Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 5 janvier 2015.

Endroit : BFC Valcartier, l’Académie, édifice 534, Courcelette (QC).

Chefs d’accusation

• Chefs d’accusation 1, 2 : Art. 130 LDN, avoir proféré des menaces de causer la mort ou des lésions corporelles (art. 264.1(1)a) C. cr.).
• Chefs d’accusation 3, 4 : Art. 130 LDN, avoir contrevenu à un règlement pris en application de l’alinéa 117(h) de la Loi sur les armes à feu (art. 86(2) C. cr.).
• Chef d’accusation 5 : Art. 130 LDN, avoir entreposé négligemment des munitions (c. art. 86(1) C. cr.).
• Chef d’accusation 6 : Art. 130 LDN, avoir transporté négligemment des munitions (art. 86(1) C. cr.).

Résultats

• VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 5, 6 : Retirés. Chefs d’accusation 2, 3, 4 : Coupable.
• SENTENCE : Détention pour une période de 30 jours. L’exécution de la peine de détention a été suspendue.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Rodrigue, 2015 CM 4001

 

                                                                                                                  Date : 20150107

                                                                                                                 Dossier : 201441

 

                                                                                                    Cour martiale permanente

 

Base de soutien de la 2e Division du Canada Valcartier

Courcelette (Québec) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal F.W. Rodrigue, contrevenant

 

Devant : Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.

 


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

INTRODUCTION

 

[1]               Caporal Rodrigue, ayant accepté et enregistré votre plaidoyer de culpabilité sur les trois chefs demeurant à l’acte d’accusation, la Cour vous déclare coupable de ces chefs portés en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, pour avoir proféré des menaces contrairement à l’article 264.1 du Code Criminel; pour avoir enfreint les règlements relatifs à l’entreposage des armes à feu contrairement à l’article 86 (2) du Code Criminel; et pour avoir enfreint les règlements relatifs au transport des armes à feu, aussi contrairement à l’article 86 (2) du Code Criminel.

 

[2]               Il est maintenant de mon devoir en tant que juge militaire présidant cette cour martiale permanente d’imposer la sentence que je juge appropriée, une tâche rendue particulièrement difficile dans cette cause, considérant les circonstances entourant la commission des infractions ainsi que la position diamétralement opposée des parties sur la caractérisation et donc la gravité des infractions.

 

[3]               Dans le cours de mes délibérations, j’ai pris en considération les principes applicables à la détermination de la sentence qui s’imposent aux cours de juridiction criminelles et pénales au Canada ainsi qu’aux cours martiales. J’ai également pris en considération les faits pertinents de la présente cause tels qu’ils apparaissent au sommaire des circonstances lu par le procureur de la poursuite, ainsi que les documents et la preuve soumise lors de l’audition sur la détermination de la sentence, notamment le témoignage du caporal Rodrigue et une déclaration faite par le caporal Rodrigue aux policiers suite aux infractions en septembre 2013. J’ai également pris en considération les plaidoiries des avocats, autant de la poursuite que de la défense ainsi que la jurisprudence soumise au soutien de leurs arguments.

 

LES OBJECTIFS ET LES PRINCIPES APPLICABLES

 

[4]               De manière générale, le système de justice militaire est le moyen ultime pour imposer la discipline au sein des Forces canadiennes et un élément fondamental de la vie militaire. Tel que reconnu par la Cour suprême du Canada, le but d’un système de justice et de tribunaux militaires est de permettre aux forces armées de disposer des outils nécessaires pour faire respecter la discipline interne de manière à  encourager l’efficacité et le moral. (Voir R. c. Généreux, [1992]1 R.C.S. 259 à la page 293.) En effet, c’est par la discipline qu’une force armée peut demeurer prête à intervenir à la demande du Gouvernement et peut s’assurer que ses membres accomplissent, de manière fiable et digne de confiance, des missions remplies de succès. En permettant la sanction des personnes assujetties au code de discipline militaire, ce système sert également l’intérêt du public à ce que les lois soient respectées par tous.

 

[5]               Il est reconnu que les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil. (Voir Généreux) Ceci étant dit, toute punition devant être imposée devrait correspondre à l’intervention minimale nécessaire dans les circonstances. Il incombe au juge qui impose la sentence d’imposer une ou une combinaison de peines proportionnelles à la gravité des infractions et au degré de responsabilité du contrevenant, tel que spécifié aux Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC).

