Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 5 mai 2014.

Endroit : BFC Valcartier, l’Académie, édifice 534, Courcelette (QC).

Chefs d’accusation

• Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, s’être livrée à des voies de fait causant des lésions corporelles (art. 267b) C. cr.).
• Chef d’accusation 2 : Art. 130 LDN, avoir exercé des voies de fait causant des lésions corporelles contre un agent de la paix (art. 270.01 C. cr.).
• Chef d’accusation 3 : Art. 130 LDN, avoir exercé des voies de fait causant des lésions corporelles contre un agent de la paix (art. 270.01(2) C. cr.).
• Chef d’accusation 4 (subsidiaire au chef d’accusation 5) : Art. 102a) LDN, a résisté à un militaire du rang dans l’accomplissement d’une mission liée à l’arrestation.
• Chef d’accusation 5 (subsidiaire au chef d’accusation 4) : Art. 130 LDN, avoir résisté à un agent de la paix (art. 129d) C. cr.).
• Chef d’accusation 6 (subsidiaire au chef d’accusation 7) : Art. 85 LDN, s’est conduit d’une façon méprisante envers un supérieur.
• Chef d’accusation 7 (subsidiaire au chef d’accusation 6) : Art. 97 LDN, ivresse.

Résultats
• VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Coupable. Chefs d’accusation 2, 3, 4, 5, 6, 7 : Retirés.
• SENTENCE : Un blâme.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. A.M., 2014 CM 1026

 

Date : 20141128

Dossier : 201347

 

Cour martiale permanente

 

Base de soutien de la 2e Division du Canada Valcartier

Courcelette (Québec), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Soldat A.M., contrevenante

 

Devant : Colonel M. Dutil, J.M.C.


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

[1]               Le soldat A.M. a avoué sa culpabilité à un chef d’accusation punissable en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale contrairement à l'alinéa 267 b) du Code criminel, soit d’avoir commis des voies de fait ayant causé des lésions corporelles.

 

[2]               Les procédures de cette cour martiale ont débuté en mai 2014. L’acte d’accusation comportait sept chefs d’accusation. Au cours des derniers mois, l’accusée a été représentée par plusieurs avocats qui ont cessé d’occuper pour diverses raisons. Le 18 novembre 2014, le soldat A.M. a décidé de se représenter seule devant le tribunal, malgré les mises en garde répétées du juge d’instance qui lui a expliqué à maintes reprises les difficultés inhérentes qui découlent d’un tel choix et les explications d’usage relatives au fardeau de preuve qui incombe à la poursuite, les diverses règles de preuve et de procédure, ainsi que les éléments essentiels de chacune des accusations portées contre elle. Avant qu’elle n’enregistre un plaidoyer devant la cour, la poursuite a indiqué qu’elle voulait effectuer le retrait de l’ensemble des chefs d’accusation à l’exception du premier chef. Une fois ce retrait effectué, le soldat A.M. a plaidé coupable à la seule accusation restante.

 

[3]               Les faits de cette affaire se sont déroulés lors de l’EXERCICE MAPLE RESOLVE à la base des Forces armées canadiennes de Wainwright, province de l’Alberta, durant la nuit du 22 au 23 septembre 2012, alors que s’y trouvaient les membres du 3e Bataillon du Royal 22e Régiment dans le cadre de cet exercice. Le 22 septembre 2012, le soldat A.M. et d’autres collègues se sont rendus au Mess du Junior ranks afin d’y socialiser et assister aux combats télévisés de l’Ultimate Fighting Championship. Une cinquantaine de militaires s’étaient rassemblés à cet endroit, en majorité des francophones de différentes unités de la Garnison Valcartier.

