Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 23 septembre 2014.

Endroit : 6080 rue Young, 5e étage, salle d’audience, Halifax (NÉ).

Chefs d’accusation

• Chefs d’accusation 1, 2 : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d’un supérieur.
• Chefs d’accusation 3, 4, 5, 6, 7, 8 : Art. 90 LDN, s’est absenté sans permission.
• Chefs d’accusation 9, 10, 11, 12 : Art. 101.1 LDN, a omis de se conformer à une condition imposée sous le régime de la section 3.
• Chefs d’accusation 13, 14, 15 : Art. 101.1 LDN, a omis de se conformer à une condition d’une promesse remise sous le régime de la section 3.
• Chef d’accusation 16 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Verdicts

• Chefs d’accusation 1, 2, 3, 4, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16 : Coupable.
• Chef d’accusation 5 : Retiré.

Sentence

• Emprisonnement pour une période de sept jours, correspondant à 30 jours moins les 23 jours servis en détention avant procès, et un blâme.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Keeping, 2014 CM 4010

 

Date : 20140924

Dossier : 201442

 

Cour martiale permanente

 

Salle d’audience d’Halifax

Halifax (Nouvelle-Écosse), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et –

 

Matelot de 2e classe K.J. Keeping, contrevenant

 

 

En présence du Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.

 

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE LA SENTENCE

(Prononcés de vive voix)

[1]               Matelot de 2e classe Keeping, après avoir accepté et enregistré votre plaidoyer de culpabilité à l’égard des 15 chefs d’accusation figurant dans l’acte d’accusation, la Cour vous déclare coupable de ces chefs d’accusation aux termes des articles 83, 90, 101.1 et 129 de la Loi sur la défense nationale, respectivement pour désobéissance à un ordre légitime d’un supérieur, absence sans permission, d’avoir omis de se conformer à une condition imposée sous le régime de la section 3 et comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

[2]               Il m’incombe maintenant, à titre de juge militaire présidant la présente Cour martiale permanente, de déterminer la sentence. Pour ce faire, j’ai examiné les principes de détermination de la sentence qu’appliquent les cours ordinaires du Canada ayant compétence en matière criminelle et les cours martiales. J’ai également pris en compte les faits propres à cette affaire tels qu’ils sont révélés dans le sommaire des circonstances et dans les documents produits au cours de l’audience de détermination de la sentence. J’ai également examiné les observations des avocats de la poursuite et de la défense.

[3]               Le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour assurer le respect de la discipline dans les Forces canadiennes, une composante essentielle de l’activité militaire. Ce système vise à promouvoir la bonne conduite par la sanction adéquate de l’inconduite. C’est grâce à la discipline que les forces armées s’assurent que leurs membres remplissent leurs missions avec succès, en toute confiance et d’une manière fiable. Le système fait ainsi en sorte que les sanctions infligées aux personnes assujetties au Code de discipline militaire servent l’intérêt public concernant la promotion du respect des lois du Canada.

[4]               Il est reconnu depuis longtemps que l’objectif d’un système de justice ou de tribunaux militaires distincts consiste à permettre aux Forces canadiennes de s’occuper des questions liées au respect du Code de discipline militaire et au maintien de l’efficacité et du moral des troupes.

[5]               Comme l’écrivait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c Généreux, [1992] 3 CSC 259, à la page 293 :

[...] Pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace. [...]

Dans la même page, elle soulignait que dans le contexte particulier de la justice militaire :

[...]Les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil. [...]

[6]               Cela dit, la sentence imposée par tout tribunal, militaire ou civil, devrait constituer l’intervention minimale nécessaire qui est adéquate, compte tenu des circonstances. En fait, la modération est le principe fondamental de la théorie moderne de la détermination de la sentence au Canada. Le juge qui détermine la sentence est responsable de « prononce[r] une sentence proportionnée à la gravité de l’infraction et aux antécédents du contrevenant », comme l’indiquent les Ordonnances et règlements royaux. Autrement dit, toute sentence infligée doit être adaptée au contrevenant et à l’infraction qu’il a commise.

