Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 5 mai 2014.

Endroit : BFC Valcartier, l’Académie, édifice 534, Courcelette (QC).

Chefs d’accusation

• Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, s’être livrée à des voies de fait causant des lésions corporelles (art. 267b) C. cr.).
• Chef d’accusation 2 : Art. 130 LDN, avoir exercé des voies de fait causant des lésions corporelles contre un agent de la paix (art. 270.01 C. cr.).
• Chef d’accusation 3 : Art. 130 LDN, avoir exercé des voies de fait causant des lésions corporelles contre un agent de la paix (art. 270.01(2) C. cr.).
• Chef d’accusation 4 (subsidiaire au chef d’accusation 5) : Art. 102a) LDN, a résisté à un militaire du rang dans l’accomplissement d’une mission liée à l’arrestation.
• Chef d’accusation 5 (subsidiaire au chef d’accusation 4) : Art. 130 LDN, avoir résisté à un agent de la paix (art. 129d) C. cr.).
• Chef d’accusation 6 (subsidiaire au chef d’accusation 7) : Art. 85 LDN, s’est conduit d’une façon méprisante envers un supérieur.
• Chef d’accusation 7 (subsidiaire au chef d’accusation 6) : Art. 97 LDN, ivresse.

Résultats

• VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Coupable. Chefs d’accusation 2, 3, 4, 5, 6, 7 : Retirés.
• SENTENCE : Un blâme.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. A.M., 2014 CM 1018

 

Date : 26072014

Dossier : 201347

 

Cour martiale permanente

 

Base de soutien de la 2e Division du Canada Valcartier

Courcelette (Québec) Canada

 

Entre :

 

Soldate A.M., Requérante

 

et -

 

Sa Majesté la Reine, Intimée

 

Devant : Colonel M. Dutil, J.M.C.


 

[MOTIFS CORRIGÉS][1]

 

DÉCISION SUR LA REQUÊTE VISANT LA NOMINATION

D'UN AVOCAT EXTERNE AUX FORCES CANADIENNES

RÉMUNÉRÉ PAR L'ÉTAT

(ORDONNANCE DE TYPE ROWBOTHAM)

 

(Oralement)

 

[1]               La requérante demande à la cour d’émettre une ordonnance enjoignant aux autorités des Forces canadiennes et au ministère de la Défense nationale de payer les honoraires de l'avocate qui la représente devant cette cour martiale permanente, en l'occurrence Me Micheline Montreuil. Même si le cadre législatif et réglementaire qui traite de la prestation de services juridiques dans le cadre des procédures applicables aux cours martiales, les parties reconnaissent que la question doit être examinée à la lumière des principes qui furent élaborés dans l'arrêt R. c. Rowbotham (1988), 41 CCC (3d) 1 (C.A.O.) [Rowbotham].

 

[2]               Outre les faits ou les questions dont la cour a pris connaissance judiciaire aux termes de l'art. 15 des Règles militaires de la preuve, la preuve déposée au soutien de cette requête repose sur le témoignage de la requérante, ainsi que les faits qui apparaissent à la pièce R2-1. Les faits pertinents à la détermination de cette requête nous indiquent que la requérante fait l'objet des procédures de cette cour martiale suite à une mise en accusation prononcée par le directeur des poursuites militaires à la suite d'un acte d'accusation signé par un de ses représentants le 24 mai 2013 et qui contient sept chefs d'accusation pour des incidents qui se seraient produits à la base des Forces canadiennes Wainwright, Alberta, le ou vers le 23 septembre 2012. Les accusations portent essentiellement sur des infractions contre des personnes, y compris des policiers militaires, soit des voies de fait causant des lésions corporelles, d'avoir résisté à un agent de la paix dans l'exercice de ses fonctions, de s'être conduite de façon méprisante envers un supérieur et une infraction d'ivresse.  

