Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 8 septembre 2014.

Endroit : BFC Esquimalt, édifice 30-N, Victoria (CB).

Chefs d’accusation :

• Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).
• Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Verdicts

• Chefs d’accusation 1 : Coupable. Chef d’accusation 2 : Retiré.

Sentence

• Une réprimande et une amende au montant de 1000$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Klein, 2014 CM 4008

 

Date : 20140911

Dossier : 201410

 

Cour martiale permanente

 

Salle d’audience Victoria

Esquimalt (Colombie-Britannique), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Lieutenant de vaisseau G.M. Klein, contrevenant

 

 

Devant : Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU VERDICT

(Présentés de vive voix)

[1]               Le lieutenant de vaisseau Klein est visé par un chef d’accusation au titre de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, à savoir de voies de fait, en contravention de l’article 266 du Code criminel du Canada. Les détails de l’accusation sont les suivants : [traduction] « en ce que, le ou vers le 10 octobre 2013, à la Base des Forces canadiennes (BFC) Esquimalt (Colombie-Britannique) ou dans ses environs, il a commis des voies de fait à l’encontre d’Edward Gale ».

LA PREUVE

[2]               La Cour a décidé de rejeter la requête de la défense visant à contester la constitutionnalité de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, à la suite de quoi la poursuite a présenté son dossier, composé des pièces 3 à 10 introduites sur consentement, et dont les plus importantes sont la pièce 3, un « énoncé des faits admis », la pièce 4, une photographie couleur de la zone de l’entrée principale de l’arsenal canadien de Sa Majesté (CSM) de la BFC Esquimalt, et enfin la pièce 5, un enregistrement audio-vidéo fourni par l’accusé aux enquêteurs et provenant d’une caméra montée sur le guidon de sa bicyclette, qui montre tout son trajet de sa résidence à l’arsenal CSM le matin du 10 octobre 2013, y compris l’épisode de l’agression alléguée. En plus d’avoir consenti à l’admission de ces pièces en preuve, la défense a confirmé à la Cour que l’enregistrement audio-vidéo représentait de manière fidèle et exacte les faits tels qu’ils se sont déroulés. Les deux avocats se sont largement appuyés sur cette pièce dans la présentation de leur preuve, et la Cour estime qu’il s’agit d’un élément crucial pour ses délibérations.

[3]               Après avoir introduit ces pièces, la poursuite a appelé quatre témoins :

a)                  le premier est la victime supposée de l’agression, le commissionnaire Edward Gale, qui a décrit son rôle au sein du Corps canadien des commissionnaires et ses fonctions de garde de sécurité à la BFC Esquimalt depuis plus de dix ans, en incluant le matin du 10 octobre 2013. Il a expliqué que son travail consistait à rester dans une guérite au milieu de la route et à contrôler les véhicules et les cyclistes qui veulent entrer dans l’arsenal CSM. Il s’assure que les véhicules ont les permis adéquats, il vérifie les cartes d’identité et l’équipement de sécurité des bicyclettes. Son rôle est aussi de contrôler la circulation lorsque des circonstances spéciales exigent de donner des consignes aux automobilistes ou aux cyclistes. L’enregistrement vidéo de la pièce 5 lui a été montré pour la première fois. Il a décrit les événements en même temps qu’ils les voyaient, en confirmant par moment le souvenir qu’il en avait par les images. Il a expliqué les raisons de ses actes ce matin-là et les intentions qui étaient les siennes. La Cour estime que le commissionnaire Gale était un témoin crédible. Les lacunes de ses souvenirs auraient pu soulever des préoccupations, mais la plupart des contradictions entre ceux-ci et ce qui a été vu et entendu dans l’enregistrement vidéo ont été résolues durant son témoignage. La Cour estime que le commissionnaire Gale a agi tout au long de l’incident avec professionnalisme et bonne foi, et en parfaite conformité avec les ordonnances régissant l’exercice de ses fonctions.