 

[6]               La détermination de la peine a donc pour objectifs essentiels de favoriser l’efficacité opérationnelle des Forces canadiennes en contribuant au maintien de la discipline, de la bonne organisation et du moral, et de contribuer au respect de la loi. Ces objectifs essentiels peuvent être atteints par l’infliction de sanctions visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a)                  protéger le public, qui inclus les forces canadiennes;

 

b)                  dénoncer les comportements illégaux;

 

c)                  dissuader les contrevenants et les autres personnes de commettre des infractions;

 

d)                 réparer les torts causés aux victimes ou à la collectivité;

 

e)                  isoler, au besoin, les contrevenants des autres officiers et militaires du rang ou de la société en général; et

 

f)                   réintégrer les contrevenants dans la société ou dans la vie militaire.

 

[7]               Le tribunal militaire qui détermine la peine à infliger tient compte également des principes suivants :

 

a)                  L’harmonisation des peines : considérant que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction commise, ainsi qu’au degré de responsabilité du contrevenant, le juge doit infliger des peines semblables à celles infligées à des contrevenants semblables ayant commis des infractions semblables dans des circonstances semblables;

 

b)                  l’infliction de la peine la moins sévère possible qui permette de maintenir la discipline, la bonne organisation et le moral;

 

c)                  l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté par l’emprisonnement ou la détention, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient;

 

d)                 la prise en compte des conséquences indirectes du verdict de culpabilité ou de la sentence; et

 

e)                  finalement, la modulation de la peine en lien avec les circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant.

 

LES CIRCONSTANCES DES INFRACTIONS

 

[8]               Un sommaire des circonstances a été lu par le procureur et accepté comme étant véridique par le caporal Rodrigue. Les circonstances des infractions sont les suivantes :

 

a)                  Au moment des événements, le caporal Rodrigue était membre du 12e Régiment blindé du Canada, sur la base de Valcartier.

 

b)                  En matinée, le 13 septembre 2013, le caporal Rodrigue devait subir un procès sommaire pour des absences sans permission. Peu de temps avant son procès, le caporal Rodrigue aurait croisé un militaire de son régiment et lui aurait exprimé qu’il voyait noir. Le caporal Rodrigue aurait dit qu’il avait l’intention « de faire le ménage du Régiment et y passer. » Le militaire lui a demandé de quelle manière il désirait faire le ménage. Le caporal Rodrigue a précisé qu’il avait un « shotgun avec cinquante-six (56) balles dans le coffre de sa voiture. » Le militaire a convenu avec le caporal Rodrigue qu’après son procès sommaire, ils iraient tous les deux récupérer son arme et la munition. Le caporal Rodrigue a accepté de respecter cette entente. Toutefois, cet arrangement ne s’est jamais matérialisé puisque le caporal Rodrigue n’est pas revenu voir le militaire en question.

 

c)                  Au procès sommaire, le caporal Rodrigue fut condamné à cinq cent dollars (500 $) d’amende et quatorze (14) jours de consignation aux quartiers. Par la suite, le caporal Demers a reçu l’ordre d’accompagner le caporal Rodrigue à sa résidence pour aller chercher les uniformes et autres items nécessaires pour la période de consignation aux quartiers, en utilisant le véhicule personnel du caporal Rodrigue. En route, le caporal Rodrigue a montré au caporal Demers une arme de calibre .12 qui était camouflée sous une couverture sur le siège arrière du véhicule. Cette arme et des munitions avaient été mises dans son véhicule le matin même. Le caporal Rodrigue aurait déclaré qu’il avait assez de munitions pour faire du dégât au Régiment. Craignant pour sa sécurité et celle du caporal Rodrigue, le caporal Demers a convaincu le caporal Rodrigue de se diriger au Centre de service de santé de la base de Valcartier (CSV) afin d’obtenir le soutien nécessaire à sa condition de détresse apparente.

 

d)                 Après avoir consulté le personnel médical, les policiers militaires furent dépêchés sur place afin de prendre le contrôle de la situation. Le caporal Rodrigue a collaboré avec les policiers. Il fut alors transporté dans un véhicule de la police militaire à l’hôpital Saint-Sacrement de Québec pour y être évalué en psychiatrie.

 

e)                  À la suite de certaines vérifications, les policiers militaires ont appris que le caporal Rodrigue avait un permis de possession et d’acquisition d’arme sans restriction. Le 13 septembre 2013, les policiers militaires ont obtenu des mandats de perquisition afin de fouiller le véhicule et la résidence du caporal Rodrigue.