 

[3]               Les évènements qui font l'objet des dites accusations sont vraisemblablement l'aboutissement 'd'une situation antérieure particulièrement difficile pour la soldate A.M. lorsqu'elle a été victime d'un vol commis par une ou plusieurs personnes d'une vidéo à caractère sexuel qui était sur son téléphone portable. Cette vidéo aurait été diffusée rapidement sur les réseaux sociaux et à très grande échelle. Il ne fait aucun doute qu'une telle vidéo a causé un tort considérable à la réputation et à la santé de la requérante qui sera éventuellement libérée des Forces canadiennes pour des motifs qui ne sont pas encore arrêtés. De toute évidence, sa carrière au sein des Forces canadiennes est sérieusement compromise. La requérante a témoigné relativement aux évènements qui ont entouré la diffusion de la vidéo et de sa perception que sa chaîne de commandement l'a abandonnée dans toute cette affaire. Il ne fait aucun doute qu'elle n'a plus confiance en ses supérieurs et aux Forces canadiennes. La présente cour martiale a été convoquée le 28 avril 2014 et elle a débuté le 5 mai 2014. Toujours selon la preuve, la soldate A.M. a retenu les services d'un avocat du Service d'avocats de la défense pour la représenter devant la cour martiale, mais celui-ci a dû se retirer du dossier en juin ou juillet 2013. Le directeur du service d'avocats de la défense lui en a assigné un deuxième le ou vers le 4 septembre 2013, mais ce deuxième avocat a demandé à cette cour l'autorisation de cesser d'occuper au motif d'une mésentente avec la requérante dès le début des procédures de cette cour martiale le 5 mai 2014. Cette demande fut accordée et la cour fut informée à ce moment que Me Micheline Montreuil la représentait dorénavant. La soldate A.M. a témoigné qu'elle avait perdu toute confiance en son deuxième avocat parce qu'ils ne s'entendaient pas sur la façon de régler ce dossier. La requérante a choisi de retenir les services d'une avocate d'expérience civile parce que sa confiance envers les avocats du service d'avocats de la défense, du système de justice militaire et de l'institution militaire était dorénavant inexistante. Elle a ajouté qu'elle ne veut pas être représentée par un avocat militaire, mais elle affirme également que l'on ne lui a pas refusé les services d'un avocat militaire œuvrant au sein du Service d'avocats de la défense créé en vertu de l'art. 249.19 de la Loi sur la Défense nationale. La soldate A.M. a témoigné abondamment au sujet des évènements qui ont suivi la diffusion de sa vidéo personnelle et des mesures prises par sa chaîne de commandement jusqu'à ce jour qu'elle considère inadéquates. Il ne fait aucun doute qu'elle est très amère et qu'elle a perdu confiance envers son unité et que sa santé mentale est encore très affectée par toute cette histoire. Elle a dressé un portrait de sa situation financière actuelle. Elle a une dette de 35,000 dollars relativement à une voiture qu'elle n'a plus. Elle s'est achetée une maison en décembre 2013 au prix de 220,000 dollars avec un acompte de 10,000 dollars qu'elle a obtenu en puisant dans ses REER qui représentaient la somme qui lui avait été accordée lors du versement de son indemnité de départ. Elle a la garde temporaire de sa nièce de 23 jours suite au retrait temporaire des droits parentaux de sa sœur en raison de problèmes sérieux. Elle n'a aucun revenu d'intérêts ou de placements. Sa solde militaire est d'environ 56,000 dollars par année, somme qu'elle touchera jusqu'à sa libération des Forces canadiennes. Son conjoint est aussi militaire et en poste à Valcartier. Elle est détentrice d'un diplôme d'études secondaires et elle a finalement indiqué, lors de son témoignage, qu'elle ne s'est pas adressée à son institution financière ou à quelque personne que ce soit pour l'aider à payer les honoraires de son avocate actuelle et qu'elle ne connait personne qui serait en mesure de lui prêter assistance. Finalement, la cour prend acte des démarches verbales de Me Montreuil auprès du directeur des services d'avocats de la défense pour que ses honoraires soient payés par ce dernier et du refus qui lui a été transmis à cet effet.

