Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 8 septembre 2014.

Endroit : BFC Petawawa, édifice L-106, 48 terrain de parade Nicklin, Petawawa (ON).

Chefs d’accusation

• Chefs d’accusation 1, 2, 3 : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d’un supérieur.
• Chef d’accusation 4 : Art. 85 LDN, s’est conduit d’une façon méprisante à l’endroit d’un supérieur.

Verdicts

• Chefs d’accusation 1, 4 : Non coupable. Chefs d’accusation 2, 3 : Coupable.

Sentence

• Un blâme et une amende au montant de 750$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Britz, 2014 CM 3015

 

Date : 20140910

Dossier : 201385

 

Cour martiale générale

 

Base des Forces Canadiennes Petawawa

Petawawa (Ontario), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Le caporal J.M. Britz, accusé

 

 

En présence du Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

REQUÊTE FONDÉE SUR L’ABSENCE D’UNE PREUVE PRIMA FACIE À L’ÉGARD DU PREMIER CHEF D’ACCUSATION DÉPOSÉE PAR L’AVOCAT DE LA DÉFENSE

 

(Oralement)

 

[1]               Le caporal Britz fait l’objet de trois chefs d’accusation d’avoir désobéi à un ordre légitime d’un supérieur contrairement à l’article 83 de la Loi sur la défense nationale et il est accusé d’avoir commis une infraction punissable contrairement à l’article 85 de la Loi sur la défense nationale de s’être conduit de façon méprisante à l’endroit d’un supérieur. Essentiellement il est allégué qu’en août et en septembre 2012, le caporal Britz n’a pas exécuté une tâche quotidienne consistant à extraire des données du quartier-général de la brigade et à apporter les données enregistrées à l’analyste de son unité comme on lui avait ordonné, et qu’il s’est conduit de façon méprisante à l’endroit de l’un de ceux qui lui a donné cet ordre.

 

[2]               Comme il est énoncé dans les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), lorsque la poursuite a terminé la présentation de sa preuve, la défense peut présenter une requête d’acquittement au motif que la poursuite n’a pas présenté de preuve prima facie, c’est‑à‑dire, une preuve à l’égard de tous les éléments essentiels d’un chef d’accusation, qui, s’ils sont crus par le juge des faits et demeurent incontestés, justifient une déclaration de culpabilité.

 

[3]               Ensuite, le 9 septembre 2014, lorsque la poursuite a terminé la présentation de sa preuve, et conformément au paragraphe 112.05(13) des ORFC, l’accusé a présenté une requête d’acquittement pour absence de preuve prima facie à l’égard du premier chef d’accusation figurant à l’acte d’accusation au motif que la poursuite n’avait présenté devant la Cour martiale générale aucune preuve à l’égard d’un élément essentiel de l’infraction portée en vertu de l’article 83 de la Loi sur la défense nationale.

 

[4]               L’énoncé de l’infraction et les détails du premier chef d’accusation sont libellés en ces termes :

 

A DÉSOBÉI À UN ORDRE LÉGITIME D’UN SUPÉRIEUR

 

Détails : En ce que, le 16 août 2012 ou vers cette date, à la BFC Petawawa ou à proximité (Ontario), a refusé d’effectuer l’extraction de données classifiées de l‘IRSC) située à Z101 entre le 21 août 2012 et le 5 septembre 2012 comme l’avait ordonné le M1 Poirier.

 

[5]               La preuve présentée à la Cour martiale est essentiellement les faits suivants :

 

a)         le témoignage du docteur Davenport, du maître de 1re classe Poirier et du caporal‑chef McIvor;

 

b)         la pièce 4, une copie d’une fiche des Services de santé des Forces canadiennes ayant trait au caporal Britz et datée du 18 mai 2012;

 

c)         la pièce 5, une copie d’une fiche des Services de santé des Forces canadiennes ayant trait au caporal Britz et datée du 13 août 2012;

 

d)         la pièce 6, une copie des notes médicales prises par le docteur Davenport ayant trait au caporal Britz et datée du 10 août 2012;

 

e)         la pièce 7, une copie des notes médicales prises par le docteur Davenport ayant trait au caporal Britz et datée du 31 août 2012;

 

f)          la pièce 8, une copie d’un formulaire de changement des contraintes à l’emploi pour raisons médicales ayant trait au Caporal Britz et datée du 2 novembre 2012;