 

f)                   Lors de la fouille du véhicule, alors stationné au Centre de service de santé de la base, les policiers saisirent une arme de calibre .12 et quarante-quatre (44) balles du même calibre. Le transport de cette arme n’était pas effectué de manière conforme à l’article 10 du Règlement sur l’entreposage, l’exposition, le transport et le maniement des armes à feu par des particuliers, c’est-à-dire que cette arme se trouvait dans un véhicule non surveillé et était visible de l’extérieur de celui-ci.

 

g)                  Lors d’une perquisition subséquente à la résidence du caporal Rodrigue, les policiers trouvèrent et saisirent les armes suivantes :

 

                                            i.            une arme de marque MAUSEER 98k;

 

                                          ii.            une arme de marque WINCHESTER modèle 600 d’un calibre .22;

 

                                        iii.            une arme de marque BERRETA M1 GARAND 30-60;

 

                                        iv.            une arme de marque NORINCO SKS 762X39;

 

                                          v.            une arme de marque REMINGTON SPORTMASTER de calibre .22;

 

                                        vi.            une arme de marque ENFIELD PATERN 1914; et

 

                                      vii.            une arme de marque MM9648.

 

h)                  De plus, les policiers ont saisi plus de trois cent (300) balles de différents calibres. Certaines de ces munitions étaient entreposées et rangées à proximité des armes qui n’étaient pas entreposées de manière sécuritaire. Les munitions étaient accessibles facilement et n’avaient pas été entreposées dans un endroit sécuritaire verrouillé.

 

i)                    Les armes trouvées et saisies n’avaient pas été entreposées en conformité avec l’article 5 du Règlement sur l’entreposage, l’exposition, le transport et le maniement des armes à feu par des particuliers. Elles étaient toutes dans une garde-robe d’une petite chambre à coucher. De plus, ces armes n’avaient pas été rendues inopérantes (par un dispositif de verrouillage sécuritaire ou par l’enlèvement de son verrou ou de sa glissière), ni entreposées dans une pièce ou un compartiment sécuritaire verrouillé. Elles se trouvaient également à proximité de munitions non entreposées conformément au règlement.

 

LA SITUATION DU CONTREVENANT

 

[9]               Le caporal Rodrigue est âgé de 28 ans. Il s’est joint à la Force régulière le 23 mars 2006 après avoir servi depuis 2003 en tant que réserviste. Il sert au 12e Régiment blindé du Canada à la base de Valcartier depuis octobre 2006, après avoir terminé son instruction à l’École du corps blindé royal canadien à Gagetown. Il a été promu à son grade actuel en avril 2009. Il a une petite amie qui demeure avec lui à Saint-Gabriel-de-Valcartier depuis un certain temps et qui fait partie de ses plans d’avenir. Il n’a pas d’enfants.

 

[10]           Entre novembre 2010 et juillet 2011, le caporal Rodrigue a été déployé avec la Force opérationnelle interarmées en Afghanistan au sein d’un escadron blindé. C’est au retour de ce déploiement que l’on comprend avoir été intense, qu’il dit avoir commencé à souffrir d’anxiété et de troubles de sommeil en plus de se livrer à des comportements impulsifs tels que des dépenses irréfléchies ou une conduite erratique et colérique au volant. Il dit qu’il avait à ce moment perdu toute gratification des choses qui lui apportaient du plaisir précédemment, considérant que rien ne pouvait remplacer chez lui le « thrill » vécu en Afghanistan. Il a également commencé à consommer du « spice », un produit donnant des effets similaires à la marijuana pour, dit-il, reproduire le « rush » vécu lors de son déploiement. En novembre 2011, il s’est résigné à consulter d’abord un travailleur social sur la base et a ensuite vu un psychologue et un psychiatre. Il a suivi avec succès une cure fermée à l’automne 2012 pour régler ses problèmes de dépendance. Depuis le 6 septembre 2013, soit quelques jours avant les évènements, il a reçu un diagnostic de troubles sévères de la personnalité caractérisée par des aspects limites et narcissiques. Essentiellement, le caporal Rodrigue souffre de difficultés identitaires et d’identification et de gestion des émotions qui occasionnent des comportements dommageables ayant comme objectif de combler un sentiment de vide intérieur. Il est présentement suivi en psychothérapie, dans le cadre d’un plan de traitement qui pourrait s’échelonner sur trois ans.