[7]               L’objectif fondamental de la détermination de la sentence par une cour martiale est d’assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline en infligeant des sentences qui répondent à un ou plusieurs des objectifs suivants:

a)                  assurer la protection du public, y compris des Forces canadiennes;

b)                  dénoncer le comportement illégal;

c)                  dissuader le contrevenant et quiconque de commettre les mêmes infractions;

d)                 isoler au besoin les contrevenants du reste de la société;

e)                  réadapter et réformer les contrevenants.

[8]               Lorsqu’il inflige une sentence, le juge doit également tenir compte des principes suivants :

a)                  la sentence doit être proportionnée à la gravité de l’infraction;

b)                  la sentence doit être proportionnée à la gravité de l'infraction et aux antécédents du contrevenant;

c)                  la sentence doit être semblable à celles infligées à des contrevenants ayant commis des infractions semblables dans des circonstances semblables;

d)                 le contrevenant ne devrait pas être privé de sa liberté s’il est possible, eu égard aux circonstances, de lui infliger une sentence moins contraignante;

e)                  enfin, toute sentence devrait être alourdie ou allégée pour tenir compte des circonstances aggravantes ou atténuantes se rapportant à l’infraction ou au contrevenant.

[9]               Je suis parvenu à la conclusion que, compte tenu des circonstances particulières en l’espèce, il faut mettre l’accent sur les objectifs de dénonciation et de dissuasion, tant sur le plan individuel que collectif, car la sentence infligée ne devrait pas seulement dissuader le contrevenant, mais aussi les autres personnes se trouvant dans une situation semblable à la sienne, d’adopter le même comportement interdit. Je crois également que l’objectif de la réadaptation est important en l’espèce, même s’il est fort probable que le service du contrevenant au sein des Forces armées canadiennes soit sur le point de se terminer. En fait, lorsqu’un contrevenant fera son retour dans la société civile, la sentence imposée par un tribunal militaire ne devrait pas nuire outre mesure aux efforts que devra déployer le contrevenant pour réintégrer la société canadienne et pour contribuer positivement à sa nouvelle collectivité.

[10]           Comme il l’est précisé ci‑dessus, la sentence doit être semblable à celles infligées à des contrevenants ayant commis des infractions semblables dans des circonstances semblables.

[11]           Tout d’abord, le contrevenant est un matelot de 23 ans qui a commencé sa formation de base au sein des Forces armées canadiennes en janvier 2010. Il a terminé sa formation à titre d’électricien subalterne et a commencé à servir sur des navires de Sa Majesté sur la côte Est en décembre 2011, principalement à titre de membre d’équipage du Navire canadien de Sa Majesté (NCSM) CHARLOTTETOWN, avec lequel il a été déployé dans le cadre de l’opération ARTEMIS entre mai et août 2012. Il est célibataire.

[12]           Les rapports d’évaluation, produits en pièce 8, révèlent que le matelot de 2e classe Keeping a obtenu du succès dans sa formation et son emploi initial à titre d’électricien à bord des navires. Il a prouvé qu’il était un membre fiable et apprécié de la section électrique et du service du génie des systèmes de marine du navire. Son rendement au cours des déploiements a été qualifié d’exceptionnel. Toutefois, depuis novembre 2013, le matelot de 2e classe Keeping est aux prises avec des problèmes juridiques considérables. Sur le plan militaire, ces problèmes se rapportent à des ordres exigeant sa présence à un endroit et à un moment précis. Sa fiche de conduite, produite en pièce 5, révèle qu’à titre de membre du NCSM CHARLOTTETOWN, il a été reconnu coupable deux infractions d’absence sans permission le 23 mai 2014 par le commandant en second, et il a été reconnu coupable de trois autres infractions d’absence sans permission le 24 juillet 2014 par son commandant.

