Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 10 novembre 2014.

Endroit : BFC Petawawa, édifice L-106, Petawawa (ON).

Chefs d’accusation

• Chefs d’accusation 1, 2 : Art. 130 LDN, possession d’une substance inscrite aux annexes I, II ou III (art. 4 LRCDAS).

Résultats

• VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2 : Coupable.
• SENTENCE : Détention pour une période de 21 jours.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

Référence : R. c. Harley, 2014 CM 2021

Date : 20141110 Dossier : 201415

Cour martiale permanente

Base des Forces canadiennes Petawawa

(Ontario), Canada

Entre :

Sa Majesté la Reine

- et -

Sapeur M. Harley, contrevenant

En présence du colonel M.R. Gibson, J.M.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE LA SENTENCE

(Prononcés de vive voix)

[1]               Sapeur Harley, la cour, ayant accepté et inscrit votre plaidoyer de culpabilité relativement aux premier et deuxième chefs mentionnés à l’acte d’accusation, vous déclare coupable de possession de BZP et de psilocybine, des substances inscrites à l’annexe III de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Ces accusations ont été portées en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale. Il m’incombe maintenant de déterminer une peine appropriée, juste et équitable.

[2]               Pour ce faire, la cour a pris en considération les principes de détermination de la sentence appliqués dans le système de justice militaire, les faits de l’affaire qui sont décrits dans les documents versés en preuve et les observations des avocats de la poursuite et la défense.

[3]               Dans le système de justice militaire, la détermination de la sentence par les tribunaux militaires, dont font partie les cours martiales, a pour objectifs essentiels de favoriser l’efficacité opérationnelle des Forces canadiennes en contribuant au maintien de la discipline, de la bonne organisation et du moral, et de contribuer au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre.

[4]               L’atteinte de ces objectifs essentiels se fait par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants : renforcer le devoir d’obéissance aux ordres légitimes; maintenir la confiance du public dans les Forces canadiennes en tant que force armée disciplinée; dénoncer les comportements illégaux; dissuader les contrevenants et autres personnes de commettre des infractions; favoriser la réinsertion sociale des contrevenants; favoriser la réinsertion des contrevenants dans la vie militaire; isoler, au besoin, les contrevenants des autres officiers et militaires du rang ou de la société en général; assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité; susciter le sens des responsabilités chez les contrevenants, notamment par la reconnaissance des dommages causés à la victime et à la collectivité.

[5]               Le principe fondamental de la détermination de la sentence veut que celle‑ci soit proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant.

[6]               Parmi les autres principes de détermination de la sentence, mentionnons les suivants : l’adaptation de la peine aux circonstances aggravantes et atténuantes; l’harmonisation des peines, c’est‑à‑dire l’infliction de peines semblables à celles infligées pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables; l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté par l’emprisonnement ou la détention, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient; l’infliction de la sentence la moins sévère possible qui permette de maintenir la discipline, la bonne organisation et le moral; la prise en compte des conséquences indirectes du verdict de culpabilité ou de la sentence.

[7]               Dans l’affaire dont la cour est saisie aujourd’hui, je dois déterminer si les buts et objectifs de la détermination de la sentence seraient mieux servis par la dissuasion, par la dénonciation, par la réinsertion sociale ou une par combinaison de ces facteurs.

[8]               La cour doit infliger la sentence la moins sévère possible qui permette de maintenir la discipline, la bonne organisation et le moral. La discipline est la qualité que chaque membre des Forces canadiennes doit posséder pour lui permettre de placer les intérêts du Canada et ceux des Forces canadiennes devant ses intérêts personnels. Elle lui est nécessaire parce qu’il doit obéir promptement et volontiers aux ordres légitimes, qui peuvent avoir pour lui des conséquences très graves telles que des blessures ou même la mort. La discipline est définie comme une qualité, car, au bout du compte, bien qu’elle représente une conduite que les Forces canadiennes développent et encouragent par l’instruction, l’entraînement et la pratique, c’est une qualité intérieure et l’une des conditions fondamentales de l’efficacité opérationnelle de toute armée. Un des éléments les plus importants de la discipline dans le contexte militaire, c’est l’autodiscipline, notamment celle nécessaire pour s’abstenir d’avoir en sa possession ou de consommer des drogues illicites. Sapeur Harley, vos agissements indiquent que c’est un domaine où vous avez connu des faiblesses.