 

[11]           La carrière militaire du caporal Rodrigue est en suspens depuis que ses difficultés psychologiques et de dépendance se sont manifestées et ont été diagnostiquées. Il a été affecté à diverses tâches administratives au sein de son régiment. Au début du mois dernier, il a été informé par son médecin qu’une recommandation était acheminée aux autorités compétentes à Ottawa pour qu’on lui attribue une catégorie médicale ne lui permettant plus de continuer à servir au sein des Forces canadiennes. On ordonnera donc sa libération dans les 18 à 24 prochains mois pour des raisons médicales. En attendant, il a comme seul devoir militaire de fréquenter le centre des sports sur la base au moins une heure par jour en attendant de bénéficier des programmes disponibles de rééducation offerts en partenariat avec le Ministère des Anciens Combattants.

 

[12]           Lors de la preuve sur sentence, la Cour a entendu la version de l’accusé sur les évènements à deux moments distincts. Premièrement, la Cour a visionné une partie d’une entrevue donnée par le caporal Rodrigue à un policier militaire le 27 septembre 2013, soit deux semaines après les évènements, alors qu’il venait d’être libéré de l’aile psychiatrique à l’Hôpital du Saint-Sacrement. On y voit un prévenu confronté par un policier sur des allégations de menaces. La plus grande partie de l’entrevue porte sur des menaces qui auraient visé le caporal Demers, allégations niées par le caporal Rodrigue. C’est dans ce contexte où le caporal Rodrigue tente de se défendre que l’on doit interpréter ses tentatives de minimiser la signification de ses gestes. Malgré un manque évident d’introspection sur la gravité des gestes et sa responsabilité, surtout en ce qui concerne les agissements de sa chaîne de commandement, le caporal Rodrigue souligne la stupidité de ses gestes et des paroles qu’il a prononcé le 13 septembre 2013. Lors de son témoignage devant la cour plus de 15 mois plus tard, il est évident que le caporal Rodrigue a cheminé considérablement. Il dit maintenant mieux comprendre la position de sa chaîne de commandement et regretter ses gestes, qui n’ont pas leur place dans la société et encore moins dans les Forces canadiennes.

 

[13]           Je suis d’avis que le caporal Rodrigue a cheminé significativement depuis les évènements et qu’il est solidement engagé sur la voie de la réhabilitation, tel qu’il appert de ses efforts pour obtenir et réussir ses traitements, ainsi que par les remords sincères qu’il a exprimés.

 

LA POSITION DES PARTIES SUR LA SENTENCE

 

La Poursuite

 

[14]           Le procureur militaire caractérise les infractions commises d’actes de violence qui ont fait l’objet d’une certaine planification. Il est d’avis que les principes de dénonciation et de dissuasion générale doivent avoir priorité en l’espèce et demande à la cour d’imposer une peine de détention pour une période de 15 à 30 jours, la peine minimale permettant de maintenir la discipline, selon le procureur.

 

La Défense

 

[15]           Pour sa part, la défense soutien que les infractions sont essentiellement le fruit d’un cri d’alarme que voulait lancer le caporal Rodrigue, à un moment où il se sentait à cours de moyens pour attirer l’attention sur sa situation qu’il voyait comme étant désespérée. La défense nie qu’il y ait eu quelque plan que ce soit pour faire violence à quiconque, le geste de montrer l’arme au caporal Demers dans la voiture étant totalement spontané et constitue une manière maladroite d’appeler à l’aide et d’obtenir des soins au Centre de santé de la base. La défense est d’avis que la peine doit refléter le principe de réhabilitation et permettre au contrevenant de continuer à cheminer. L’avocat de la défense soumet qu’une sentence composée d’un blâme assorti à une amende de 1,000 à 2,000 dollars serait suffisant pour rencontrer les besoins de la discipline.

 

ANALYSE

 

La caractérisation des infractions

 

[16]           Je suis d’avis que la preuve n’est pas suffisante pour me permettre de conclure que le caporal Rodrigue avait l’intention réelle d’utiliser son arme et les munitions qu’il transportait dans sa voiture le matin du 13 septembre 2013 pour s’attaquer à des membres du 12e Régiment blindé du Canada. Les propos qu’il a échangé avec un collègue avant le procès sommaire et ses agissements par la suite révèlent plutôt qu’il cherchait à obtenir l’attention qu’il croyait qui lui était due et injustement niée. Se faisant par contre, il a sciemment choisi d’utiliser un moyen violent pour attirer cette attention et crédibiliser son cri d’alarme : il a choisi de transporter une arme à feu et des munitions avec lui à son unité, dans le but d’instrumentaliser la crainte que de tels outils potentiellement mortels suscitent. 

