Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 19 janvier 2015.

Endroit : BFC Esquimalt, édifice 30-N, Victoria (CB).

Chef d’accusation

• Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, voies de fait causant des lésions corporelles (art. 267b) C. cr.).

Résultats :

• VERDICT : Chef d'accusation 1 : Non coupable.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

Référence : R. c. Fletcher, 2015 CM 1004

 

Date : 20141211

Dossier : 201432

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes

Victoria (Colombie‑Britannique), Canada

Entre :

Sa Majesté la Reine

‑ et ‑

Matelot de 1re classe Fletcher, J.R., accusé

En présence du colonel M. Dutil, J.M.C.

 [TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU VERDICT

(Prononcés de vive voix)

Introduction

[1]               Le matelot de 1re classe Fletcher est accusé de s’être livré à des voies de fait causant des lésions corporelles, une infraction visée à l’alinéa 267b) du Code criminel punissable en application de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale.

La preuve

[2]               Voici en quoi consiste la preuve présentée à la Cour :

a)         les témoignages, dans l’ordre de leur apparition, du caporal Christopher Frame, du caporal Brendan Michael McDevitt, du matelot de 1re classe Joshua Fletcher, du premier maître de 2e classe Kai Hing Tin, du maître de 2e classe Brian Benjamin Willms et du matelot de 1re classe Gallivan Joseph MacDonald;

b)                  l’annexe 4, un exposé conjoint des faits;

c)                  l’annexe 5, un recueil de trente photographies illustrant surtout les blessures subies par le caporal Frame au cours de son altercation avec le matelot de 1re classe Fletcher, ainsi que l’intérieur du poste d’équipage 17 du NCSM REGINA;

d)                 les annexes 6 et 7, deux diagrammes du poste d’équipage 17, où se sont produits les faits, établis respectivement par le caporal Frame et par le matelot de 1re classe Fletcher;

e)                  la preuve est complétée par les faits et les questions dont la Cour a pris connaissance judiciaire en vertu de l’article 15 des Règles militaires de la preuve.

Les faits

[3]               Les faits à l’origine des accusations soumises à la Cour se sont produits le 25 mars 2014 dans le poste d’équipage 17 à bord du NCSM REGINA au cours de l’opération ARTEMIS alors que le navire se trouvait dans les eaux internationales dans l’océan Indien. Le matelot de 1re classe Fletcher, un réserviste, était monté à bord du navire comme cuisinier de remplacement au début de mars 2014, même s’il estime être arrivé au milieu ou à la fin de janvier. Le matelot de 1re classe Fletcher avait déjà participé à deux opérations. Il semble que le matelot de 1re classe Fletcher avait déjà eu de la difficulté à s’intégrer aux autres cuisiniers du REGINA qui travaillaient ensemble depuis plusieurs mois.

[4]               À son arrivée à bord du navire, le matelot de 1re classe Fletcher a été affecté au poste d’équipage 17 en compagnie d'une vingtaine d’autres marins, dont le caporal Frame, un autre cuisinier, qui est un membre de la force régulière qui était alors affecté au NCSM REGINA. Leurs couchettes étaient situées l’une en face de l’autre et, à son arrivée, le matelot de 1re classe Fletcher ne s’est pas vu attribuer de casier pour ranger ses effets, car il n’en restait plus. Il semble que certains de ses camarades se soient plaints après qu’il eut placé certains de ses effets personnels sur leur casier. La preuve indique également que ses collègues ont remis en question son rendement au travail et qu’ils ont formulé des commentaires négatifs à ce propos.

[5]               Le matelot de 1re classe Fletcher se sentait ostracisé par ses collègues et il avait le sentiment qu’il existait un esprit de clan chez le personnel cuisinier qui travaillait à la coquerie. Il a mentionné qu’il avait été victime de vandalisme : ses écouteurs avaient été endommagés et les autres cuisiniers lui donnaient le sentiment de ne pas être le bienvenu. Suivant le matelot de 1re classe Fletcher, le caporal Frame aurait donné un coup de pied dans son sac marin et lui aurait démontré de l’animosité. Suivant le matelot de 1re classe Fletcher, les comportements hostiles à son égard auraient culminé lorsque son ordinateur portable a été vandalisé après qu’une personne qu’il croyait être le caporal Frame, avait éjaculé sur son écran d’ordinateur portable. Le caporal Frame a nié ces allégations. Le matelot de 1re classe Fletcher a parlé de l’incident de l’ordinateur portable avec d’autres marins et a expliqué que certains d’entre eux croyaient que le caporal Frame était l’auteur de ce méfait.

