Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 23 février 2015.

Endroit : 6080 rue Young, 5e étage, salle d’audience, Halifax (NÉ).

Chefs d’accusation

• Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, trafic d’une substance inscrite à l’annexe II (art. 5(1) LRCDAS).
• Chef d’accusation 2 : Art. 130 LDN, possession en vue du trafic d’une substance inscrite à l’annexe II (art. 5(2) LRCDAS).
• Chef d’accusation 3 (subsidiaire au chef d’accusation 4) : Art. 130 LDN, possession non autorisée d’un dispositif prohibé (art. 91(2) C. cr.).
• Chef d’accusation 4 (subsidiaire au chef d’accusation 3) : Art. 130 LDN, possession d’un dispositif prohibé (art. 91(2) C. cr.).

Résultats :

• VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 3 : Coupable. Chef d'accusation 2 : Non coupable. Chef d'accusation 4 : Une suspension d'instance.

• SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 60 jours et une amende au montant de 1000$. L'exécution de la peine d'emprisonnement a été suspendue.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Beswick, 2015 CM 3005

 

Date : 20150226

Dossier : 201403

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Halifax

Halifax (Nouvelle‑Écosse), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Matelot de 2e classe C.G. Beswick, contrevenant

 

 

En présence du : Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Matelot de 2e classe Beswick, la Cour a accepté et enregistré votre plaidoyer de culpabilité à l’égard des premier et troisième chefs d’accusation et vous déclare maintenant coupable de ces infractions. De plus, étant donné que le quatrième chef d’accusation est subsidiaire au troisième chef d’accusation, j’ordonne que les procédures liées à ce chef d’accusation subsidiaire soient suspendues. Finalement, puisque la Cour a conclu que vous n’êtes pas coupable du deuxième chef d’accusation, elle n’a pas d’autres chefs d’accusation à trancher dans le cadre de cette affaire.

 

[2]               Nous en sommes maintenant à l’étape de la détermination de la sentence et il revient au juge présidant la cour martiale de déterminer la sentence.

 

[3]               La détermination de la sentence en cour martiale vise fondamentalement à assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline militaire. Or, le droit ne permet pas à un tribunal militaire d’imposer une sentence qui irait au-delà de ce qu’exigent les circonstances de l’affaire. En d’autres mots, toute sentence infligée par un tribunal doit être individualisée et représenter l’intervention minimale requise, puisque la modération est le principe fondamental de la théorie moderne de la détermination de la sentence au Canada.

 

[4]        Dans cette affaire, le poursuivant m’a suggéré d’imposer au contrevenant, à titre de sentence, quatre mois d’emprisonnement et une rétrogradation. Pour le compte du contrevenant, l’avocat de la défense a recommandé qu’une amende de 1 000 $ soit imposée ou, si je conclus que l’incarcération est appropriée dans les circonstances, d’imposer au contrevenant une sentence d’emprisonnement de 14 jours et d’utiliser les pouvoirs qui me sont conférés en vertu de l’article 215 de la Loi sur la défense nationale pour suspendre l’exécution de cette sentence.

 

[5]        Lorsqu’il impose une sentence, le juge doit prendre en considération certains objectifs et précédents. Comme l’a souligné l’avocat de la défense hier, la décision de la cour martiale dans l’arrêt Tupper indiquait clairement que les juges militaires doivent utiliser les objectifs et les principes énoncés aux articles 718, 718.1 et 718.2 du Code criminel, en plus des références à l’article 112.48 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC).

 

[6]        Alors, en ce qui concerne les objectifs, la Cour a pris en compte les points suivants :

 

a)                  protéger le public, y compris les Forces canadiennes;

 

b)                  dénoncer le comportement illégal;

 

c)                  dissuader le contrevenant et quiconque de commettre la ou les mêmes infractions;

 

d)                 isoler au besoin les contrevenants du reste de la société;

 

e)                  réinsérer et réformer les contrevenants.