 

[4]               Vers 22 heures 30, la responsable du bar du Mess a informé l’officier en devoir que le service de consommation d’alcool avait été coupé au soldat A.M. Elle l’avait avisé à deux reprises de ne pas apporter ses consommations alcoolisées à l’extérieur de l’établissement. Le soldat A.M. ne semblait pas vouloir coopérer. Il semble toutefois que cette situation soit survenue en raison d’un problème de communications d’ordre linguistique entre les deux personnes.

 

[5]               Il appert que plus tôt durant la soirée, un militaire serait passé à proximité du soldat A.M. et lui aurait adressé des insultes, en lui montrant, sur un téléphone cellulaire, une vidéo la concernant. Le contenu de cette vidéo était à caractère privé et de nature sexuelle. Cette vidéo avait été largement diffusée quelques années plus tôt sans le consentement du soldat A.M. et cela lui avait causé un tort considérable. Le militaire l’ayant abordé a tenté de rapidement de se dissimuler dans la foule. Le soldat A.M. s’est aussitôt dirigée vers le militaire qu’elle croyait à l’origine de cet acte pour s’adresser à lui directement. Rapidement, une altercation verbale s’est engagée entre le soldat A.M. et le militaire en question. Souhaitant calmer le soldat A.M. et régler la situation, le militaire qu’elle avait abordé a suggéré au soldat A.M. de le suivre à l’extérieur afin qu’ils en discutent. À un certain moment, l’altercation verbale s’est exacerbée davantage. La victime, le soldat M.D., un ami, du militaire en cause, désirant soustraire celui-ci de cette situation, afin d’éviter une plus grande escalade de cette altercation, l’a invité à le suivre à l’intérieur. Le soldat A.M. a répondu au soldat M.D. que son ami restait avec elle.

 

[6]               Le soldat A.M. a alors, sans avertissement, assené au soldat M.D. un coup de poing en plein visage. Lorsqu’il lui a demandé pourquoi elle le frappait, elle lui a donné un deuxième coup de poing au visage. Le soldat M.D. lui a demandé de nouveau les motifs de ces gestes puisqu’il ne lui avait rien fait. En guise de réponse, le soldat A.M. le frappa pour une troisième fois. Le soldat M.D. n’a rien fait ni même répliqué aux gestes que le soldat A.M. a posés. Après le troisième coup de poing, le soldat M.D. a informé le soldat A.M. qu’il retournait à l’intérieur pour appeler les policiers. Le soldat A.M. l’a donc suivi à l’intérieur et lui a assené deux autres coups de poing au visage. Des collègues de travail ont alors immédiatement pris en charge le soldat A.M. pour l’éloigner du soldat M.D. Le soldat M.D. n’a jamais répliqué aux coups de poing, ni tenu de propos provocateurs à l’égard du soldat A.M. Il n’avait pas consommé d’alcool et est demeuré en parfait contrôle de tous ses moyens. Les coups qui furent portés au visage du soldat M.D. ont provoqué une ecchymose au niveau des lèvres ainsi que des lacérations à sa lèvre inférieure et supérieure du côté gauche. Vers 00 heure 11, le 23 septembre 2012, deux policiers militaires ont été contactés et dépêchés au Mess du Junior ranks. Après de courtes vérifications, ils ont procédé à l’arrestation du soldat A.M. Vers 01 heure 20, les policiers militaires ont conduit le soldat A.M. en détention. Vers 03 heures 20, le 23 septembre 2012, le soldat A.M. avait retrouvé son calme et les policiers ont eu l’opportunité de parler avec elle. Le soldat A.M. a été libérée vers 08 heures 30, le 24 septembre 2012, sous certaines conditions émises par un officier réviseur.

 

[7]               Lorsqu'il s'agit de donner une sentence appropriée à un accusé pour les fautes qu'il a commises et à l'égard des infractions dont il est coupable, certains objectifs sont visés à la lumière des principes applicables qui varient légèrement d'un cas à l'autre. Le prononcé de la sentence lors d'une cour martiale a pour objectif essentiel de contribuer au maintien de la discipline militaire et au respect de la loi, et ce, par l'infliction de peines justes visant entre autres un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a)                  dénoncer le comportement illégal;

 

b)                  dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

 

c)                  isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

 

d)                 favoriser la réinsertion du contrevenant dans son environnement au sein des Forces canadiennes ou dans la vie civile; et

 

f)         susciter la conscience de leurs responsabilités chez les contrevenants militaires.

