Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 9 mars 2015.

Endroit : Garnison Saint-Jean, édifice Mégastructure, salle B-138, C.P. 100, Succursale Bureau-chef, Richelain (QC).

Chefs d’accusation

• Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 95 LDN, a maltraité une personne qui en raison de son grade et de son emploi lui était subordonnée.
• Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).
• Chef d’accusation 3 (subsidiaire au chef d’accusation 4) : Art. 95 LDN, a maltraité une personne qui en raison de son grade et de son emploi lui était subordonnée.
• Chef d’accusation 4 (subsidiaire au chef d’accusation 3) : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).Chef d’accusation 5 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats :

• VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 2, 3, 4, 5 : Non coupable.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

 

Référence : R. c. Guarnaccia, 2015 CM 3006

 

Date : 20150320

Dossier : 201447

 

Cour martiale permanente

 

Base de soutien de la 2e division du Canada Valcartier

Détachement St-Jean

Saint-Jean-sur-Richelieu, Québec, Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal J.F. Guarnaccia, accusé

 

Devant : Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.

 


 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Oralement)

 

INTRODUCTION

 

[1]               Le 28 octobre 2014, le Directeur des poursuites militaires procédait à une mise en accusation formelle de cinq infractions d’ordre militaire à l’égard du caporal Guarnaccia : il s’agit de deux chefs d’accusation pour avoir maltraité un subordonné en vertu de l’article 95 de la Loi sur la défense nationale (LDN); de deux chefs d’accusation portés en vertu de l'article 130 de la LDN pour avoir commis des voies de fait contrairement à l’article 266 du Code criminel; et d’un dernier chef d’accusation en raison d’un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline pour avoir harcelé les stagiaires d’un peloton de recrues contrairement à l'article 129 de LDN.

 

[2]               L’ensemble de ces chefs d’accusations concernent des événements qui se seraient produits à l’École de leadership et de recrues des Forces canadiennes (ELRFC) située à la Garnison Saint-Jean, Saint-Jean-sur-Richelieu, province de Québec, entre le 25 octobre 2009 et le 1er février 2010, à l’égard des stagiaires du peloton R34 du cours de qualification militaire de base de soldat portant le numéro de série R0297F, alors que le caporal Guarnaccia y était un instructeur.

 

LA PREUVE

 

[3]               La preuve présentée à la cour durant l’audition qui a duré six jours, soit du 9 au 13 mars, ainsi que le 16 mars 2015, est constituée principalement du témoignage de neuf membres du peloton en question, dont huit d’entre eux ont été cité à comparaître par la poursuite, soit : le caporal Gagné, monsieur Robichaud, le caporal Lessard, le soldat Roussy, le caporal Dandurand, le caporal Nantel, le caporal McGraw et la caporale Roy. Un témoin a été cité à comparaître par l’accusé, soit le soldat Poudrier.

 

[4]               Certains documents ont aussi été produits par les parties, soient :

 

a)                  une copie de la déclaration signée par le caporal Guarnaccia le 28 août 2002, à l’effet qu’il a lu, compris et adhère à la politique des Forces canadiennes sur la discrimination et le harcèlement;

 

b)                  une copie du rapport de cours de qualification militaire de base de soldat concernant monsieur Robichaud signé par ce dernier le 20 janvier 2010;

 

c)                  une copie d’un rapport du site web Météo Média imprimé en date du 16 mars 2015 concernant la température minimum, maximum et moyenne à Saint-Jean-sur-Richelieu pour les journées du 10 au 13 janvier 2010.

 

[5]               Le caporal Guarnaccia a admis, par le biais de son avocat, certains faits que la poursuite doit prouver à l’égard de certains éléments essentiels des infractions apparaissant à l’acte d’accusation, dispensant ainsi cette dernière de prouver l’identité de l’accusé en tant qu’auteur de l’infraction, la date et le lieu tel qu’allégué à l’égard des cinq chefs d’accusation.

 

[6]               De plus, le caporal Guarnaccia a admis, toujours par le biais de son avocat, les faits suivants :

 

a)                  qu’il faisait partie de l’équipe d’instructeurs du peloton de recrues concernant le cours portant le numéro de série R0297F qui s’est tenu du 26 octobre 2009 au 26 février 2010;

 

b)                  que les candidats du cours portant le numéro de série R0297F concernant le peloton R34 étaient des subordonnés à l’accusé en raison de leur grade et emploi;

 

c)                  qu’il a signé la déclaration relative à la politique des Forces canadiennes concernant la discrimination et au harcèlement, pièce 3, le 28 août 2002, avant son réenrôlement dans les Forces canadiennes le 13 novembre 2003;

 

d)                 que la directive et ordonnance administrative de la Défense (DOAD) portant le numéro 5012-0 a été publiée et régulièrement notifiée au caporal Guarnaccia et qu’elle a été mise à sa disposition conformément aux exigences de l’article 1.21 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC).

 

[7]               Pour sa part, le procureur de la poursuite a admis l’existence de certains faits, aux fins de passer outre à la preuve de ces derniers, dont l’effet est de restreindre l’étendue des faits à prouver par la défense, et qui sont les suivants :

 

a)                  que monsieur Robichaud n’a pas été diagnostiqué comme souffrant du syndrome de stress post-traumatique (SSPT) par les docteurs Tremblay et Amado;

 

b)                  que dans un rapport daté du 9 novembre 2010, le docteur Tremblay a posé le diagnostic suivant à l’égard de monsieur Robichaud : «Trouble d’adaptation avec humeur mixte et plusieurs symptômes post traumatiques, sans rencontrer tous les critères d’un PTSD »;

 

c)                  que dans un rapport daté du 27 mars 2012, le docteur Amado a posé le diagnostic suivant à l’égard de monsieur Robichaud : « Trouble d’adaptation avec humeur anxieuse (monsieur ne satisfait pas aux critères diagnostiques d’un état de stress post-traumatique) ».

 

[8]               Finalement, la cour a pris connaissance judiciaire des éléments énumérés à l'article 15 des Règles militaires de la preuve, incluant la teneur, mais non de la publication ou de la suffisance de leur notification, de la DOAD numéro 5012-0, « Prévention et résolution du harcèlement », publié le 20 décembre 2000.

 

LES FAITS

 

[9]               Le caporal Guarnaccia était un instructeur de l’ELRFC situé à la Garnison Saint-Jean, à Saint-Jean-sur-Richelieu. Il a été affecté sur le cours de qualification militaire de base de soldat qui s’est tenu du 26 octobre 2009 au 26 février 2010. Il faisait partie de l’équipe d’instructeurs assignée au peloton R34 sur le cours portant le numéro de série R0297F. Ce cours de quatorze semaines comptait une soixantaine de candidats au total lorsqu’il a débuté, et environ une quarantaine d’entre eux ont terminé ce cours avec succès.

 

[10]           Selon les témoins, le caporal Guarnaccia a surtout exercé la fonction de « marcheur », c’est-à-dire l’instructeur qui accompagnait seul le peloton dans ses divers déplacements durant la journée. Il a aussi participé de manière régulière aux inspections des membres du peloton et il a donné, à l’occasion, des cours d’exercice élémentaire (drill) ou certains cours en classe. Il était affecté à la section 4 afin d’assister un autre instructeur, soit le caporal-chef Laframboise, qui a été remplacé par la suite par le sergent Robert.

 

[11]           L’ensemble des témoins ont relaté divers événements qu’ils auraient vus ou entendus personnellement durant le cours en question et impliquant le caporal Guarnaccia. Certains candidats qui ont témoigné devant la cour, se sont joints au cours alors qu’il avait débuté depuis un certain temps déjà et ont dû le quitter. D’autres ont commencé dès le début mais ont dû abandonner avant la fin et finalement certains témoins ont débuté et terminé ce cours avec succès.

 

[12]           Afin de permettre une meilleure compréhension des faits qui ont été relatés par les divers témoins qui ont été cités à comparaître par les deux parties, la cour a décidé d’aborder cette partie de sa décision en débutant avec les punitions de nature physique qui auraient été imposées à l’ensemble des membres du peloton, suivi des incidents qui auraient eu lieu durant les inspections, et terminer avec les autres incidents présentés comme constituant du harcèlement de la part de l’accusé à l’égard de certains membres spécifiques du peloton.

 

PUNITION DE NATURE PHYSIQUE

 

Les push-ups à l’intérieur de la « Méga »

 

[13]           Tel que décrit par de nombreux témoins, dans le cadre d’un cours de qualification militaire de base comme celui de soldat recrue, l’utilisation de sanctions purement physique impliquant un individu ou l’ensemble du groupe était une mesure apparaissant normale et faisant partie des attentes de ceux qui les subissaient.

 

[14]           L’utilisation des push-ups, les pompes selon le dictionnaire « Le Petit Robert » est un exercice de musculation qui consiste à ce qu’une personne abaisse et relève alternativement, par l’action de ses bras, en gardant le corps droit alors qu’il repose uniquement sur ses deux pieds joints et ses deux mains positionnées un peu plus loin que l’envergure des épaules. Cet exercice était utilisé par l’ensemble des instructeurs sur le cours afin de sanctionner le groupe de candidats pour différents manquements mineurs, tout en étant une occasion d’améliorer et de maintenir, avec l’usage, la condition physique des candidats.