[13]              En raison d’infractions répétées d'absence sans permission et d’incidents qui ont mené à la sentence infligée le 23 mai 2014, le matelot de 2e classe Keeping s’est vu imposer une mise en garde et surveillance le 5 mai 2014. Il a enfreint les conditions dont sa mise en garde et surveillance était assortie entre mai et août 2014. Le commandant du matelot de 2e classe Keeping a recommandé que ce dernier soit libéré des Forces armées canadiennes pour mauvaise conduite. Cependant, le 11 septembre 2014, le Directeur – Administration des carrières militaires a rendu une décision selon laquelle le matelot de 2e classe Keeping devait être libéré pour des raisons médicales en application du motif 3b) au plus tard le 9 mars 2015, comme l’indiquent la lettre de décision et le message d’instructions sur la libération, produits respectivement en pièces 6 et 7. Selon les observations présentées à la Cour, d’une part, l’unité du matelot de 2e classe Keeping serait prête à libérer ce dernier le plus rapidement possible et d’autre part, lorsque l’audience a eu lieu, le matelot de 2e classe Keeping consentait à être libéré des Forces armées canadiennes dès que possible.

[14]              La Cour se penche désormais sur les infractions. Pour déterminer une sentence équitable et appropriée, la Cour a tenu compte de la gravité objective des infractions. À cette fin, elle s’est appuyée sur la sentence maximale qu’elle pourrait infliger pour chacune des infractions. L’infraction prévue à l’article 83 est objectivement très grave, car elle est punissable par une sentence d’emprisonnement à perpétuité. Les infractions prévues aux articles 90 et 101.1 sont punissables par une sentence d’emprisonnement de moins de deux ans, tandis que l’infraction prévue à l’article 129 est punissable par destitution ignominieuse du service de Sa Majesté.

[15]              Un sommaire détaillé des circonstances, produit en pièce 9, a servi à informer la Cour des circonstances entourant ces infractions. Le procureur a lu ce sommaire, que le matelot de 2e classe Keeping a accepté comme preuve concluante. Dans l’objectif d’en faciliter la compréhension, ces circonstances, qui seront présentées en détail, seront regroupées en fonction des quatre catégories d’infractions à l’égard desquelles le contrevenant a reconnu sa culpabilité, qui comptent les 15 chefs d'accusation pour lesquels il se voit infliger une sentence aujourd’hui.

[16]              Voici les circonstances entourant les deux chefs d’accusation de désobéissance à un ordre légitime d’un supérieur, auxquels le contrevenant a plaidé coupable :

a)                 l’infraction visée par le premier chef d’accusation se rapporte à un ordre direct et explicite donné au matelot de 2e classe Keeping, conformément auquel il devait être préposé aux rondes à bord du NCSM CHARLOTTETOWN la nuit du 26 juin 2014 jusqu’à ce qu’il soit relevé le lendemain matin à 8 h. Malgré cet ordre, le matelot de 2e classe Keeping a quitté le navire à 15 h 45 le 26 juin 2014 et y est revenu seulement le 27 juin 2014 à 7 h 40;

b)                 le matelot de 2e classe Keeping a commis la deuxième infraction le 4 juillet 2014, tandis qu’il purgeait une sentence de consigne au navire de 21 jours après avoir été déclaré coupable à l’issue d’un procès sommaire qui s’est tenu le 26 juin 2014. Comme il n’y avait pas d’eau chaude dans son navire, le matelot de 2e classe Keeping a exceptionnellement reçu l’autorisation de son capitaine d’armes de se rendre sur un autre navire pour prendre une douche et faire sa lessive, mais il devait rentrer immédiatement après. Après avoir franchi la passerelle d’embarquement, le matelot de 2e classe Keeping a été intercepté par le lieutenant de vaisseau Kendell, qui lui a demandé où il s’en allait, car il purgeait une sentence de consigne au navire. Le matelot de 2e classe Keeping lui a répondu qu’il avait obtenu une permission, car il avait fait preuve d’un bon comportement. Il est ensuite descendu à terre, mais ne s’est jamais rendu sur l’autre navire comme il en avait reçu l’ordre. Il n’est pas retourné sur le NCSM CHARLOTTETOWN le 4 juillet 2014. Un mandat d’arrestation a été délivré contre lui le 5 juillet 2014. Le matelot de 2e classe Keeping a été arrêté par la police militaire le 6 juillet 2014, puis a été libéré peu de temps après pour continuer à purger sa sentence de consigne au navire.