 

[4]               La requérante soumet que les circonstances de la présente affaire, y compris tous les évènements relatifs à la vidéo et les actions de sa chaîne de commandement avant et après les accusations qui sont devant cette cour, rendent impossible qu'elle puisse jouir d'un procès juste et équitable si les honoraires de son avocate civile ne sont pas pris en charge par l'État. La requérante soutient également que la complexité de ce dossier et sa santé mentale ne lui permettent pas de se représenter seule. Elle n'est pas admissible au régime d'aide juridique provincial et elle ne veut plus être représentée par un avocat militaire œuvrant au sein du directeur des services d'avocats de la défense. Elle a choisi  d'être représentée par Me Montreuil, à ses propres frais, mais elle demande donc maintenant à la cour d'ordonner aux Forces canadiennes, au ministère de la Défense nationale ou au directeur des services d'avocats de la défense d'assumer ces frais parce qu'elle croit ne pas être en mesure d'avoir un procès juste et équitable dans les circonstances et de bénéficier de son droit à une défense pleine et entière.  

 

[5]               D'entrée de jeu, il n'existe aucun droit général à l'assistance d'un avocat rémunéré par l'État au Canada. Cependant, dans certains cas, la cour peut conclure que la représentation par avocat est essentielle et suspendre l'instance jusqu'à ce que les services d'un avocat rémunéré par l'État soient fournis. La cour peut accorder la demande par laquelle un accusé non représenté par avocat sollicite l'assistance d'un avocat rémunéré par l'État si les trois conditions suivantes sont réunies :

 

a)                  l'accusé n'est pas admissible à l'aide juridique ou se l'est vu refuser et a épuisé tous ses droits d'appel et il ne faut pas que l'accusé se soit fait refuser l'aide juridique en raison de ses propres actes ou de sa propre négligence;

 

b)                  l'accusé ne peut pas se payer les services d'un avocat; et

 

 

c)                  la représentation par avocat est essentielle pour l'équité du procès.

 

[6]               Il incombe à l'accusé d'établir qu'il n'a pas les moyens de se procurer les services d'un avocat et que la représentation par avocat est essentielle pour l'équité du procès. Pour justifier la mesure, l'accusé doit démontrer qu'il y a une très forte probabilité d'iniquité du procès en l'absence d'avocat. Les tribunaux doivent cependant s'efforcer de ne pas appliquer un critère trop strict et de ne pas accorder une importance exagérée à l'effet de l'ordonnance sur le régime d'aide juridique.

 

[7]               La Loi sur la Défense nationale a mis sur pied son propre régime d'aide juridique pour les justiciables du code de discipline militaire (Partie III de la Loi) en adoptant les dispositions contenues à la section 12, art. 249.17 à 249.21. Il y est prévu notamment que tout justiciable du code de discipline militaire a le droit d'être représenté dans les cas et de la manière prévus par règlement du gouverneur en conseil (249.17) et que le directeur du service d'avocats de la défense dirige la prestation des services juridiques prévus par règlement du gouverneur en conseil aux justiciables du code de discipline militaire et qu'il fournit lui-même de tels services assisté par des avocats inscrits au barreau d'une province, art. 249.19 et 249.21. L'article 101.20 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC) élaborent les services juridiques prévus à l'art. 101.22 desdits ORFC, et cet article traite de la représentation de l'accusé devant la cour martiale, y compris par les services d'un avocat nommé par le directeur des services d'avocats de la défense, d'un avocat aux frais de l'accusé ou de l'accusé qui choisit de se représenter seul.

 

[8]               La cour a beaucoup d'empathie pour la requérante et elle accepte qu'elle puisse avoir la perception qu'elle ne jouirait d'un procès juste et équitable si elle était défendue par un avocat militaire. Mais cette perception n'est pas fondée sur la preuve qui fut déposée devant la cour. Des avocats militaires plaident régulièrement devant la cour martiale, ainsi que des avocats civils retenus par le directeur des services d'avocats de la défense ou des avocats civils payés par les accusés eux-mêmes. Les avocats militaires plaident régulièrement et vigoureusement devant la Cour d'appel de la cour martiale et la Cour suprême du Canada. La simple perception subjective que la défense de la requérante ne serait pas assurée selon les normes déontologiques les plus élevées par un avocat militaire et que la complexité de cette affaire est telle qu'un tel avocat n'aurait pas la compétence voulue pour lui assurer une défense pleine et entière n'est pas suffisante. Il n'y a aucune preuve de quelque nature que ce soit que cela pourrait être raisonnablement le cas.