 

[15]           Huit témoins ont décrit à la cour un incident qui aurait eu lieu dans le secteur vert situé à l’une des extrémités de l’édifice appelé la « Méga », plus précisément où sont situés les casiers utilisé par les candidats, et qui sont répartis des deux côtés d’un long couloir. L’ensemble des témoins ont référé à cet endroit comme étant les casiers verts.

 

[16]           L’ensemble des membres du peloton R34 aurait été présent et le caporal Guarnaccia était le seul instructeur présent parce qu’il devait accompagner le groupe qui devait se déplacer à un autre endroit.

 

 

[17]           Cet incident comporte trois épisodes distincts qui ont été relatés par un certain nombre de témoins.

 

Premier épisode

 

[18]           Le premier épisode implique le fait que le caporal Guarnaccia, alors que tous les membres du peloton faisaient des push-ups sur les poings tel qu’il l’avait exigé, aurait agrippé la chemise de monsieur Robichaud, à cette époque le soldat Robichaud, et que ce dernier l’aurait relevé ou que le candidat se serait relevé avec son aide.

 

[19]           Le soldat Robichaud, qui était âgé de 44 ans au moment de se joindre aux Forces canadiennes, a décrit à la cour qu’il avait été enrôlé pour aller dans le métier de renseignement et qu’il s’agissait d’une première occasion où quelqu’un qui n’avait aucune expérience militaire se voyait donner l’occasion d’aller dans ce métier.

 

[20]           Essentiellement, il a décrit à la cour que suite à son enrôlement, il était prévu qu’il fasse son cours de qualification militaire de base et son cours de métier, pour être ensuite employé immédiatement dans le renseignement, en raison de ses expériences antérieures de travail. Selon ce que la cour comprend de son témoignage, seuls les militaires ayant déjà une certaine expérience au sein des Forces canadiennes étaient habituellement recrutés pour exercer le métier dans le renseignement, et il constituait donc une exception à cette méthode.

 

[21]           Le soldat Robichaud était le plus âgé des candidats et il se situait bien au-dessus de la moyenne d’âge de l’ensemble des membres du peloton qui avaient entre 18 et 20 ans. Plusieurs témoins, incluant lui-même, ont témoigné qu’il n’était pas dans une excellente forme physique et qu’il peinait à suivre le groupe. Cependant, il rencontrait les normes minimales requises sur le plan physique pour suivre ce cours.

 

[22]           Il a dit à la cour que durant la première semaine du cours, après dîner, alors qu’il était habillé en civil, car les membres du peloton n’avaient toujours pas reçu leurs vêtements militaires, lorsqu’ils étaient tous aux casiers verts, le caporal Guarnaccia aurait exigé que tous les candidats du peloton se placent en position push-up sur les jointures des mains car le groupe n’aurait pas respecté l’emploi du temps, « le timing ».

 

[23]           Le soldat Robichaud s’est placé dans la position exigée par l’instructeur comme tous les autres membres du peloton. Le plancher était en ciment mais il avait une petite roche sous l’une de ses jointures et il s’est mis à gémir parce que cela était douloureux. Le caporal Guarnaccia se serait approché de lui et lui aurait donné un coup très fort avec les poings fermés sur ses épaules. Il a alors ressenti une douleur aux épaules. Il se serait alors écrasé en pleine face. L’accusé l’aurait alors ramassé par les épaules et l’aurait tiré pour le placer debout. Le caporal Guarnaccia lui aurait dit d’arrêter de pleurer comme une petite fille, de ne pas faire la mauviette et il a sacré après lui. Il a repris la position push-up et il a complété le nombre exigé sur les jointures.

 

[24]           Le caporal Gagné a aussi témoigné concernant un incident semblable impliquant le soldat Robichaud. Il a dit à la cour qu’il s’est joint au peloton durant la quatrième semaine du cours et qu’il aurait quitté le cours entre la huitième et douzième semaine en raison du fait qu’il aurait échoué un test physique. Il n’était pas en mesure de situer le moment exact où l’événement s’est produit.

 

[25]           Il a décrit que lorsque le peloton était aux casiers verts et qu’il faisait du change parade, le caporal Guarnaccia a fait faire du squat et il a aussi fait adopter la position push-up sur les poings à tous les membres du peloton. Il a dit qu’ils portaient tous l’uniforme de combat. Il se rappelle que l’instructeur criait très fort et qu’il s’en est pris au soldat Robichaud. Il a affirmé que le caporal Guarnaccia a empoigné la chemise du soldat Robichaud en faisant un tourniquet dedans pour se faire une poignée, alors que ce dernier faisait des push-ups et il l’a aidé à en faire en le soulevant avec une force excessive. Cela avait pour effet de donner des coups de poing dans le dos au soldat Robichaud. De plus, il affirme que l’accusé lui a donné aussi quelques coups de pieds. Par contre, il a précisé qu’il n’a pas vu les pieds de l’instructeur touchés le candidat. Tout en faisant cela, le caporal Guarnaccia aurait traité le soldat Robichaud de wimp. Il a dit que les membres du peloton étaient en ligne et qu’il était à une dizaine de pieds du soldat Robichaud, qu’il voyait bien d’ailleurs, lorsque cela s’est produit.

 

[26]           Le caporal Gagné a mentionné qu’avec le temps, le soldat Robichaud semblait souffrir de paranoïa et que ça marchait mal dans sa tête parce qu’il pensait qu’il faisait l’objet d’une surveillance constante en tout temps, autant le jour que la nuit. Il pensait qu’il y avait des caméras partout et que des gens lui jouaient des tours en plaçant chaque nuit des pièces de monnaie un peu partout dans le secteur de son cubicule afin de le garder sur ses gardes. Il lui apparaissait comme étant oppressé, accablé en raison du fait que les instructeurs étaient tout le temps sur son dos.

 

[27]           Le soldat Robichaud a confirmé qu’il avait mentionné au membre de son peloton qu’il pensait qu’il y avait des caméras partout et ceci afin dit-il de tenir les plus jeunes tranquilles.

 

[28]           Le soldat Roussy a aussi relevé un incident similaire aux casiers verts. Il était depuis le tout début du cours sur ce peloton. Il a décrit le caporal Guarnaccia comme étant plus direct et qu’il s’attardait plus aux individus que les autres instructeurs du cours. Il voulait que les candidats s’améliorent et ne lâchent pas, selon sa perception.

 

[29]           Il a décrit une séance de push-up à laquelle les membres du peloton ont été soumis par le caporal Guarnaccia où sont situés les casiers verts. Il se rappelle qu’ils devaient adopter la position push-up sur les jointures des mains. Ils devaient faire des push-ups pour une durée de 30 secondes à une minute. Il a mentionné que le caporal Guarnaccia s’en prenait verbalement à ceux qui avaient de la difficulté. Il a crié après le soldat Sauvé et le soldat Robichaud. Il a remarqué que le caporal Guarnaccia était penché près du soldat Robichaud et lui criait après. Il a entendu une claque dans le dos du soldat Robichaud, ce qui lui a donné l’impression que le caporal Guarnaccia allait l’agripper pour l’aider à se lever. Il n’a pas vu si le soldat Robichaud s’est levé ou non.

 

[30]            Le soldat Dandurand a aussi décrit à la cour un incident semblable qui aurait eu lieu aux casiers verts. Il a dit que le caporal Guarnaccia est arrivé et qu’il ne semblait pas de bonne humeur. Il a fait adopter la position push-up aux membres du peloton. Il ne se rappelle pas s’ils devaient être sur les mains à plat ou sur les jointures. Il était directement à côté du soldat Robichaud, mais à une certaine distance de ce dernier.

 

[31]           Le soldat Robichaud a gémi et le caporal Guarnaccia est immédiatement accouru près de lui, il l’a saisi par la chemise de combat au niveau des épaules, il l’a levé et il l’a mis avec force dans les cases.

 

[32]           Le caporal Nantel a, quant à lui, parlé d’un incident assez similaire. Il a dit qu’alors que les membres du peloton étaient en position push-up aux casiers verts, en deux rangs, le caporal Guarnaccia a entendu quelqu’un gémir, s’est dirigé d’abord vers le soldat Sauvé, puis vers le soldat Robichaud. Il a dit qu’il s’est approché du soldat Robichaud, qu’il l’a « grabbé » par la chemise de combat pour l’aider à se lever et qu’il l’a repoussé. Alors qu’il s’est fait repoussé, le soldat Robichaud se serait enfargé dans une personne et il serait tombé contre les cases, ce qui aurait fait un grand bruit. Il se serait relevé et il aurait repris la position push-up. Il a pu observer tout cela car il y avait seulement trois à cinq candidats entre lui et le soldat Robichaud. Sur le coup, cela l’a laissé sous le choc d’assister à un tel événement. Cependant, il y avait d’autres choses à penser durant la journée et il est simplement passé à autre chose.