 

[8]               La sentence doit également prendre en compte les principes suivants. Elle doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction, les antécédents du contrevenant, ainsi que son degré de responsabilité. La sentence doit prendre également en compte le principe de l'harmonisation des peines, c'est-à-dire l'infliction de peines semblables à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. La cour a l'obligation, avant d'envisager la privation de liberté, d'examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient. Finalement, la sentence devra être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l'infraction ou à la situation du contrevenant et prendre en compte toute conséquence indirecte du verdict et de la sentence sur le contrevenant. Ainsi, la sentence imposée sera la résultante d’un exercice de pondération qui se traduira par la sentence minimale que la cour considère adéquate pour rencontrer celle qui sera composée de la peine ou d’une combinaison de peine que la cour considère minimale tout en contribuant au maintien de la discipline militaire et au respect de la loi. Il s’agit souvent de la tâche la plus difficile pour le juge d’instance et le cas du soldat A.M. en est un exemple éloquent.

 

[9]               La poursuite recommande que la contrevenante soit condamnée à la détention pour une période de 10 jours assortie d’une amende de 750 dollars. Elle soumet que les circonstances personnelles du soldat A.M. seraient suffisantes pour que la cour puisse suspendre l’exécution de la peine de détention. La contrevenante soumet que la preuve qu’elle a déposée devant le tribunal milite en faveur d’une sentence moindre. Lors de l’audition portant sur la détermination de la sentence, le soldat A.M. a fait entendre plusieurs témoins qui ont fait état de sa grande motivation, bon comportement et de sa performance lorsqu’elle est revenue au bataillon en avril 2012 en provenance de l’Unité de soutien de secteur St-Jean, Saint-Jean sur Richelieu et ce, suite à l’épisode malheureux résultant du vol dont elle fut l’objet, soit une vidéo intime qu’elle avait faite d’elle-même. Cette vidéo s’était répandue comme une trainée de poudre au sein de l’unité et même à l’extérieur. Il ressort de la preuve que ladite vidéo s’est même retrouvée entre les mains de soldats de forces étrangères. Il serait inutile de décrire dans les moindres détails les commentaires désobligeants de la part de frères d’armes à son endroit et la stigmatisation dont elle a fait l’objet par la suite. Force est de constater que le soldat A.M. en a extrêmement souffert personnellement et professionnellement. Cette situation avait d'ailleurs emmené les autorités de son unité à la muter à l’extérieur de la garnison Valcartier. La cour a également entendu le témoignage de l’adjudant de l’unité qui a décrit où le processus de libération du soldat A.M. en était rendu et l’attente des résultats d’une commission d’enquête portant sur les faits entourant la gestion de l’incident par les autorités militaires de l’incident de la vidéo relative au soldat A.M. La contrevenante a également mis en preuve un nombre considérable de lettres d’appréciation de supérieurs, y compris un document intitulé « Revue du développement du personnel (RDP) » qui couvrait la période d’août à octobre 2012. Finalement, le soldat A.M. a déposé des documents de nature médicale relativement à sa condition et des démarches qu’elle a entreprises pour mieux gérer un trouble de personnalité limite sévère qui remonte à son enfance à la suite d’abus sexuels répétées par un membre de sa famille et lors de plusieurs placements en famille d’accueil. L’épisode malheureux du vol de sa vidéo a eu pour effet de replonger le soldat A.M. dans un état de personne abusée par des gens en qui elle avait confiance et qui s’en tirent sans conséquence.

