Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 15 septembre 2014.

Endroit : Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, salle d’audience, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC).

Chefs d’accusation

• Chefs d’accusation 1, 2, 3 : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d’un supérieur.

Verdicts

• Chefs d’accusation 1, 2 : Retirés. Chef d’accusation 3 : Coupable.

Sentence

• Une amende au montant de 750$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Bourassa, 2014 CM 3017

 

Date : 20140916

Dossier : 201384

 

Cour martiale générale

 

Salle de cour du Centre Asticou

Gatineau (Québec) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Capitaine S. Bourassa, requérant

 

 

Devant : Lieutenant-colonel L.-V. d'Auteuil, J.M.


 

MOTIFS DE LA DÉCISION SUR LA REQUÊTE

POUR FINS DE NON RECEVOIR

 

(Oralement)

[1]               Le capitaine Bourassa fait face à trois chefs accusation de désobéissance à un ordre d’un supérieur contrairement à l'article 83 de la Loi sur la défense nationale concernant des incidents qui se seraient tous déroulés le 30 juin 2013 aux environs d’Ottawa, province d’Ontario.

[2]               Par voie d’une requête pour fins de non recevoir présentée par l’avocat du capitaine Bourassa, et avant de nier ou d'avouer sa culpabilité à l'égard de chaque chef d'accusation, le capitaine Bourassa s’est opposé à l’instruction du procès au motif que la cause révélée par les chefs d’accusation n’est pas de la compétence de la cour. Essentiellement, il avance que le processus de référence concernant les accusations initialement portées et se retrouvant sur le procès-verbal de procédure disciplinaire, a été entaché d’un vice fondamental de procédure, proscrivant ainsi cette cour de traiter des accusations se retrouvant sur l’acte d’accusation devant elle.

[3]               Cette requête préliminaire est présentée dans le cadre du sous-alinéa 112.05(5)b) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ci-après ORFC) à titre de question de droit ou question mixte de droit et de fait à être tranchée par le juge militaire qui préside la cour martiale, telle que prévue à l'article 112.07 des ORFC.

[4]               La preuve au soutien de cette requête est composée :

a)                  de l’avis de requête datée du 28 août 2014;

b)                  du procès-verbal de procédure disciplinaire (PVPD) signé et daté par le lieutenant-colonel Spaans en date du 21 août 2013;

c)                  de la lettre du commandant de l’unité à l’autorité de renvoi datée du 6 septembre 2013;

d)                 de la lettre pour le renvoi des accusations datée 30 septembre 2013;

e)                  du témoignage du requérant, le capitaine Bourassa, et du lieutenant-colonel Spaans; et

f)                   de la connaissance judiciaire des éléments contenus et énumérés à l’article 15 des Règles militaires de la preuve.

[5]               Le 21 août 2013, deux accusations ont été formellement portées à l’égard du capitaine Bourassa par le lieutenant-colonel Spaans, tel qu’en fait foi le PVPD (pièce VD1-2). Ce même jour, à 13 heures 40 minutes, l’accusé a été informé par ce dernier de son droit d’être jugé devant une cour martiale et de l’obligation de faire connaître sa décision d’ici le 22 août 2013 à 13 heures 40 minutes.

[6]               Tel qu’il apparaît du PVPD et confirmé par le témoignage du requérant et du lieutenant-colonel Spaans, le capitaine Bourassa a communiqué son choix d’être jugé devant une cour martiale le 22 août 2013 à 12 heures 43 minutes, soit un peu moins d’une heure avant l’expiration du délai minimal fixé de 24 heures pour faire connaître une telle décision. Il a confirmé à la cour qu’il a eu l’opportunité et qu’il a effectivement consulté les services juridiques de la défense et d’avoir exercé son choix après avoir consulté un avocat et que depuis ce temps, il n’a jamais changé d’avis quant au fait qu’il désire être jugé devant une cour martiale.

[7]               Les circonstances ayant mené à la communication de cette décision par le capitaine Bourassa font l’objet d’une certaine incertitude. En effet, le capitaine Bourassa a rapporté à la cour que c’est un peu avant la tenue d’une réunion hebdomadaire concernant un groupe d’ordre se tenant à 13 heures qu’il a été abordé par le lieutenant-colonel Spaans, que ce dernier lui a demandé de faire part de son choix et que la formalité administrative s’est déroulée dans une salle où il a dû remplir par écrit la partie pertinente du PVPD.

[8]               De son côté, le lieutenant-colonel Spaans a témoigné à l’effet qu’alors qu’il se trouvait dans son bureau en raison d’une réunion qui avait été annulée, c’est le requérant qui est venu à sa rencontre à cet endroit, se disant prêt à transmettre sa décision quant au choix d’être jugé devant une cour martiale. Le lieutenant-colonel Spaans a bien réalisé que le délai de 24 heures n’était pas écoulé mais considérant que le capitaine Bourassa s’est dit prêt et désirait communiquer son choix malgré ces circonstances, il a donc consigné cette décision sur le PVPD.