 

[33]           La caporale Roy a mentionné aussi dans son témoignage un incident similaire.  Alors que les membres du peloton étaient aux casiers verts, en position push-up sur les jointures, le caporal Guarnaccia se serait approché du soldat Robichaud qui se plaignait, probablement en raison de la douleur, et il l’aurait saisi par sa chemise pour le soulever. La caporale Roy ne se rappelle pas s’il l’a soulevé complètement en position debout ou non. Il lui aurait dit d’arrêter de se plaindre et de payer comme les autres, et il l’aurait déposé en position push-up. Lors de cet événement, la caporale Roy était près du soldat Robichaud avec le corps orienté dans le sens opposé à ce dernier. Il était situé à sa gauche.

 

[34]           Le soldat Poudrier a décrit un incident où les membres du peloton étaient en position push-up sur les mains à plat aux casiers verts. Il a dit à la cour que le peloton était divisé en deux files, de chaque côté du corridor le long des casiers. Les pieds des candidats étaient près des casiers et leur tête pointait vers le centre du corridor. Le caporal Guarnaccia se serait approché du soldat Robichaud qui n’était plus capable de faire des push-ups, il l’aurait touché avec sa main sur le dos pour attirer son attention et lui aurait demandé ce qui se passait. Le soldat Poudrier a compris que le soldat Robichaud n’avait plus de force et ne pouvait plus faire de push-up. Le caporal Guarnaccia lui aurait indiqué alors de se lever, ce qu’il a fait.

 

[35]           Le soldat Poudrier a témoigné que le caporal Guarnaccia n’a jamais obligé qui que ce soit à faire des push-ups sur les jointures, que ce dernier en faisait lui-même sur les jointures avec les candidats mais sans l’exiger et pour ceux qui l’ont fait, incluant lui-même, cela était sur une base volontaire pour essayer. Il a reconnu que cela était quand même difficile à accomplir.

 

[36]           Il a témoigné qu’il a été surpris des discussions qui ont eu lieu le soir même entre les candidats et encore plus sur les rumeurs qui ont circulées et qui étaient exagérées par rapport à ce qu’il avait observé de cet épisode de push-up. Il a indiqué que cet événement a fait l’objet de discussions entre les membres du peloton pendant une à deux semaines.

 

[37]           Finalement, le caporal Lessard a dit à la cour qu’il ne se rappelait d’aucun contact physique entre le soldat Robichaud et le caporal Guarnaccia.

 

Deuxième épisode

 

[38]           Le deuxième épisode relative aux push-ups aux casiers verts, implique une mention par certains témoins que le caporal Guarnaccia aurait simulé de donner un coup de pied au caporal Robichaud dirigé vers son ventre ou sa tête sans le toucher alors qu’il était en position push-up. Le caporal Gagné concluait dans son témoignage qu’il pensait qu’une couple de coups de pied avait été réellement donnée mais sans pouvoir observer si cela était vraiment le cas. Le caporal Nantel et le caporal McGraw ont décrit dans leur témoignage respectif une telle simulation et le caporal Lessard a parlé de la même chose mais dans le cadre de push-ups faits à l’extérieur de l’édifice.

 

Troisième épisode

 

[39]           Quant au troisième épisode durant la même séance de push-up à l’intérieur, le soldat Roussy et les caporaux Dandurand et Roy ont aussi témoigné quant à une simulation de coup de pied fait par le caporal Guarnaccia à l’égard cette fois du soldat Sauvé qui aurait été aussi fait alors qu’il était dans la position push-up. Le soldat Robichaud a aussi mentionné une telle simulation mais ne se rappelait pas à l’égard de qui cela avait été fait.

 

Les push-ups à l’extérieur de la « Méga »

 

[40]           Certains témoins ont aussi rapporté que le caporal Guarnaccia a exigé des membres du peloton de faire des push-ups sur les jointures des mains, poings fermés, à l’extérieur du bâtiment.

 

[41]           Le même jour qu’ils ont fait des push-ups aux casiers verts, le caporal Gagné a dit à la cour qu’ils ont fait des push-ups préalablement sur les jointures à l’extérieur sur l’asphalte et qu’il avait les jointures abîmées après cet exercice.

 

[42]           Monsieur Robichaud a rapporté à la cour qu’après l’incident des push-ups aux casiers, tous les membres du peloton sont sortis et ils se sont rendus à la course à un autre endroit. Afin d’attendre les retardataires qui ne suivaient pas le groupe, le caporal Guarnaccia a fait mettre en position push-up sur l’asphalte ceux qui attendaient. Lorsqu’ils avaient rejoint le groupe, les retardataires devaient adopter la même position et des push-ups étaient faits et ils repartaient tous à la course. Monsieur Robichaud a mentionné qu’il a eu les jointures abîmées jusqu’au sang et qu’il a eu une infection à l’une de ses jointures qui a duré deux semaines.

 

[43]           Le caporal Lessard a dit à la cour se rappeler d’une fois où les candidats ont couru sur le chemin d’asphalte de la base entre les cuisines et le détachement de police militaire. Le caporal Guarnaccia a fait faire des push-ups sur les jointures des mains aux membres du peloton sur l’asphalte. Il se rappelle qu’il avait les jointures abîmées, comme plusieurs autres candidats.

 

[44]           Avant de devoir quitter le cours en raison d’une blessure, soit vers la cinquième semaine, le soldat Roussy a affirmé à la cour que le caporal Guarnaccia avait imposé aux candidats du peloton, alors qu’ils étaient à l’extérieur de l’édifice sur le gazon, une séance de push-up sur les jointures des mains.

 

[45]           La caporale Roy a décrit à la cour une séance de push-up sur les jointures des mains qui auraient été imposées par le caporal Guarnaccia durant une fin de semaine. Il aurait surgi un peu avant le moment que le peloton se rendre à la clinique médicale pour la vaccination. Il aurait demandé à tous les membres du peloton de sortir et il les aurait mis en position push-up sur les jointures. Ils étaient répartis pêle-mêle à l’extérieur. La caporale Roy a rapporté qu’elle avait pu réussir à gérer la difficulté de faire un tel exercice en pouvant mettre ses jointures entre le joint de deux dalles de béton.

 

[46]           Le caporal Nantel a spécifié à la cour qu’il se rappelait de deux séances de push-up et que chaque fois, la surface sur laquelle il les a faits était de l’asphalte. Il a mentionné qu’il avait les jointures abîmées, il y avait un saignement et des roches étaient restées collées aux jointures.

 

Le front sur le casier

 

[47]           Les caporaux Lessard, Dandurand, Roy et monsieur Robichaud ont décrit un exercice physique qui aurait été imposé par le caporal Guarnaccia aux membres du peloton. Il s’agit pour le candidat d’appuyer sa tête contre un casier dans le secteur vert, d’éloigner ses pieds d’environ 30 centimètres du casier pour avoir le corps en position inclinée, sans s’appuyer avec les mains. Cela pouvait durer de cinq à dix minutes.

 

[48]           Le caporal Lessard a spécifié que cela lui est arrivé une seule fois durant une inspection. Il a vu cela se faire à l’égard des autres candidats mais pas nécessairement imposé par le caporal Guarnaccia.

 

 

Les inspections

 

[49]           Le caporal Gagné a témoigné de l’attitude et du traitement dont il a fait l’objet de la part du caporal Guarnaccia. Il a dit à la cour que durant une inspection, l’accusé l’avait menacé de le jeter en bas du dixième étage de l’édifice, qu’il ne trouverait plus d’emploi dans la fonction publique ou à l’extérieur, qu’il ferait tout en sorte pour qu’il sorte des Forces canadiennes.

 

[50]           Il a relaté que le caporal Guarnaccia l’aurait frappé à la poitrine d’un coup de poing à deux ou trois reprises différentes durant des inspections afin de le provoquer et qu’il n’a pas réagi afin d’éviter tout problème. Il considère qu’il aurait pu se défendre mais il ne l’a pas fait. Il a ressenti une douleur, de l’impuissance, une domination et une incapacité de réagir à la situation.

 

[51]           Monsieur Robichaud a indiqué à la cour que durant une inspection du commandant, le caporal Guarnaccia lui a interdit de s’asseoir alors que le sergent Bouchard lui avait dit le contraire parce qu’il était blessé au talon d’Achille. Il a précisé que le caporal Guarnaccia l’a frappé avec son épaule sur sa propre épaule, alors qu’il était au garde-à-vous, afin d’essayer de lui faire perdre l’équilibre.

 

[52]           Le caporal Lessard a dit à la cour que durant les inspections, le caporal Guarnaccia prenait plaisir à bumper les candidats de sa section alors qu’ils étaient au garde-à-vous. Il tentait ainsi de provoquer un déséquilibre. Le caporal Lessard a affirmé que dans son cas, cela ne le faisait même pas bouger et que la force appliquée par le caporal Guarnaccia n’était pas excessive.

 

Autres comportements

 

[53]           Le caporal Gagné a mentionné qu’il portait un tatouage au cou qui disait « Hell on earth ». Il s’est fait faire ce tatouage à l’âge de 18 ans et considère cela comme une erreur de jeunesse. Le caporal Guarnaccia était au courant de cela et il le traitait de Hells Angels parce qu’il venait de la ville de Sorel. Il l’aurait intercepté une fois sorti du cours, dans la « Méga », l’aurait mis au garde-à-vous et aurait demandé de vérifier son tatouage en lui disant qu’il prouverait qu’il était un Hells Angels. Le caporal Gagné a été interrogé par la police militaire en raison de son tatouage.