 

[7]        J’ai aussi pris en considération certains principes :

 

a)                  la sentence doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction;

 

b)                  la sentence doit être proportionnelle au degré de responsabilité et aux antécédents du contrevenant;

 

c)                  elle doit être semblable à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;

 

d)                   un contrevenant ne devrait pas être privé de sa liberté lorsque les circonstances justifient l’imposition de sanctions moins contraignantes. En bref, la Cour ne devrait avoir recours à une sentence d’emprisonnement ou de détention qu’en dernier ressort, comme l’ont établi la Cour d’appel de la cour martiale et la Cour suprême du Canada;

 

e)                    finalement, toute sentence qui compose une sentence devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant.

 

[8]               Pour ce qui est des circonstances, le 22 mars 2013, l’Équipe nationale de lutte antidrogue (ENLA) des Forces canadiennes a procédé à une opération de surveillance. Elle a réalisé un contrôle routier du véhicule du caporal-chef Pollett ce jour-là et a saisi sept grammes de cannabis. L’Équipe a appris du caporal-chef Pollet qu’il avait obtenu cette quantité de cannabis du matelot de 2e classe Beswick le jour même et que la transaction avait été réalisée après l’envoi, plus tôt, de messages textes concernant sa planification.

 

[9]               En réalité, le caporal-chef Pollett a appris d’un autre marin qu’il pouvait obtenir cette drogue par le biais du matelot de 2e classe Beswick. Après le contrôle routier, un mandat de perquisition a été exécuté où résidait le matelot de 2e classe Beswick. Dans la chambre qu’il occupait à ce moment, un coup‑de‑poing américain a été trouvé dans un sac à dos fermé placé au fond de son placard.

 

[10]           Je suis d’avis que la détermination de la sentence dans le présent cas devrait être axée principalement sur la dénonciation et l’effet dissuasif particulier et général. Il est important de se rappeler que le principe d’effet dissuasif général signifie que la sentence devrait non seulement décourager le contrevenant de recommencer, mais aussi décourager les autres personnes dans une situation semblable d’adopter le même comportement illégal.

 

[11]           Pour ce qui est des principes de la détermination de sentence dans le cas du trafic de stupéfiants, je pense qu’il est important de rappeler aux gens que la Cour d’appel de la cour martiale a énoncé des raisons claires justifiant pourquoi l’usage de drogues dans le contexte militaire doit être considéré comme une question très sérieuse. En 1985, dans l’arrêt R. c. MacEachern, (1986) 24 C.C.C. (3d) 439, à la page 444, cette Cour affirmait ce qui suit :

 

À cause des tâches particulièrement importantes et dangereuses que les militaires peuvent, en tout temps et à bref délai, être tenus d’exécuter et du travail d’équipe qu’exige l’accomplissement de ces tâches, lesquelles nécessitent souvent l’utilisation d’armes et d’instruments hautement techniques et potentiellement dangereux, il ne fait aucun doute que les autorités militaires sont tout à fait justifiées d’attacher une très grande importance à ce qu’aucun stupéfiant ne se trouve ni ne soit utilisé dans les établissements ou les formations militaires ni à bord des navires ou des aéronefs. Les autorités militaires ont peut-être davantage intérêt que les autorités civiles à ce qu’aucun membre des forces armées n’utilise ni ne distribue de stupéfiants et, en fin de compte, à en empêcher tout usage. […]

 

            Essentiellement, la Cour d’appel de la cour martiale nous indique que le trafic de stupéfiants dans l’armée est une infraction grave, ce à quoi la Cour souscrit entièrement.

 

[12]           En plus d’appliquer ce principe, j’aimerais citer un paragraphe de la décision R. c. Humphrey, 2011 CM 1009, une décision du juge militaire en chef, le juge Dutil, qui décrit clairement l’approche que doit adopter un juge militaire dans le cadre d’un procès sur des infractions liées au trafic de stupéfiants :

 

La Cour d’appel de la cour martiale et de nombreuses cours martiales ont constamment décidé que la consommation et le trafic de stupéfiants sont plus graves dans le milieu militaire, en raison de la nature même des fonctions et responsabilités de tous les membres des Forces canadiennes, qui doivent assurer la sécurité et la défense de notre pays et de nos concitoyens canadiens. La collectivité militaire ne peut tolérer aucun manquement à sa politique rigoureuse et bien connue qui interdit l’usage de drogues illicites. Cependant, il faut appliquer ces énoncés généraux dans le contexte de chaque cas, à la lumière des principes et objectifs pertinents en ce qui concerne la détermination de la peine.