[6]               Il semble que les rumeurs circulent très vite. Le caporal Frame a donc approché le matelot de 1re classe Fletcher pour discuter de l’incident tout en niant toute implication. Le matelot de 1re classe Fletcher ne l’a pas cru et il a exigé des excuses. Peu de temps après leur première rencontre, le caporal Frame a rencontré de nouveau le matelot de 1re classe Fletcher pour discuter du problème, cette fois, en présence du soldat Basso. Suivant le caporal Frame, le soldat Basso n’était là que comme témoin et il n’a pas joué de rôle actif au cours de la discussion. Le caporal Frame a affirmé que la discussion était civilisée et que le ton était normal. La version du matelot de 1re classe Fletcher diverge complètement de la sienne sur ce point. Là encore, le caporal Frame a nié toute implication dans l’incident de l’ordinateur portable et le matelot de 1re classe Fletcher exigeait des excuses. Comme le caporal Frame refusait de lui présenter ses excuses, le matelot de 1re classe Fletcher a décidé de quitter la coquerie. C’est alors que le maître Kendall est sorti de l’arrière de la coquerie et a donné l’ordre à tout le monde de quitter les lieux à l’exception du matelot de 1re classe Fletcher et du caporal Frame. Le superviseur a eu une conversation unilatérale avec ses subalternes et il a suggéré au matelot de 1re classe Fletcher de signaler l’incident au matelot‑chef Potts, qui ferait enquête. La façon dont le maître Kendall est intervenu tranche avec l'atmosphère calme et civilisée évoquée par le caporal Frame.

[7]               Environ quatre jours après, le caporal Frame finissait son quart de jour à 17 h et retournait au poste d’équipage 17 pour se changer avant de commencer son affectation à la mitraillette de 0,50 cal. Il a expliqué qu’alors qu’il faisait son entrée dans le poste d’équipage, il a remarqué que le matelot de 1re classe Fletcher semblait dormir dans sa couchette. Suivant sa version des faits, le caporal Frame était en face de sa couchette lorsqu’il a reçu un coup au côté gauche du visage d’un agresseur qui était également situé à sa gauche, derrière lui. Le caporal Frame a trébuché sur sa droite et a percuté un casier. C’est alors qu’il a reçu un autre coup et est tombé. Il a reconnu son agresseur, qui était le matelot de 1re classe Fletcher.

[8]               Suivant le caporal Frame, dès qu’il a touché le sol, le matelot de 1re classe Fletcher s’est jeté sur lui et l’a immobilisé en position montée complète en lui disant : [traduction] « Dis-moi que c’est toi qui l’as fait ! » Le caporal Frame a nié alors que le matelot de 1re classe Fletcher lui assénait des coups de poing et tentait de l’étouffer. Le caporal Frame criait à l’aide. Il était couvert de sang et tentait de se dégager de l'emprise du matelot de 1re classe Fletcher. Le caporal Frame a déclaré qu’il était sous le choc, qu’il soulevait la tête et qu’il essayait de parer les coups. La raclée aurait duré quelques minutes. Le caporal Frame a déclaré qu’il a de nouveau crié à l’aide aussi fort qu’il le pouvait étant donné que le matelot de 1re classe Fletcher cherchait à l’étrangler. Le caporal Frame a déclaré qu’il avait perdu conscience et qu’il s’était réveillé un peu plus tard à l’infirmerie.

[9]               Le caporal Frame a nié avoir attaqué, battu ou frappé le matelot de 1re classe Fletcher au cours de cette altercation. Il a expliqué qu’il n’avait aucun problème personnel avec le matelot de 1re classe Fletcher à part le fait d’avoir été faussement accusé au sujet de l’incident de l’ordinateur portable. Le caporal Frame a déclaré que les rumeurs lui imputant l’incident de l’ordinateur portable du matelot de 1re classe Fletcher l’avaient consterné. Il n’avait pas apprécié être l’objet de ses rumeurs et voulait régler le problème verbalement avec le matelot de 1re classe Fletcher.

[10]           Le matelot de 1re classe Fletcher a également témoigné au procès. Il a relaté son expérience à bord d’une NCSM REGINA au cours de l’opération ARTEMIS ainsi que son altercation avec le caporal Frame le 25 mars 2014 à bord du NCSM REGINA. Il a expliqué que, peu de temps après son arrivée à bord du navire comme cuisinier de remplacement, il ne s’était pas senti le bienvenu parmi les autres cuisiniers. Il a admis que son rendement était inconstant et qu’il faisait des erreurs; toutefois, ses compagnons faisaient des commentaires négatifs au sujet de son travail et il se sentait ostracisé.

[11]           En ce qui concerne ses rapports avec le caporal Frame, le matelot de 1re classe Fletcher a déclaré qu’il s’était présenté le premier jour, mais qu’ils n’avaient pas développé de liens parce qu'ils effectuaient des quarts de travail différents. Le matelot de 1re classe Fletcher a expliqué que l’attitude du caporal Frame envers lui s’était également détériorée. Le matelot de 1re classe Fletcher a expliqué qu’il avait tenté sans succès d’engager la conversation avec le caporal Frame. Étant lui‑même un athlète comptant entre dix et quinze années d’expérience en arts martiaux, notamment en judo, en lutte et en kickboxing, il a déclaré qu’il avait considéré qu'il avait une occasion de discuter avec le caporal Frame lorsqu’il l’avait vu effectuer une démonstration de kung-fu avec un autre marin dans la coquerie. Le caporal Frame nie que cet événement se soit produit. Toutefois, le caporal Frame a admis s’être amusé avec des amis à pratiquer le kung-fu et la boxe alors qu’il fréquentait l’école secondaire.