[9]               Les faits de la présente affaire sont exposés dans le sommaire des circonstances qui a été versé en preuve. Voici ce qu’il indique :

a)                  À toutes les dates pertinentes, le sapeur Harley faisait partie de la force régulière et était affecté au 2e Régiment du génie de combat, à la Base des Forces canadiennes Petawawa, en Ontario.

b)                  En avril 2012, la police militaire a été informée que le sapeur Harley se livrait à des activités liées à des drogues, particulièrement la MDMA et la psilocybine.

c)                  L’équipe nationale de lutte antidrogue du Service national des enquêtes des Forces canadiennes a été chargée de faire enquête; le sapeur Harley a été mis sous surveillance visuelle et électronique.

d)                 Entre avril 2012 et février 2013, des ordres de communication consécutifs concernant des messages textes reçus et envoyés par le sapeur Harley ont été autorisés. Des milliers de messages textes ont été analysés par des enquêteurs de l’équipe nationale de lutte antidrogue.

e)                  De nombreux messages textes dont les expéditeurs ou les destinataires étaient des civils et d’autres militaires faisaient mention en anglais de « mushrooms » (« champignons magiques » ou « champignons »), « zooms », « zoomers » et « zoom zooms », ainsi que « mush », « fungi» et « do mush ». Tous ces mots font référence à la psilocybine, une substance inscrite à l’annexe III de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

f)                   De nombreux messages textes dont les expéditeurs ou les destinataires étaient des civils et d’autres militaires faisaient mention en anglais de « party favours », « M », « Molly », « tabs », « meow », « pills », « MDMA » et « shit is mdmazing », ainsi que de « caps », « capped » et « uncapped ». Tous ces messages textes font référence à la MDMA, une substance inscrite depuis mars 2012 à l’annexe I de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

g)                  En février 2013, par suite de la surveillance qu’ils ont effectuée, les enquêteurs de l’équipe nationale de lutte antidrogue ont été amenés à croire que le sapeur Harley irait dans le sud de l’Ontario pour se procurer des drogues au cours de la fin de semaine des 23 et 24 février 2013. Le sapeur Harley a été pris en filature. La police militaire a établi un barrage routier pour l’intercepter sur le chemin du retour à Petawawa.

h)                  Vers 21 h 25, le 24 février 2013, le sapeur Harley a été arrêté sur la route Round Lake, alors qu’il roulait en direction de la Base des Forces canadiennes Petawawa. Au moment de l’arrestation, il a avoué à la police militaire qu’il avait des « shrooms » dans le compartiment à gants du véhicule et des [TRADUCTION] « produits » dans son sac de jour qui se trouvait sur la banquette arrière. Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il voulait dire par des [TRADUCTION] « produits », il a répondu [TRADUCTION] « de la MDMA ».

i)                    En fouillant le sac de jour du sapeur Harley, la police militaire a trouvé un sac de plastique contenant 50 pilules ou gélules. La preuve a établi que celles‑ci avaient un poids de 12 g et qu’il s’agissait de BZP, une substance inscrite à l’annexe III de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

j)                    Dans le compartiment à gants du véhicule, la police militaire a trouvé ce que la preuve a établi comme étant 3 g de psilocybine, également connue sous l’appellation « champignons magiques », une substance inscrite à l’annexe III de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

k)                  Le sapeur Harley s’était procuré les 50 gélules de BZP dans le sud de l’Ontario pour 320 $. Lorsqu’elles sont achetées en plus petites quantités, 50 gélules de cette substance peuvent coûter de 500 $ à 1 000 $, selon la quantité exacte achetée.

l)                    La BZP est un stimulant qui provoque l’euphorie et des effets cardiovasculaires semblables à ceux des amphétamines. Les comprimés de BZP sont souvent vendus comme des comprimés de MDMA ou comme une solution de rechange à la MDMA.

[10]           La cour est d’avis que les facteurs aggravants en l’espèce sont les suivants :

a)                  Premièrement, la gravité objective des infractions dont le sapeur Harley a été déclaré coupable; l’infraction de possession d’une substance inscrite à l’annexe III de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances est punissable d’une peine d’emprisonnement de trois ans en vertu du paragraphe 4(6) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

b)                  La possession et la consommation de drogues illicites ont toujours été, et continuent d’être, contraires au maintien de la discipline, de la bonne organisation et du moral dans les Forces canadiennes, et les membres doivent en être activement dissuadés.