 

            Ce qui m’amène à affirmer aujourd’hui, comme mentionné précédemment par l’avocat de la défense, que la détermination de la sentence est un processus individualisé qui doit toujours être déterminé selon son propre contexte.

 

[13]           Relativement à la détermination d’une sentence appropriée dans l’affaire qui nous concerne, j’ai examiné les facteurs aggravants et atténuants. Voici les facteurs aggravants que j’ai pris en compte :

 

a)                  La gravité objective des infractions, c’est-à-dire le trafic d’une drogue, en l’occurrence le cannabis, entraîne une sentence maximale de cinq ans moins un jour, conformément aux dispositions en vigueur, comme je vous l’ai expliqué, et l’infraction concernant la possession d’une arme prohibée, pour laquelle la peine maximale est de cinq ans.

 

b)                  D’un point de vue subjectif concernant la gravité de ces infractions :

 

i.                    J’utiliserai les termes suggérés par le procureur [traduction] « commerce mineur » ou « petit vendeur ». Vous étiez connu en tant que fournisseur de stupéfiants chez les marins. C’est ce que j’ai compris d’après les circonstances et vous agissiez ainsi pour obtenir quelque chose en échange, soit de l’argent. Je ne peux pas considérer qu’il s’agit, assurément, d’un trafic social et je ne considère pas qu’il est question d’accommodement de certains de vos pairs dans cette situation. Il ne s’agit pas non plus d’une activité commerciale au sens où la quantité de drogue saisie n’est pas très importante, ce qui indique que la vente n’était pas effectuée à grande échelle, à tout le moins, d’après les circonstances, mais selon moi, il s’agit tout de même d’un facteur aggravant.

 

ii.                  De plus, il faut prendre en considération la préméditation, qui joue un rôle important dans ce qui s’est produit. L’achat effectué par le caporal-chef Pollet était planifié. Je crois que les messages textes indiquent clairement que ce n’est pas sur un coup de tête qu’il a décidé de se rendre à votre domicile pour vous acheter des stupéfiants. Essentiellement, il a obtenu votre nom, vous a approché et a confirmé qu’il était en mesure de le faire alors on remarque une certaine planification dans ces gestes et je considère qu’il s’agit d’un facteur aggravant.

 

c)                  Il y a aussi le fait que cette transaction implique d’autres militaires. En essence, par vos actions, vous avez contribué à risquer la sécurité, la sûreté et les activités des Forces canadiennes. À quel niveau? C’est une autre histoire, mais selon moi, il s’agissait du point de départ. L’introduction de drogues dans le système, comme je l’ai dit, peut nuire à la sécurité et à la sûreté des autres, en particulier s’ils sont appelés dans un court délai pour accomplir une tâche, alors je dois prendre ce fait en considération.

 

d)                 Aussi, concernant le coup-de-poing américain, vous étiez en possession d’un objet prohibé sans autorisation. C’est le fondement du problème et je dois le considérer comme étant un facteur aggravant.

 

e)                  Finalement, il y a votre fiche de conduite. Comme l’a mentionné le procureur, les condamnations indiquées sur cette fiche n’ont rien à voir avec les infractions dont il est question aujourd’hui. La nature des infractions sur la fiche de conduite diffère, mais celles-ci indiquent, à tout le moins, que vous avez eu des problèmes avec la discipline et l’autorité alors à cet égard, je considère qu’il s’agit d’un facteur aggravant. Essentiellement, vous avez démontré par vos actions un manque d’intégrité et de responsabilité. Vous avez fait preuve d’un manque de respect à tous les niveaux envers vos pairs, vos supérieurs, la chaîne de commandement et aussi un manque de respect pour la politique en matière de drogues. Des gens avaient confiance en vous. Vous avez vu comment la chaîne de commandement a réagi dans cette affaire; ses membres ont perdu confiance très rapidement. En ce qui concerne vos pairs, je suis sûr que certains étaient surpris de vos gestes et qu’ils ont perdu confiance.