[12]           Le matelot de 1re classe Fletcher a également expliqué qu’au fur et à mesure que le temps passait, le climat s’était détérioré avec ses compagnons de travail au point où il avait le sentiment que ceux‑ci cherchaient la moindre occasion pour lui faire la vie dure, signalant l'incident des écouteurs, des coups de pied donnés par le caporal Frame dans son sac marin, puis finalement l’incident de l’ordinateur portable. Il estimait que le fait d’avoir du sperme partout sur son écran d’ordinateur portable était dégoutant et irrespectueux. Le matelot de 1re classe Fletcher a expliqué que, comme le caporal Frame effectuait des quarts de travail différents et dormait dans la couchette située en face de la sienne, il croyait que c’était lui qui était l'auteur de cet acte de vandalisme. Le matelot de 1re classe Fletcher a expliqué que, lorsqu’il avait retrouvé son ordinateur portable dans cet état, il s’était senti dégouté, en colère, déprimé et en état de choc. Le matelot de 1re classe Fletcher a expliqué qu’il avait commencé à se sentir paranoïaque, se demandant quelle serait la prochaine exaction on réservait à lui-même ou à ses biens. Il a décidé de porter la question à l’attention du maître Kendall, qui lui a dit de signaler le problème au matelot‑chef Potts, le responsable du poste d’équipage, ce qu’il a fait. Le matelot de 1re classe Fletcher a expliqué qu’il espérait que la situation s’améliorerait ce qui ne s’est malheureusement pas produit, selon lui. Le matelot de 1re classe Fletcher a déclaré qu’il avait de nouveau discuté de l’incident de l’ordinateur portable avec d’autres collègues et qu’il avait attribué le blâme au caporal Frame.

[13]           Il a également affirmé que le caporal Frame l’avait approché une première fois au sujet de l’incident du portable et avait nié toute implication. Comme le matelot de 1re classe Fletcher réclamait des excuses et qu’il ne croyait pas le caporal Frame, il n’était pas intéressé à poursuivre la discussion avec lui. C’est environ une heure plus tard que le caporal Frame et le soldat Basso ont parlé au matelot de 1re classe Fletcher dans la coquerie. Le matelot de 1re classe Fletcher a déclaré qu’ils étaient tous les deux en colère et qu’ils lui criaient après. Le caporal Frame niait toute implication dans l’incident et le matelot de 1re classe Fletcher a décidé de quitter la coquerie parce que le caporal Frame refusait de lui présenter ses excuses. L’accusé a déclaré que, comme il quittait la coquerie, le maître Kendall l’a rappelé. C’est alors que le maître Kendall a parlé à Frame et à Fletcher dans une conversation unilatérale. Espérant que les choses s’amélioreraient avec ses collègues, il a expliqué qu’il souhaitait seulement oublier l’incident et passer à autre chose; toutefois il craignait aussi qu’il lui arrive autre chose parce qu’il avait l’impression que les autres cuisiniers ne l’aimaient pas. Le matelot de 1re classe Fletcher a expliqué qu’au cours de la semaine précédant l’agression, le caporal Frame l’avait, selon lui, regardé de travers et avait formulé des commentaires négatifs au sujet de son travail.

[14]           Le matelot de 1re classe Fletcher a donné sa version des faits pour expliquer le déroulement de son altercation avec le caporal Frame. Le 25 mars 2014, il venait de se réveiller à 15 h parce qu’il avait été transféré du quart de jour au quart de nuit. Il venait d’entendre du bruit et avait remarqué que le caporal Frame était en train de se changer. Il a déclaré que l’éclairage du poste d’équipage 17 était faible et que seule la lumière tamisée rouge était allumée. Le matelot de 1re classe Fletcher était étendu sur sa couchette depuis un certain temps en attendant que le caporal Frame quitte la pièce. Comme le caporal Frame était toujours là, le matelot de 1re classe Fletcher est sorti du poste d’équipage 17 pour se rendre à la toilette située en face. À son retour, Fletcher portait toujours des shorts et des sous‑vêtements.

[15]           Comme il préparait ses vêtements en vue de son prochain quart de travail, le caporal Frame lui a dit qu’il voulait lui parler de l’incident du portable. Le matelot de 1re classe Fletcher avait le sentiment que le caporal Frame lui en voulait toujours étant donné que Fletcher continuait à parler de l’incident avec d’autres personnes. À son avis, il n’y avait rien à discuter avec le caporal Frame parce qu’il croyait que ce dernier ne l’aimait pas.