 

[54]           Le caporal Lessard a témoigné à l’effet que le caporal Guarnaccia a affirmé au caporal Gagné, devant tous les membres du cours, alors qu’il n’était plus membre du peloton, qu’il ne finirait pas les Forces tant qu’il serait là.

 

[55]           Il a aussi mentionné qu’il a entendu certains propos un peu particulier de la part du caporal Guarnaccia à l’égard d’un candidat de race noir. Le caporal Guarnaccia aurait demandé aux membres du peloton pourquoi les Forces canadiennes engageaient plus de candidats de race noire. Et il aurait répondu de lui-même que c’était en raison de ce qui était arrivé en Somalie.

 

[56]           Monsieur Robichaud a décrit l’événement où il s’est blessé à nouveau le 11 janvier 2010 et qui a résulté en sa sortie du peloton R34 pour raison médicale. Il a dit à la cour qu’à son retour de vacances des fêtes, il n’était plus restreint médicalement en raison de sa blessure car la période de restriction prévue au billet médical était expirée. Il a indiqué cela au caporal Guarnaccia qu’il devait retourner à la clinique médicale pour un suivi concernant sa blessure.

 

[57]           Le caporal Guarnaccia lui aurait alors indiqué d’aller chercher ses affaires et de rejoindre le peloton. Une marche a débuté en fin d’après-midi. Par la suite, les membres du peloton se sont rendus au terrain de parade intérieur où ils ont dû faire une course. Le soldat Robichaud avait à peine entamé la course qu’il a senti une vive douleur au talon d’Achille. Le caporal Guarnaccia a exigé, en criant et en apparaissant hors de lui, qu’il se relève et qu’il termine la course. Par la suite, malgré qu’un autre instructeur ait constaté qu’il s’était blessé, il a dû suivre le peloton et retourner à ses quartiers avec l’aide d’un autre candidat. Ce n’est que le lendemain matin qu’il a pu se rendre à la clinique où il s’est vu imposer de nouvelles restrictions médicales en raison de sa blessure. Il a quitté le peloton le 20 janvier 2010 en raison de cette dernière.

 

[58]           Monsieur Robichaud a mentionné qu’il faisait l’objet d’un dénigrement constant de la part du caporal Guarnaccia. Ce dernier lui aurait dit qu’il n’avait pas sa place dans les Forces, particulièrement dans les renseignements, et qu’il ne finirait pas le cours. Les caporaux Dandurand, McGraw et Roy ont confirmé que le caporal Guarnaccia s’acharnait sur le soldat Robichaud. La caporale Roy attribue peut-être cette attitude à une note de service écrite par le soldat Robichaud qui avait permis aux membres du peloton de respecter une exigence des instructeurs.

 

[59]           Le caporal Dandurand a dit à la cour que le caporal Guarnaccia aurait mentionné « qu’on se débarrasse des pas bons, que la sélection naturelle se fait » en parlant du soldat Robichaud qui n’était plus alors sur le cours.

 

[60]           Les caporaux Dandurand et Roy ont témoigné à l’effet que le caporal Guarnaccia s’acharnait aussi sur le cas du soldat Duchesne en raison de son apparence physique, particulièrement sa dentition et son sourire, et qu’il ne manquait pas de souligner cela devant tous les membres du peloton par des propos peu gratifiants. De plus, il ne manquait pas une occasion de faire sentir au soldat Duchesne qu’il n’avait pas les aptitudes pour devenir un fantassin avec le Royal 22e régiment. La caporale Roy a souligné comment le caporal Guarnaccia s’est réjoui d’annoncer au soldat Duchesne qu’il avait échoué son test d’arme. Elle a décrit le soldat Duchesne comme quelqu’un montrant peu ses émotions mais elle l’a vu pleurer et elle a compris qu’il voulait que les instructeurs le laissent tranquille.

 

LE DROIT

 

[61]           Le premier et le plus important des principes de droit applicables à toutes les causes découlant du Code de discipline militaire et du Code criminel est la présomption d’innocence. À l’ouverture de son procès, le caporal Guarnaccia est présumé innocent et cette présomption ne cesse de s’appliquer que si la poursuite a présenté une preuve qui convainc la cour de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[62]           Deux règles découlent de la présomption d’innocence. La première, est que la poursuite a le fardeau de prouver la culpabilité; la deuxième, est que la culpabilité doit être prouvée hors de tout doute raisonnable. Ces règles sont liées à la présomption d’innocence et visent à assurer qu’aucune personne innocente n’est condamnée.

 

[63]           Le fardeau de la preuve appartient à la poursuite et n’est jamais renversé. Le caporal Guarnaccia n’a pas le fardeau de prouver qu’il est innocent. Il n’a pas à prouver quoi que ce soit.

 

[64]           Que signifie l’expression « hors de tout doute raisonnable » ? Un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il n’est pas fondé sur un élan de sympathie ou un préjugé à l’égard d’une personne visée par les procédures. Au contraire, il est fondé sur la raison et le bon sens. Il découle logiquement de la preuve ou d’une absence de preuve.

 

[65]           Il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue, et la poursuite n’est pas tenue de le faire. Une telle norme serait impossible à satisfaire. Cependant, la norme de preuve hors de tout doute raisonnable s’apparente beaucoup plus à la certitude absolue qu’à la culpabilité probable. La cour ne doit pas déclarer le caporal Guarnaccia coupable à moins d’être sûre qu’il est coupable. Même si elle croit que le caporal Guarnaccia est probablement coupable ou vraisemblablement coupable, cela n’est pas suffisant. Dans ces circonstances, la cour doit accorder au caporal Guarnaccia le bénéfice du doute et le déclarer non coupable parce que la poursuite n’a pas réussi à convaincre la cour de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[66]           Il est important pour la cour de se rappeler que l’exigence de preuve hors de tout doute raisonnable s’applique à chacun des éléments essentiels d’une infraction. Elle ne s’applique pas aux éléments de preuve individuels. La cour doit décider, à la lumière de l’ensemble de la preuve, si la poursuite a prouvé la culpabilité du caporal Guarnaccia hors de tout doute raisonnable.

 

[67]           Le doute raisonnable s’applique à la question de la crédibilité. À l’égard de toute question, la cour peut croire un témoin, ne pas le croire ou être incapable de décider. La cour n’a pas besoin de croire ou de ne pas croire entièrement un témoin ou un groupe de témoins. Si la cour a un doute raisonnable quant à la culpabilité du caporal Guarnaccia en raison de la crédibilité des témoins, la cour doit le déclarer non coupable.

 

[68]           Si la preuve, l’absence de preuve, la fiabilité ou la crédibilité d’un ou plusieurs témoins soulèvent dans l’esprit de la cour un doute raisonnable sur la culpabilité du caporal Guarnaccia sur un chef d’accusation, la cour doit le déclarer non coupable de ce chef.

 

[69]           La cour ne doit examiner que la preuve qui lui est présentée dans la salle d’audience. Elle est constituée de témoignages et de pièces produites. Elle peut également comprendre des admissions, comme c’est le cas ici, car les avocats des deux parties se sont entendus sur certains faits.

 

[70]           Les réponses d’un témoin aux questions qui lui sont posées font partie de la preuve. Les questions, par contre, ne constituent pas de la preuve, à moins que le témoin ne soit d’accord avec ce qui est demandé. Seules les réponses constituent de la preuve.

 

[71]           Maintenant, qu’en est-il des différents éléments essentiels pour chacune des accusations à être prouvées par la poursuite?

 

[72]           Tout d’abord, le caporal Guarnaccia est accusé de mauvais traitement de subalternes, contrairement à l’article 95 de la LDN. L’article de la loi se lit comme suit :

 

Quiconque frappe ou de quelque autre façon maltraite un subordonné — par le grade ou l’emploi — commet une infraction et, sur déclaration de culpabilité, encourt comme peine maximale un emprisonnement de moins de deux ans.

 

[73]           La poursuite devait prouver, en plus de l'identité de l'accusé, de la date et de l’endroit tels qu'allégués dans les deux chefs d'accusation, les éléments essentiels suivants hors de tout doute raisonnable :

 

a)                  que le caporal Guarnaccia a maltraité une personne;

 

b)                  que la personne maltraitée par le caporal Guarnaccia lui était subordonnée en raison de son grade ou de son emploi;

 

c)                  l’état d’esprit blâmable du caporal Guarnaccia.

 

[74]           Le sens usuel donné par le dictionnaire Le Petit Robert au terme « maltraité » est de traiter quelqu’un avec brutalité, battre, brutaliser, malmener, molester, rudoyer. Dans la langue anglaise, j’ai qualifié le terme « ill-treat » comme signifiant d’agir avec cruauté en causant de la souffrance aux autres, de traiter durement, maltraiter ou abuser.