[9]               L’article 108.17 des ORFC prescrit la procédure relative à la demande par un accusé d’un procès devant une cour martiale.  Le paragraphe (2) de ce même article précise le délai raisonnable devant être accordé pour l’exercice d’un tel choix et les buts recherchés. Il se lit comme suit :

(2)           Si l’accusé a le droit d’être jugé devant une cour martiale, l’officier qui exerce sa compétence de juger sommairement l’accusé doit, avant de débuter le procès sommaire, faire informer l’accusé de ce droit et lui accorder un délai raisonnable qui est dans tous les cas d’au moins 24 heures, pour lui permettre de :

a.                   décider s’il choisit d’être jugé devant une cour martiale;

 

b.                   consulter un avocat en ce qui concerne son choix (voir l’article 108.18 – Possibilité de consulter un avocat avant de faire un choix);

 

c.                   faire connaître sa décision de la façon que précise l’officier exerçant sa compétence de juger sommairement.

[10]           Le paragraphe 108.17(3) des ORFC précise :

(3)           L’accusé doit confirmer son choix et les éléments suivants par écrit:

 

a.                   il a discuté des questions prévues à l’alinéa (5) de l’article 108.14 (Aide fournie à l’accusé) avec son officier désigné pour l’aider;

 

b.                   il a eu l’occasion de consulter un avocat en ce qui concerne son choix.

 

[11]           La lecture de l’article 108.17 des ORFC révèle qu’il est de nature essentiellement procédurale et qu’il vise à spécifier les étapes conduisant un accusé à choisir d’être jugé par cour martiale. Plus spécifiquement, le délai minimal de 24 heures a pour but de fournir à un accusé une opportunité de décider d’être jugé devant une cour martiale, de consulter un avocat concernant ce choix, et de faire connaître sa décision de la manière qui lui a été précisée.

[12]           Ainsi, durant ce délai, il aura la possibilité d’en apprendre plus sur la gravité et la nature des accusations auxquelles il fait face et des différences entre un procès par voie sommaire et un procès devant une cour martiale. De plus, il peut bénéficier de l’aide d’un avocat et en consulter un durant cette période s’il le désire afin de l’aider à mieux saisir et comprendre ces questions, et à la fin, d’être en mesure de faire un choix plus éclairé.

[13]            La question à laquelle je dois donc répondre dans les circonstances soulevées par le requérant est la suivante : Est-ce que l’inobservation du délai minimal de 24 heures prescrit au paragraphe (2) de l’article 108.17 des ORFC pendant lequel il ne peut être exigé d’un accusé qu’il communique sa décision d’être jugé ou non devant une cour martiale entraîne la nullité de toutes les procédures subséquentes?

[14]           La partie requérante dans cette affaire soutient qu’il ne peut y avoir de renonciation implicite ou explicite au délai imposé à l’alinéa 108.17(2) des ORFC et qu’en ne respectant pas ce délai, cela a eu un impact majeur sur la validité de la décision prise par le capitaine Bourassa au point où toute procédure qui s’en est suivie, est devenue de par le fait même nulle.

[15]           De son côté, la partie intimée est d’accord que la disposition a pour effet d’empêcher toute autorité d’exiger une réponse avant l’expiration du délai de 24 heures afin de permettre à un accusé de consulter son officier désigné pour l’aider et un avocat concernant son choix d’être jugé devant une cour martiale. Par contre, elle affirme que rien n’empêche non plus un accusé de communiquer son choix avant l’expiration de ce même délai, et, au même effet, d’obliger l’autorité concernée d’accepter la communication de ce choix seulement à l’expiration de ce délai.

[16]           Pour répondre à la question, il s’agit d’abord pour moi d’interpréter la signification et la portée du terme « doit » dans le libellé de la disposition qui prévoit que l’officier qui exerce sa compétence de juger l’accusé doit accorder à ce dernier un délai raisonnable d’au moins 24 heures pour lui faire connaître sa décision relative au choix d’être jugé devant une cour martiale.

[17]           Il est à noter que la portée du terme « doit » est définie à l’article 1.06 des ORFC et il se lit comme suit :

Dans les ORFC

 

a.                   « peut » sert à exprimer une possibilité et «doit» sert à exprimer une obligation;

 

b.                   « devrait » est utilisé à titre instructif seulement.

 

[18]           Donc, simplement en interprétant le texte dans le contexte de la signification du terme « doit » tel qu’exprimé dans les ORFC, il est clair que l’officier qui exerce sa compétence de juger l’accusé a l’obligation de donner un délai minimal de 24 heures afin de permettre à l’accusé de réfléchir, consulter et communiquer sa décision quant au choix d’être jugé devant une cour martiale. Ce délai s’impose puisque la disposition réglementaire commande qu’une telle chose soit faite.

