Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 17 novembre 2014.

Endroit : Le manège militaire lcol George Taylor Denison III, 1 chemin Yukon, Toronto (ON).

Chefs d’accusation

• Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, fraude (art. 380(1) C. cr.).
• Chefs d’accusation 2, 4, 6 : Art. 130 LDN, a commis un faux (art. 367 C. cr.).
• Chefs d’accusation 3, 5, 7 : Art. 130 LDN, emploi d’un document contrefait (art. 368(1) C. cr.).

Résultats :

VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 : Coupable.
SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 45 jours.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

Référence : R. c. Blackman, 2015 CM 3009

Date : 20150514

Dossier : 201342

Cour martiale générale

Manège militaire Lieutenant‑colonel George Taylor Denison III

Toronto (Ontario), Canada

Entre :

Sa Majesté la Reine

- et -

Maître de 2e classe R.K. Blackman, contrevenant

En présence du Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE LA SENTENCE

(Prononcés de vive voix)

[1]               Le 4 décembre 2014, la présente Cour martiale générale a reconnu le maître de 2e classe Blackman coupable à l’égard des sept accusations figurant à l’acte d’accusation, soit une accusation de fraude portée sous le régime du paragraphe 380(1) du Code criminel, trois accusations de faux sous le régime de l’article 367 du Code criminel et trois accusations d’usage de faux sous le régime du paragraphe 368(1) du Code criminel.

[2]               À la même date, le juge militaire Gibson, qui présidait la présente cour martiale générale, a ajourné au 6 janvier 2015 la procédure de détermination de la sentence, étant donné que l’avocat de la défense n’était pas en mesure de passer immédiatement à cette étape.

[3]               Le 6 janvier 2015, comme le contrevenant était alors absent, le juge militaire présidant la présente affaire, le juge Gibson, a décidé en cabinet de son report au 2 mars 2015, avec l’accord des deux avocats.  

[4]               Le 5 février 2015, dans l’intervalle, le juge Gibson a été nommé juge à la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Le 9 février 2015, le juge militaire en chef m’a nommé juge militaire suppléant, en application de l’article 196 de la Loi sur la défense nationale, afin que je poursuive le procès en cour martiale générale du maître de 2e classe Blackman.

[5]               Avec l’accord des deux avocats et par suite de deux téléconférences, il a été convenu que l’instance se poursuivrait le 30 mars 2015. J’ai procédé à l’instruction ce jour‑là et le lendemain. Le 1er avril 2015, alors que le contrevenant présentait sa preuve, l’avocat de la défense m’a informé qu’un témoin ne pourrait pas comparaître parce qu’il était à l’étranger. J’ai ajourné l’audience au 13 mai 2015 à la demande de l’avocat, date à laquelle ce dernier a terminé de présenter sa preuve et les deux avocats ont fait connaître leur point de vue à la cour sur la détermination de la sentence.

[6]               La présente cour martiale ayant prononcé sa conclusion avant que le juge militaire présidant l’instance n’ait plus été en mesure de la poursuivre, c’est à moi qu’il incombe en tant que juge militaire suppléant de déterminer la sentence.

[7]               Dans le contexte particulier d’une force armée, le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline, qui est une dimension essentielle de l’activité militaire dans les Forces canadiennes. Ce système vise à prévenir toute inconduite ou, exprimé de façon plus positive, à promouvoir la bonne conduite. C’est grâce à la discipline qu’une force armée s’assure que ses membres rempliront leurs missions avec succès, en toute confiance et fiabilité. Le système veille également au maintien de l’ordre public et fait en sorte que les personnes assujetties au Code de discipline militaire soient punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

[8]               En l’espèce, l’avocat de la poursuite a recommandé à la Cour d’infliger au contrevenant une sentence de quatre à six mois d’emprisonnement. Il voudrait aussi que la cour, en conjonction avec cette sentence, inflige une sentence de perte d’ancienneté et rétrograde le contrevenant au grade de matelot de 1re classe. De son côté, l’avocat de la défense a recommandé à la Cour de rétrograder le contrevenant au grade de matelot de 3e classe et de lui infliger une amende de 10 000 $ à 15 000 $. 