 

[10]           Les évènements qui font l’objet de cette affaire ne peuvent être dissociés des faits relatifs au vol de la vidéo et des difficultés vécues par la contrevenante par la suite. D’ailleurs, le témoignage de quelques supérieurs qui l’ont observé lors de son retour à l’unité en mars-avril 2012, confirment qu’elle était alors dans un état d’esprit positif et qu’elle était très motivée pour continuer d'exercer son métier de fantassin et d’être déployé en Afghanistan. Il appert qu’elle avait, autant que faire se peut, essayer de tourner la page sur la stigmatisation et l’humiliation dont elle avait fait l’objet de la part de ses propres frères d’armes et qu’elle regardait en avant.

 

[11]           Lors de l’audition sur la détermination de la sentence, le soldat A.M. a livré un solide et sincère témoignage. Elle explique que lors de l’EXERCICE MAPLE RESOLVE, elle fut mise au fait que la fameuse vidéo circulait encore et que certains individus la visionnaient dans un des bâtiments qui servait de dortoir. Même si elle avait essayé d’oublier ce malheureux incident, la connaissance de cette situation l’a brutalement ramené en arrière. Se croyant mieux armée pour gérer la situation plus d’une année plus tard, elle s’est rendue sur les lieux et y a rencontré un individu pour lui faire part calmement de la situation et du mal que cela lui faisait. L’individu s’excusa auprès d’elle et elle demanda par la suite aux occupants du bâtiment d’effacer cette vidéo parce qu’elle avait assez souffert. C’est à ce moment qu’elle apprit qu’un autre individu avait non seulement visionné la vidéo sur son portable, mais qu’il tentait d’en faire la distribution. Le soldat A.M. s’est rendue par la suite se plaindre de la situation envers un supérieur. La contrevenante a décrit qu’elle a dû visionner peu après cette même vidéo devant les policiers militaires et confirmer qu’elle y apparaissait. Cela a ajouté à son humiliation. C’est sur cette toile de fond que les évènements du 22 septembre 2012 se sont déroulés.

 

[12]           L’infraction d’avoir commis des voies de fait causant des lésions corporelles en vertu de l’article 267 b) du Code criminel est objectivement sérieuse. Quiconque commet cette infraction est coupable, soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de 10 ans; soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d'un emprisonnement maximal de dix-huit mois. Une telle distinction n’est toutefois pas applicable lorsqu’une personne est poursuivie et jugée en vertu du code de discipline militaire. Or, le législateur a clairement démontré que la gravité objective de cette infraction est variable et que les circonstances entourant sa commission sont particulièrement déterminantes. Toutefois, lorsqu’il s’agit de crimes de violence envers autrui, les tribunaux ont toujours reconnu que les objectifs de dénonciation et de dissuasion devaient prédominer.

 

Les circonstances aggravantes

 

[13]           En matière de voies de fait causant des lésions corporelles, les tribunaux ont considéré les éléments suivants comme circonstances aggravantes, notamment : la preuve d’un pattern ou d’un historique de violence physique ou psychologique de la part du délinquant; le fait que le délinquant a agi de manière planifiée et délibérée; la durée et la sévérité de l’attaque envers la victime; et le fait que la victime était soit jeune ou vulnérable. Parmi les caractéristiques pertinentes du délinquant lors de la détermination des peines à infliger, ces mêmes tribunaux ont aussi pris en compte l’existence d’un casier judiciaire pour des actes de violence; les perspectives de réhabilitation et la manifestation de remords envers la victime.