[17]              Voici les circonstances entourant les six chefs d’accusation d’absence sans permission, auxquels le contrevenant a plaidé coupable :

a)                 en ce qui concerne le troisième chef d’accusation, le matelot de 2e classe Keeping avait déclaré avoir un rendez-vous médical le 12 juin 2014. Il avait précisément reçu la directive de retourner au travail immédiatement après, mais il est retourné sur le navire seulement le 13 juin 2014 à 8 h. Il a par la suite été confirmé que le matelot de 2e classe Keeping n’avait aucun rendez-vous et n’est allé dans aucune installation de soins de santé le 12 juin 2014;

b)                 l’infraction visée par le quatrième chef d’accusation a été commise le lundi 23 juin 2014; le matelot de 2e classe Keeping n’est pas retourné sur le navire à l’heure de fin de permission, soit à 8 h. Les efforts déployés pour le retrouver n’ont donné aucun résultat et son absence s’est prolongée le 24 et le 25 juin. Il a été retrouvé chez lui le lendemain et il a accepté de se rendre volontairement sur le NCSM CHARLOTTETOWN, où il est arrivé à 10 h 50 le 26 juin 2014;

c)                 l’infraction visée par le sixième chef d’accusation a été commise dans les circonstances décrites à l’alinéa 16b), ci‑dessus. Le 4 juillet, le matelot de 2e classe Keeping s’est rendu chez lui au lieu de se rendre sur un autre navire pour prendre une douche et faire sa lessive;

d)                l’infraction visée par le septième chef d’accusation a été commise le mercredi 20 août à 8 h. Des gens ont remarqué que le matelot de 2e classe Keeping ne se trouvait pas à bord du NCSM CHARLOTTETOWN. Les mesures prises pour le joindre, à savoir des appels téléphoniques, une visite à son domicile et un appel aux installations de soins de santé de la base, n’ont donné aucun résultat. Un mandat d’arrêt a été délivré le 22 août 2014. Le matelot de 2e classe Keeping a été arrêté le 25 août 2014 à 15 h 55. Il a ultérieurement admis qu’il se trouvait chez lui le 20 août 2014 à l’heure de fin de permission, soit à 7 h 50;

e)                 en ce qui a trait au huitième chef d’accusation, l’infraction a été commise le 30 août 2014 à 17 h. Le matelot de 2e classe Keeping ne s’est pas présenté sur passerelle d’embarquement du NCSM CHARLOTTETOWN comme il devait le faire en application de l’engagement qu’il avait signé au moment de sa libération prononcée par un juge militaire le 28 août 2014. Les tentatives de joindre le matelot de 2e classe Keeping et les appels faits à trois hôpitaux locaux n’ont donné aucun résultat. Un mandat d’arrêt a été délivré le 3 septembre 2014 et le matelot de 2e classe Keeping s’est fait arrêter par la Police provinciale de l'Ontario près de Morrisburg, en Ontario. Il revenait du domicile de ses parents, situé à Mississauga, en Ontario, et se rendait à Halifax.