 

[75]           Essentiellement, tel que mentionné dans ma décision comportant une analyse des éléments essentiels de cette infraction dans R. c. Murphy, 2014 CM 3021, au paragraphe 45, il s’agit, selon le Parlement qui a promulgué cet article du Code de discipline militaire, de voir à la prévention de tout comportement abusif par un membre des Forces canadiennes en position d’autorité résultant du fait de frapper ou d’utiliser toute autre forme de violence envers toute personne qui lui serait subordonnée en raison de l’existence d’un système hiérarchique basé sur le grade ou l’emploi dans un contexte militaire.

 

[76]           En ce qui a trait à l’esprit blâmable d’un accusé concernant cette infraction, toujours dans Murphy, j’en suis venu à la conclusion au paragraphe 48 que la poursuite se devait de prouver hors de tout doute raisonnable l’intention de l’accusé d’abuser de son autorité ou d’utiliser la violence envers un subordonné en raison de l’existence de cette relation hiérarchique.

 

[77]           Le caporal Guarnaccia est aussi accusé de voies de fait, contrairement à l’article 266 du Code criminel. L’article 265 du Code criminel précise la notion de voies de fait et il se lit en partie comme suit :

 

265 (1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas :

 

a) d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement;

 

b) tente ou menace, par un acte ou un geste, d’employer la force contre une autre personne, s’il est en mesure actuelle, ou s’il porte cette personne à croire, pour des motifs raisonnables, qu’il est alors en mesure actuelle d’accomplir son dessein;

 

c) en portant ostensiblement une arme ou une imitation, aborde ou importune une autre personne ou mendie.

 

 

[78]           En plus de l’identité, la date et l’endroit, la poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels additionnels suivants :

 

a)                  le fait que le caporal Guarnaccia avait employé la force, directement ou indirectement, contre le plaignant;

 

b)                  le fait que le caporal Guarnaccia avait employé la force de manière intentionnelle contre le plaignant;

 

c)                  le fait que le plaignant n'avait pas consenti à l'emploi de la force par le caporal Guarnaccia;

 

d)                 le fait que le caporal Guarnaccia avait connaissance de l'absence de consentement du plaignant ou qu'il a fait preuve d'insouciance ou d'aveuglement volontaire à cet égard.

 

[79]           La force signifie simplement un contact physique. Il peut y avoir application de la force sans violence physique. En d’autres mots, cet élément essentiel aura été prouvé hors de tout doute raisonnable en établissant que le plaignant a été touché.

 

[80]           Vous devez comprendre que les personnes ne consentent pas nécessairement parce qu’elles se soumettent ou omettent de résister. L’article 265(3) du Code criminel se lit comme suit :

 

265 (3) Pour l’application du présent article, ne constitue pas un consentement le fait pour le plaignant de se soumettre ou de ne pas résister en raison :

a) soit de l’emploi de la force envers le plaignant ou une autre personne;

b) soit des menaces d’emploi de la force ou de la crainte de cet emploi envers le plaignant ou une autre personne;

c) soit de la fraude;

d) soit de l’exercice de l’autorité.

 

[81]           Le procureur doit établir qu’il était de l’intention de l’accusé d’appliquer la force au plaignant. Lorsque les personnes ont l’intention de faire quelque chose, elles le font de manière délibérée. C’est différent des personnes qui font les choses avec soin et que quelque chose arrive accidentellement. Lorsqu’une personne fait quelque chose de manière accidentelle, elle ne le fait pas intentionnellement.

 

[82]           La preuve que l’accusé savait que le plaignant n’a pas consenti (ou validement consenti) à l’application de la force peut être établie de l’une des trois manières suivantes: le fait que l’accusé en avait réellement connaissance; le fait que l’accusé avait agi par imprudence ou témérité malgré le fait qu’il savait que c’était le cas; ou par aveuglement volontaire, c’est-à-dire qu’il le savait mais il a décidé de ne pas en tenir compte.

 

[83]           Une personne agit de manière imprudente ou téméraire lorsqu’elle sait que sa conduite peut comporter des conséquences de nature criminelle et qu’elle décide d’agir quand même.  L’aveuglement volontaire est le fait qu’une personne décide de ne pas s’enquérir ou de vérifier quelque chose parce qu’elle ne veut pas vraiment en connaître la réponse.  En d’autres mots, elle ferme délibérément les yeux sur quelque chose car elle préfère l’ignorer plutôt que de savoir ce qui en retourne vraiment.

 

[84]           Finalement, le caporal Guarnaccia est accusé de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline contrairement à l'article 129 de la LDN. Cet article se lit en partie comme suit :

 

 (1) Tout acte, comportement ou négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline constitue une infraction passible au maximum, sur déclaration de culpabilité, de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté.

 

(2) Est préjudiciable au bon ordre et à la discipline tout acte ou omission constituant une des infractions prévues à l’article 72, ou le fait de contrevenir à :

 

a) une disposition de la présente loi;

 

b) des règlements, ordres ou directives publiés pour la gouverne générale de tout ou partie des Forces canadiennes;

 

c) des ordres généraux, de garnison, d’unité, de station, permanents, locaux ou autres.

 

[85]           Concernant cette accusation, la poursuite devait donc prouver les éléments essentiels suivants :

 

a)                  l'identité de l'accusé en tant qu’auteur de l’infraction, la date et l’endroit tels qu’allégués dans les détails de l’infraction;

 

b)                  le comportement allégué dans l’accusation;

 

c)                  le préjudice au bon ordre et à la discipline, ce qui comprend :

 

i.                    la norme de conduite (la nature et l’existence de l’ordre, du règlement, de la directive),

 

ii.                  que l’accusé savait ou aurait dû savoir quelle était la norme de conduite exigée (l’ordre était émis, publié et notifié (voir article 1.21 ou 1.22 des ORFC),

 

iii.                que le comportement constitue une violation de la norme de conduite exigée (le comportement équivaut à une violation de l’ordre, du règlement, de la directive).

 

d)                 l’état d’esprit blâmable de l’accusé.

 

[86]           Il est nécessaire de rappeler que lorsqu’il est allégué dans les détails d’une telle accusation qu’il y a eu une contravention à une directive, tel que spécifié à l’article 129(2)b) de la Loi sur la Défense nationale, la contravention à une telle directive est réputée constituer un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

 

[87]           Maintenant, ayant procédé à cet exposé sur la présomption d'innocence, sur la norme de preuve hors de tout doute raisonnable et les éléments essentiels des accusations, j'examinerai maintenant les questions en litige.

 

ANALYSE

 

[88]           En raison des admissions faites par le caporal Guarnaccia par le biais de son avocat, la poursuite s’est donc déchargée de son fardeau de preuve de démontrer hors de tout doute raisonnable certains éléments essentiels pour chacune des infractions.

 

[89]           Ainsi, concernant le premier et le troisième chef d’accusation, soit d’avoir maltraité monsieur Robichaud et le caporal Gagné qui en raison de leur grade ou de leur emploi, lui étaient subordonnés, la cour considère que l’identité, la date, l’endroit et le fait que chacune de ces personnes était subordonnée à l’accusé en raison de son grade ou de son emploi ont été prouvés hors de tout doute raisonnable par la poursuite.

 

[90]           En ce qui a trait au deuxième et quatrième chef d’accusation, soit d’avoir commis des voies de fait, la cour considère que la poursuite s’est déchargée de son fardeau de preuve concernant les éléments essentiels suivants : l’identité, la date et l’endroit de l’infraction.

 

[91]           Finalement, au sujet du cinquième chef d’accusation, soit d’avoir eu un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline pour avoir harcelé les stagiaires du peloton R34, la cour estime que la poursuite a démontré hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants : l’identité, la date et l’endroit. Concernant le préjudice au bon ordre et à la discipline, la cour tient comme étant prouvé hors de tout doute raisonnable la norme de conduite et le fait que l’accusé savait ou aurait dû savoir qu’elle était la norme de conduite exigée.

 

[92]           Ayant énuméré ce que la cour considère comme ayant été établi hors de tout doute raisonnable par la poursuite sur chacun des chefs d’accusation en raison des admissions faites par l’accusé, elle se tourne maintenant vers l’analyse des autres éléments essentiels de chacune des infractions qui lui restent à déterminer.

 

[93]           Pour ce faire, la cour se doit d’abord de procéder à l’analyse des divers témoignages rendus au soutien des accusations.

 

La crédibilité et fiabilité des témoignages

 

[94]           À ce stade de son analyse, il est bon de se rappeler les propos de la Cour d’appel de la cour martiale dans la décision R. c. Clark, 2012 CACM 3, dans laquelle le juge Watt, au nom de la cour, rappelait aux paragraphes 40 à 42, certains principes concernant l’analyse de la preuve testimoniale :

 

[40]         Premièrement, les témoins ne sont pas « présumés dire la vérité ». Le juge des faits doit apprécier le témoignage de chaque témoin en tenant compte de tous les éléments de preuve produits durant l’instance, sans s’appuyer sur aucune présomption, sauf peut-être la présomption d’innocence : R. c. Thain, 2009 ONCA 223, 243 CCC (3d) 230, au paragraphe 32.