[16]           À l’aide du diagramme de l’annexe 7, le matelot de 1re classe Fletcher a montré où les deux individus se trouvaient pendant tout le déroulement de l'incident. Le matelot de 1re classe Fletcher a d’abord expliqué que, lorsqu’il était revenu de la salle de bains, il se trouvait juste à côté de son casier lorsque le caporal Frame, qui se trouvait dans un coin de la pièce, s'est approché de lui et s’est arrêté à sa droite. C’est à ce moment‑là que le caporal Frame lui a parlé du portable. Le matelot de 1re classe Fletcher ne souhaitait pas engager la conversation parce qu’il considérait que l’histoire était classée. Les deux hommes étaient face à face. Le matelot de 1re classe Fletcher a déclaré qu’alors qu’il s’apprêtait à quitter la pièce, le caporal Frame lui a saisi le bras alors qu’il avait le dos tourné contre la cloison. Au moment où il se retournait pour sortir, le caporal Frame a saisi son avant‑bras droit d’une manière que Fletcher a perçue comme agressive, ramenant Fletcher vers lui en lui disant [traduction] : « Merde, Fletcher ! » Suivant son témoignage, le matelot de 1re classe Fletcher a repoussé le caporal Frame avec l'avant‑bras contre le casier dans un geste de frustration. L’accusé a déclaré qu’il était frustré, contrarié et affolé. Le matelot de 1re classe Fletcher a déclaré que le caporal Frame a immédiatement riposté en agitant les bras, en le frappant à l’œil et en lui donnant un coup de poing à la poitrine. Le matelot de 1re classe Fletcher a expliqué qu’il avait perdu l’équilibre et s’était senti aveuglé. Il avait alors eu la nausée, s’était senti contrarié, affolé, nerveux et en colère. Le matelot de 1re classe Fletcher a riposté en donnant un coup de poing semi‑fermé au caporal Frame, qui lui en a fait autant et qui n’arrêtait pas de répéter : [traduction] « Enculé de Fletcher. Va te faire foutre, Fletcher ! »

[17]           Suivant sa version des faits, ils se sont ensuite battus. Le matelot de 1re classe Fletcher a donné trois coups de poing au visage du caporal Frame et ils ont commencé à s'empoigner autour du casier. Fletcher a expliqué qu’alors qu’il tentait de le projeter au sol, le caporal Frame l’a frappé une fois de plus sur le côté de la tête en lui assénant un coup de poing à l’oreille. Le matelot de 1re classe Fletcher a déclaré que ce coup lui avait causé des douleurs intenses et qu’il avait l’impression que Frame le tabasserait et n’arrêterait pas.

[18]           Le matelot de 1re classe Fletcher a raconté qu’il avait alors donné trois autres coups au visage du caporal Frame avant de l’agripper et que les deux hommes se sont alors retrouvés au sol. Ils ont tous les deux grogné. Au sol, ils ont lutté et Fletcher a immobilisé Frame par l’encolure en croisant ses mains pour le soumettre parce qu’il avait l’impression que Frame n’allait pas s’arrêter et qu’il était enragé et qu’il ne voulait plus recevoir de coups. Le matelot de 1re classe Fletcher a déclaré qu’il sentait que Frame essayait de se dégager de son emprise alors qu’il tentait de le retenir au sol. L’accusé a alors dit au caporal Frame : [traduction] « C’est terminé, mon homme ». Le caporal Frame continuait à être agressif et à pivoter autour du matelot de 1re classe Fletcher, comme ce dernier l’a expliqué en désignant la zone H sur le diagramme de l’annexe 7. Fletcher a alors appliqué un autre contrôle par l’encolure. Il a dit à Frame que c’était terminé et il a relâché son second contrôle par l’encolure pour ne pas causer de blessure.

[19]           Suivant Fletcher, les deux hommes se sont levés et sont sortis du poste d’équipage. Ils ont échangé des mots et Fletcher a dit à Frame de le laisser tranquille désormais. Le matelot de 1re classe Fletcher a déclaré qu'il s'était dirigé vers la sortie et qu'il avait rencontré alors le caporal McDevitt. Il a affirmé que le caporal Frame le suivait, alors que McDevitt affirme que Frame précédait Fletcher puisque Fletcher retenait Frame par derrière. Cette divergence ne porte pas un coup fatal à la fiabilité et à la crédibilité du témoignage du matelot de 1re classe Fletcher. Le matelot de 1re classe Fletcher a expliqué qu’il était sous le choc, qu’il était incrédule et qu’il sentait l’adrénaline. Il maintient qu’il ne voulait pas se battre avec le caporal Frame. Le matelot de 1re classe Fletcher a déclaré que le caporal McDevitt l’avait accompagné jusqu’à la salle de bains et qu’il s’était par la suite rendu au bureau du capitaine d’armes. Il ne se rappelle pas que le caporal McDevitt a bandé ses mains avec une taie d’oreiller et il a déclaré que ses jointures ne saignaient pas, mais qu’elles étaient seulement enflées. Selon sa version des faits, l’altercation n’avait pas duré plus de deux minutes.