 

[17]           Selon moi, nous sommes donc en présence d’une forme d’intimidation par un moyen violent, c’est-à-dire la mise en évidence d’armes à feu pour obtenir un résultat, c’est-à-dire être pris au sérieux. La question qui s’impose est de déterminer quel impact cette caractérisation devrait avoir sur la sentence devant être imposée. Les procureurs ont soumis plusieurs causes à l’attention de la cour qui touchaient à l’aspect de violence ou l’aspect plus technique d’entreposage ou transport d’armes à feu mais rarement des deux, sauf pour des contrevenants hautement criminalisés et engagés dans des activités illicites tel que le commerce de drogue. Aucune de ces causes n’était en mesure de capturer fidèlement la situation d’un contrevenant non criminalisé en proie à une certaine détresse psychologique qui utilise une arme strictement dans le but d’attirer l’attention.

 

[18]           Ceci étant dit, la lecture détaillée de la décision de la Cour du Québec dans l’affaire Cadieux (2014 QCCQ 670), soumis par la poursuite, a révélé quelques pistes d’examen utiles, entre autres, l’analyse de deux décisions ontariennes sur les infractions relatives aux armes à feu. Spécifiquement, dans l’arrêt bien connu de R. c. Nur (2013 ONCA 677) rendu sous la plume du juge Doherty, pour un banc de cinq juges de la Cour d’appel de l’Ontario en 2013, on trouve une analyse de la législation relative aux armes à feu et de ses objectifs fondamentaux en ce qui concerne la protection du public. On y trouve l’illustration d’une échelle de gravité des infractions relatives aux armes à feu avec, au plus bas niveau, le propriétaire non-criminalisé titulaire de permis qui contrevient à un règlement sur les endroits où il peut posséder son arme sans poser de risques à quiconque et, au plus haut niveau, un criminel qui possède une arme prohibée chargée dans un endroit public lorsqu’engagé dans une activité criminelle. Manifestement, le contrevenant en l’espèce est plus près du bas de l’échelle mais n’y est pas : il transportait une arme qui pouvait facilement être chargée avec les munitions tout prêt dans la voiture, dans un endroit public, et a utilisé le fait de cette possession dans le but de faire peur et de provoquer la réaction qu’il désirait de la part d’autres personnes. En l’espèce, il existait un niveau de dangerosité manifeste en ce qui concerne les agissements du caporal Rodrigue. La présence d’une arme, à proximité de munitions, de propos menaçants tenus par une personne en proie à des difficultés psychologiques constituent une combinaison dangereuse.

 

[19]           Les motifs de la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans l’affaire R. c. Ayala-Barrios ([2007] O.J. No. 5393) sont aussi éclairants. Le contrevenant avait été déclaré coupable de possession d’une arme prohibée et de port d’une arme dissimulée, alors qu’il avait sorti une arme à canon tronçonné de sa maison en réponse à un appel à l’aide d’un ami qui était victime d’une sérieuse agression. L’arme n’était pas chargée et les jurés ont conclu que l’arme n’était pas pointée ou utilisée de manière menaçante ou dangereuse. Le juge imposant la sentence a mentionné que l’infraction de possession illégale d’une arme à feu cause un potentiel de blessure ou de mort qui est significatif et que toute sentence doit être suffisamment sévère pour refléter l’intolérance de la société pour ce genre de comportement. Le juge imposant la sentence a souligné qu’à l’exception de circonstances très rares, une peine d’incarcération serait nécessaire pour rencontrer les objectifs de dénonciation. Se faisant par contre, le contrevenant a été condamné à une sentence de 12 mois, à être purgée dans la communauté, et ce, considérant son profil favorable. Je comprends qu’en l’espèce, nous ne sommes pas en possession d’une arme prohibée mais tout de même, la manière dont l’arme était transportée et l’utilisation de la présence de l’arme pour opérer une forme d’intimidation était illégale. Ceci étant dit, nous sommes en présence d'un contrevenant au profil favorable, tout comme monsieur Ayala-Barrios dans le cas mentionné.