 

[19]           Alors, est-ce que le défaut de respecter un tel délai minimal entraîne automatiquement la nullité de toute la procédure qui s’en suit, soit dans le cas où le choix a été communiqué dans un délai plus court que celui minimalement requis, soit 24 heures?

 

[20]           La cour d’appel de la cour martiale dans la décision R. c. Couture, 2008 CACM 6, a exprimé le fait que dans certains cas, l’inobservation d’une prescription réglementaire impérative n’a pas nécessairement pour conséquence de rendre nul tout autre acte qui s’ensuit si elle n’a pas été scrupuleusement observée. La cour a clairement exprimé le fait que les exigences de la disposition concernée et les conséquences qui découlent du fait qu’elle n’a pas été respectée, doivent aussi être appréciées dans le contexte de l’affaire.

[21]           Dans cette décision, la cour en est venue à la conclusion que malgré le fait qu’une personne autorisée à porter une accusation n’avait pas pris connaissance d’un avis juridique, tel qu’exigé par une disposition des ORFC, et qu’elle avait procédé au dépôt d’une accusation dans les circonstances n’entachait aucunement la validité des procédures subséquentes. La cour constatait que cette personne avait pris connaissance des faits pertinents à sa décision et que les accusations et l’ensemble du dossier avaient fait l’objet d’une révision par un représentant du directeur des poursuites militaires qui avait procédé à la mise en accusation ayant donné lieu aux accusations devant la cour martiale. Dans les faits, la cour concluait que les circonstances ne révélaient aucun préjudice subit par l’accusé en raison de cette inobservation.

[22]           Un officier qui exerce sa compétence de juger un justiciable du Code de discipline militaire par procès sommaire, doit offrir à ce dernier le choix d’être jugé devant un autre tribunal militaire, soit la cour martiale. Avant de faire ce choix, il doit donner un délai minimal de 24 heures pour permettre à l’accusé d’apprécier ce à quoi il fait face et de lui donner l’occasion  de considérer plusieurs autres aspects importants : la nature et la gravité des accusations, les différences qui existent entre les deux tribunaux militaires sur des aspects comme le pouvoir de punition, le droit de représentation, les règles régissant la réception de la preuve et le droit d’appel. Dans ce même délai, l’accusé doit bénéficier de la possibilité de consulter son officier désigné pour l’aider et un avocat.

[23]           Ici, à mon avis, le capitaine Bourassa a pu procéder aux consultations nécessaires, incluant celles de nature juridique, et exercer son choix en toute connaissance de cause. Ultimement, il a toujours désiré être jugé devant une cour martiale pour les accusations dont il fait l’objet et il n’existe aucune raison pour laquelle il a démontré qu’il aurait pu ou qu’il aurait dû en être autrement.

[24]           M’inspirant des motifs exprimés dans la décision de Couture, je conclus donc que malgré son sens impératif, l’inobservation du délai minimale de 24 heures prescrit au paragraphe (2) de l’article 108.17 des ORFC pendant lequel il ne peut être exigé d’un accusé qu’il communique sa décision d’être jugé ou non devant une cour martiale n’entraîne pas obligatoirement la nullité de toute autre procédure subséquente visant à disposer des accusations.

[25]           Dans les circonstances de la présente affaire, j’en viens à la conclusion que cette inobservation n’a causé aucun préjudice à la partie requérante et que, dans les faits, après avoir obtenu les consultations nécessaires et avoir eu l’opportunité de soupeser les avantages et inconvénients, il a obtenu ce qu’il désirait, soit d’être jugé devant une cour martiale.

[26]           La partie requérante a soumis la décision de R. c. Laity, 2007 CM 3011 dans laquelle j’ai conclu que l’absence de la signature sur un PVPD de la personne autorisée à porter une accusation avait pour conséquence qu’aucune accusation n’avait été portée, entraînant ainsi la nullité de tous les autres actes qui en avaient découlés.  Essentiellement, j’avais conclus qu’il y avait une exigence d’authentification par la personne autorisée à porter une accusation et que l’inobservation d’une telle exigence emportait la nullité de l’acte et de tout autre acte qui s’en suivait.

[27]           La décision de Laity est différente des circonstances de la présente affaire, tout en respectant la lettre et l’esprit de la décision qui lui est postérieure de la Cour d’appel de la cour martiale dans Couture. Dans Laity, il s’agissait essentiellement d’un vice de fond qui entraînait la nullité de l’acte.

[28]           Dans la présente cause, il s’agit plutôt d’un vice de forme qui pouvait entraîner la nullité de tous les actes subséquents, mais qui dans les circonstances particulières de cette affaire, n’a pas eu de telles conséquences.

 

POUR TOUTES CES RAISONS, LA COUR

 

[29]           REJETTE la requête du capitaine Bourassa.

 


Avocats :

Major J.E. Carrier, Service canadien des poursuites militaires

Avocat de la poursuivante

 

Major J.L.P.L. Boutin, Service d'avocats de la défense

Avocat pour le capitaine S. Bourassa

 

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