Les trois témoins suivants appelés par la poursuite étaient essentiellement des passants qui ont assisté à différentes parties des événements à mesure qu’ils se sont déroulés :

b)                  le capitaine de corvette Holland a déclaré qu’il avait pris le bus ce matin-là et qu’il marchait vers l’arsenal CSM sur le trottoir au sud de la route. Il avait noté plus tôt la présence sur la chaussée du lieutenant de vaisseau Klein, qu’il connaissait comme camarade sous-marinier et pour avoir fait ensemble quelques fois le trajet à vélo jusqu’au travail. Il a vu le lieutenant de vaisseau Klein sur sa bicyclette qui attendait d’entrer à l’arsenal CSM, a remarqué une altercation en cours avec un commissionnaire, mais n’a rien pu entendre puisqu’il était d’abord trop loin. Il a vu le lieutenant de vaisseau Klein pousser le commissionnaire d’une main et ce dernier reculer. Comme il s’était rapproché, il a pu entendre le lieutenant de vaisseau Klein crier son nom et celui de son unité peu après la confrontation. En entrant à l’arsenal CSM, le capitaine de corvette Holland a changé de destination pour aller rapporter ce qu’il avait vu;

c)                  le commissionnaire Neuman s’occupe de l’application des règles de stationnement à la BFC Esquimalt. Au moment de l’altercation visée par la présente accusation, il sortait en véhicule de l’arsenal CSM et se dirigeait vers le terrain de stationnement des visiteurs situé au nord de la route, près de la guérite. Sur l’enregistrement audio-vidéo, on peut le voir conduire son véhicule puis en sortir dans le terrain de stationnement. Ses souvenirs sont vagues. Il n’a pas pu décrire le mouvement exact des personnes impliquées et n’a pas vu le lieutenant de vaisseau Klein pousser le commissionnaire Gale;

d)                  M. Eric Smethurst est un employé civil du MDN qui se trouvait sur le trottoir au nord de la route et se dirigeait vers l’arsenal CSM. On peut le voir sur l’enregistrement vidéo puisqu’il a assisté d’assez près à toute la l’action. Il avait une mémoire impressionnante des événements et il les a racontés à la Cour avant que la vidéo ne lui soit présentée pour la première fois, à la toute fin de son témoignage, pour qu’il s’identifie sur l’enregistrement. Il s’est souvenu des échanges verbaux entre le lieutenant de vaisseau Klein et le commissionnaire Gale et a vu leurs contacts physiques. J’estime que ce témoin est fiable quant à ce qu’il a observé, mais je ne tiens pas compte des impressions qu’il a exprimées au cours de son témoignage. De plus, il n’a pas pu se rappeler exactement de la position des mains du lieutenant de vaisseau Klein lorsqu’il a poussé le commissionnaire Gale. M. Smethurst a expliqué qu’il a signalé l’incident après avoir raconté à son superviseur ce qui s’était produit à l’entrée de l’arsenal CSM ce matin-là à son arrivée au travail.

[4]               Tous les témoins de la poursuite ont introduit en preuve une copie annotée de la photographie en pièce 4 montrant exactement où ils se trouvaient lorsqu’ils ont assisté aux événements. Ces photographies ont été produites en pièces 11 à 14.