 

g)         la pièce 9, une copie de l’article 19.02 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes;

 

h)         les admissions faites par le caporal Britz conformément à l’alinéa 37b) des Règles militaires de la preuve, afin de dispenser de faire la preuve de tout fait que doit prouver le procureur de la poursuite, et plus précisément :

 

i.          son identité concernant les quatre chefs d’accusation dont est saisie la Cour;

 

ii.          l’implication du supérieur et le fait qu’il était au courant du statut du supérieur concernant les quatre chefs d’accusation dont est saisie la Cour; et

 

i)          la connaissance judiciaire prise par la Cour des faits en litige en vertu de l’article 15 des Règles militaires de la preuve, et plus précisément concernant l’article 19.02 des ORFC.

 

[6]               Ce type de requête lorsque la poursuite a complété la présentation de sa preuve est différente d’une requête d’acquittement fondée sur l’existence d’un doute raisonnable. Le dernier argument est l’effet qu’il se peut qu’il y ait de la preuve qui permettrait à un jury ayant reçu des directives appropriées de déclarer l’accusé coupable, mais que cette preuve soit insuffisante pour établir la culpabilité hors de tout doute raisonnable. Étant donné que le concept du doute raisonnable ne peut entrer en jeu que lorsque toute la preuve a été présentée, il ne peut être invoqué que si l’accusé a choisi, de ne pas présenter de preuve ou a terminé la présentation de sa preuve.

 

[7]               Le critère applicable aux fins d’un verdict imposé a été défini par le juge Ritchie dans États-Unis d’Amérique c. Shephard, [1977] 2 R.C.S. 1067. Certains arrêts ultérieurs, comme R. c. Charemski, [1998] 1 R.C.S. 679 et R. c. Fontaine, 2004 CSC 27 ont apporté des éclaircissements sur ce critère.

 

[8]               La Cour ne peut pas tenir compte de la qualité de la preuve pour décider si la poursuite a présenté à l’égard des éléments essentiels de chaque chef d’accusation qui font en sorte qu’un jury ayant reçu des directives appropriées pourrait raisonnablement trancher la question; pas qu’il « trancherait » ou qu’il « devrait », mais simplement qu’il « puisse ».

 

[9]               En fin de compte, le critère à appliquer a été énoncé par le juge Fish, qui a rendu l’arrêt au nom de la Cour dans Fontaine au paragraphe 53 :

 

Par conséquent, comme l’a expliqué la juge McLachlin dans l’arrêt Charemski, précité, la preuve contre l’accusé ne peut être soumise au jury que si le dossier renferme des éléments de preuve permettant à un jury ayant reçu des directives appropriées de conclure rationnellement que l’accusé est coupable hors de tout doute raisonnable.

 

[10]           Il incombe à l’accusé d’établir le fardeau de la preuve, selon une prépondérance de probabilités, que le critère est rempli.

 

[11]           Le critère est le même que la preuve soit directe ou circonstancielle. L’application de ce critère varie selon le type de preuve dans la preuve de la poursuite. Lorsque la preuve de la poursuite se compose entièrement de preuve directe, l’application du critère est simple. Si le juge conclut que la poursuite a présenté de preuve directe à l’égard de tous les éléments de chaque infraction, la requête doit être rejetée. La seule question sera si la preuve est véridique et que c’est pour le juge des faits. La seule question à trancher au procès ne sera pas seulement d’établir si elle est véridique. Lorsque la preuve d’un élément essentiel dépend de preuve circonstancielle, la seule question au procès n’est pas seulement simplement si la preuve est véridique. Plutôt, si la preuve est acceptée comme véridique, est-ce que la conclusion proposée par la poursuite la conclusion correcte? Le juge doit examiner la preuve et se demander si celle-ci peut raisonnablement appuyer les conclusions proposées par la poursuite. Le juge ne se demande pas s’il tirerait les mêmes conclusions et ne juge pas la crédibilité. La question se limite à savoir si la preuve, dans la mesure où on lui prête foi, peut raisonnablement appuyer une conclusion de culpabilité.

 

[12]           L’article 83 de la Loi sur la défense nationale dispose ce qui suit :

 

Quiconque désobéit à un ordre légitime d’un supérieur commet une infraction et, sur déclaration de culpabilité, encourt comme peine maximale l’emprisonnement à perpétuité.