 

[14]           Cette affaire résulte de la perte de contrôle du soldat A.M. à l’égard d’une situation particulièrement difficile pour elle. Même si les circonstances aggravantes sont peu nombreuses, force est de constater qu’elle a agi par excès de colère à l’endroit du soldat M.D. en le frappant à plusieurs reprises, et ce, sans aucune raison. Il ne lui avait rien fait et il lui a même demandé pourquoi elle le frappait. Il n’avait tenté que de soustraire son ami d’une altercation avec la contrevenante. Comme elle l’a dit elle-même durant son témoignage, elle a pété les plombs. La contrevenante s’est tout simplement déchargée de sa propre colère et de sa frustration, même si elle était légitime, en frappant une personne qui voulait aider à mettre fin à l’altercation d’une manière pacifique. La répétition et la gratuité des gestes de violence de la part de la contrevenante à l’endroit de sa victime constituent donc des circonstances aggravantes en l’espèce. Se faire justice soi-même n’est pas sans conséquence et les fautifs doivent répondre de leurs gestes. Ni la colère, ni la frustration ne justifie le recours à la violence. Les militaires savent mieux que quiconque que l’utilisation de la violence n’est appropriée que lorsqu’elle autorisée par la loi. La contrevenante n’en ait pas à ses premiers démêlés avec la justice militaire ou civile, mais ses condamnations antérieures ne sont pas liées à des actes de violence. Ces circonstances aggravantes doivent cependant s’interpréter dans leur propre contexte, soit celui où la contrevenante a perdu le contrôle en raison des agissements de ses propres frères d’armes qui continuaient de faire preuve de violence psychologique à son endroit en continuant de visionner et de distribuer une vidéo intime qui lui avait été volée pour être largement diffusée par des militaires en 2010 et qui avait eu pour effet de l’humilier et de la stigmatiser envers ses collègues.

 

Les circonstances atténuantes

 

[15]           Cela m’amène à traiter des importantes circonstances atténuantes liées à la perpétration de l'infraction ou à la situation de la contrevenante. D’entrée de jeu, l’infraction est directement liée à la découverte par la contrevenante, peu avant l’incident, que la vidéo qui lui avait été volée, deux ans plus tôt, circulaient encore au sein de sa propre unité. Même si elles ne peuvent lui servir d’excuses pour les gestes qu’elle a posés, sa colère et son exaspération étaient légitimes. Le fait d’avoir à revivre cette humiliation encore une fois, malgré tous ses efforts pour mettre cela derrière elle, a certes contribué à sa réaction gratuite et impulsive à l’égard de la victime.

 

[16]           La preuve documentaire déposée devant cette cour et le témoignage de la contrevenante révèlent un passé particulièrement difficile. Depuis quelques années maintenant, un psychiatre a posé un diagnostic de trouble de personnalité limite sévère combiné à des abus d’alcool assez importants, même si elle a été sobre pendant plus de 2 ans jusqu’en 2012. Son enfance a été marquée par de nombreux évènements tragiques, y compris des abus sexuels répétés par un membre de sa famille et dans plusieurs familles d’accueil durant son enfance. Il appert que sa mère souffrait de toxicomanie et que sa sœur, la mère de la petite fille dont elle a la garde légale jusqu’en octobre 2015, en souffre également. L’épisode de la vidéo qui lui fut volée en 2010 a eu des conséquences douloureuses sur sa santé mentale. Cette situation et la façon dont elle l’a vécu ont fait ressurgir les traumatismes qu’elle a vécus durant son enfance, soit un exemple de la métaphore de l’iceberg. Cela a fait en sorte qu’elle a perdu toute confiance en sa chaîne de commandement et qu’elle s’est sentie trahie par l’institution militaire en qui elle croyait. Dans une certaine mesure, ce sentiment s’est notamment reflété dans la conduite de sa propre défense lors de la cour martiale où elle a finalement choisi de se représenter seule devant cette cour martiale et qu’elle a refusé à plusieurs reprises d’avoir recours aux services d’un avocat fourni gratuitement par le Directeur du service d’avocats de la défense.

