on lui tire dessus. Le caporal-chef Stillman n’a pas demandé son consentement au bombardier Trimm; il a simplement pointé son pistolet sur lui et a tiré. La preuve établit au-delà de tout doute raisonnable que le caporal-chef Stillman savait que le bombardier Trimm n’avait pas consenti à la force qu’il a employée.

[40]           La force que le caporal-chef Stillman a employée contre le bombardier Trimm a‑t‑elle blessé ce dernier? « Blesser » signifie causer des lésions de nature à pénétrer, couper, percer ou déchirer la peau ou quelque partie du corps. Ce doit être plus qu’une chose insignifiante, fugace ou mineure, comme une égratignure.

[41]           Le procureur doit prouver au-delà de tout doute raisonnable que la conduite du caporal-chef Stillman a contribué significativement à la blessure du bombardier Trimm. Il ne lui revient pas de prouver au-delà de tout doute raisonnable que le caporal-chef Stillman avait l’intention de le blesser lorsqu’il a eu un contact physique avec le bombardier Trimm. Cependant, il doit établir que toute personne raisonnable dans les circonstances conviendrait que le contact physique initié par le caporal-chef Stillman risquait probablement d’entraîner des lésions corporelles pour le bombardier Trimm, pas nécessairement du type précis de celles qu’il a subies en l’espèce. Une « lésion corporelle » désigne toute blessure qui compromet la santé ou le confort d’une personne. Ce doit être plus qu’une atteinte brève ou fugace ou de nature mineure.

[42]           Le coup que le caporal-chef Stillman a tiré sur le bombardier Trimm l’a atteint à la cuisse gauche, juste au-dessus du genou, et la balle est ressortie par le mollet gauche. Elle a causé une blessure d’entrée et de sortie à la jambe du bombardier Trimm ainsi qu’une hémorragie importante. Ce dernier a été transporté ultérieurement en ambulance au Brandon Regional Health Centre en vue d’un traitement médical d’urgence. La preuve établit au-delà de tout doute raisonnable que la force employée par le caporal-chef Stillman contre le bombardier Trimm a blessé ce dernier.

[43]           La Cour conclut que le procureur a prouvé cette infraction au-delà de tout doute raisonnable.

[44]           L’accusation no 6 allègue que le caporal-chef Stillman a utilisé une arme à feu lors de la perpétration d’une infraction, en contravention du paragraphe 85(1) du Code criminel. Les détails de l’accusation se lisent comme suit :

[traduction] En ce que, le ou vers le 29 juillet 2012, à la base des Forces canadiennes Shilo (Manitoba) ou à proximité, il a utilisé une arme à feu, à savoir une arme de poing, dans la perpétration de l’acte criminel de voies de fait graves.

[45]           Il revenait à la poursuite de prouver les éléments essentiels suivants de l’infraction au-delà de tout doute raisonnable :

a)                  l’identité de l’accusé comme contrevenant à la date et au lieu allégués dans l’acte d’accusation;

b)                  le caporal-chef Stillman a commis l’acte criminel de voies de fait graves;

c)                  le caporal-chef Stillman a utilisé une arme à feu;

d)                  le caporal-chef Stillman a utilisé une arme à feu dans la perpétration de l’acte de voies de fait graves.

[46]           Pour les motifs énoncés relativement à l’accusation no 1, la Cour conclut que la preuve établit au-delà de tout doute raisonnable l’identité de l’accusé comme contrevenant à la date et au lieu allégués dans l’accusation.

[47]           Le caporal-chef Stillman a-t-il commis l’acte criminel de voies de fait graves? La Cour a déjà conclu que le procureur avait prouvé l’infraction de voies de fait graves au-delà de tout doute raisonnable.

[48]           Le caporal-chef Stillman a-t-il utilisé une arme à feu? La Cour a déjà conclu que le procureur avait prouvé au-delà de tout doute raisonnable que le caporal-chef Stillman s’était servi d’une arme à feu.

[49]           Le caporal-chef Stillman a-t-il utilisé une arme à feu dans la perpétration de l’infraction de voies de fait graves? La Cour a déjà conclu que le caporal-chef Stillman a tiré sur le bombardier Trimm à la jambe lorsqu’il l’a agressé. La preuve établit au-delà de tout doute raisonnable que le caporal-chef Stillman a utilisé une arme à feu dans la perpétration de l’infraction de voies de fait graves.