 

Les objectifs à favoriser

 

[20]           Je suis venu à conclure que dans les circonstances de la présente affaire, l’imposition de la sentence devrait cibler les objectifs de dénonciation, de dissuasion générale et de réhabilitation. La peine à être imposée doit absolument exprimer la notion que le comportement de l’accusé est inacceptable et dissuader d’autres personnes qui, dans une situation similaire, pourraient songer à agir de manière similaire. Par contre, la sentence ne doit pas miner indûment les efforts de réhabilitation entrepris par le caporal Rodrigue qui, à 28 ans, a un avenir devant lui en tant que membre de la société, même si sa carrière militaire doit prendre fin prochainement.

 

La gravité objective

 

[21]           Dans son évaluation de ce qui pourrait constituer une peine juste et appropriée, la Cour a considéré la gravité objective de l’infraction qui, tel que prévu à l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, est passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans pour l’infraction sous l’article 264.1 du Code Criminel et d’un emprisonnement maximal de deux ans pour les infractions sous l’article 86(2) du Code Criminel.

 

Les facteurs aggravants

 

[22]           La Cour considère comme aggravante, dans les circonstances de cette affaire, la sévérité subjective des infractions commises, en ce que des paroles menaçantes ont été prononcées qui visaient les membres du régiment de l’accusé, à l’effet qu’ils pourraient être victimes de violence par arme à feu, sur la base militaire et à l’intérieur des lignes régimentaires, l’endroit où la cohésion et la confiance entre les militaires doivent s’exprimer de la manière la plus importante. Bien qu’aucune preuve ne fut présentée sur un quelconque impact des infractions sur l’unité, il reste que ces gestes ne sont pas de nature à encourager la nécessaire cohésion et la confiance entre les membres d’un régiment, une évidence acceptée par le caporal Rodrigue dans son témoignage, qui a mentionné avoir perçu qu’une certaine dose de confiance lui avait finalement été accordée de nouveau en lien avec certaines tâches qui lui ont été confiées au sein de la troupe de transport du régiment, entre autres en tant que chauffeur du commandant et du sergent-major régimentaire.

 

[23]           De plus, la Cour a pris note de la fiche de conduite du caporal Rodrigue révélant les condamnations pour absence sans autorisation du 13 septembre 2013, lors du procès sommaire à l’origine des présentes infractions. Considérant la nature de ces condamnations, et malgré leur proximité temporelle avec les infractions pour lesquelles le contrevenant reçoit sa sentence aujourd’hui, la Cour considère que ces condamnations antérieures ne devraient pas avoir d’impact sur la sentence. Le contrevenant ne peut être considéré comme un récidiviste en matière de violence ou d’infraction relative aux armes à feu.

 


 

Les facteurs atténuants

 

[24]           La Cour a également considéré les facteurs atténuants suivants, tels que mentionnés aux plaidoiries des avocats et illustrés par la preuve introduite lors de l’audition sur la sentence :

 

a)                   Tout d’abord, et de manière importante, le plaidoyer de culpabilité du contrevenant, que la Cour considère comme étant une indication de ses remords tel qu’il en a fait la preuve de manière éloquente dans son témoignage, à l’effet qu’il accepte la responsabilité pour ses gestes.

 

b)                  Le fait que le caporal Rodrigue a pleinement collaboré avec les autorités dans les moments qui ont suivi la commission des infractions et par la suite.

 

c)                   La contribution passée du caporal Rodrigue au sein des Forces canadiennes, surtout avant et pendant son déploiement en Afghanistan au retour duquel sa contribution a nécessairement diminué en raison de facteurs psychologiques qui semblent avoir été causés par ce déploiement.

 

d)                  Le potentiel du caporal Rodrigue, qui, de toute évidence, peut continuer à contribuer à la société canadienne après sa libération prochaine des Forces canadiennes, considérant son jeune âge et les efforts qu’il a mis et continue à mettre pour mieux gérer ses difficultés psychologiques et son acceptation du fait qu’il doit maintenant se recycler professionnellement en prévision de sa vie civile.

 

e)                   Finalement, et ce, malgré mes observations antérieures sur la gravité subjective des infractions, il demeure que la preuve révèle que les infractions sont dues en grande partie à un comportement irrationnel, sans grande préméditation de la part du caporal Rodrigue, qui malgré une expérience certaine au sein des Forces canadiennes, n’a pas trouvé de meilleur moyen pour lancer un cri d’alarme sur sa condition que de commettre les gestes pour lesquels il s’est avoué coupable.