[9]                L’objectif fondamental de la détermination de la sentence par une cour martiale est d’assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline. Toutefois, le droit ne permet pas à un tribunal militaire d’imposer une sentence plus sévère que ne le requièrent les circonstances. En d’autres mots, toute sentence infligée par un tribunal doit être adaptée au contrevenant et représenter l’intervention minimale requise puisque la modération est le principe fondamental de la théorie moderne de la détermination de la sentence au Canada.

[10]           Lorsqu’elle inflige une sentence, la Cour tient compte d’au moins un des objectifs suivants :

a)                  protéger le public, ce qui comprend les Forces canadiennes;

b)                  dénoncer le comportement illégal;

c)                  dissuader le contrevenant et quiconque de commettre les mêmes infractions;

d)                  isoler au besoin les contrevenants du reste de la société;

e)                  réinsérer et réformer les contrevenants.

[11]           Le juge militaire doit également tenir compte des principes suivants :

a)                  la sentence doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction;

b)                  la sentence doit être proportionnelle à la responsabilité et aux antécédents du contrevenant;

c)                  la sentence doit être analogue à celles qui ont été infligées à des contrevenants ayant commis de semblables infractions dans de semblables circonstances;

d)                  le cas échéant, le contrevenant ne devrait pas être privé de sa liberté, si une sentence moins contraignante peut être justifiée dans les circonstances –bref, la Cour ne devrait avoir recours à une sentence d’emprisonnement ou de détention qu’en dernier ressort, comme l’ont reconnu la Cour d’appel de la cour martiale et la Cour suprême du Canada;

e)                  finalement, toute sentence devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration des infractions ou à la situation du contrevenant.

[12]           Vu la nature des infractions dont la présente Cour martiale générale a reconnu le contrevenant coupable, j’estime qu’en l’espèce la détermination de la sentence doit être centrée sur les objectifs de la dénonciation et de la dissuasion générale. Il convient de se rappeler que, suivant le principe de la dissuasion générale, la sentence infligée doit dissuader non seulement le contrevenant de récidiver, mais aussi quiconque se trouve dans une situation semblable d’adopter le même comportement illicite.

[13]           Le maître de 2e classe Blackman a fait son entrée dans les Forces canadiennes en 1992, à titre de commis SGR au sein de la Force de réserve. Pendant son service dans la Force de réserve, il a occupé divers postes de classe A et B. En septembre 2009, il a atteint la classe C, à titre de commis‑chef auprès du détachement du 2e Régiment de la Police militaire à Petawawa, en vue d’une mission en Afghanistan. À partir de ce moment‑là jusqu’en mars 2010, il a suivi à Petawawa un entraînement préalable au déploiement. D’avril à août 2010, il a été déployé en Afghanistan avec son unité.

[14]           Au cours de son entraînement préalable au sein de l’unité de police militaire et de son déploiement en Afghanistan, le contrevenant était absent de son domicile, compte tenu du fait que sa résidence était à Ottawa. Il avait à l’époque la garde de sa plus jeune fille, une adolescente. D’octobre 2009 à avril 2010, le contrevenant a présenté six demandes d’aide pour obligations familiales, visant un montant total de 12 460 $, à l’égard desquelles la cour martiale l’a reconnu coupable de fraude. Essentiellement, le contrevenant a présenté les demandes en invoquant le paiement de frais pour la garde de sa fille pendant sa formation, alors qu’en réalité il n’avait jamais fait de telles dépenses.