 

[14]      J’ai aussi pris en compte certains facteurs atténuants :

 

a)                  Premièrement, il y a votre plaidoyer de culpabilité. Selon moi, il indique que vous assumez l’entière responsabilité de ce que vous avez fait. Il exprime des remords, mais il y a plus. Dans le cadre de son témoignage, votre conjointe de fait, Mme Peterson, a clairement énoncé le fait que vous avez réalisé, pas immédiatement, mais depuis que l’infraction a été commise, ce qui s’est produit et elle a fait valoir qu’au début, vous avez peut-être blâmé les autres, mais que vous avez rapidement compris que vous êtes responsable de vos propres actions. Alors en plus du fait que vous avez plaidé coupable, voici un important facteur atténuant à mon avis.

 

b)                  Je ne peux négliger le fait que votre rendement à titre de marin et d’opérateur d'équipement d'informations de combat (OP EICM) est excellent et que vous êtes resté concentré sur vos fonctions de militaire malgré vos actions en dehors du système militaire à certains moments. Je crois que vos superviseurs appréciaient votre travail pendant que vous étiez dans l’armée.

 

c)                   Il y a aussi votre âge et vos possibilités de carrière en tant que membre de la société canadienne et vous l’avez déjà montré. Il faut considérer qu’il s’agit d’un facteur atténuant, puisque vous n’abandonnez pas. Au contraire, vous avez décidé « OK, je ne fais plus partie du système militaire, mais cela ne signifie pas que je ne fais plus partie de la société » et vous avez fait quelque chose de votre vie. Étant donné votre jeune âge, vous êtes, en quelque sorte, à un nouveau tournant de votre vie en fondant une famille; je crois qu’il faut en tenir compte à titre de facteur atténuant dans la détermination d’une sentence appropriée.

 

d)               Je suis peut-être le seul à penser ainsi, mais personnellement, en tant que juge militaire, j’ai considéré le fait que vous avez dû comparaître devant la présente cour martiale comme étant un facteur atténuant, puisque cela a un certain effet dissuasif sur vous et les autres. Un procès en Cour martiale n’est pas un événement qui se produit très souvent et lorsqu’il survient, les gens prennent le temps de penser à leurs propres actions. Votre comparution pourrait influencer, dans le futur, la façon d’agir de ces personnes devant les mêmes obstacles alors selon moi, il s’agit d’un facteur atténuant.

 

e)                Il y a aussi le fait que vous avez été libéré des Forces canadiennes. Peu importe le chiffre et la lettre attribués, que ce soit 4B ou 2A, si je comprends bien la situation d’après les faits qui m’ont été présentés, vous avez été libéré des Forces canadiennes à cause de vos actions alors il y a un lien entre ce que vous avez fait et les conséquences. Selon moi, même s’il s’agit d’un processus administratif et non d’une sentence en soi, sur le plan disciplinaire, c’est tout de même une conséquence directe de vos actions et il faut en tenir compte en tant que facteur atténuant.

 

f)                Finalement, il y a le fait que vous avez repris votre vie en mains après avoir été libéré des Forces canadiennes. Comme je l’ai déjà mentionné, vous avez assumé la responsabilité de vos actes. Vous avez changé votre vie de bien des façons d’après le témoignage de Mme Peterson, et vous l’avez changée au mieux. Vous assumez maintenant des responsabilités additionnelles en tant qu’individu et, de mon point de vue, vous avez appris comment gagner le respect des autres et respecter les autres alors vous êtes devenu un solide atout pour la société.

 

[15]      Maintenant, si nous parlions de l’incarcération, comme l’a proposé le procureur? Les deux avocats ont fait d’excellentes observations à ce sujet, mais à la fin de la journée, la parité est un facteur que j’ai pris en compte parmi tant d’autres et par conséquent, ma principale préoccupation lorsque j’ai quitté le tribunal hier était de voir ce que la jurisprudence raconte quant à cette situation. J’ai examiné un certain nombre de décisions de la cour martiale qui m’ont été soumises. Je ne les ai pas toutes examinées, mais voici celles que j’ai regardées : Constantin, Humphrey, Jacobs, Cheston, Boivin, McKinnell, Hoddinott, Hébert-Painchaud et aussi certaines de mes propres décisions comme Masserey, Tardif, Vezina, Noah, St-Onge, Beek et Matelot de 1re classe Ennis. Certaines de ces décisions concernaient uniquement la consommation de cannabis; certaines traitaient de trafic de cannabis et d’autres encore avaient pour objet le trafic de cocaïne.