[5]               Le témoignage de l’accusé, le lieutenant de vaisseau Klein, a été produit en défense. Il a déclaré qu’il s’était énervé après que le commissionnaire l’eut arrêté alors qu’il avait la priorité de passage à l’arrêt à quatre sens immédiatement avant l’entrée de l’arsenal CSM. Il s’est senti en danger parce que des camions sortaient du terrain de stationnement des visiteurs sans s’arrêter et qu’il ne savait pas ce qui se passait. Il a déclaré qu’il a montré sa carte d’identité au commissionnaire Gale lorsqu’il était au milieu de l’intersection. Alors que la circulation reprenait, il s’est mis à franchir l’entrée lentement et a entendu le commissionnaire crier « stop »; alors qu’il était en train de s’arrêter, il a reçu brusquement un coup près de l’épaule gauche. Il a expliqué que ce contact était suffisant pour le faire chanceler sur sa droite : son pied a quitté la pédale pour éviter la chute et, alors qu’il reprenait son équilibre, il n’était toujours pas certain de ce qui s’était passé, mais il avait le commissionnaire Gale droit devant lui. Il l’a donc poussé de sa main gauche pour faire de la place. Il prétend qu’il a poussé très doucement le commissionnaire Gale, et affirme qu’il a ressenti une douleur musculaire à l’épaule du fait de leur premier contact, et qu’en quittant le bâtiment du commissionnaire – le bâtiment D‑214 –, la roue arrière de sa bicyclette était endommagée au point de rendre le vélo inutilisable.

[6]               La Cour estime que le témoignage du lieutenant de vaisseau Klein est essentiellement conforme aux autres témoignages concernant les faits survenus. Cependant, la Cour est d’avis que le lieutenant de vaisseau Klein tendait à minimiser la force qu’il a utilisée contre le commissionnaire Gale et à exagérer celle dont ce dernier a usé contre lui. Son témoignage selon lequel il a doucement poussé le commissionnaire Gale ne concorde pas avec le grand mouvement vers l’arrière que fait ce dernier sur l’enregistrement audio-vidéo. D’autre part, il ne nous paraît pas crédible lorsqu’il affirme que la force employée par le commissionnaire Gale a rendu sa bicyclette inutilisable. L’enregistrement audio-vidéo le montre en train de parcourir une bonne distance après son interaction avec le commissionnaire Gale, puis tourner à droite en prenant assez de vitesse pour avoir à utiliser les freins arrière avant de s’arrêter à la porte du bâtiment D-214. Le lieutenant de vaisseau Klein a eu l’opportunité de s’expliquer sur ce point lors du contre-interrogatoire, mais il ne l’a pas fait. La Cour estime aussi que son témoignage selon lequel il s’est senti en danger près des camions et qu’il a eu du mal à trouver son équilibre contredit ce qu’il a admis durant le contre-interrogatoire, à savoir qu’il est un cycliste expérimenté qui utilise des chaussures de vélo depuis près de trente ans.

LES FAITS

[7]               Les faits de la présente affaire, tels qu’ils sont survenus le matin du 10 octobre 2013, sont pour la plupart incontestés. En l’espèce, la Cour n’a pas à privilégier la version d’un témoin par rapport à celle d’un autre pour déterminer ce qui s’est passé. Voici les faits essentiels acceptés par la Cour : aux petites heures du 10 octobre 2013, l’accusé, le lieutenant de vaisseau Klein, est allé à bicyclette de sa résidence à l’arsenal CSM, sur la BFC Esquimalt. Tout le trajet s’est déroulé sans histoire jusqu’à ce que le lieutenant de vaisseau Klein s’arrête à la dernière intersection avant l’entrée de l’arsenal CSM, carrefour particulièrement large et atypique, où un arrêt à quatre sens régule la circulation et le droit de passage. Une voiture noire l’a dépassé, puis il s’est immobilisé sur la ligne d’arrêt blanche d’où il pouvait voir sur sa droite une fourgonnette blanche sortir du terrain de stationnement des visiteurs et se diriger vers l’intersection. Après cette fourgonnette blanche, ce devait être au tour du lieutenant de vaisseau Klein d’avancer; il a donc relâché ses freins et s’est mis en mouvement. Cependant, à ce moment-là, le commissionnaire Gale a quitté son poste dans la guérite près de la barrière de l’arsenal CSM pour se positionner au centre de l’intersection, bloquant ainsi le passage au lieutenant de vaisseau Klein et faisant signe à quatre camionnettes sortant du terrain de stationnement de passer, de manière à se placer juste derrière la fourgonnette blanche pour franchir la barrière et continuer. À cet instant, on peut entendre le lieutenant de vaisseau Klein proférer un juron et menacer de dénoncer le commissionnaire Gale aux policiers, apparemment parce qu’il ne savait pas à qui revenait le droit de passage à un arrêt à quatre sens.