 

[41]         Deuxièmement, le juge des faits n’est pas nécessairement tenu d’admettre le témoignage d’un témoin simplement parce qu’il n’a pas été contredit par le témoignage d’un autre témoin ou par un autre élément de preuve. Le juge des faits peut se fonder sur la raison, le sens commun et la rationalité pour rejeter tout élément de preuve non contredit : Aguilera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 507, au paragraphe 39; R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, aux paragraphes 9 à 11.

 

[42]         Troisièmement, comme on le demande régulièrement et nécessairement aux jurys dans les affaires civiles et pénales, le juge des faits peut accepter ou rejeter tout ou partie d’un témoignage versé au dossier. Autrement dit, l’appréciation de la crédibilité n’est pas dépourvue de nuances. On ne peut non plus déduire de la conclusion selon laquelle un témoin est crédible que son témoignage est fiable et encore moins qu’il permet à une partie de se décharger du fardeau de preuve sur une question précise ou dans son ensemble.

 

 

[95]           En ce qui a trait à la question de crédibilité et de fiabilité devant être accordée à un témoignage, la Cour d’appel de la cour martiale s’exprimait de la manière suivante dans cette même décision de Clark au paragraphe 48 :

 

Un témoignage peut soulever des problèmes de véracité et d’exactitude. Les problèmes de véracité renvoient à la sincérité du témoin, à sa volonté de dire la vérité telle qu’il la perçoit, bref, à sa crédibilité. Les problèmes d’exactitude concernent l’exactitude du récit du témoin, à savoir, son caractère fiable. Le témoignage d’un témoin crédible, honnête personne au demeurant, peut néanmoins ne pas être fiable : R. c. Morrissey (1995), 97 CCC (3d) 193 (CA Ont), page 205.

 

[96]           Tel que souligné par la cour dans le cadre des représentations faites par la poursuite, l’ensemble de la preuve testimoniale qu’elle a présentée soulève plusieurs préoccupations sur le plan de la fiabilité, ou en d’autres termes, d’exactitude.

 

[97]           En effet, les actes reprochés remontent à un peu plus de cinq ans et l’ensemble des témoins ont fait référence invariablement à l’aspect de l’écoulement du temps dans leur témoignage comme étant un obstacle pour eux à se rappeler l’existence ou la nature même de propos exprimés par le caporal Guarnaccia. Quand il s’agissait de décrire un événement et le situer dans la période où s’est déroulé le cours, cela devenait souvent une tâche difficile, sinon impossible pour eux. Loin de leur reprocher ce fait, la cour constate ici que le temps écoulé a eu pour effet d’estomper plusieurs souvenirs chez les témoins en relation avec les incidents reliés aux accusations et d’affecter leur capacité à rendre avec exactitude le déroulement des faits dont ils disent se rappeler.

 

[98]           La cour doit tenir compte de plus comme l’a exprimé dans son témoignage, le soldat Poudrier, que les membres de ce peloton ont discuté entre eux de plusieurs événements qui se seraient passés sur le cours rendant leur tâche encore une fois un peu plus difficile afin de distinguer ce qu’ils ont vraiment observés, c’est-à-dire, vu et entendu de ce qu’ils ont entendu parler par d’autres de leur collègue. Ceci est un autre facteur qui peut en plus de l’écoulement du temps expliquer certaines de leurs difficultés à se rappeler de certains événements.

 

[99]           L’exemple le plus frappant est ce qui a été rapporté par 8 des 9 témoins entendus concernant ce qu’aurait fait le caporal Guarnaccia au soldat Robichaud lors des push-ups aux casiers verts. L’incident raconté par la victime lui-même, le soldat Robichaud, a été décrit de manière quelque peu différente par les 7 autres témoins. Aucun d’eux, dont certains qui étaient pourtant près de lui, ont corroboré le fait qu’il a reçu un coup de la part de l’instructeur et qu’il s’est d’abord écrasé au sol. Tous les autres témoins qui ont rapporté un tel incident ont plutôt parlé du fait que le soldat Robichaud a été soulevé par ou avec l’aide de l’instructeur.

 

[100]       La poursuite explique que les témoins ont peut-être rapporté trois événements différents : un premier, où le soldat Robichaud aurait été projeté au sol; un deuxième, où il aurait été forcé de faire des push-ups avec l’aide de l’instructeur; et finalement, un troisième où il aurait été levé et projeté par l’instructeur dans les casiers.

 

[101]       Cependant, monsieur Robichaud a décrit qu’un seul et unique incident qui se serait tenu au début du cours alors qu’il ne portait pas encore d’uniforme, alors que les autres témoins ont décrit un événement qui se serait passé à un autre moment et de manière fort différente que ce que la présumée victime a rapporté à la cour.

 

[102]       Sans nier qu’un tel incident se soit produit, de l’avis de la cour, cela soulève un doute sur la manière exacte que tout cela s’est déroulé. De plus, en ce qui a trait aux push-ups faits sur les jointures à l’intérieur de l’édifice, c’est le seul et unique événement dont chacun des témoins disent se rappeler. Dans un tel contexte, cela a pour effet, selon la cour, de jeter un doute sur la justesse de ce qui s’est passé.

 

[103]       En ce qui concerne les autres punitions de nature physique, soit les push-ups effectués à l’extérieur sur les jointures des mains et le front appuyé sur le casier avec le corps incliné, il appert que ce sont des sanctions de nature physique qui ont été imposées que rarement mais qui ont frappé l’imagination des membres du peloton. Il est clair que ce genre de châtiment n’avait pas de caractère injurieux et n’avait pas pour but de rabaisser, humilier, embarrasser, intimider ou menacer les candidats. Les conséquences sur les jointures ou encore le sentiment de vulnérabilité ressenti pouvait apparaître excessif mais cela a eu lieu dans des circonstances particulières qui ne démontrent pas une telle intention de la part du caporal Guarnaccia.

 

[104]       Concernant les push-ups faits à l’extérieur et pour lesquels les témoins ne rapportent pas les mêmes circonstances et moment durant lesquels ils ont été faits, encore une fois cela démontre le problème de fiabilité des différents témoignages sur lesquels repose la poursuite.

 

[105]       Mais, il y a plus. Les témoignages de monsieur Robichaud et du caporal Gagné soulèvent aussi des problèmes sur le plan de la véracité.

 

[106]       En effet, monsieur Robichaud a témoigné de manière calme et directe. Cependant, ces propos étaient teintés d’amertume. Essentiellement, la cour comprend que monsieur Robichaud reproche au caporal Guarnaccia d’être à l’origine des différents problèmes de santé qu’il a connu depuis qu’il a quitté le peloton de recrues en 2010. Il a aussi indiqué à la cour qu’il voulait que justice soit rendue et que si le résultat concernant les accusations devant la cour ne lui plaisait pas, qu’il ferait en sorte que des accusations criminelles soient portées au civil à l’égard du caporal Guarnaccia. Au surplus, de son propre chef, ce témoin a voulu discuter et introduire certaines preuves à la fin de son témoignage et la cour a dû lui rappeler qu’il appartenait aux parties devant la cour de déterminer quelle preuve serait présentée et non pas au témoin lui-même.

 

[107]       Les propos et le comportement de monsieur Robichaud ont démontré à la cour la présence d’un intérêt de sa part à ce que le caporal Guarnaccia soit condamné pour ce qu’il lui aurait fait, ce qui est un indicateur que le témoin aurait une tendance à rendre un témoignage de manière à favoriser une condamnation de l’accusé par la cour. Ainsi, il pourrait vouloir exagérer certains propos ou certaines actions de l’accusé envers lui dans le seul but de le voir condamné. Dans les faits, il reproche à l’accusé des décisions comme le fait que les membres masculins ont dû se laver et être inspecté alors qu’il a dû admettre que l’accusé ne faisait que voir à l’exécution d’un ordre, ou de l’avoir forcé à terminer une marche alors qu’un tel traitement était aussi réservé à d’autres comme le soldat Beauchemin.

 

[108]       Ce désir de condamnation par monsieur Robichaud soulève un doute quant à la véracité de ce qu’il a rapporté à la cour. De plus, dans la perspective où il a été loin d’être corroboré par les autres témoins de la poursuite sur l’incident des push-ups aux casiers verts, la cour conclut qu’il s’agit d’un témoin généralement peu crédible et qui souffre des mêmes problèmes de fiabilité que les autres témoins.

 

[109]       Quant à l’autre présumée victime du caporal Guarnaccia, soit le caporal Gagné, la cour en vient à la même conclusion quant à son témoignage que pour monsieur Robichaud mais pour des motifs différents.

 

[110]       En effet, le caporal Gagné a affirmé à la cour qu’il cherchait à rétablir sa réputation qui aurait été entachée en raison des actions sur le cours de la part du caporal Guarnaccia. Principalement, il reproche à ce dernier de lui avoir fait une mauvaise réputation en raison du lien qu’il faisait devant les autres membres du peloton à l’effet qu’il était associé aux Hells Angels. Le caporal Guarnaccia aurait affirmé une telle chose en raison du tatouage qu’il portait et de son lieu de résidence, soit Sorel. De plus, l’accusé aurait été insistant sur cette question, même après qu’il ait quitté le cours et lui reproche d’avoir créé ces rumeurs qui l’ont suivi durant sa carrière au cours des cinq dernières années. Son témoignage était une occasion pour lui de laver sa réputation.