[20]           Le caporal McDevitt n’avait pas été témoin de l’altercation, mais il avait entendu une personne appeler à l’aide alors qu’il prenait sa douche près du poste d’équipage 17. Après s’être rassuré que le bruit provenait du poste d’équipage 17, il avait ouvert la porte et avait vu le caporal Frame se diriger vers lui, en sang, suivi du matelot de 1re classe Fletcher qui déclarait : [traduction] « Je t’ai dit de ne pas me toucher » ou quelque chose dans ce genre, alors que Fletcher empoignait Frame par derrière. Le caporal McDevitt a constaté que les deux hommes étaient incohérents et étaient sous le choc. Le caporal Frame avait besoin d’assistance médicale, mais n’arrêtait pas de dire qu’il devait se rendre à la mitraillette de 0,50 cal. Le matelot de 1re classe Fletcher grommelait et était désemparé et disait que le caporal Frame l’avait poussé dans les casiers.

[21]           Le caporal McDevitt a accompagné le caporal Frame à l’infirmerie et est retourné aux douches pour se changer. Il a revu le matelot de 1re classe Fletcher au poste d’équipage 17 peu de temps après et lui a dit : [traduction] « Je lui ai dit de ne pas me toucher ». Le caporal McDevitt a déclaré qu’il avait bandé les mains du matelot de 1re classe Fletcher à l’aide d’une taie d’oreiller parce qu’elles saignaient et qu'elles étaient très enflées même s’il ne pouvait pas dire s’il s’agissait du sang de Fletcher. Il a également déclaré qu’alors qu’ils pénétraient dans le poste d’équipage, le visage du matelot de 1re classe Fletcher montrait une colère extrême et que ses mains étaient crispées. L’œil droit du caporal Frame était fermé par l’enflure et il y avait du sang partout.

[22]           Les autres témoins ont rendu témoignage au sujet de la réputation générale du matelot de 1re classe Fletcher l'ont qualifié de bon travailleur et d’homme calme, tranquille et agréable. Le matelot de 1re classe MacDonald a expliqué qu’il connaissait le caporal Frame et le matelot de 1re classe Fletcher. En ce qui concerne sa connaissance du caporal Frame, il a déclaré que Frame aimait parler avec lui des arts martiaux mixtes et qu’il lui avait parlé de son grand talent. Il se rappelle que le caporal Frame lui avait dit qu’il était le gars le plus dur à l’école et qu’il savait se battre. Bien que le matelot de 1re classe MacDonald ait déclaré que le caporal Frame n’avait jamais mentionné qu’il s’était entraîné en arts martiaux, il avait déclaré qu’il aimait s’exhiber devant lui parce que le matelot de 1re classe MacDonald avait lui-même une bonne réputation, ayant fait partie de l’équipe nationale de boxe.

[23]           En ce qui concerne les photos contenues à l’annexe 5, elles illustrent clairement les blessures subies par le caporal Frame, ainsi que l’état du poste d’équipage 17 peu de temps après l’altercation. Le caporal Frame et le matelot de 1re classe Fletcher ont fait un diagramme du poste d’équipage 17 et le matelot de 1re classe Fletcher a expliqué les déplacements de deux hommes au cours de l’altercation suivant sa version des faits.

Analyse juridique et décision

[24]           Avant que la Cour n’expose son analyse juridique, il convient d’aborder la question de la présomption d’innocence et de la norme relative à la preuve hors de tout doute raisonnable. Deux règles découlent de la présomption d’innocence. D’abord, il incombe à la poursuite d’établir la culpabilité de l’accusé. En second lieu, la culpabilité doit être établie hors de tout doute raisonnable. Ces règles sont liées à la présomption d’innocence et visent à éviter que des personnes innocentes soient condamnées.

[25]           Le fardeau de la preuve revient à la poursuite et n’est jamais transféré à personne. Il n’incombe nullement au matelot de 1re classe Fletcher de prouver qu’il est innocent. Il n’a rien à prouver. Un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il ne procède ni de la sympathie ni des préjugés envers les individus concernés par les procédures. Ce doute est plutôt fondé sur la raison et le sens commun. Il procède logiquement de la preuve ou de l’absence de preuve. Il est pour ainsi dire impossible de prouver quelque chose avec une certitude absolue et la poursuite n’est pas tenue de le faire. Une telle norme de preuve serait trop élevée. Cependant, la norme de preuve hors de tout doute raisonnable est bien plus proche de la certitude absolue que la culpabilité probable. Le doute raisonnable s’applique à la question de crédibilité.