[8]               La Cour est d’avis que le lieutenant de vaisseau Klein a pu avoir l’impression que quatre camionnettes sorties du terrain de stationnement allaient prendre son tour alors qu’il se trouvait dans la voie entrant vers l’arsenal CSM. Cependant, nous estimons que les mesures prises par le commissionnaire Gale pour autoriser les véhicules escortés à circuler en convoi étaient tout à fait raisonnables. Comme il l’a expliqué durant son témoignage, ce dernier a quitté sa guérite pour diriger un certain nombre de véhicules sortant du terrain de stationnement des visiteurs adjacent à l’entrée afin qu’ils puissent circuler en convoi. Pour ce faire, il devait ordonner à un cycliste, le lieutenant de vaisseau Klein, de s’immobiliser à la ligne d’arrêt, ce qu’il a fait par des signes de la main. Ces actions sont bien visibles dans l’enregistrement vidéo de la pièce 5 et ont été adéquatement expliquées au lieutenant de vaisseau Klein par le commissionnaire Gale, qui s’est adressé à lui de manière professionnelle et polie. Ce qui s’est produit peut être qualifié de malentendu entre les deux. Ça n’allait pas être le dernier.

[9]               Puis, pendant un moment, le lieutenant de vaisseau Klein et le commissionnaire Gale se tiennent à proximité l’un de l’autre au milieu de l’intersection. Le lieutenant de vaisseau Klein continue de se montrer verbalement agressif tandis que le commissionnaire Gale dirige pendant quelque temps le passage des quatre camionnettes et que la circulation à l’entrée et au-delà ralentit jusqu’à s’arrêter. Le commissionnaire Gale s’approche tout près du lieutenant de vaisseau Klein et semble le regarder dans les yeux. Quelques secondes plus tard, la circulation reprend. La fourgonnette blanche et les quatre camionnettes traversent l’intersection et commencent à entrer en file dans l’arsenal CSM. Le commissionnaire Gale repart du côté gauche de la route pour reprendre sa place dans la guérite. Le lieutenant de vaisseau Klein commence à avancer sur sa bicyclette. Étant légèrement plus rapide que le commissionnaire Gale, qui est à pied, il s’apprête à le dépasser et à franchir la barrière lorsque celui-ci lui crie « stop » trois fois. Le lieutenant de vaisseau Klein appuie immédiatement sur les deux freins de sa bicyclette et s’immobilise.

[10]           C’est peu avant que la bicyclette ne s’arrête complètement que la main ou le bras gauche du commissionnaire Gale est entré en contact avec l’épaule du lieutenant de vaisseau Klein. Ce contact n’est ni visible ni audible sur l’enregistrement audio-vidéo et le lieutenant de vaisseau Klein a déclaré qu’il ne l’avait pas vu. Le commissionnaire Gale a expliqué que le lieutenant de vaisseau Klein ne s’arrêtait pas et qu’il a donc levé le bras en criant « stop » pour l’arrêter. Le lieutenant de vaisseau Klein a heurté sa main, le commissionnaire Gale a poussé un peu et a immédiatement retiré sa main. M. Smethurst est le seul des témoins à avoir vu le contact. Il a déclaré que le commissionnaire avait levé la main pour faire barrière et que le cycliste, le lieutenant de vaisseau Klein, lui est rentré dedans. Il a ajouté qu’il avait eu l’impression que le cycliste ne s’arrêtait pas, ce que dément la vidéo qui montre les deux leviers de frein activés au moment du contact. Le lieutenant de vaisseau Klein était presque arrêté au moment du contact.