 

[111]       Une telle attitude ne démontre pas seulement un désir de remettre les pendules à l’heure, mais aussi un désir de vengeance pour tous les préjudices qu’il aurait subis durant et après le cours de recrue en raison des actions du caporal Guarnaccia. Il est clair qu’il ne portait pas ce dernier dans son cœur et qu’il souhaitait, par ses propos, qu’il fasse l’objet d’une condamnation par la cour. Une telle attitude soulève clairement un doute quant à la véracité de ce qui a été rapporté par ce témoin, en plus des problèmes de fiabilité qu’il a éprouvé pour les raisons que la cour a invoquées en ce qui a trait à l’ensemble des autres témoins. La cour conclut donc que son témoignage ne peut être crédible et fiable, particulièrement sur les aspects pouvant être considérés cruciaux pour la détermination d’une condamnation du caporal Guarnaccia.

 

1er chef d’accusation

 

[112]       Le premier chef d’accusation est à propos de mauvais traitements par le caporal Guarnaccia envers le soldat Robichaud. Les éléments essentiels qui restent à être déterminés par la cour sont les suivants :

 

a)                  que le caporal Guarnaccia a maltraité le soldat Robichaud;

 

b)         l’état d’esprit blâmable du caporal Guarnaccia.

 

[113]       Concernant les mauvais traitements au soldat Robichaud, la cour retient qu’il faisait l’objet de propos assez généraux et souvent répétitifs de la part du caporal Guarnaccia à l’effet qu’il n’avait pas sa place dans les Forces canadiennes et qu’il ne finirait pas le cours. Les témoins ont établi que sur le plan physique, le soldat Robichaud avait de la difficulté à suivre le groupe en raison de son état physique, ce qui semblait le mettre sur la sellette devant le groupe plus souvent qu’à son tour. Est-ce en raison de ses actions ou de son attitude, ou encore parce que le caporal Guarnaccia semblait vraiment vouloir l’atteindre moralement? Cela n’apparaît pas vraiment clair et selon l’avis de la cour, ne constitue pas en soi un mauvais traitement.

 

[114]       Quant aux push-ups, puisqu’un doute subsiste quant à la manière réelle que cela s’est passé, cette preuve ne peut être retenue comme démontrant un mauvais traitement à l’égard du soldat Robichaud de la part de l’accusé.

 

[115]       Enfin, l’existence chez monsieur Robichaud d’une condition médicale concernant un trouble d’adaptation avec humeur anxieuse ou mixte a-t-elle influencé sa perception des choses quant à la prétendue persécution dont il aurait fait l’objet de la part du caporal Guarnaccia ? Est-ce que cette condition était existante au moment où il était sur le cours, ce qui pourrait justifier les propos des autres témoins quant à son attitude et son anxiété constante d’être sous surveillance et de voir ou déduire des choses que les autres membres du peloton que lui disait qu’il n’existait pas? Est-ce que cela découle plutôt de ce qui est arrivé sur le cours? La preuve est silencieuse sur cet aspect. Cependant, cela soulève aussi de la part de la cour un questionnement sur la véracité et la fiabilité des propos de monsieur Robichaud concernant les mauvais traitements dont il aurait été victime.

 

[116]       En conséquence, la cour conclut que la poursuite n’a pas démontré hors de tout doute raisonnable que le caporal Guarnaccia a maltraité le soldat Robichaud.

 

[117]       En ce qui concerne l’état d’esprit blâmable du caporal Guarnaccia concernant cette infraction, la cour ne peut faire autrement que de conclure que la poursuite ne s’est pas non plus déchargée de son fardeau de preuve sur cette question.

 

[118]        Si, par hypothèse, la cour avait conclu que l’accusé avait maltraité monsieur Robichaud, elle est loin d’être certaine qu’elle aurait conclu à l’existence d’un état esprit blâmable de la part du caporal Guarnaccia. L’absence de preuve sur les paramètres d’instruction guidant les instructeurs dans un tel contexte n’aide pas à dissiper le doute sur cet aspect mais aurait peut-être aidé à le faire.

 

[119]       Le milieu de l’entraînement aux seins des Forces canadiennes n’est certainement pas laissé au bon vouloir et à la discrétion des instructeurs. Le bon sens commande que la mise à l’épreuve des candidats sur le plan physique et psychologique fasse parti d’un tel cours. Cependant, jusqu’à quel point un instructeur peut le faire et quels sont les paramètres qui lui permettent de le faire. La preuve est totalement absente sur cette question. L’attitude, les propos et actions des instructeurs qui constituent le premier contact que les nouvelles recrues ont avec les Forces canadiennes pourraient avoir pour effet de marquer la carrière d’un militaire en raison de l’exemple et du modèle de référence qu’il peut en tirer. La preuve de ce qui était exigé des instructeurs à l’époque, que ce soit en raison des directives, instructions ou simplement coutumes, auraient pu éclairer la cour sur l’état d’esprit qui aurait dû habiter normalement un instructeur tel que le caporal Guarnaccia. Cependant, la poursuite a décidé de ne pas présenter de preuve sur cet aspect, privant ainsi la cour d’un aspect important qui lui aurait été sûrement utile dans la détermination d’une certitude sur cet élément essentiel de l’accusation.

 

[120]       Concernant le coup de pied qu’il aurait reçu du caporal Guarnaccia alors qu’il était en position push-up, la preuve démontre qu’il est peu probable que cela se soit produit. Un tel événement a été mentionné par le caporal Gagné qui affirme ne pas avoir vu le pied de l’accusé entrer en contact avec le corps du soldat Robichaud. Ce dernier n’a pas référé à un tel incident dans son témoignage et trois autres témoins ont mentionné une simulation d’un coup de pied mais jamais qu’un tel coup aurait été donné par l’accusé au soldat Robichaud. En conséquence, la probabilité qu’un tel acte se soit produit est peu élevé et la cour demeure avec un doute raisonnable que la force ait été même appliquée dans les circonstances à l’égard du soldat Robichaud.

 

2e chef d’accusation

 

[121]       Concernant le deuxième chef d’accusation, la cour considère que la poursuite s’est déchargée de son fardeau de preuve sur deux aspects : soit que le caporal Guarnaccia, en touchant ou agrippant le soldat Robichaud, a utilisé directement la force et que l’utilisation de cette force était intentionnelle.

 

[122]       Par contre, la cour considère que la poursuite ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve hors de tout doute raisonnable concernant deux autres aspects : le consentement de l’utilisation de la force par l’accusé à l’égard du soldat Robichaud et la connaissance de l’absence de consentement de la part de ce dernier.

 

[123]       En raison des différentes versions, il est loin d’être clair si le caporal Guarnaccia a frappé le soldat Robichaud comme ce dernier le prétend ou encore, l’a élevé de terre et l’a poussé dans les casiers, ou qu’il l’a simplement touché ou agrippé pour l’aider à se relever. Cet aspect demeure nébuleux en raison de la crédibilité et de la fiabilité accordées par la cour au témoignage de monsieur Robichaud et en raison des témoignages divergents des autres témoins sur cette question qui soulève l’aspect de leur fiabilité.

 

[124]       Encore une fois, l’absence de preuve sur la question du cadre de la mise à l’épreuve des candidats et la manière d’y parvenir par les instructeurs au sein de l’ELRFC sur ce type de cours n’aide en rien la cour à déterminer avec certitude la question de la connaissance de l’absence de consentement de la part de la présumée victime.

 

3e chef d’accusation

 

[125]       En ce qui a trait au troisième chef d’accusation, il s’agit de mauvais traitements par le caporal Guarnaccia envers cette fois le caporal Gagné. Les éléments essentiels qui restent à être déterminés par la cour sont les suivants :

 

a)                  que le caporal Guarnaccia a maltraité le caporal Gagné;

 

b)                  l’état d’esprit blâmable du caporal Guarnaccia.

 

[126]       Le caporal Gagné a été l’objet de commentaires de la part du caporal Guarnaccia concernant son tatouage et le fait qu’il ne terminerait pas le cours. Le caporal Gagné a décrit le comportement que l’accusé avait envers lui durant les inspections et comment il l’aurait frappé à la poitrine. Cependant, à la lumière des conclusions de la cour concernant le témoignage du caporal Gagné quant à sa véracité et sa fiabilité, la cour a un doute raisonnable, au regard de l’ensemble de la preuve, que le caporal Gagné a été maltraité par le caporal Guarnaccia. La cour conclut qu’il est possible et probable qu’il ait été maltraité mais n’est pas en mesure d’atteindre un degré de certitude suffisant pour conclure qu’une telle chose a été prouvée hors de tout doute raisonnable par la poursuite.

 

[127]       Quant à la question relative à l’état d’esprit blâmable de l’accusé, la cour ne peut faire autrement que de réitérer ses commentaires concernant ce sujet dans le cadre de son analyse du 1er chef d’accusation, ce qui l’amène à conclure que la poursuite ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve sur cette question.