 

[16]           D’après ces décisions et la position de la Cour d’appel de la cour martiale concernant le trafic de stupéfiants, j’ai constaté que la consommation et la possession entraînent généralement une amende ou un blâme et une amende. Il y a certaines exceptions, selon les circonstances. À mon avis, la décision St-Onge, qui traitait de la consommation de cannabis pendant deux ans, est la plus connue de ces exceptions et l’affaire s’est retrouvée devant la Cour suprême du Canada même si l’accusé avait plaidé coupable. Il ne s’agissait pas simplement d’un événement qui s’était produit une seule fois; il s’est échelonné sur une période de deux ans. D’autres chefs d’accusation avaient été portés pour lesquels le contrevenant avait plaidé coupable et l’un d’eux concernait la possession d’un autre objet prohibé. C’était là une exception en matière de consommation ou de possession.

 

[17]           J’ai aussi examiné le trafic social, qui est au bas de l’échelle en ce qui a trait à la gravité des infractions liées au trafic, et qui entraîne généralement un blâme et une amende ou une rétrogradation et une amende. En ce qui concerne les infractions plus graves relatives au trafic de stupéfiants, elles entraînent généralement une incarcération; pas toujours, puisqu’il faut tenir compte des circonstances, mais elles nécessitent généralement une incarcération afin de refléter le principe de la dénonciation et de l’effet dissuasif général. Il s’agit du point de vue général d’après la jurisprudence examinée.

 

[18]           J’ai donc examiné toutes les circonstances et j’ai bien sûr pris en compte les objectifs et les principes, en particulier la dénonciation et l’effet dissuasif général; le type de trafic et, comme susmentionné, il ne s’agissait pas d’un simple accommodement à mon avis; et j’ai aussi examiné les facteurs aggravants et atténuants dans les circonstances. J’en suis venu à la conclusion que l’intervention minimale nécessaire de la Cour correspond à une incarcération. Je ne peux déroger de ce qui est indiqué dans la jurisprudence, alors je suis d’accord avec la suggestion du procureur à savoir que l’incarcération est l’intervention minimale requise que je dois imposer.

 

[19]           Maintenant, en ce qui concerne le type d’incarcération, il y a deux possibilités : la mise en détention et l’emprisonnement. Dans le cas présent, le trafic de stupéfiants entraîne généralement une peine d’incarcération et en prenant aussi en compte le but de la détention, qui est de redonner certains principes de base sur le plan militaire aux soldats, aux membres d’équipage d’aéronefs ou aux marins, la détention n’aurait pas d’effets importants étant donné que vous avez été libéré des Forces canadiennes. Je dois donc envisager la peine d’incarcération dans ces circonstances.

 

[20]           Le procureur a suggéré que l’incarcération soit combinée à une rétrogradation. Dans le cadre de la décision Moriarity, j’ai examiné le but d’une telle sanction. J’ai regardé la conclusion dans l’arrêt de la Cour d’appel de la cour martiale R. c. Fitzpatrick, [1995] C.M.A.J. 9 et aussi dans l’arrêt Sinclair c. R., 2010 CACM 4, plus précisément le paragraphe 39 :

 

La rétrogradation est un instrument important faisant partie de la trousse utilisée par le juge militaire dans la détermination de la peine. La rétrogradation sanctionne de manière plus efficace la perte de confiance des forces militaires envers le membre contrevenant que toute amende ou tout blâme pouvant être imposé. Cette perte de confiance s’exprime en l’instance par une rétrogradation à un poste où les contrevenantes ont perdu leur fonction de supervision.

 

            J’en viens donc à la conclusion que la rétrogradation est une sanction purement militaire reflétant une perte de confiance dans le membre contrevenant.