 

[17]           Force est de constater que l’auteur du document Revue du Développement du Personnel (RDP) (Pièce 10) relativement à la participation du soldat A.M. durant l’EXERCICE MAPLE RESOLVE, n’était pas au fait de la nature des problèmes de santé mentale de sa subordonnée lorsqu’il a écrit son rapport qui couvrait la période de l’incident, ni qu’il comprenait ce qui s’était réellement passé pour qu’elle fasse usage de violence le 22 septembre 2012. Il écrivait en partie ce qui suit :

 

La soldat A.M. doit apprendre à maîtriser ses réactions et à développer de la perspective sur son sort. À plusieurs reprises, elle a laissé des antécédants (sic), bien qu’extrêmement fâcheux, troubler son jugement. Ces incidents ont mené à des confrontations physiques avec d’autres membres militaires et de la police militaire. Elle doit comprendre que l’essence du combattant est l’application délibérée et mesurée de la violence sous un contexte légitime. Elle doit absolument développer la capacité de prendre du recul et de laisser le bon jugement l’emporter sur sa réaction émotionnelle. Sinon, ceci crée d’énormes doutes sur sa capacité à se maîtriser au combat.

 

[18]           Ces affirmations paternalistes, même si elles sont formulées en toute bonne foi, démontrent une méconnaissance de l’auteur de ce qui s’est passé ce soir-là et pourquoi le soldat A.M. a agi de la sorte. Le superviseur émet des commentaires qui seraient tout à fait appropriées si ses propos s’adressaient à une personne qui ne souffre d’aucun problème de santé mentale. Or, la preuve médicale et psychologique déposée devant la cour indique de manière éloquente qu’une personne qui souffre du trouble de personnalité limite sévère ne possède pas nécessairement les outils pour agir de la sorte. L’auteur semble ignorer ou banaliser également que ce ne sont pas des antécédents fâcheux qui ont troublé son jugement comme il le prétend. Lors de l’EXERCICE MAPLE RESOLVE, le soldat A.M. n’a pas été affectée par des commentaires relativement à l’existence de sa vidéo en 2010. D’ailleurs, le soldat A.M. croyait l’incident derrière elle et elle avait faire les efforts nécessaires pour aller de l’avant. En réalité, le soldat A.M. a vécu le jour de la marmotte. Au sein des Forces armées canadiennes, les gens vont et viennent. Le 22 septembre 2012 et les jours qui ont précédé, elle a découvert que l’incident de la vidéo n’était pas derrière elle. De nouveaux ou d’anciens frères d’armes recommençaient à lui faire violence en visionnant et distribuant la vidéo volée en 2010, et ce, malgré tous les efforts de sa chaîne de commandement pour que cela ne se reproduise plus. Ce qu’elle vivait n’était pas un mauvais souvenir, au contraire. Elle était humiliée et stigmatisée encore une fois par ses propres frères d’armes de manière bien réelle et dans l’immédiat. Le soldat A.M. était encore une fois victime de violence psychologique de la part de ceux en qui elle voulait, encore une fois, avoir confiance. Cela n’a rien à voir avec une prise de recul.

 

[19]           Bien des choses ont évolué depuis septembre 2012. Le soldat A.M. poursuit, depuis le début de l’année 2014, un traitement psychologique adapté aux personnes qui souffrent des troubles sévères de la personnalité. Le suivi psychologique a débuté en février 2014 à l’Institut universitaire en santé mentale de Québec et il se poursuit en cabinet privé depuis peu. Selon son psychothérapeute, elle répond bien au cadre thérapeutique et elle assiste à ses rencontres d’une manière assidue et elle est très motivée à faire les changements nécessaires dans sa vie. D’ailleurs, la cour a pu constater que le comportement et l’attitude de la contrevenante durant la cour martiale s’inscrit dans cette voie.