[15]           De plus, le contrevenant a falsifié une déclaration relative à l’aide pour obligations familiales, qu’il a présentée au soutien de ses demandes mensuelles de versement pour novembre et décembre 2009 et pour janvier 2010; pour ces actions, la présente cour martiale l’a reconnu coupable de faux et d’usage de faux. Essentiellement, le contrevenant a falsifié dans chaque document présenté les déclarations attribuées à un fournisseur de soins.

[16]           J’ai tenu compte des facteurs aggravants qui suivent :

a)                  L’infraction de fraude est objectivement grave. Son auteur est passible d’une sentence maximale de 14 années d’emprisonnement. Quant à l’infraction de faux et d’usage de faux, son auteur est passible d’une sentence maximale de 10 années d’emprisonnement.

b)                  J’ai aussi tenu compte de la gravité subjective de l’infraction, sous quatre angles :

                                       (1)                        La nature et la portée de la fraude. Il ne s’agissait pas d’une fraude complexe. Essentiellement, une déclaration relative à l’aide pour obligations familiales a été falsifiée et présentée au soutien d’une demande de versement. La fraude était de nature fort simple. Son ampleur était toutefois relativement importante, le montant total en cause étant de plus de 10 000 $.

                                       (2)                        Le niveau de préméditation était très élevé. En gros, vous avez demandé le versement d’une indemnité mensuelle pendant six mois. Vous saviez manifestement ce que vous faisiez, et vous n’avez pas hésité à refaire la même chose dans le contexte de la préparation à un déploiement, une situation inhabituelle servant à justifier vos actions.

                                       (3)                        Les demandes de versement reposaient entièrement sur vous, notamment sur votre intégrité et votre honnêteté. Vous avez clairement enfreint ces principes, dans un système s’appuyant principalement sur eux, alors que les attentes de vos pairs, de vos supérieurs et de votre organisation étaient très élevées. Vous avez brisé ce lien de confiance.

                                       (4)                        Vous avez tiré un avantage personnel de ces opérations. Malgré l’absence de preuve, il est clair que l’argent a été versé dans votre compte et qu’il vous a été possible d’en tirer profit.

[17]           J’ai aussi tenu compte des facteurs atténuants suivants :

a)                  Votre état fragile de santé mentale. Bien qu’aucune preuve n’établisse un lien entre vos problèmes de santé mentale et la perpétration des infractions ou ses répercussions, je suis malgré tout sensible au fait que la présente affaire a perturbé votre vie professionnelle et privée et a eu une incidence sur votre santé mentale. Vous vous efforcez d’assumer ces conséquences et vous avez demandé de l’aide, ce qui semble être un accomplissement pour un individu qui ne compte habituellement que sur ses propres moyens. Je vous encourage à continuer dans cette voie, qui semble vous donner du réconfort et avoir de bons résultats.

b)                  Il y a également des conséquences administratives en ce qui concerne votre rendement au travail depuis votre transfert dans la Force régulière en 2011, le manque de confiance de votre chaîne de commandement se manifestant sous la forme d’un retrait de votre autorisation de sécurité et le fait que vous avez fait l’objet d’un processus administratif de bilan de carrière qui est actuellement en suspens en raison de la présente cour martiale. Cette situation a nui à votre santé mentale alors que se déroulait la présente cour martiale. Même si cette situation était sans lien avec les infractions dont la cour est saisie, c’est néanmoins la vôtre, et je dois la considérer comme un facteur atténuant dans les circonstances.

c)                  Finalement, il ne faut pas oublier qu’à la suite de la déclaration de culpabilité, vous aurez un casier judiciaire. Cela aura une incidence sur votre vie professionnelle et privée et on ne doit pas en faire abstraction.