 

[13]           Les éléments essentiels de l’infraction en vertu de l’article 83 de la Loi sur la défense nationale sont les suivants :

 

a)         l’identité de l’accusé à titre de contrevenant;

 

b)         la date et lieu de l’infraction;

 

c)         l’ordre, c’est-à-dire, que :

 

i.          l’ordre a été donné au caporal Britz;

 

ii.          l’ordre était légitime;

 

iii.         l’ordre a été reçu ou connu par le caporal Britz.

 

d)         l’ordre a été donné au caporal Britz par un supérieur, c’est-à-dire, que :

 

i.          l’ordre a effectivement été donné par un supérieur;

 

ii.          le statut du supérieur était connu par le caporal Britz.

 

e)         le caporal Britz ne s’est pas conformé à l’ordre; et

 

f)          l’état d’esprit du caporal Britz était répréhensible.

 

[14]           Le requérant affirme que la poursuite n’a présenté aucune preuve que le caporal Britz ne s’est pas conformé à l’ordre le 16 août 2012.

 

[15]           En ce qui concerne les autres éléments essentiels de cette infraction, le requérant n’en a pas fait mention, et j’en conclus qu’aucune réserve n’est soulevée à leur égard.

 

[16]           La poursuite a soumis à la Cour qu’elle a présenté une certaine preuve à l’égard de chaque élément essentiel de ce chef d’accusation de sorte qu’un jury ayant reçu des directives appropriées pourrait raisonnablement trancher la question. Plus précisément, il a fait valoir que l’un des témoins, le maître de 1re classe Poirier, a présenté une certaine preuve de la désobéissance du caporal Britz à l’ordre donné.

 

[17]           Ainsi, dans ce contexte, la seule question à laquelle je dois répondre est la suivante : Est-ce que la preuve au dossier sur le fondement de laquelle qu’un jury ayant reçu des directives appropriées pourrait raisonnablement conclure que l’accusé est coupable hors de tout doute raisonnable, surtout en ce qui a trait à l’élément essentiel de l’infraction de désobéissance à un ordre de la part du caporal Britz.

 

[18]           Pour établir qu’il y a eu désobéissance il faut prouver qu’un accusé a refusé d’exécuter un ordre. Par conséquent la preuve doit démontrer que l’accusé devait faire quelque chose et qu’il ne l’a pas fait. Comme il est mentionné à la note D de l’article 103.16 des ORFC :

 

La désobéissance doit se rattacher au moment où le commandement doit être exécuté, et peut découler de la négligence à se conformer à un ordre devant être exécuté sur-le-champ et promptement, ou de la négligence à saisir une occasion propice de se conformer à un ordre devant être exécuté à quelque moment ultérieur. Pour se rendre coupable d’une infraction en vertu du présent article, une personne doit donc négliger de profiter d’une occasion qui s’offre de se conformer à l’ordre donné.

 

[19]           Pour trancher la question que le requérant m’a soumise, je dois décider s’il a démontré, selon une prépondérance de probabilités, qu’il n’y a aucune preuve qu’au moment de la commission de l’infraction alléguée le caporal Britz a refusé d’exécuter l’ordre donné par le maître de 1re classe Poirier.

 

[20]           Le témoignage de ce dernier dévoile des faits suivants :

 

a)         le 16 août 2012, il a avisé le caporal Britz qu’il se verrait confier le devoir afférent aux renseignements du 24 août au 4 septembre 2012;

 

b)         ce devoir comprenait le fait que le caporal Britz devait se rendre de l’édifice de l’unité jusqu’à l’édifice du quartier-général de la brigade situé à une distance de 800 mètres pour extraire des données de l’IRSC, et les sauvegarder sur un disque, pour les retourner à l’unité, et de les remettre à l’analyste;

 

c)         il s’agissait d’une tâche quotidienne à être exécutée par un membre de la section vers 9 heures 30;

 

d)         le maître de 1re classe Poirier, ayant appris grâce aux fiches médicales qu’il a vues auparavant que le caporal Britz était blessé au genou, et sachant que ce dernier n’avait pas une voiture personnelle, il a voulu lui rendre service en lui offrant d’utiliser un véhicule militaire pour effectuer ce devoir;

 

e)         le caporal Britz lui a ensuite fait savoir que son médecin lui avait interdit de conduire un véhicule militaire;

 

f)          le maître de 1re classe Poirier a perçu cette réponse comme signifiant que le caporal Britz avait refusé d’exécuter le devoir en question et il lui a offert l’occasion d’obtenir des instructions de son médecin par écrit. Essentiellement le caporal Britz s’est vu demander d’obtenir une attestation de contraintes à l’emploi pour raisons médicales faisant état de son interdiction de conduire un véhicule militaire. Cela aurait réglé la question; cela aurait été la fin.