 

[20]           D’ailleurs, la cour ne saurait ignorer le fait que la contrevenante sera vraisemblablement libérée des Forces armées canadiennes. Même si l’avis de libération signée par le commandant de l’unité en novembre 2012, soit moins de deux mois après l’incident qui fait l’objet de cette cour martiale, recommandait sa libération pour un motif 5f) ( Inapte à continuer son service militaire), la preuve médicale déposée devant la cour qui fait état de sa condition depuis 2013 laisse croire que sa libération pourrait être approuvée sous un autre motif, y compris pour des raisons de santé. Malheureusement, cette situation illustre les difficultés que vivent les commandants d’unité au quotidien relativement à la suffisance des informations qui peuvent leur être transmises par les Services de santé des Forces armées canadiennes au nom de la confidentialité de l’information et la protection de la vie privé des patients militaires.

 

[21]           Il est pertinent de souligner également que malgré ses problèmes personnels, professionnels et le déroulement de la cour martiale, le soldat A.M. s’est vue confiée la garde physique de sa nièce par le Tribunal de la jeunesse quelques jours après sa naissance en juillet 2014 jusqu’en octobre 2015. Depuis cette date, la contrevenante et son conjoint agissent à toutes fins pratiques comme ses parents. Le soldat A.M. a témoigné de l’attachement qu’elle a pour sa nièce et de son nouveau rôle de mère. La contrevenante est inquiète des conséquences que pourrait entraîner une période de détention si elle était séparée de sa nièce durant quelques semaines. Cette affirmation n’est pas supportée par la preuve. Il appert que l’enfant est en très bonne santé et rien n’indique que l’absence de la contrevenante durant quelques semaines aurait un impact négatif sur la santé physique ou mentale de l’enfant. Il ne fait aucun doute qu’elle et son conjoint sont absolument dévoués et aimants à l’endroit de cet enfant et qu’ils lui prodiguent les soins requis.

 

[22]           En ce qui a trait à sa situation financière, il appert de l’exposé de ses revenus et dépenses qu’elle a un manque à gagner d’environ 700 dollars par mois. Il semble évident qu’elle et son conjoint devront faire des choix difficiles dans les plus brefs délais, mais elle s’est dite prête néanmoins à payer une amende selon des modalités de paiement qui ne devraient pas dépasser 100 dollars par mois.

 

[23]           Comme dans toute autre cause, l’aveu de culpabilité de la contrevenante constitue également une circonstance atténuante. Au surplus, le soldat A.M. s’est excusée sincèrement auprès de sa victime, mais aussi envers la poursuite et la cour. Même si ces dernières excuses n’étaient pas nécessaires, elles traduisent fidèlement les remords de la contrevenante dans les circonstances. Finalement, la cour ne peut ignorer que la contrevenante a purgé deux jours en détention préventive immédiatement après la commission de l’infraction.

 

[24]           Ce n’est pas le rôle de cette cour de faire la lumière sur les gestes d’individus et les mesures prises par la chaîne de commandement relativement aux évènements relatifs à la vidéo volée en 2010 au soldat A.M. et qui a été diffusée par la suite. Une commission d’enquête a été convoquée en octobre 2013 pour examiner les circonstances entourant la gestion de ce dossier. Cette enquête doit sûrement être complexe puisque la preuve devant cette cour fait état que le rapport n’est pas encore disponible. Or, cette cour doit imposer une sentence au soldat A.M. pour les gestes qu’elle a posés à l’égard du soldat M.D. dans un contexte unique et ladite sentence doit être celle qui est minimale dans les circonstances pour contribuer au maintien de la discipline militaire et au respect de la loi.