 

4e chef d’accusation

 

[128]       Comme pour ce qui en était du deuxième chef d’accusation, la cour considère que la poursuite s’est déchargée de son fardeau de preuve sur deux aspects : soit que le caporal Guarnaccia, en poussant le caporal Gagné, a utilisé directement la force et que l’utilisation de cette force était intentionnelle.

 

[129]       Par contre, la cour considère que la poursuite ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve hors de tout doute raisonnable concernant deux autres aspects : le consentement de l’utilisation de la force par l’accusé à l’égard du caporal Gagné et la connaissance de l’absence de consentement de la part de ce dernier.

 

[130]       Le caporal Gagné a expliqué à la cour que le caporal Guarnaccia l’a frappé à la poitrine durant une inspection alors qu’il était au garde-à-vous, et qu’il aurait fait cela à une ou deux autres reprises. Il n’a pas fourni plus de détails quant aux circonstances qui auraient amené l’accusé à faire un tel geste. Il a aussi mentionné que le soldat Robichaud aurait été l’objet d’un tel comportement de la part de l’accusé mais le soldat Robichaud n’a pas fait de référence d’aucune façon à un tel incident durant son témoignage.

 

[131]       Les conclusions de la cour sur la crédibilité et la fiabilité du témoignage du caporal Gagné soulèvent un doute raisonnable sur cet élément essentiel de l’accusation de la part de la cour. En effet, la manière, les propos et la capacité à se rappeler du caporal Gagné durant son témoignage affectent la véracité et l’exactitude de celui-ci. L’absence de corroboration dans les circonstances, même si cela n’est pas requis par la preuve, n’aide en rien le tribunal à se faire une idée plus juste sur la question. Le caporal Gagné n’a pas caché son intérêt dans l’affaire, et dans les circonstances cela soulève un doute sur la véracité même de ses propos.

 

[132]       Cependant, encore une fois, l’absence de preuve concernant le cadre dans lequel une inspection doit se dérouler sur un cours de recrue, sur la relation entre recrues et instructeurs dans un tel contexte, et sur les paramètres permettant la mise à l’épreuve des candidats n’aide en rien la cour à se faire une idée exacte dans les circonstances de cette affaire sur les deux éléments essentiels sur lesquelles un doute existe.

 

5e chef d’accusation

 

[133]       Pour ce qui est du 5e chef d’accusation, soit d’avoir harcelé les stagiaires du peloton R34, il reste à la cour de déterminer si cela a eu lieu conformément à ce qui est allégué dans les détails de l’accusation et si cela constitue une violation de la directive sur la question afin de conclure à l’existence d’un préjudice au bon ordre et à la discipline, en plus de la question de l’état d’esprit blâmable de l’accusé.

 

[134]       D’abord, disons que les sanctions physiques, même impliquant les push-ups sur les jointures, ne constituent pas un comportement de la part du caporal Guarnaccia comme étant un acte visant à rabaisser, embarrasser et intimider les stagiaires du peloton R34. Tel qu’évoqué par certains témoins, les sanctions physiques pour les manquements par certains ou l’ensemble des membres du peloton étaient utilisée par l’ensemble des instructeurs. Il était normal, jusqu’à un certain point, que cela cause de la douleur ou des raideurs sur le plan physique et il semble qu’il s’agissait aussi d’une épreuve de nature psychologique imposée de temps à autre aux candidats. Le fait que les push-ups sur les points aient causés plus de dommages physiques à certains candidats plus qu’à d’autres est une résultante d’un exercice qui est peut-être allé trop loin en raison de la capacité de certains d’entre eux mais il n’a pas fait l’objet d’une répétition. Tout au plus, il aurait été utilisé à deux reprises par le caporal Guarnaccia et cela n’est jamais allé plus loin.

 

[135]       Le témoignage du soldat Poudrier jette aussi un doute sur le fait que cela a été exigé par l’accusé. Le caporal Guarnaccia a fait des push-ups sur les jointures des mains, mais est-ce que les autres candidats auraient cru qu’ils étaient obligés de faire comme leur instructeur? Pourquoi un candidat est en mesure de dire qu’il n’a jamais considéré faire une telle chose alors que d’autres ne l’entendaient pas ou ne le voyaient pas de la même manière? Tout cela soulève un doute à l’esprit de la cour sur ce qui s’est réellement passé.

 

[136]       Les coups simulés au soldat Robichaud et au soldat Sauvé, les propos menaçant qu’auraient tenu l’accusé à l’égard du caporal Gagné durant une inspection, le fait de pousser les candidats, Robichaud et Lessard, durant les inspections alors qu’ils étaient au garde-à-vous, les propos tenus sur le tatouage du caporal Gagné, le dénigrement général adressé au soldat Robichaud et au caporal Gagné à l’effet qu’ils n’avaient pas leur place et qu’ils ne finiraient pas le cours, les propos tenus quant à l’apparence physique du soldat Duchesne et son manque d’habiletés pour son métier de fantassin sont tous des propos et actions qui auraient impliquées cinq candidats : Robichaud, Sauvé, Lessard, Gagné et Duchesne.

 

[137]       En ce qui a trait aux actions à l’égard des soldats Duchesne et Sauvé, la cour note qu’ils n’ont pas été entendus par la cour. Il aurait été intéressant d’entendre leur point de vue concernant leur perspective sur les propos qui auraient été utilisés par l’accusé à leur égard. Encore une fois, l’absence d’une telle preuve ne peut que soulever un doute quant à ce qui s’est vraiment passé et à leur perception comme personnes visées.

 

[138]       Lorsque de tels propos sont rapportés à la cour, il est vrai qu’ils sont à tout le moins dérangeant et qu’ils peuvent apparaître inappropriés. Est-ce qu’ils étaient mentionnés par l’accusé dans le but de rabaisser, d’embarrasser et d’intimider ceux qui en faisaient les frais? Il est clair que l’accusé essayait de provoquer les candidats. Était-ce dans ces termes et circonstances exactes? Encore une fois, l’exactitude des propos et actions rapportés par les témoins constitue une préoccupation pour la cour, à la lumière des différents commentaires qu’elle a faits sur cette question et elle ne peut qu’arriver à la conclusion que, dans ces circonstances, la poursuite ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve.

 

[139]       Au surplus, la cour ne peut qu’accepter l’argument de la défense à l’effet qu’en utilisant l’expression « les stagiaires », la poursuite référait à des comportements de l’accusé visant l’ensemble d’entre eux et non seulement quelques-uns. À la lecture des détails de cette accusation, après avoir mûrement réfléchi au sens à donner à cette expression, la cour n’a pu que conclure en ce sens.

 

[140]       Ainsi la preuve ne réfère qu’à des actions de l’accusé concernant cinq candidats précis et il n’existe aucune preuve devant la cour à l’effet que l’accusé aurait harcelé les stagiaires, c’est-à-dire l’ensemble d’entre eux. Considérant l’absence totale de preuve sur cette question, la cour ne peut que conclure à l’acquittement de l’accusé sur ce chef.

 

[141]       Le respect de l’intégrité et la dignité des personnes sont des valeurs fondamentales enchâssées dans la Constitution canadienne et qui font aussi partie intégrante du bon fonctionnement d’une force armée telle que les Forces canadiennes. D’ailleurs, l’Énoncé d’éthique de la Défense considère qu’une telle valeur devant être normalement appliquée, autant à la population qu’à ses propres membres. La présente décision ne nie nullement l’existence de telles valeurs, au contraire, elle les examine de près mais dans le cadre permis par les accusations qui sont devant elle.

 

[142]       Cependant, pour ceux qui pensent que la cour doit faire la justice en condamnant ceux contre qui justice est demandée font parfois fausse route. La cour martiale est tributaire des accusations qui sont amenées devant elle par la poursuite. Elle se doit d’assurer un procès équitable et juste à l’accusé qui fait l’objet d’une accusation et qui est présumé innocent jusqu’à ce que la preuve des accusations soit établie par la poursuite hors de tout doute raisonnable, le tout en conformité avec la Constitution et les lois qui l’encadrent. Malheureusement pour ceux qui voient cela autrement, le rôle de la cour n’est surtout pas de juger en équité et de voir à la compensation de préjudices physiques ou moraux en raison des actions présumées d’un membre des Forces canadiennes.

 

[143]       Encore une fois je réitère le fait que la cour ne nie pas nécessairement l’existence des faits qui lui ont été rapportés mais considère plutôt possible et probable que la plupart d’entre eux se soient produit. Par contre, le cadre d’analyse, que la cour a bien exprimé, requiert que la poursuite prouve hors de tout doute raisonnable chacun des éléments essentiels de l’accusation et que cette analyse doit être faite en regard de l’ensemble de la preuve présentée à la cour.

 

DISPOSITIF

 

POUR TOUTES CES RAISONS, LA COUR :

 

[144]       DÉCLARE le caporal Guarnaccia non coupable des cinq chefs d'accusation apparaissant à l'acte d'accusation.

 


Avocats:

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par le major G. Roy

 

Major E. Thomas, capitaine de corvette P.D. Desbiens et capitaine J.F. Guay, service d’avocats de la défense, avocats du caporal Guarnaccia

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