 

[9]               Force est de constater que les faits de cette affaire sont clairs. La soldate A.M. ne s'est pas vue refuser les services d'un avocat par le directeur des services d'avocats de la défense, c'est tout le contraire. Elle a dit elle-même qu'elle ne voulait pas être représentée par un avocat militaire parce qu'elle n'a pas confiance. C'est son choix et il faut le respecter. Or, ce choix dans les circonstances ne peut être interprété comme signifiant que l'on lui a refusé l'aide juridique prévue à la Loi sur la Défense nationale. Ce critère ne peut être évaluée en se fondant uniquement sur la perception subjective de la requérante à l'effet qu'elle n'a pas confiance aux services professionnels d'un avocat militaire dûment inscrit au barreau d'une province parce qu'il porte l'uniforme et qu'elle l'associe invariablement à l'institution militaire qui l'aurait traité injustement. Une personne raisonnable et informée des garanties d'indépendance institutionnelle des avocats de la défense qui agissent sous l'autorité du directeur des services d'avocats de la défense nommé en vertu de l'art. 249.18 de la Loi, de la déontologie applicable aux avocats des barreaux des provinces et de l'absence de tout lien avec la chaîne de commandement de quelqu' accusé que ce soit avec lesdits avocats militaires ne repose ici sur aucune assise factuelle ou juridique. Elle n'est que pure spéculation. Il est tout à fait légitime pour elle de retenir les services d'un avocat de son choix à ses propres frais. Cela n'est toutefois pas un motif qui rencontre le critère premier du test adopté depuis l'arrêt Rowbotham. En conséquence, la cour n'a pas à évaluer les deux autres critères. 

 

[10]           La cour accepte toutefois de procéder à un examen qui déborde le cadre précis de l'arrêt Rowbotham, car il peut y avoir de rares cas où la désignation d'un avocat par l'intermédiaire d'un régime d'aide juridique, y compris celui créé en vertu de la Loi sur la Défense nationale, ne suffirait pas pour garantir l'équité du procès, à savoir les cas où l'accusé peut démontrer que la seule chance qu'il a d'avoir un procès équitable est d'être représenté par un avocat donné ou si l'accusé ne peut trouver d'avocat compétent prêt à accepter les tarifs et les conditions de l'aide juridique, évidement dans le contexte de la Loi sur la Défense nationale. Pour justifier une telle mesure, l'accusé doit produire des éléments de preuve détaillés et exhaustifs. Dans l'évaluation de ces éléments de preuve, la cour doit se rappeler que l'accusé a droit seulement à un avocat compétent plutôt qu'à l'avocat le plus chevronné ou au meilleur avocat disponible. Encore une fois, la requérante n'a pas démontré selon une prépondérance de preuve qu'un avocat nommé par le directeur des services d'avocats de la défense ne suffirait pas à lui garantir l'équité du procès. La cour ne peut simplement pas ignorer les critères applicables en pareille matière et modifier le droit applicable sur la foi de son empathie pour la situation de l'accusé en utilisant son large pouvoir discrétionnaire d'une manière non judiciaire. Il s'agirait là d'une erreur de droit sérieuse.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR

 

[11]           Rejette la requête visant à ordonner que les honoraires de l'avocate du soldat A.M., Me Micheline Montreuil, soient assumés par les Forces canadiennes, le ministère de la Défense nationale ou le directeur du service d'avocats de la défense.


Avocats :

Major G. Roy, Service canadien des poursuites militaires

Avocat de l'intimée

 

Maître Micheline Montreuil,

Avocate de la requérante, la soldate A.M.



[1] Les corrections apportées visent  à protéger la vie privée de la requérante.

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