[18]              Voici les circonstances entourant les sept chefs d’accusation d’avoir omis de se conformer à une condition imposée sous le régime de la section 3 :

a)                 le neuvième et le dixième chefs d’accusation se rapportent tous deux aux conditions imposées au matelot de 2e classe Keeping sous le régime de la section 3 de la Loi sur la défense nationale le 22 mai 2014 lorsqu’un officier réviseur l’a remis en liberté. Conformément à l’une de ces conditions, à 7 h 50, il devait se présenter à l’un des quatre supérieurs nommés dans le document [traduction] « ordonnance de libération » signé par le contrevenant. Le matelot de 2e classe Keeping n’a pas respecté cette condition le 12 juin, infraction à laquelle est lié le neuvième chef d’accusation, ainsi que chaque jour, soit à quatre reprises, du 23 au 26 juin 2014, infractions auxquelles est lié le dixième chef d’accusation;

b)                 le onzième et le douzième chefs d’accusation se rapportent tous deux aux conditions imposées au matelot de 2e classe Keeping sous le régime de la section 3 de la Loi sur la défense nationale le 6 juillet 2014 lorsqu’un officier réviseur l’a remis en liberté. Conformément aux conditions qui lui ont été imposées, il devait entre autres se présenter à des rendez-vous médicaux et se présenter, à 7 h 50, à l’un des quatre supérieurs nommés dans le document [traduction] « ordonnance de libération » signé par le contrevenant le 6 juillet 2014. Le matelot de 2e classe Keeping ne s’est pas présenté à un rendez-vous médical le 20 août, infraction à laquelle est lié le onzième chef d’accusation, et ne s’est pas présenté à l’un des quatre supérieurs le 20, le 21, le 22 et le 25 août 2014, infractions auxquelles est lié le douzième chef d’accusation;

c)                 le treizième, le quatorzième et le quinzième chefs d’accusation se rapportent aux conditions qu’un juge militaire a imposées au matelot de 2e classe Keeping aux termes du paragraphe 159.4(1) de la Loi sur la défense nationale lorsque celui‑ci a été libéré à une autre reprise à la suite d’une audition qui s’est déroulée le 28 août 2014. Les conditions qu’il devait respecter étaient énoncées dans un engagement signé par le contrevenant. Celui‑ci était entre autres tenu de se présenter sur le NCSM CHARLOTTETOWN et de demeurer à l’intérieur des frontières de la Municipalité régionale d'Halifax, sauf avec l’autorisation de son commandant. Le matelot de 2e classe Keeping ne s’est pas présenté sur le navire le 30 août et le 1er septembre, infractions auxquelles est lié le treizième chef d’accusation, et entre le 2 et le 4 septembre, infractions auxquelles est lié le quatorzième chef d’accusation. Il a également enfreint la condition selon laquelle il devait demeurer à l’intérieur des frontières de la Municipalité régionale d'Halifax entre le 30 août et le 4 septembre, où il a été arrêté en Ontario, infraction à laquelle est lié le quinzième chef d’accusation.

[19]              Enfin, le contrevenant a plaidé coupable à un chef d'accusation aux termes de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale pour usage de cannabis, en violation de l’article 20.04 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes. Le seizième chef d’accusation est lié au fait que le 4 septembre 2014, au cours d’une entrevue après mise en garde, le matelot de 2e classe Keeping a reconnu avoir consommé du cannabis à maintes reprises depuis son enrôlement dans les Forces canadiennes, même s’il savait que cette pratique était interdite par un règlement.

[20]              Après avoir résumé les circonstances entourant les infractions telles qu’elles sont décrites dans les faits essentiels contenus dans le sommaire des circonstances que le procureur a lu et que le matelot de 2e classe Keeping a accepté comme preuve concluante, la Cour tire les conclusions suivantes sur la gravité subjective des infractions dans les circonstances en l’espèce :

a)                 bien qu’elles soient objectivement graves, les deux infractions de désobéissance n’ont pas été commises dans des circonstances opérationnelles, c’est‑à‑dire qu’elles n’ont pas empêché l’accomplissement d’une tâche militaire. Toutefois, il est souligné que le matelot de 1re classe Ripley a dû accomplir lui-même les tâches de préposé aux rondes le 26 et le 27 juin. En outre, le départ non autorisé du matelot de 2e classe Keeping le 4 juillet 2014 a entravé l’exécution de la sentence de consigne au navire. Cette infraction a été commise dans des circonstances déconcertantes, car elle représente un bris de la confiance qu’ont accordée des membres importants de la chaîne de commandement au matelot de 2e classe Keeping lorsqu’ils lui ont permis de quitter le navire pour aller prendre une douche et faire sa lessive;