[11]           Ce qui s’est produit résulte vraisemblablement d’un deuxième malentendu entre le lieutenant de vaisseau Klein et le commissionnaire Gale ce matin-là. Compte tenu de la proximité des deux hommes à peine plus tôt à l’intersection, le lieutenant de vaisseau Klein a pu raisonnablement penser que le commissionnaire Gale avait déjà vérifié son identité. Ce dernier, si l’on se place de son point de vue, était alors occupé à diriger la circulation et à s’efforcer d’éviter les véhicules qui sortaient du terrain du stationnement. Il était raisonnable qu’il veuille vérifier les cartes d’identité à son poste habituel près de la guérite lorsque cette circulation exceptionnelle serait passée.

[12]           Ce qui importe, relativement à l’accusation dont la Cour est saisie, est ce qui s’est produit immédiatement après l’arrêt de la bicyclette. La Cour estime que le lieutenant de vaisseau Klein a bougé sa main gauche du levier de frein de sa bicyclette vers l’épaule droite du commissionnaire Gale, et l’a poussé ou bousculé. Sur l’enregistrement audio-vidéo, on peut voir ce dernier reculer, mais retrouver son équilibre immédiatement. Après ce second contact, le commissionnaire Gale a retiré ses gants pour prendre un carnet et un stylo et noter les renseignements d’identité du lieutenant de vaisseau Klein en vue de son rapport. Encore une fois, des mots rudes ont été échangés. Ensuite, le lieutenant de vaisseau Klein est reparti à bicyclette non pas vers l’intérieur de l’arsenal CSM, mais plutôt vers le bâtiment D-241, du côté droit de la route, pour discuter de la situation avec l’adjudant-maître responsable des commissionnaires, Larry Krutz.

LE DROIT

Les éléments de l’infraction de voies de fait au titre de l’art. 266 du Code criminel

[13]           Les éléments propres à identifier l’accusé comme la personne ayant commis l’infraction à la date et au lieu indiqués dans l’acte d’accusation ont été reconnus dans l’« énoncé des faits admis » produit en pièce 3.

[14]           Il incombait également à la poursuite de prouver chacun des éléments essentiels de l’infraction suivants au-delà de tout doute raisonnable :

a)                  le lieutenant de vaisseau Klein a employé la force contre le commissionnaire Gale;

b)                  le lieutenant de vaisseau Klein a intentionnellement employé la force;

c)                  le commissionnaire Gale n’a pas consenti à l’emploi de la force par le lieutenant de vaisseau Klein;

d)                  le lieutenant de vaisseau Klein savait que le commissionnaire Gale n’avait pas consenti à l’emploi de la force.

L’argument de la légitime défense

[15]           Même si elle est convaincue au-delà de tout doute raisonnable que tous les éléments essentiels de l’infraction de voies de fait sont présents, la Cour doit également se demander s’il y a lieu d’examiner l’argument de la défense légitime invoqué ici par l’accusé. En effet, le lieutenant de vaisseau Klein et le commissionnaire Gale ont eu des contacts physiques à deux reprises spécifiques. La première fois lorsque le commissionnaire Gale s’est servi de sa main pour empêcher le lieutenant de vaisseau Klein de franchir la barrière, et qu’il l’a touché à l’épaule gauche. La deuxième fois, tout de suite après, lorsque le lieutenant de vaisseau Klein a poussé le commissionnaire Gale de sa main gauche et l’a fait reculer.

[16]           Si ces faits autorisent le lieutenant de vaisseau Klein à invoquer l’argument de la légitime défense, le droit applicable, codifié à l’article 34 du Code criminel, prévoit qu’il n’est pas coupable de voies de fait si les trois conditions suivantes sont réunies :

a)                  le lieutenant de vaisseau Klein croyait, pour des motifs raisonnables, que la force était employée contre lui;

b)                  le lieutenant de vaisseau Klein a commis l’acte pour se défendre ou se protéger contre l’emploi de la force;

c)                  l’acte du lieutenant de vaisseau Klein était raisonnable dans les circonstances.