 

[21]           Je ne vois pas dans le cas en l’espèce comment elle serait applicable, puisque le matelot de 2e classe Beswick n’occupait pas une position dominante ou une fonction qui mériterait cette sanction. Je crois que l’incarcération reflète le principe de la dissuasion, en particulier la dénonciation et l’effet dissuasif général, et que l’ajout d’une rétrogradation dans ces circonstances n’ajoute rien à ce principe. En fait, c’est plus que ça alors je ne vois pas la pertinence d’imposer une telle sentence; toutefois, je crois qu’une amende serait appropriée dans les circonstances et j’aimerais ajouter cette sanction à la peine d’incarcération.

 

[22]           Ensuite, qu’en est-il de la durée de l’emprisonnement? Encore une fois, j’ai examiné l’ensemble de la jurisprudence et elle indique que la nature de la substance influence grandement la durée de la peine. Le trafic de cocaïne entraîne une sentence beaucoup plus sévère. Dans une telle situation, sur le plan de la gravité objective, la sentence maximale est l’emprisonnement à perpétuité. Il est tout à fait logique que la cocaïne entraîne une sentence plus sévère que le cannabis, qui entraîne une sentence maximale de cinq ans moins un jour.

 

[23]           Je dois aussi prendre en compte l’autre chef d’accusation, puisque je dois prononcer une sentence pour deux chefs d’accusation et la sentence maximale pour la possession d’une arme prohibée est également cinq ans. J’ai vu des décisions concernant la cocaïne allant de quatre mois à neuf mois ou à une année; j’ai moi-même imposé une sentence d’emprisonnement de trois ans dans une affaire à Gagetown liée au trafic de cocaïne à grande échelle par un militaire.

 

[24]           Dans les présentes circonstances, j’ai observé des sentences allant de 30 à 60 jours, parfois 45, une sentence semblable serait donc convenable et à mon avis, une sentence d’emprisonnement de 60 jours serait appropriée. Il y a aussi la question de l’amende à trancher et je crois, comme l’a suggéré l’avocat de la défense, qu’un montant de 1 000 $ est pertinent. Il a indiqué, et je suis totalement d’accord avec lui, que l’obligation de payer 100 $ chaque mois pendant 10 mois devrait faire partie de la sentence. Il s’agit ainsi d’un rappel, pendant au moins 10 mois, des conséquences de ses gestes.

 

[25]           Il me reste encore deux sujets à aborder : premièrement, la suspension et deuxièmement, l’ordonnance d'interdiction de posséder des armes. Je commencerai donc avec la suspension, une question que j’ai soulevée pendant la plaidoirie du procureur et j’ai obtenu les commentaires de l’avocat de la défense à ce sujet.

 

[26]           Matelot de 2e classe Beswick, votre avocat a suggéré que je suspende la sentence d’emprisonnement de 60 jours en exerçant les pouvoirs que me confère l’article 215 de la Loi sur la défense nationale, parce que cela est justifié en raison des circonstances exceptionnelles révélées par la preuve présentée.

 

[27]           L’article 215 de la Loi sur la défense nationale est ainsi formulé :

 

Le tribunal militaire peut suspendre l’exécution de la peine d’incarcération ou de détention à laquelle il a condamné le contrevenant.

 

[28]           La suspension de l’exécution d’une sentence d’emprisonnement ou de détention est un pouvoir discrétionnaire et exceptionnel qui peut être exercé par un tribunal militaire, ce qui inclut une cour martiale. Ce pouvoir n’est pas le même que celui qui autorise un tribunal civil de juridiction pénale à suspendre l’exécution d’une sentence tout en soumettant le contrevenant à une ordonnance de probation, conformément à l’article 731 du Code criminel, ou à condamner le contrevenant à purger sa sentence d’emprisonnement dans la collectivité, conformément à l’article 742.1 du même Code ayant trait aux condamnations à l’emprisonnement avec sursis. Il n’y a pas de critère particulier pour l’application de l’article 215 de la Loi sur la défense nationale.