[18]           Tel qu’on l’a fait remarquer dans la décision R. c. Maillet, 2013 CM 3034, compte tenu de l’ampleur de l’organisation que représentent les Forces canadiennes, celles‑ci s’appuient en grande partie sur l’intégrité et l’honnêteté de leurs membres pour parvenir à une gestion saine des sommes qui leur sont confiées par le trésor public lorsqu’il s’agit de gérer les indemnités individuelles de leurs membres. Lorsqu’une fraude est commise au sens du Code criminel, il est important de souligner, comme l’ont fait plusieurs autres cours au Canada, y compris les cours martiales, qu’il s’agit d’un crime grave qui fait appel à un degré particulier de sévérité en raison de sa nature même et de ses répercussions. Les personnes qui se mettent volontairement au service de notre société, comme les membres des Forces, ne peuvent tenter d’aucune manière de tirer un bénéfice purement personnel auquel ils n’ont manifestement pas droit. S’ils le font, ils trahissent la confiance mise en eux par l’ensemble des Canadiens et par leurs dirigeants. Le juge Létourneau a traité plus généralement de cette question dans l’arrêt R. c. St‑Jean, CACM 429, au paragraphe 22.

[19]           Le juge militaire en chef, le juge Dutil, s’est exprimé en ces termes dans la décision R. c. Roche, 2008 CM 1001, au paragraphe 15 :

Nonobstant les décisions de la Cour d’appel de la cour martiale dans les affaires St-Jean, Lévesque, Deg et Vanier, force est de constater que, depuis les modifications apportées au Code criminel en 2004 relativement à la peine maximale applicable à l’infraction de fraude de plus de 5 000 dollars aux termes de l’alinéa 380(1)a) du Code criminel, les diverses cours d’appel au Canada ont généralement infligé des peines d’emprisonnement dans le cas de fraudes importantes ou lorsqu’elles sont commises envers l’employeur qu’elles se soient déroulées sur de longues ou courtes périodes.

Les tribunaux ont d’ailleurs recours à une peine privative de liberté au motif qu’elle s’impose pour atteindre les objectifs primordiaux que constituent la dissuasion générale et la dénonciation dans ce genre d’affaire, et ce même si le contrevenant n’a pas d’antécédents judiciaires; a enregistré un plaidoyer de culpabilité et a exprimé ses remords; a remboursé en totalité ou en partie les victimes; a peu de chance de récidives; et, qu’il est une personne appréciée et reconnue dans la communauté.

[20]           On a recommandé à la Cour de rétrograder le contrevenant au grade de matelot de 3e classe.

[21]           Dans l’arrêt de la Cour d’appel de la cour martiale dans l’affaire R. c. Fitzpatrick, 1995 CACM 381, le juge Goodfellow a décrit ainsi, au paragraphe 31, la nature d’une telle peine :

La sentence de rétrogradation est une sentence sévère. Elle entraîne des conséquences sur le plan de la carrière et des pertes financières considérables, en plus d’une atteinte au statut social et professionnel au sein des Forces armées. C’est un truisme d’affirmer que le grade confère des privilèges, et le fait de rétrograder quelqu’un au plus bas grade constitue un pas de géant en arrière, qui sans doute ne sert pas uniquement à exercer un effet de dissuasion sur l’individu concerné, mais exerce aussi un effet de dissuasion évident et marqué à l’égard des autres. Il y a des occasions où une sentence prononcée en contexte militaire se distingue à bon droit des peines imposées en général par les tribunaux civils, et la rétrogradation est certes une sentence purement militaire.

[22]           La juge Bennett a aussi clairement dégagé le sens d’une telle sentence dans l’arrêt que la Cour d’appel de la cour martiale a rendu dans l’affaire Reid c. R.; Sinclair c. R., 2010 CACM 4, au paragraphe 39 :

[…] La rétrogradation est un instrument important faisant partie de la trousse utilisée par le juge militaire dans la détermination de la peine. La rétrogradation sanctionne de manière plus efficace la perte de confiance des forces militaires envers le membre contrevenant que toute amende ou tout blâme pouvant être imposé. Cette perte de confiance s’exprime en l’instance par une rétrogradation à un poste où les contrevenantes ont perdu leur fonction de supervision.