[17]           Le lieutenant de vaisseau Klein n’est pas tenu de prouver qu’il a agi en légitime défense. C’est la poursuite qui doit établir au-delà de tout doute raisonnable qu’il ne l’a pas fait.

[18]           À moins que la poursuite ne prouve au-delà de tout doute raisonnable qu’au moins l’une des conditions de la légitime défense était absente, la Cour doit examiner une autre question dans les circonstances de la présente affaire.

[19]           En effet, la légitime défense n’a pas lieu de s’appliquer si le commissionnaire Gale, qui est le premier à avoir employé la force, était autorisé par la loi à le faire, à moins que le lieutenant de vaisseau Klein n’ait cru, pour des motifs raisonnables, qu’il n’avait pas ce pouvoir légal.

[20]           Par conséquent, à moins que l’une des conditions de la légitime défense soit absente, la Cour doit déterminer si la poursuite a prouvé au-delà de tout doute raisonnable que le commissionnaire Gale était tenu ou autorisé par la loi à se conduire ainsi dans le but de l’appliquer. Le cas échéant, la poursuite doit également prouver au-delà de tout doute raisonnable que le lieutenant de vaisseau Klein n’avait pas de motif raisonnable de croire que le commissionnaire Gale agissait illégalement. Si la réponse à ces deux questions est affirmative, la légitime défense ne peut pas s’appliquer aux circonstances de la présente affaire et le lieutenant de vaisseau Klein sera déclaré coupable.

ANALYSE

Les éléments de l’infraction de voies de fait

[21]           La Cour conclut que la poursuite a prouvé au-delà de tout doute raisonnable que le lieutenant de vaisseau Klein a commis des voies de fait lorsqu’il a poussé le commissionnaire Gale le 10 octobre 2013.

[22]           La déposition des témoins appelés par la poursuite et le témoignage que le lieutenant de vaisseau Klein a lui-même livré durant son interrogatoire principal attestent en effet de manière accablante qu’il a employé la force contre le commissionnaire Gale de manière intentionnelle, et sans son consentement. Il a confirmé que le commissionnaire Gale semblait choqué d’avoir été poussé, ce qui convainc la Cour au-delà de tout doute raisonnable que le lieutenant de vaisseau Klein savait que le commissionnaire Gale n’avait pas consenti à l’emploi de la force.

[23]           En fait, la défense a questionné les témoins de la poursuite sur les éléments de l’infraction de voies de fait, comme elle devait le faire, mais elle n’a pas contesté, lorsqu’elle a présenté sa preuve, que des voies de fait avaient bel et bien été commises. Dans ses observations, l’avocat de la défense ne dément pas du tout que le lieutenant de vaisseau Klein a commis des voies de fait, ce qui concorde totalement avec le témoignage de ce dernier.

L’argument de la légitime défense

[24]           L’avocat de la défense fait surtout valoir dans ses observations que le lieutenant de vaisseau Klein a agi en légitime défense lorsqu’il a poussé le commissionnaire Gale et que par conséquent il devrait être acquitté. La poursuite n’a pas soutenu que la légitime défense n’avait rien de vraisemblable au regard des faits en présence. Les témoignages entendus indiquent que le contact du commissionnaire Gale immédiatement avant que le lieutenant de vaisseau Klein ne le pousse était plus qu’insignifiant. Par conséquent, la Cour estime qu’il y a lieu d’examiner la question de la légitime défense.

[25]           La question factuelle à résoudre est de savoir si les faits de la présente affaire appuient ou non l’argument de la légitime défense avancé par l’accusé. Comme je l’ai expliqué plus tôt, la poursuite doit prouver au-delà de tout doute raisonnable que le lieutenant de vaisseau Klein n’a pas agi en légitime défense; c’est-à-dire que l’une des conditions de la légitime défense n’a pas été remplie.