 

[29]           Au cours des cinq dernières années, je dirais au moins deux ou trois fois par année, on m’a demandé d’exercer ce pouvoir discrétionnaire. J’en suis venu à la conclusion qu’en l’absence de critère applicable, si le contrevenant démontre, selon la prépondérance des probabilités, que sa situation particulière ou les exigences opérationnelles des Forces canadiennes justifient la nécessité de suspendre la sentence d’emprisonnement ou de détention, la Cour prononcera cette ordonnance et en fait, je prononcerai cette ordonnance. Toutefois, avant de le faire, je devrai décider si j’en arrive à la conclusion que je dois suspendre l’exécution de la sentence d’emprisonnement ou que cette suspension minerait la confiance du public dans le système de justice militaire. Si je conclus que ça ne serait pas le cas, je prononcerai l’ordonnance.

 

[30]           Ce que j’ai constaté, d’après les éléments de preuve qui m’ont été présentés au moment de la détermination de la sentence, c’est qu’après avoir été libéré des Forces canadiennes en février 2014, vous avez repris votre vie en main. Vous avez apporté des changements importants, ce qui signifie que vous avez considéré avec attention le milieu dans lequel vous viviez et avez réduit votre cercle d’amis et, probablement, votre réseau, afin de retourner sur le droit chemin par vous-même. Vous avez décidé de retourner à l’école, vous avez bien réussi et vous avez trouvé du travail. Essentiellement, vous avez assumé la responsabilité non seulement de ce que vous avez fait, mais aussi de votre avenir. Vous avez rencontré ce que je qualifie de personne chère et le mot « chère » a, je crois, une grande signification dans la présente situation. Elle vous a aidé à grandir de nombreuses façons : elle vous a apporté son aide, mais je crois comprendre qu’elle ne vous a pas obligé à accomplir tout ce que vous avez fait. Vous avez pris cette décision. Elle vous appartient et à personne d’autre.

 

[31]           Fondamentalement, vous vous êtes réadapté et il n’a pas été question de « réadaptation » dans le présent procès, mais j’aborde le sujet parce qu’il fait partie de la sentence prononcée et qu’il s’agit d’un principe de la détermination de sentence. Les gens font des erreurs, mais ils peuvent apprendre de ces erreurs; ils peuvent prendre des décisions concernant leur propre vie, ce qu’ils veulent faire et comment ils veulent le faire. C’est ce que vous avez fait. Selon moi, ces circonstances sont très similaires à d’autres situations comme dans le cas des décisions Tardif et Masserey, où des membres des Forces canadiennes avaient été libérés, et qui se sont échelonnées sur une certaine période, car vous avez entendu votre avocat parler de retard. Il a dit qu’il y avait eu un retard dans la présente affaire, mais nous n’avons pas eu d’explication. Je ne crois pas qu’une explication soit nécessaire, mais vous avez profité de ce retard. Vous vous êtes dit « je vais faire quelque chose de ma vie » et c’est ce que vous avez fait jusqu’à maintenant. Je ne prétends pas connaître le futur, mais vous avez réussi et pour moi, cela démontre ce que je considère être des circonstances particulières ou exceptionnelles qui justifieraient la suspension de la peine d’incarcération.

 

[32]           Maintenant, comme je l’ai mentionné, je dois passer à la seconde étape puisque c’est une chose de décrire les critères applicables, mais je dois maintenant procéder à l’analyse. J’ai jugé qu’il est évident que si le tribunal ne suspend pas la sentence d’emprisonnement dans ces circonstances particulières, le public ne pourra y voir qu’un déséquilibre dans l’application des principes de détermination de la sentence touchant la dénonciation et la dissuasion générale d’une part, et la réadaptation d’autre part.

 

[33]           La confiance du public est aussi liée au fait que la justice, de temps en temps, peut aider à changer les choses et c’est manifestement ce que vous avez démontré par vos actions. De plus, je crois que le public peut facilement comprendre que dans les circonstances, quelque chose de bien peut parfois découler d’une erreur et c’est ce que vous avez prouvé. J’en suis donc venu à la conclusion que la confiance du public dans le système de justice ne sera pas minée par la suspension de la peine d’incarcération.