[23]           Ainsi, la rétrogradation est une sentence purement militaire qui exprime la perte de confiance en la capacité du membre contrevenant de faire preuve de leadership à son grade actuel. Tel que le prévoit l’article 140.2 de la Loi sur la défense nationale, la rétrogradation peut être prononcée en même temps qu’est infligée une sentence d’emprisonnement.

[24]           J’estime qu’en l’espèce, la sentence de rétrogradation ne saurait être appliquée eu égard aux circonstances. Essentiellement, aucune preuve ne montre que le contrevenant, pour perpétrer ses infractions, s’est servi de son grade, de ses fonctions, de son poste, de son pouvoir, de ses connaissances, de ses compétences professionnelles ou encore de son expérience. Tel que l’a exprimé l’avocat de la poursuite, les faits ne révèlent pas le recours à un stratagème complexe, nécessitant des connaissances particulières de la part du contrevenant, pour la perpétration des infractions. Le contrevenant n’était pas en situation de confiance quant à la présentation ou au traitement des demandes de versement. L’honnêteté est ici en cause non pas en regard du grade, du poste ou des fonctions du contrevenant, mais seulement de sa situation d’employé par rapport à son employeur.

[25]           En de telles circonstances, ainsi, la rétrogradation ne semble pas appropriée comme sentence pour répondre aux objectifs de la dénonciation et de la dissuasion générale.

[26]           L’incarcération me semblerait donc la seule sentence qui convienne dans les circonstances pour atteindre les objectifs de la dénonciation et de la dissuasion générale, et c’est selon moi la sentence minimale qui doive être infligée compte tenu des faits d’espèce.

[27]           Maintenant, quel type d’incarcération serait‑il approprié en l’espèce? Le système de justice militaire dispose de mesures disciplinaires comme la détention, qui vise à réhabiliter les militaires détenus et à leur redonner l’habitude d’obéir dans un cadre militaire structuré qui repose sur les valeurs et les compétences propres aux membres des Forces canadiennes. Dans les cas où l’acte reproché déborde le cadre disciplinaire et constitue une activité proprement criminelle, alors là, il faut non seulement regarder l’infraction à la lumière des valeurs et des compétences propres aux membres des Forces canadiennes, mais aussi dans l’optique de l’exercice d’une compétence pénale concurrente.

[28]           Il m’apparaît donc évident que l’incarcération sous la forme de l’emprisonnement est la seule sanction adéquate et qu’il n’existe aucune une autre sanction ou combinaison de sanctions appropriée pour les infractions et le contrevenant. La Cour estime donc que l’emprisonnement est nécessaire pour assurer la protection du public et le maintien de la discipline.

[29]           Quelle devrait alors être la durée de la sentence d’emprisonnement? Eu égard à l’ampleur, à la complexité et à la durée de la fraude et aux actions prises par le contrevenant pour la commettre, je suis d’avis qu’une période moindre que celle recommandée par l’avocat de la poursuite, soit de quatre à six mois, serait appropriée en l’espèce. Compte tenu des principes applicables de détermination de la sentence, notamment la nécessité que la sentence soit analogue à celles infligées à des contrevenants ayant commis de semblables infractions dans de semblables circonstances par les tribunaux civils et militaires, ainsi que des facteurs aggravants et atténuants déjà mentionnés, je conclus que 45 jours d’emprisonnement semblerait être la sentence appropriée et la sentence minimale requise dans la présente affaire.

[30]           L’avocat de la défense a recommandé à la Cour de suspendre l’exécution de la sentence d’emprisonnement, par exercice des pouvoirs que lui confère l’article 215 de la Loi sur la défense nationale, cela étant justifié par la situation exceptionnelle du contrevenant qui aurait été démontrée dans la présente affaire.