[26]           La première condition énoncée à l’alinéa 34(1)a) du Code criminel renvoie à la question de savoir si la poursuite a prouvé au-delà de tout doute raisonnable que le lieutenant de vaisseau Klein n’avait pas de motif raisonnable de croire que la force était employée contre lui. Si c’est le cas, l’argument de la légitime défense doit échouer.

[27]           D’après la preuve, de la force a été employée contre le lieutenant de vaisseau Klein pas plus de trois secondes avant qu’il ne l’emploie à son tour contre le commissionnaire Gale. La poursuite a fait valoir que le contact physique initié par ce dernier n’équivalait pas à employer de la « force » sur le lieutenant de vaisseau Klein puisqu’il s’agissait simplement d’un contact directionnel et que le commissionnaire Gale s’acquittait de ses fonctions de manière professionnelle, sans ombre de colère ou de revanche, d’impolitesse ou d’insolence. Après avoir consulté la jurisprudence citée par la poursuite à l’appui de cette position, je ne suis pas convaincu au-delà de tout doute raisonnable que les faits de la présente affaire, en particulier le contexte de l’altercation complète où les deux intéressés sont en mouvement, évoquent ceux de la décision R c Bochar, dans laquelle un directeur d’école avait agrippé le coude droit de la plaignante dans l’intention de l’amener dans son bureau pour une réunion. Par conséquent, la Cour rejette cette interprétation.

[28]           Toutefois, la Cour doit également se demander si la personne qui plaide la légitime défense croit que « la force est employée contre elle », comme l’exige le libellé de l’alinéa 34(1)a). Il faut un élément d’immédiateté puisqu’en effet, une fois l’attaque ou sa menace « passée », l’accusé n’est plus en danger et l’argument de la légitime défense ne tient plus. Cette proposition est appuyée par l’arrêt R c Clegg, [1995] 1 Cr. App. R. 507, à la page 513.

[29]           Compte tenu des faits en présence, même si la force a été employée contre l’accusé avant qu’il ne réponde en poussant le commissionnaire Gale, la Cour estime que tout emploi ou menace d’emploi de la force était passé au moment où le lieutenant de vaisseau Klein a commis les voies de fait. En effet, le commissionnaire Gale avait crié « stop » trois fois pendant que le lieutenant de vaisseau Klein le dépassait lentement sur sa bicyclette et qu’il s’engageait dans l’arsenal CSM en passant devant la guérite où le commissionnaire Gale s’apprêtait à retourner pour reprendre la vérification des personnes, des bicyclettes et des véhicules entrant dans l’arsenal par l’entrée à une voie. En entendant « stop », le lieutenant de vaisseau Klein a appuyé sur les deux leviers de frein sur sa bicyclette pour s’arrêter. Le premier contact s’est produit au moment où il était presque immobile sur la ligne blanche devant la guérite. Une fois à l’arrêt complet une fraction de seconde plus tard, le lieutenant de vaisseau Klein a posé son pied droit sur le sol et sa main gauche a quitté le levier de frein gauche pour pousser le commissionnaire Gale sur l’épaule. À ce moment-là, le lieutenant de vaisseau Klein n’était plus menacé puisqu’il s’était arrêté, comme le lui avait ordonné le commissionnaire Gale. Il était à l’arrêt, avec son pied droit au sol, comme chaque fois qu’il s’est arrêté le long de son trajet en bicyclette ce matin-là.

[30]           Malgré la conclusion factuelle de la Cour selon laquelle tout emploi ou menace d’emploi de la force était passé lorsque le lieutenant de vaisseau Klein a commis les voies de fait, il reste possible qu’il ait cru qu’il était toujours attaqué. Il est important de rappeler que le critère qu’il convient d’appliquer n’est pas ce qui s’est passé selon la Cour, mais ce que l’accusé a cru qu’il se passait à ce moment-là. La poursuite a le fardeau de prouver au-delà de tout doute raisonnable que le lieutenant de vaisseau Klein n’avait pas de motif raisonnable de croire que la force était employée contre lui. Il peut d’ailleurs très bien s’être trompé dans son impression, pour autant que cette erreur soit raisonnable.