 

L’impact des troubles psychologiques de l’accusé

 

[25]           Les blessures psychologiques dont souffrent plusieurs militaires au retour de déploiements, notamment en Afghanistan, est une question importante pour les Forces canadiennes et la société canadienne en général. L’impact de la condition psychologique d’un contrevenant doit être déterminé de manière rigoureuse. Il est surtout important de comprendre qu’à l’exception de troubles rendant un accusé non criminellement responsable, la présence d’un diagnostic de troubles psychologiques n’absout pas un accusé de sa responsabilité pour ses actions.

 

[26]           En l’espèce, le contrevenant a avoué sa responsabilité. Considérant l’ensemble de son témoignage lors de l’audition sur la détermination de la peine et en considérant le diagnostic exprimé par la psychologue traitante à la pièce 11, j’en suis venu à la conclusion que la preuve démontrait que l’état psychologique du caporal Rodrigue a joué un rôle dans la commission des infractions. En raison de ses difficultés, sa capacité à entrevoir des solutions pour demander de l’aide pour faire face aux conséquences prévisibles de sa condamnation pour les infractions d’absence était significativement compromise, ce qui l’a amené à poser les gestes reprochés en ce qui concerne l’arme et les munitions dans sa voiture ainsi que les paroles prononcées. Il est difficile de croire que sans ces troubles, il n’aurait pu considérer une manière plus rationnelle et mesurée de réagir dans les circonstances. En concluant ainsi, je suis conscient du fait qu’une expertise psychiatrique m'aurait aidé à arriver à cette conclusion de manière plus certaine. En l’absence d’une telle expertise, je suis quand même confiant de pouvoir considérer la condition psychologique comme étant un facteur atténuant la peine en l’espèce.

 

[27]           Ceci étant dit, malgré la compassion que la Cour peut avoir pour la condition psychologique du contrevenant et le fait que cette condition semble avoir comme origine son déploiement en Afghanistan, il demeure que ce facteur atténuant n’a pas, en soi, l’effet d’empêcher l’imposition d’une peine qui pourrait autrement être appropriée. Spécifiquement, je tiens à préciser qu’aucune preuve ne me permet de conclure qu’une peine de détention ou d’emprisonnement ne pourrait être imposée en raison de l’état psychologique de l’accusé. Par contre, la considération de ce facteur, combiné avec les autres facteurs atténuants, peut amener la Cour à décider de suspendre l’exécution de la peine d’emprisonnement ou de détention.

 

La détermination de la ou des peines à imposer

 

[28]           Tel que mentionné précédemment et conformément aux prétentions des deux parties, la peine ou combinaison des peines que la cour doit imposer est le minimum nécessaire au maintien de la discipline. Considérant les représentations du procureur de la poursuite à l’effet que la peine minimale nécessaire serait la détention pour une période de quinze à trente jours, je n’ai pas l’intention de passer outre cette recommandation et d’imposer une peine plus grave dans l’échelle des peines de l’article 139 de la Loi sur la défense nationale. En effet, contrairement aux représentations qui m’ont été faites par la défense à l’effet que l’emprisonnement et non la détention serait appropriée en l’espèce, considérant que le caporal Rodrigue doit être libéré dans les dix-huit à vingt-quatre prochains mois, je suis d’accord avec les propos du juge militaire dans l’affaire Blouin, portée à mon attention par le procureur de la poursuite à l’effet que l’effet stigmatisant d’une peine de détention est moindre qu’une peine d’emprisonnement. (Voir R. c. Caporal P.S. Blouin, 2004 CM 25 au para 18.) Le caporal Rodrigue est engagé dans un processus de réhabilitation qui se poursuit au sein des Forces canadiennes. Une peine de détention n’est donc pas inappropriée en soi.