b)                 le contrevenant n’a pas raté de sortie en mer en raison des infractions d’absence sans permission, et celles‑ci n’ont pas empêché l’accomplissement d’autres tâches opérationnelles sur le navire, mais elles ont entraîné une charge de travail supplémentaire considérable pour certains membres de la chaîne de commandement qui ont tenté de trouver le matelot de 2e classe Keeping à maintes reprises et qui ont dû délivrer un certain nombre de mandats d’arrestation. Ceux‑ci ont dû être appliqués par des membres de la police militaire, car le matelot de 2e classe Keeping n’est pas retourné lui-même sur le navire;

c)                 les infractions liées au défaut de respecter des conditions d’un engagement ne peuvent être plus graves, car le matelot de 2e classe Keeping a enfreint à maintes reprises des conditions imposées non seulement par différents officiers réviseurs, mais aussi par un juge militaire;

d)                enfin, l’infraction aux termes de l’article 129 est importante, car l’interdiction de faire usage de drogues est bien connue et constitue un principe important du service dans les Forces canadiennes.

[21]              Dans les circonstances du présent cas, la Cour estime que les éléments suivants, soulignés par la poursuite et décrits précédemment pour illustrer la gravité subjective de l’infraction, sont aggravants. En fait, malgré leurs répercussions limitées sur les opérations, les infractions démontrent un mépris flagrant à l’égard de l’autorité et elles ont entraîné des perturbations considérables au sein de l’unité. Le matelot de 2e classe Keeping n’a pas profité des nombreuses chances que lui ont données non seulement des officiers réviseurs et un juge militaire, mais aussi des membres importants de la chaîne de commandement qui ont déployé des efforts manifestes pour l’accompagner et pour contribuer à lui donner les directives nécessaires à sa réussite à titre de membre de l’équipage de son navire et de la marine. Son comportement démontre un manque total de respect à l’égard de ces personnes. La fiche de conduite du contrevenant constitue également un élément aggravant, car elle révèle une tendance à l’inconduite qui se poursuit dans le cadre des procédures actuellement en cours.

[22]              La Cour a aussi tenu compte des facteurs atténuants suivants, qui ont été mentionnés par les avocats et établis par la preuve, en particulier par l’avocat de la défense :

a)                 le plaidoyer de culpabilité du contrevenant qui, aux yeux de la Cour, démontre de véritables remords et indique que le contrevenant assume entièrement la responsabilité de ce qu’il a fait. Le contrevenant a collaboré avec les enquêteurs et a inscrit son plaidoyer dès le début de la procédure, ce qui a permis d’éviter le coût d’un procès. Il a reconnu sa responsabilité au cours d’une audience publique très formelle de la cour martiale, en présence de membres importants de sa chaîne de commandement;

b)                 le fait que le matelot de 2e classe Keeping soit sur le point d’être libéré des Forces canadiennes pour raisons médicales et souffre de problèmes de santé mentale qui ont joué un rôle dans la première infraction qu’il a commise le 16 novembre 2013;

c)                 les états de service du contrevenant dans les Forces canadiennes. Avant les incidents de novembre 2013, le contrevenant était considéré comme un atout pour les Forces canadiennes et la Marine, comme le prouvent les rapports d’évaluation produits en pièce 8;

d)                l’âge du contrevenant et le fait qu’il est susceptible d’apporter une contribution positive à la société canadienne, même si sa carrière dans la Marine et les Forces canadiennes prend fin.