[31]           Aurait-il été raisonnable de la part du lieutenant de vaisseau Klein de croire que le commissionnaire Gale continuait à l’agresser? Il a déclaré qu’il avait trente ans d’expérience comme cycliste et qu’il avait franchi la barrière de l’arsenal CSM des centaines de fois. Malgré la rapidité avec laquelle les événements se sont produits, et en admettant que le lieutenant de vaisseau Klein se soit raisonnablement trompé quant à la nécessité de montrer sa carte d’identité parce qu’il se trouvait près du commissionnaire Gale quelques instants plus tôt au milieu de l’intersection, la Cour estime qu’il aurait été totalement déraisonnable de sa part de croire qu’il était toujours attaqué ou soumis à de la force par le commissionnaire Gale. Il n’a pas été empoigné sans raison par un étranger dans une ruelle sombre en pleine nuit. Le lieutenant de vaisseau Klein a été touché par un commissionnaire en fonction qui lui criait de s’arrêter et dont le travail est de vérifier son identité dans une guérite située à l’entrée de l’arsenal CSM, ce qui suppose que les cyclistes s’arrêtent. D’ailleurs, dès qu’il a entendu « stop », le lieutenant de vaisseau Klein a appuyé sur les freins de sa bicyclette pour s’immobiliser. C’était une heure de pointe à l’entrée de l’arsenal CSM, et plusieurs personnes y entraient et en sortaient à pied, en voiture ou à bicyclette. Dans ces circonstances, il était totalement déraisonnable de la part du lieutenant de vaisseau Klein de croire que le commissionnaire Gale continuait à l’agresser.

[32]           La Cour estime que la poursuite a prouvé au-delà de tout doute raisonnable que le lieutenant de vaisseau Klein n’avait pas de motif raisonnable de croire que la force était employée contre lui. Par conséquent, l’argument de légitime défense doit échouer pour ce motif seulement.

[33]           La Cour aimerait ajouter que même si elle avait convenu avec la défense qu’une attaque antérieure si proche dans le temps de l’acte supposé de légitime défense remplit nécessairement l’exigence de l’alinéa 34(1)a) du Code criminel, elle estimerait néanmoins que la poursuite a prouvé au-delà de tout doute raisonnable que le lieutenant de vaisseau Klein n’a pas commis cet acte pour se défendre ou se protéger de l’emploi de la force, comme l’exige l’alinéa 34(1)b) du Code criminel.

[34]           Le lieutenant de vaisseau Klein a indiqué dans son témoignage qu’il a poussé le commissionnaire Gale pour faire de la place. Il était pourtant déjà en équilibre avec le pied droit au sol. Si le commissionnaire Gale était trop proche, le lieutenant de vaisseau Klein avait d’autres choix que de le pousser. Il aurait pu simplement reculer.

[35]           D’ailleurs, comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c Lavallée [1990] 1 R.C.S. 852, le droit qui régit la légitime défense vise à s’assurer que l’emploi défensif de la force est réellement nécessaire. L’acte est justifié parce que le défendeur croyait raisonnablement qu’il n’avait d’autre choix que de repousser l’attaquant.

[36]           Qui plus est, comme l’a décidé la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R c F.(D.S.) (1999), 132 C.C.C. (3d) 97, la légitime défense procède de la nécessité de se protéger et ne doit pas servir à masquer une agression, des représailles ou une vengeance.

[37]           Ces règles de droit sont valides aujourd’hui malgré les modifications législatives apportées en 2013 aux dispositions du Code criminel concernant la légitime défense.

[38]           Pour ce motif seulement, l’argument de la légitime défense doit échouer.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[39]           La Cour déclare l’accusé, le lieutenant de vaisseau Klein, coupable du premier et seul chef d’accusation restant sur l’acte d’accusation.


 

Avocats :

 

Major J.G. Simpson, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major L. Boutin, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du lieutenant de vaisseau Klein

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