 

[25]           Les circonstances de cette affaire ne se limitent aucunement aux faits décrits dans le sommaire des circonstances déposé devant la cour à la suite de l’aveu de culpabilité du soldat A.M. Une approche aussi restrictive banaliserait le tort considérable fait à la contrevenante par certains de ses frères d'armes qui l’ont profondément humilié et stigmatisé en visionnement collectivement et en distribuant la vidéo personnelle du soldat A.M. Ce genre de comportement ne constitue pas une simple plaisanterie de mauvais goût. Il s’agit d’un exemple d’harcèlement qui prend des proportions gigantesques parce qu’il devient hors contrôle. Les répercussions de ces gestes envers une personne qui ne souffrirait d’aucun problème de santé mentale seraient déjà dévastatrices. Dans le cas du soldat A.M., force est de reconnaître qu’elle n’est pas encore guérie et qu’elle panse encore ses blessures avec courage et acharnement. Même si le genre d’infraction pour laquelle elle a avoué sa culpabilité mérite une sentence qui doit mettre l’emphase sur la dénonciation du geste et la dissuasion générale, elle doit dans les circonstances favoriser la réhabilitation de la contrevenante. La poursuite recommande la détention de la contrevenante pour une période de 10 jours, mais elle soumet que la cour pourrait en suspendre l’exécution pour motif humanitaire. La cour n’est pas satisfaite que la situation familiale du soldat A.M. justifie la suspension d’une peine de détention.

 

[26]           Cette cour est toutefois convaincue qu’une peine privative de liberté n’est pas requise dans les circonstances de cette affaire pour atteindre les objectifs applicables. Non seulement, une peine de détention aurait un effet néfaste sur la réhabilitation de la contrevenante en lui imposant un degré de responsabilité excessif face à l’ensemble des évènements, elle lancerait surtout un message d’impunité à ceux qui l’ont harcelé, malgré les avertissements émis par la chaîne de commandement à son retour à l’unité en mars-avril 2012.

 

[27]           Il faut rappeler que cette jeune femme a choisi de se représenter seule devant la cour martiale parce qu’elle a perdu confiance envers ceux et celles qui porte l’uniforme, et ce en partie parce qu’elle souffre d’un trouble de personnalité limite sévère. Tous les participants de cette cour martiale, ont été des témoins privilégiés de l’épreuve qu’a dû vivre le soldat A.M. de se défendre elle-même, et ce, malgré l’angoisse et l’anxiété que cela lui a causé au-delà de celles qui sont normalement vécues par toutes personnes jugées devant un tribunal, mais qu'ils sont même représentées par avocat. À ceux qui diraient que c’était là son choix, je m’inscris en faux contre une telle bravade parce qu’elle omet la prise en compte de ses problèmes de santé mentale. Je suis convaincu que son choix de se représenter seule aura eu pour effet de l’éloigner des tribunaux en tant que personne accusée jusqu'à la fin de ses jours. Cette expérience difficile aurait pu l’être encore plus si le procureur de la poursuite dans cette affaire ne l’avait pas guidé avec autant d’égard et de gentillesse lors de cette longue procédure en lui facilitant autant la tâche dans les limites de son mandat de poursuivant. Bref, la cour considère que le fait qu’elle ait dû faire face à des accusations et qu’elle soit jugée par une cour martiale malgré toute la sympathie qu’une personne puisse avoir pour le soldat A.M. démontre que peu importe les raisons que l’on puisse avoir, le recours à la violence entraînera des conséquences disciplinaires ou pénales.

 

POUR CES RAISONS, LA COUR

 

[28]           PRONONCE un verdict de culpabilité à l'égard du 1er chef d'accusation, soit voies de fait causant des lésions corporelles, une infraction punissable en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale contrairement à l’article 267 b) du Code criminel.

 

[29]           CONDAMNE la contrevenante, le soldat A.M., au blâme.

 

[30]           REND l'ordonnance prévue au paragraphe 196.14 (1) de la Loi sur la défense nationale pour le prélèvement de substance corporelles à des fins d'analyse génétique.

 

[31]           NE REND PAS l’ordonnance prévue à l’article 147.1 de la Loi sur la défense nationale parce qu’elle n’est pas convaincue qu’il est souhaitable pour la sécurité de la contrevenante ou d’autrui de le faire.

 


Avocat :

Major G. Roy, Service canadien des poursuites militaires

Avocat de la poursuite

 

Soldat A.M. s'est représentée elle-même.

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