[23]              En l’espèce, le procureur de la poursuite et l’avocat de la défense ont présenté une recommandation conjointe relativement à la sentence que la Cour doit infliger. Ils me recommandent d’imposer une sentence d’emprisonnement de 30 jours, moins les jours déjà purgés en détention préventive, et d’adresser un blâme pour respecter les exigences de la justice. Bien que la Cour ne soit pas liée par cette recommandation conjointe, la Cour d’appel de la cour martiale a statué, au paragraphe 21 de l’arrêt R c Taylor, 2008 CACM 1, que le juge chargé de la détermination de la sentence ne doit aller à l’encontre de la recommandation conjointe que s’il existe des motifs impérieux de le faire, par exemple si la sentence est inadéquate, est déraisonnable, déconsidérerait l’administration de la justice ou irait à l’encontre de l’intérêt public. À titre de juge militaire, il est possible que je n’aime pas que les parties proposent conjointement une sentence et que je croie que j’aurais pu trouver une sentence plus appropriée. Cependant, mon opinion, quelle qu’elle soit, n’est pas suffisante pour repousser la recommandation conjointe qui m’est présentée.

[24]              Au cours de l’audience de détermination de la sentence, les deux avocats ont présenté à la Cour de nombreux cas pouvant être considérés comme des précédents pouvant l’aider à déterminer les différentes sentences pouvant s’avérer appropriées en l’espèce. Cette aide est la bienvenue, car la Cour est tenue de décider si la sentence proposée est appropriée. Les sentences imposées antérieurement par des tribunaux militaires sont utiles pour évaluer le type de sentence qui serait approprié en l’espèce. Ceci étant dit, les circonstances varient d’un cas à l’autre. Dans les présents motifs, je ne vois pas l’utilité de revenir en détail sur les cas qui m’ont été présentés. Il suffit de dire que ces cas montrent que la sentence proposée correspond aux sentences imposées antérieurement pour des infractions semblables. Cette observation est suffisante pour permettre à la Cour de conclure que la sentence proposée est appropriée.

[25]              Compte tenu de la nature des infractions, des circonstances dans lesquelles elles ont été commises, des principes applicables en matière de détermination de la sentence et des facteurs aggravants et atténuants déjà mentionnés, j’estime que la sentence proposée conjointement par les avocats, soit une sentence d’emprisonnement de 30 jours et un blâme, fait partie des sentences appropriées en l’espèce. La proposition conjointe des avocats ne va pas à l’encontre de l’intérêt public et ne jette pas le discrédit sur l’administration de la justice. Par conséquent, la Cour y souscrit.

[26]              Matelot de 2e classe Keeping, les circonstances entourant les chefs d’accusation auxquels vous avez plaidé coupable révèlent un comportement tout à fait incompatible avec un service dans la Marine et les Forces canadiennes. Votre avenir n’est manifestement pas dans le service militaire, comme le prouvent les résultats et le contenu de l’examen administratif se rapportant à votre carrière. Des gens ont consacré beaucoup d’énergie à tenter de vous ramener sur le droit chemin ou, à tout le moins, à veiller à ce que vous receviez un traitement équitable lorsque vous deviez être arrêté, détenu ou traduit en justice en raison des infractions que vous aviez commises. Vous avez néanmoins commis de nombreuses autres infractions et déçu de nombreuses personnes. J’ai appris que vous en êtes venu à la conclusion qu’une libération du service militaire le plus rapidement possible serait la solution qui vous conviendrait le mieux lorsque vous serez remis en liberté dans environ une semaine. Je vous invite à réfléchir aux répercussions négatives que les infractions que vous avez commises ont eues sur vous-même et sur votre unité, et j’espère que vous tenterez de quitter les Forces canadiennes la tête haute et de vous faire rapidement une nouvelle vie dans la société civile sans commettre d’autres infractions.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[27]              VOUS DÉCLARE COUPABLE des chefs d’accusation 1, 2, 3, 4, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15 et 16 de l’acte d’accusation, à la pièce 2.

[28]              VOUS CONDAMNE à une sentence d’emprisonnement de 7 jours, soit 30 jours moins les 23 jours que vous avez déjà purgés en détention préventive, et je vous adresse un blâme.

Avocats :

 

Major D.G.J. Martin, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Capitaine de corvette B. Walden, Direction du Service d’avocats de la défense

Avocat du matelot de 2e classe Keeping

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