 

[34]           Finalement, ce point peut être moins intéressant pour certaines personnes, mais je crois que sur le plan juridique, il s’agit d’un élément que je dois examiner attentivement, c’est‑à‑dire l’ordonnance d'interdiction de posséder des armes. J’ai soulevé cette question par le biais du procureur, lui faisant remarquer que d’affirmer, d’un côté, que de très graves circonstances exigent une sentence très sévère et de l’autre, ne pas demander d’ordonnance d’interdiction de posséder des armes malgré l’existence de l’article 109 du Code criminel, qui traite du fait qu’une ordonnance d’interdiction de posséder des armes est obligatoire dans les cas d’infractions relatives au trafic, est difficile à comprendre. Je dirais qu’il s’agit là d’une façon de l’exprimer, mais que ce n’est pas la seule. Le Parlement a pris la décision de laisser à la cour martiale le pouvoir discrétionnaire consistant à se prononcer sur cette question, malgré de nombreuses modifications apportées à l’article 109 du Code criminel lorsqu’il est question d’infractions en matière de drogue.

 

[35]           L’article 147.1 de la Loi sur la défense nationale oblige le juge à prendre en considération une telle ordonnance, mais il ne l’impose pas et il revient au Parlement de prendre la décision de la rendre obligatoire ou non. Dans cette perspective, puisque comme je l’ai mentionné, il y a différentes façons de le dire, je ne considère pas que c’est le rôle de la Cour d’usurper le pouvoir du Parlement de décider pourquoi il existe deux régimes différents au Canada, un pour le système de justice militaire et un autre pour le système de justice pénale. Je ne crois pas que c’est au juge d’essayer d’expliquer la différence, mais plutôt d’appliquer les dispositions. Il y a peut-être de bonnes raisons expliquant cette situation; je ne sais pas, mais ce que je sais, c’est ce que racontent les dispositions et ce qu’elles disent, c’est que j’ai le pouvoir discrétionnaire d’examiner s’il est approprié ou non de prononcer une telle ordonnance.

 

[36]           Donc, d’après les circonstances entourant cette affaire, il est évident que l’arme ou le dispositif prohibé a été trouvé dans un endroit, mais il n’a pas été utilisé et ne faisait pas partie d’une transaction liée aux drogues. Ces deux éléments ne sont pas liés; il est impossible d’établir un lien alors selon moi, il est sensé, avec la recommandation des deux avocats, de ne pas prononcer cette ordonnance compte tenu des circonstances. J’en conclus qu’une telle ordonnance n’est pas nécessaire, ni souhaitable, dans l’intérêt et pour la sécurité de qui que ce soit ou du contrevenant, et je ne prononcerai pas cette ordonnance.

 

[37]           Mme Peterson a pris la parole; vous l’avez appelée comme témoin. Fondamentalement, elle vous a défendu. Elle est venue devant moi et a clairement décrit la situation en ce moment et ce qu’elle a vu jusqu’à maintenant. Je vais vous dire, peu importe le résultat de la présente cour martiale, et je ne sais pas ce qui va se produire dans le futur, puisque nous sommes tous des êtres humains, et je ne saurais dire comment une relation se terminera, mais si votre relation prend fin un jour, bien qu’assurément, vous ayez de bonnes bases, vous aurez une dette envers elle et un jour, vous pourriez avoir à prendre la parole et à lui rendre la pareille. Je ne sais pas quelle pourrait être la situation, mais j’espère que vous vous souviendrez de ce qu’il s’est passé aujourd’hui et si votre relation échoue, j’espère que vous serez là pour elle et que vous lui apporterez votre soutien. Je ne sais pas ce que la vie vous réserve, mais je vous implore de penser à tout ça.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[38]           vous DÉCLARE coupable des premier et troisième chefs d’accusation;

 

[39]           vous DÉCLARE non coupable du deuxième chef d’accusation;

 

[40]           ORDONNE la suspension des procédures intentées contre vous relativement au quatrième chef d’accusation.

 

[41]           vous CONDAMNE à une peine d’incarcération de 60 jours et à une amende au montant de 1 000 $ payable en 10 versements mensuels de 100 $ chacun à compter du 1er mars 2015;

 

[42]           SUSPEND l’exécution de la peine d’incarcération.


 

Avocats :

 

Directeur du Service canadien des poursuites militaires, représenté par le capitaine de corvette D.T. Reeves

 

Me D. Bright, BOYNECLARKE SRL, avocat pour l’ex-matelot de 2e classe C.G. Beswick

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.