[26]           Dans le cas qui nous occupe, le matelot de 1re classe Fletcher a témoigné au cours de son procès. Sa version des faits n’est pas conciliable avec le témoignage du caporal Frame. J’ai trouvé le témoignage du caporal Frame problématique à plusieurs égards. Il est incontestable qu’il a subi des blessures graves et qu’il a perdu beaucoup de sang au cours de son altercation avec le matelot de 1re classe Fletcher. Il a nié avoir eu un comportement agressif envers le matelot de 1re classe Fletcher, notamment d’avoir donné des coups de pied dans le sac de marin de son présumé agresseur ou d’avoir eu une discussion enflammée avec le matelot de 1re classe Fletcher dans la coquerie en présence du soldat Basso, comme témoin, ce qui aurait incité le maître Kendall à intervenir. Le caporal Frame a maintenu que cette discussion était civilisée et que le ton de sa voix était calme. Sa version des faits est contredite non seulement par le matelot de 1re classe Fletcher, mais également par la réaction même du maître Kendall, qui est intervenu de manière ferme.

[27]           Le caporal Frame a expliqué qu’il avait été attaqué par derrière et qu’il avait été frappé à deux reprises avant de tomber au sol immédiatement et d’être frappé à plusieurs reprises par le matelot de 1re classe Fletcher pendant plusieurs minutes. Il affirme qu’ils n’ont jamais échangé de mots avant que le matelot de 1re classe Fletcher ne le frappe. Sa version des faits n’est pas compatible avec les photos du poste d’équipage 17 prises après les événements. L’ampleur et l’emplacement des taches de sang retrouvées un peu partout dans le poste d’équipage 17 démontrent, de l’avis de la Cour, que les belligérants se sont déplacés un peu partout dans la pièce, ce qui est entièrement compatible avec la version des faits donnée par le matelot de 1re classe Fletcher.

[28]           De plus, les blessures subies par le caporal Frame au visage qui ont été décrites dans l’exposé conjoint des faits et qui sont indiquées dans les photographies sont compatibles avec des coups de poing directs au visage plutôt qu’à une avalanche de coups donnés pendant plusieurs minutes. Les ecchymoses qu’il porte au visage et aux bras s’accordent également avec la version des faits donnés par le matelot de 1re classe Fletcher suivant laquelle les deux hommes se sont empoignés autour des casiers puis sur le sol. Compte tenu du fait qu’ils étaient tous les deux sous le choc et qu’ils étaient incohérents lorsqu’ils ont rencontré le caporal McDevitt dans le poste d’équipage 17, la fiabilité de leur témoignage pourrait soulever certains doutes; toutefois, la Cour considère crédible et fiable le témoignage du matelot de 1re classe Fletcher, qu’elle considère compatible avec les photographies et les dessins déposés en preuve, et conforme à ce qui a incité le maître Kendall à intervenir dans la coquerie quatre jours avant l’altercation.

[29]           La Cour n’accepte pas le témoignage du caporal Frame lorsqu’il affirme qu’ils n’ont pas échangé de mots avant l’altercation et qu’il a été attaqué par derrière sans aucune implication de sa part à quelque moment que ce soit. La Cour ne croit pas le caporal Frame lorsqu’il affirme qu’il n’avait aucun différend avec le matelot de 1re classe Fletcher.

Premier chef d’accusation : Infraction punissable en application de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, en l’occurrence s’être livré à des voies de fait causant des lésions corporelles, contrairement à l’alinéa 267b) du Code criminel.

[30]           Outre les éléments concernant l’identité de l’accusé, ainsi que le lieu et la date de l’infraction reprochée à l’accusée, en l’occurrence s'être livré à des voies de fait causant des lésions corporelles contrairement à l’alinéa 267b) du Code criminel, les autres éléments essentiels de l’infraction que la poursuite doit établir hors de tout doute raisonnable sont les suivants :

a)                  que le matelot de 1re classe Fletcher a employé la force contre le caporal Frame;

b)                  que le matelot de 1re classe Fletcher a employé la force de manière intentionnelle;

c)                  que le caporal Frame n’a pas consenti à la force employée par le matelot de 1re classe Fletcher;

d)                 que le matelot de 1re classe Fletcher savait que le caporal Frame ne consentait pas à la force appliquée par lui;

e)                  que le matelot de 1re classe Fletcher a infligé des lésions corporelles au caporal Frame.

[31]           Je suis d’accord avec les avocats pour dire que la seule question en litige dans la présente affaire est celle de savoir si le matelot de 1re classe Fletcher a agi en état de légitime défense. L’article 72.1 de la Loi sur la défense nationale dispose :

72.1          Les règles et principes applicables dans les procès tenus devant des tribunaux civils selon lesquels des circonstances données pourraient justifier ou excuser un acte ou une omission ou offrir un moyen de défense sont également opérants dans le cas de toute accusation fondée sur le code de discipline militaire.