[31]           L’article 215 de la Loi sur la défense nationale dispose ce qui suit :

Le tribunal militaire peut suspendre l’exécution de la peine d’emprisonnement ou de détention à laquelle il a condamné le contrevenant.

[32]           Cet article figure à la section 8 du Code de discipline militaire établi dans la Loi sur la défense nationale, qui renferme les dispositions applicables à l’emprisonnement et à la détention. Le pouvoir de suspendre l’exécution d’une sentence d’emprisonnement est un pouvoir discrétionnaire et exceptionnel qu’un tribunal militaire, y compris une cour martiale, peut exercer. Ce pouvoir diffère de celui prévu à l’article 731 du Code criminel, qui permet à un tribunal civil de juridiction criminelle de surseoir au prononcé de la sentence tout en rendant à l’égard du contrevenant une ordonnance de probation. Il diffère aussi du pouvoir prévu à l’article 742.1 du Code criminel portant sur la condamnation à l’emprisonnement avec sursis, qui permet à un tribunal civil de juridiction criminelle d’ordonner qu’un contrevenant purge sa sentence dans la collectivité.

[33]           La Loi sur la défense nationale n’énonce aucun critère particulier pour l’application de l’article 215. L’interprétation appropriée de cette application par une cour martiale est bien claire à l’heure actuelle, différents juges militaires l’ayant établie dans d’autres affaires. J’ai moi‑même exposé mon approche sur ce point dans diverses cours martiales, en tant que juge militaire, depuis que j’ai rendu la décision R. c. Paradis, 2010 CM 3025.

[34]           Essentiellement, si le contrevenant démontre, selon la prépondérance des probabilités, l’existence de circonstances particulières qui lui sont propres ou d’exigences opérationnelles propres aux Forces canadiennes justifiant l’obligation de suspendre la sentence d’emprisonnement ou de détention, alors la Cour délivrera une telle ordonnance. Par contre, avant d’agir ainsi, la Cour se doit d’examiner, une fois qu’elle conclut qu’une telle ordonnance est appropriée, si la suspension de cette sentence ne minerait pas la confiance du public dans le système de justice militaire, en tant qu’élément du système de justice canadien en général. Si elle conclut que non, alors la Cour rendra l’ordonnance.

[35]           Fondamentalement, le maître de 2classe Blackman est aux prises avec une situation difficile qu’il a lui‑même créée de diverses manières. Il tente manifestement d’aborder plus positivement la vie et les divers petits obstacles auxquels il est confronté, sur le plan professionnel et personnel. Il n’a pas une vie facile, mais, avec l’aide de professionnels et en s’appuyant sur sa propre volonté, il semble bien avoir toutes les chances de réussir.

[36]           Quoi qu’il en soit, le fait que le contrevenant s’en tirerait mieux sans incarcération, en ayant ainsi accès aux meilleurs soins possibles, ne saurait être déterminant. Pendant qu’il purgera sa sentence d’emprisonnement, le contrevenant aura accès à des traitements et à des soins de suivi offerts par des consultants qualifiés dans le domaine de la santé. À la Caserne de détention et prison militaire des Forces canadiennes, si je comprends bien, le contrevenant aura accès à de tels soins et disposera d’un tel soutien. Le psychiatre, le psychologue et le travailleur social qui s’occupent actuellement du contrevenant pourront transmettre toute information requise aux personnes qui lui donneront des soins pendant son séjour en prison.

[37]           J’estime ainsi que le contrevenant n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, l’existence de circonstances particulières justifiant l’obligation pour la Cour de suspendre l’exécution de sa sentence d’emprisonnement.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[38]           VOUS CONDAMNE à de l’emprisonnement pour une période de 45 jours.


Avocats :

Le Directeur des poursuites militaires, représenté par le major D. Martin et le capitaine de corvette D.R. Reeves.

Major D. Hodson, Direction du Service d’avocats de la défense, avocat du maître de 2e classe R.K. Blackman.

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