[50]           La Cour conclut que le procureur a prouvé cette infraction au-delà de tout doute raisonnable.

[51]           L’accusation no 9 allègue que le caporal-chef Stillman était en possession d’une arme à feu à autorisation restreinte avec des munitions, en contravention de l’article 95 du Code criminel. Les détails de l’accusation se lisent comme suit :

[traduction] En ce que, le ou vers le 29 juillet 2012, à la base des Forces canadiennes Shilo (Manitoba) ou à proximité, il était en possession d’une arme à feu à autorisation restreinte avec des munitions, à savoir une arme de poing qu’il n’était pas autorisé à posséder dans ce lieu.

[52]           La poursuite devait prouver les éléments essentiels suivants de cette infraction au-delà de tout doute raisonnable :

a)                  l’identité de l’accusé comme contrevenant à la date et au lieu allégués dans l’acte d’accusation;

b)                  le caporal-chef Stillman était en possession d’une arme à feu avec des munitions;

c)                  il s’agissait d’une arme à feu à autorisation restreinte;

d)                  le caporal-chef Stillman ne détenait ni autorisation ni permis de posséder l’arme à feu dans ce lieu, ni le certificat d’enregistrement de cette arme.

[53]           Pour les motifs énoncés relativement à l’accusation no 1, la Cour conclut que la preuve établit au-delà de tout doute raisonnable l’identité de l’accusé comme contrevenant à la date et au lieu allégués dans l’accusation.

[54]           Le caporal-chef Stillman était-il en possession d’une arme à feu avec des munitions? Le caporal-chef Stillman a tiré deux coups de feu avec son pistolet. L’une des balles a atteint le bombardier Trimm à la jambe et l’autre a traversé la porte qui se trouvait juste derrière le bombardier Cote. La preuve établit au-delà de tout doute raisonnable que le caporal-chef Stillman était en possession d’une arme à feu avec des munitions.

[55]           S’agissait-il d’une arme à feu à autorisation restreinte? Pour les motifs se rapportant à l’accusation no 1, la Cour conclut que la preuve établit au-delà de tout doute raisonnable que le caporal-chef Stillman était en possession d’une arme à feu à autorisation restreinte.

[56]           Le caporal-chef Stillman détenait-il une autorisation ou un permis de posséder l’arme à feu dans ce lieu, ou le certificat d’enregistrement de cette arme? Le caporal-chef Stillman est le propriétaire enregistré du pistolet et il détient le certificat d’enregistrement de cette arme à feu. Il détient aussi un permis de possession et d’acquisition (PPA) l’autorisant, aux termes de la Loi sur les armes à feu, à posséder et à acquérir uniquement des armes à feu sans restriction ou à autorisation restreinte. Le caporal-chef Stillman possède également une autorisation de transport en vertu de laquelle il peut légalement transporter son arme à feu à autorisation restreinte, le pistolet, sur des champs de tir autorisés, chez des armuriers autorisés, et dans les postes frontaliers de la province de l’Alberta. Il n’a pas l’autorisation légale de transporter son pistolet à l’extérieur de la province de l’Alberta ou ailleurs.

[57]           Le caporal-chef Stillman ne possède pas d’autorisation de port aux termes de la Loi sur les armes à feu, laquelle est nécessaire pour pouvoir porter légalement sur soi une arme à feu particulière à autorisation restreinte ou une arme de poing prohibée. Le caporal-chef Stillman ne détenait ni une autorisation ni un permis légal de porter le pistolet dissimulé ou chargé de munitions, comme il l’a fait lorsqu’il est arrivé à l’ULR des bombardiers Trimm et Cote à la base des Forces canadiennes Shilo le 29 juillet 2012, voir les paragraphes 17 et 18 de la pièce 3.

[58]           La Cour conclut que la preuve établit au-delà de tout doute raisonnable que le caporal-chef Stillman ne détenait ni autorisation ni permis de posséder l’arme à feu à Shilo (Manitoba).

[59]           La Cour conclut que le procureur a prouvé cette infraction au-delà de tout doute raisonnable.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[60]           DÉCLARE le caporal-chef Stillman coupable des accusations nos 1, 4, 5, 6 et 9.


Avocats :

Lieutenant-Colonel S. Richards, Service canadien des poursuites militaires
Procureur de Sa Majesté la Reine

Major J.L.P.L. Boutin, Direction du service d’avocats de la défense
Avocat du caporal-chef C.J. Stillman

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