[32]           La disposition relative à la légitime défense se trouve à l’article 34 du Code criminel. En voici un extrait :

*       34. (1)  N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :

a) croit, pour des motifs raisonnables, que la force est employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menace de l’employer contre elle ou une autre personne;

 

b) commet l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger — ou de défendre ou de protéger une autre personne — contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force;

 

c) agit de façon raisonnable dans les circonstances.

(2) Pour décider si la personne a agi de façon raisonnable dans les circonstances, le tribunal tient compte des faits pertinents dans la situation personnelle de la personne et celle des autres parties, de même que des faits pertinents de l’acte, ce qui comprend notamment les facteurs suivants :

a) la nature de la force ou de la menace;

 

b) la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel;

 

c) le rôle joué par la personne lors de l’incident;

 

d) la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme;

 

e) la taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause;

 

f) la nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force avant l’incident, ainsi que la nature de cette force ou de cette menace;

 

f.1) l’historique des interactions ou communications entre les parties en cause;

 

g) la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force;

 

h) la question de savoir si la personne a agi en réaction à un emploi ou à une menace d’emploi de la force qu’elle savait légitime.

[33]           Appliquant les critères énoncés dans l’arrêt R. c. W. (D.), [1991] 1 R.C.S. 742, la Cour accepte le témoignage du matelot de 1re classe Fletcher et est convaincue de la vraisemblance du moyen de défense prévue à l’article 34 du Code criminel. L’article 34 du Code énonce les éléments constitutifs du moyen de défense qui s’applique dans toute situation dans laquelle l’accusé commet un acte dans le but de se défendre ou de défendre une autre personne. Le critère permettant de savoir si la personne a agi de façon raisonnable vaut tant pour la perception que pour la réaction de l’accusé. Par conséquent, l’accusé sera acquitté s’il existe un doute raisonnable que celui‑ci :

a)                  croyait, pour des motifs raisonnables, que la force était employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menaçait de l’employer contre elle ou une autre personne;

b)                  a commis l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger – ou de défendre ou de protéger une autre personne – contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force;

c)                  a agi de façon raisonnable dans les circonstances.

[34]           Ces éléments sont cumulatifs, de sorte que le juge des faits doit avoir un doute raisonnable au sujet de chacun d’entre eux lorsqu’il évalue les facteurs énoncés au paragraphe 34(2) du Code.

[35]           Le premier élément constitutif du moyen de défense de la légitime défense portant sur la crainte raisonnable de force est objectif. La question à se poser est celle de savoir si une personne raisonnable se trouvant dans la même situation que le matelot de 1re classe Fletcher aurait conclu qu’une force ou une menace de force était utilisée contre elle. On devra tenir compte des caractéristiques de l’accusé, tels que la race et le sexe, par exemple, ainsi que, dans une certaine mesure, du contexte. Cet élément est respecté dans le cas qui nous occupe.

[36]           Le deuxième élément constitutif, en l’occurrence commettre l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre, se rapporte à l’état d’esprit du matelot de 1re classe Fletcher. Il doit avoir commis l’acte uniquement dans le but de se défendre ou de se protéger et non dans le but de se venger, de discipliner ou de contrôler l’autre personne. Ce volet du critère est purement subjectif. Il suppose que l’on détermine ce qui motivait l’accusé au moment où il a agi. Le matelot de 1re classe Fletcher craignait pour sa sécurité lorsqu’il a reçu un coup à l’oreille. Il a déclaré qu’il avait le sentiment, à ce moment‑là, que le caporal Frame le tabasserait sans aucune retenue. C’est à ce moment‑là que le matelot de 1re classe Fletcher a donné trois autres coups au caporal Frame et l’a jeté au sol avant de lui appliquer deux contrôles par l’encolure pour le neutraliser.

[37]           La poursuite affirme que si la Cour retient la version des faits de l’accusé, cet élément de la défense ne pourrait survivre, étant donné que le caporal Fletcher cherchait de toute évidence à se venger et à maîtriser son adversaire. Cet argument n’est pas dénué de fondement, mais compte tenu des éléments de preuve qui ont déjà été retenus, j’estime que le matelot de 1re classe Fletcher craignait subjectivement pour sa sécurité et la Cour conserve un doute raisonnable à ce sujet.

[38]           Le troisième élément concerne l’ampleur de la réaction du matelot de 1re classe Fletcher. Cet élément doit être apprécié de façon objective puisqu’il porte sur le caractère raisonnable des agissements, mais il faut le situer dans son contexte en raison du libellé même du paragraphe 34(2) du Code. Toutefois, il faut reconnaître que la proportionnalité n’est pas en jeu ici. Ainsi que l’auteur de l’ouvrage Criminal Pleadings and Practice in Canada, Eugene Ewaschuk, l’explique, au paragraphe 21:5180 :

[traduction]

Pour repousser une agression illégitime, l’accusé n’est pas tenu de mesurer avec précision la force à laquelle il recourt au moment où survient l’état de nécessité. En effet, la frénésie qui caractérise ce genre d’incident exclut toute réflexion détachée [...]