 

[29]           Ayant clarifié quelle devait être la peine la plus grave qu’il serait possible d’imposer, il y a lieu de débuter mon analyse par la peine la moins sévère proposée pour me demander si celle-ci serait de nature à rencontrer les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale que j’ai identifié comme devant être favorisé en l’espèce. La question qui se pose est la suivante : Est-ce que la sentence suggérée par la défense d’un blâme assortie d’une amende est suffisante pour rencontrer les objectifs à favoriser énumérés précédemment? À mon avis, une telle combinaison de peine serait insuffisante pour dénoncer adéquatement le comportement du contrevenant qui, tel que mentionné dans ma caractérisation de l’infraction, comportait un élément de dangerosité manifeste à l’endroit du public. Cette conclusion s’accorde avec celle de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, dans l’affaire Ayala-Barrios mentionnée plus haut.

 

[30]           Je suis également d’avis que la perte de l’ancienneté et la rétrogradation seraient des peines insuffisantes dans les circonstances de l’espèce, surtout à l’égard d’un militaire dont la libération est prévue et qui sert et selon toute vraisemblance continuera à servir ailleurs que dans un environnement militaire jusqu’à sa libération. D’ailleurs, je suis d’avis, malgré les représentations de la défense, que la rétrogradation aurait des conséquences significatives sur la situation financière du contrevenant qui ne sont pas justifiées surtout considérant l’effet minimal de cette peine sur les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale dans les circonstances.

 

[31]           Je conclus donc que la peine de détention est la peine minimale qui soit appropriée en l’espèce. Par contre, il s’agit d’un cas où les circonstances atténuantes propres au caporal Rodrigue justifient la suspension de cette peine de détention.

 

Les ordonnances pouvant être imposées

 

[32]           Le procureur de la poursuite demande à la cour d’imposer une ordonnance en vertu de l’article 147.1 de la Loi sur la défense nationale, de façon à interdire au contrevenant d’avoir en sa possession des armes à feu pour une période de cinq ans, et ce, même si nécessaire à son service militaire. La défense s’oppose à cette demande.

 

[33]           Considérant l’élément de dangerosité manifeste à l’endroit du public que j’ai exprimé ci-haut, j’arrive à la conclusion qu’il est souhaitable pour la sécurité du contrevenant et d’autrui dans les circonstances des infractions, que la cour rende une ordonnance interdisant au contrevenant d’avoir en sa possession une arme à feu, une arme prohibée, une arme à autorisation restreinte, un dispositif prohibé, des munitions, des munitions prohibées ou des substances explosives. Pour ce qui est de l’application de l’ordonnance au service militaire, je juge que cette demande est appropriée dans les circonstances exceptionnelles de cette affaire, considérant l’identité du groupe auquel les menaces du contrevenant étaient destinées. Finalement, en ce qui concerne la durée de cette interdiction, considérant que la thérapie auquel se plie le contrevenant est d’une durée qui peut atteindre trois ans, je suis d’avis que la durée de cinq ans demandée par la poursuite est raisonnable, de manière à permettre que le contrevenant ait entièrement repris le contrôle sur sa vie avant de pouvoir de nouveau appliquer pour posséder des armes.

 

[34]           La Cour a considéré l’opportunité de rendre une ordonnance de prélèvement en vertu de l’article 196.14(3) de la Loi sur la défense nationale, mais a conclu qu’il n’y avait pas lieu de rendre une telle ordonnance à la lumière des représentations du procureur de la poursuite à l’effet qu’une telle ordonnance ne servirait pas au mieux l’administration de la justice militaire.

 

[35]           Caporal Rodrigue, les circonstances des infractions que vous avez admis avoir commises révèlent un comportement qui est complètement inacceptable de la part d’un militaire membre des Forces canadiennes. Je crois fermement que vous avez compris ça et que vous travaillez sérieusement à vaincre les troubles psychologiques qui vous affligent depuis votre retour de déploiement et qui ont eu un rôle important en ce qui concerne les infractions auxquelles vous avez avoué votre responsabilité. Conséquemment, après de difficiles délibérations, j’ai choisi de vous imposer la seule peine qui à mon avis est susceptible de rencontrer les objectifs de dénonciation et de dissuasion sans porter préjudice à votre réhabilitation tant au niveau psychologique que financier.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[36]           DÉCLARE le caporal Rodrigue coupable des trois chefs d’accusation portés en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale.

 

[37]           CONDAMNE le caporal Rodrigue à une peine de détention pour une durée de trente jours.

 

[38]           SUSPEND l’exécution de la peine de détention en vertu de l’article 215 de la Loi sur la défense nationale.


Avocats :

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par le major G. Roy.

 

Capitaine de corvette P. Desbiens, service d'avocats de la défense, avocat du caporal F.W. Rodrigue.

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