 

[21]           Il y a de la preuve que le 16 août 2012, on a dit au caporal Britz qu’il allait devoir agir conformément à un ordre à un moment ultérieur. Cependant, rien ne donne à penser qu’il devait se conformer à cet ordre cette journée‑là. Il y a de la preuve qu’il a clairement annoncé qu’il estimait se trouver dans une situation où il ne pourrait se conformer à l’ordre lorsque viendrait le moment où il devrait l’exécuter, et il y a de la preuve qu’il s’est vu offrir l’occasion d’envisager de s’y conformer au moment où il devrait l’exécuter, compte tenu du point qu’il a soulevé.

 

[22]           Je conclus également que la preuve présentée par la poursuite ne peut raisonnablement appuyer la conclusion que la poursuite propose, que le caporal Britz n’a pas obéi à l’ordre le 16 août 2012.

 

[23]           Ayant établi l’absence de preuve sur l’ordre auquel le caporal Britz était censé obéir à cette date en particulier, je dois conclure qu’il n’existe aucune preuve en ce qui concerne un autre élément essentiel, qui est l’ordre lui‑même. Selon la preuve présentée par la poursuite est à l’effet que la date de l’émission de l’ordre n’est pas la même que la date à laquelle l’accusé aurait été censé y obéir. Il est essentiel que ce dernier élément soit prouvé afin qu’il existe une obligation contraignant l’accusé à agir conformément à un ordre, qui signifie d’établir la désobéissance.

 

[24]           L’accusé a clairement reçu un ordre portant qu’il aurait à exécuter un devoir quotidien, débutant huit jours plus tard, pour une période de deux semaines. Il n’y a aucune preuve qu’il devait exécuter cette tâche la journée où il a reçu l’ordre. Si aucun ordre ne devait être exécuté la journée où il l’a reçu ou vers cette date telle qu’elle est précisée dans les détails de l’accusation, il pourrait alors être impossible pour un jury ayant reçu des directives appropriées pourrait raisonnablement conclure que l’accusé est coupable hors de tout doute raisonnable d’avoir désobéi à un ordre légitime d’un supérieur.

 

[25]           En l’absence de preuve démontrant que le caporal Britz devait se conformer à un ordre le 16 août 2012 ou vers cette date, puis conséquemment il n’y a pas de preuve montrant qu’il a désobéi à cet ordre cette journée‑là.

 

[26]           En conséquence, je conclus qu’il n’y a aucune preuve à l’égard de l’élément essentiel portant que le caporal Britz a désobéi à l’ordre. Je conclus également qu’aucune preuve n’atteste la présence d’un ordre à exécuter au cours de la journée précisée dans les détails du chef d’accusation.

 

[27]           Je conclus que le caporal Britz, requérant en l’espèce, a démontré selon une prépondérance de probabilités qu’il n’y a aucune preuve montrant qu’au moment de la commission de l’infraction alléguée un ordre avait été donné et qu’il a désobéi à cet ordre.

 

[28]           Eu égard aux éléments essentiels de l’infraction du premier chef d’accusation, je conclus que le dossier ne comporte pas de preuve sur le fondement de laquelle un comité s’étant dirigé de manière appropriée pourrait raisonnablement conclure que l’accusé est coupable hors de tout doute raisonnable d’avoir désobéi à un ordre légitime d’un supérieur contrairement à l’article 83 de la Loi sur la défense nationale.

 

[29]           Je conclus qu’une preuve prima facie n’a pas été établie contre vous à l’égard du premier chef d’accusation énoncé à l’acte d’accusation.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[30]           ACCUEILLE votre requête.

 

[31]           VOUS DÉCLARE non coupable du premier chef d’accusation.


 

Avocats :

 

Le Directeur des Poursuites militaires, représenté par le major J.E. Carrier

 

Le major C.E. Thomas, Direction du Service d’avocats de la défense, avocat du caporal J.M. Britz

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.