[39]           La poursuite affirme qu’il est démontré, hors de tout doute raisonnable, que les agissements ou la réponse du matelot de 1re classe Fletcher n’étaient pas raisonnables dans les circonstances. La Cour est convaincue que la nature de la force ou de la menace, la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel appuient les agissements de l’accusé. Après l’empoigne initiale, il a réagi en repoussant le caporal Frame contre le casier. Ce geste aurait pu mettre fin à l’affaire, mais le caporal Frame a répliqué en frappant le matelot de 1re classe Fletcher à l’œil et à la poitrine. Ce dernier a réagi en frappant le caporal Frame trois fois au visage et ils se sont tous les deux empoignés dans la zone des casiers puis le caporal Frame a frappé le matelot de 1re classe Fletcher à l’oreille lui causant une douleur intense. Il a ensuite donné trois autres coups avant de jeter le caporal Frame au sol et de lui appliquer deux contrôles de l’encolure pour le neutraliser en disant au caporal Frame que c’était « terminé ». Dans ce contexte, alors que les deux hommes se trouvaient dans le poste d’équipage 17 et qu’ils se battaient dans des conditions d’éclairage minimales derrière des portes closes, la seule autre solution aurait été de s’enfuir. Acceptant la preuve suivant laquelle le degré de violence en cause au cours de l’altercation s’est rapidement intensifié, les agissements du matelot de 1re classe Fletcher ne semblent pas déraisonnables dans les circonstances.

[40]           Pour ce qui est du rôle joué par le matelot de 1re classe Fletcher dans l’incident, signalons qu’il a tenté d’éviter d’engager la conversation avec le caporal Frame lorsque celui‑ci l’a saisi par le bras. Il a réagi en poussant le caporal Frame contre le casier pour clore la discussion. Le caporal Frame a immédiatement répondu et les choses ont rapidement dégénéré. Là encore, le matelot de 1re classe Fletcher a réagi. Il n’a pas utilisé d’arme ou menacé d’en utiliser. Il s’agissait de deux hommes solides d’environ six pieds bien que le caporal Frame, qui pesait environ 200 livres au moment de l’altercation, pesait entre dix et quinze livres de moins que le matelot de 1re classe Fletcher.

[41]           Le matelot de 1re classe Fletcher possédait effectivement beaucoup d’expérience en arts martiaux; toutefois, sa perception suivant laquelle le caporal Frame pouvait se battre et constituer une menace pour lui n’était pas déraisonnable, compte tenu du fait qu’il l’avait déjà vu, dans la coquerie, faire une démonstration de kung-fu et parler d’arts martiaux. Certes, les deux hommes ne s’aimaient pas, mais ils ne s’étaient jamais lancé de défi en vue de se battre.

[42]           Leur relation à bord du navire n’était pas harmonieuse et le matelot de 1re classe Fletcher croyait véritablement que les autres cuisiniers ne l’aimaient pas et n’aimaient pas son travail, y compris le caporal Frame, malgré sa propre affirmation qu’il n’avait rien contre lui. La Cour ne le croit pas à ce sujet. J’accepte que le matelot de 1re classe Fletcher percevait raisonnablement que ses collègues cherchaient à le prendre en défaut et à lui rendre la vie désagréable. Cette perception était peut‑être exagérée, mais elle n’était pas déraisonnable. La question de savoir si la nature et l’ampleur de la réaction du matelot de 1re classe Fletcher face au caporal Frame étaient raisonnables ne peut être jugée en fonction d’une analyse image par image. Le climat entre les deux individus, les conditions d’éclairage, la disposition du poste d’équipage 17 et la gradation de la violence en réaction aux agissements du caporal Frame sont tous des facteurs importants.

[43]           Je suis d’accord avec la défense pour dire que lorsque le matelot de 1re classe Fletcher a été frappé à l’oreille, le niveau de danger pour sa sécurité a augmenté radicalement parce qu’il se trouvait alors véritablement engagé dans une bagarre. Les photographies montrent que cette bagarre était intense et qu’il y a eu des déplacements significatifs dans le poste de l’équipage 17. Le matelot de 1re classe Fletcher n’a pas à démontrer qu’il a agi raisonnablement dans les circonstances; c’est à la poursuite qu’il incombe de démontrer hors de tout doute raisonnable que l’accusé n’a pas agi de façon raisonnable au sens de l’article 34 du Code. Vu l’ensemble de la preuve qu’elle accepte, la Cour a un doute raisonnable que le matelot de 1re classe Fletcher n’a pas agi en état de légitime défense.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[44]              DÉCLARE le matelot de 1re classe Fletcher non coupable du premier chef d’accusation.

 

Avocats :

Lieutenant‑Commandant S. Torani, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

Me C. Mackie, Suntok Mackie, avocats, Victoria, Colombie‑Britannique, Avocat du matelot de 1re classe J.R. Fletcher

 

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