[11]           Les facteurs atténuants en l’espèce comprennent les suivants :

a)                  D’abord et avant tout, le sapeur Harley a plaidé coupable à ces infractions. Ce facteur atténuant revêt toujours beaucoup d’importance, car il indique que le contrevenant accepte la responsabilité de ses actes.

b)                  L’absence de fiche de conduite ou de toute autre indication de condamnations antérieures.

c)                  L’indication, dans l’admission faite par la poursuite et versée en preuve sous la pièce 10, que, depuis sa mise en liberté après son arrestation, le sapeur Harley a eu une bonne conduite et qu’il est considéré par la chaîne de commandement comme un bon soldat, qui travaille fort et qui possède beaucoup d’aptitudes.

d)                 La cour doit également prendre en considération les conséquences indirectes du verdict de culpabilité qui, en l’espèce, compte tenu de la politique des Forces canadiennes concernant la consommation de drogues illicites, comprendront un examen administratif obligatoire concernant la rétention du sapeur Harley dans les Forces canadiennes.

[12]           Les principes de détermination de la sentence qui, selon la cour, doivent être mis en évidence en l’espèce sont la dénonciation et la dissuasion générale et individuelle. La confiance en l’honnêteté, l’intégrité, la discipline, la maturité et le jugement des militaires des Forces canadiennes, de la part du public comme des autres membres des Forces canadiennes, est essentielle pour que les Forces puissent remplir leurs importantes fonctions. Les membres des Forces canadiennes sont à juste titre tenus de respecter des normes très élevées. Le comportement du sapeur Harley constitue une dérogation importante à ces normes. Il ne devra jamais récidiver, et les autres membres des Forces canadiennes doivent eux aussi comprendre que les actes qu’il a commis ne sont tout simplement pas acceptables et doivent être dissuadés de commettre de tels actes.

[13]           La poursuite et la défense ont formulé une recommandation conjointe concernant une sentence de détention de 21 jours. Lorsqu’il y a une recommandation conjointe, comme l’a réitéré la Cour d’appel de la cour martiale dans l’affaire R c Le soldat Chadwick Taylor, 2008 CACM 1, la question que la cour doit se poser n’est pas de savoir si la sentence proposée est celle que la cour aurait infligée si elle n’avait pas reçu la recommandation conjointe; la cour doit plutôt se demander s’il y a des motifs impérieux d’aller à l’encontre de cette recommandation conjointe; c’est‑à‑dire si la sentence proposée est inappropriée, déraisonnable, de nature à déconsidérer l’administration de la justice ou contraire à l’intérêt public.

[14]           Ni l’un ni l’autre des avocats n’a présenté de jurisprudence portant sur des faits semblables pour aider la cour à déterminer une sentence appropriée. Toutefois, je suis convaincu que la sentence minimale requise pour assurer le maintien de la discipline, de la bonne organisation et du moral, compte tenu des faits, doit consister en une sentence privative de liberté.

[15]           La Cour d’appel de la cour martiale a bien expliqué les raisons pour lesquelles la présence de drogues dans le milieu militaire doit être considérée comme un problème très grave. Dans la décision R c MacEachern, (1986) 24 CCC (3d) 439, la Cour a affirmé ce qui suit à la page 444 :

À cause des tâches particulièrement importantes et dangereuses que les militaires peuvent, en tout temps et à bref délai, être tenus d’exécuter et du travail d’équipe qu’exige l’accomplissement de ces tâches, lesquelles nécessitent souvent l’utilisation d’armes et d’instruments hautement techniques et potentiellement dangereux, il ne fait aucun doute que les autorités militaires sont tout à fait justifiées d’attacher une très grande importance à ce qu’aucun stupéfiant ne se trouve ni ne soit utilisé dans les établissements ou les formations militaires ni à bord des navires ou des aéronefs. Les autorités militaires ont peut‑être davantage intérêt que les autorités civiles à ce qu’aucun membre des forces armées n’utilise ni ne distribue de stupéfiants et, en fin de compte, à en empêcher tout usage.

[16]           L’importance vitale de veiller à ce qu’aucun membre des Forces canadiennes ne soit en possession ou ne consomme de drogues illicites ressort davantage de l’objet du programme des Forces canadiennes sur le contrôle des drogues, qui est défini en ces termes à l’article 20.03 de l’ORFC :

20.03 OBJET

Le programme des Forces canadiennes sur le contrôle des drogues a pour objet de maintenir :

 

a.                   l’état de préparation opérationnel des Forces canadiennes;

b.                   la sécurité des militaires des Forces canadiennes et du public;

c.                    la santé des militaires des Forces canadiennes et du public;

d.                   la sécurité des établissements de défense, des matériels et des biens publics ou privés;

e.                    la sécurité des renseignements classifiés pour des raisons d’intérêt national ou de ceux                 protégés de toute autre manière par la loi;

f.                    la discipline au sein des Forces canadiennes;

g.                    la fiabilité des militaires des Forces canadiennes;

h.                   la cohésion et le bon moral au sein des Forces canadiennes.

[17]           Ces objectifs se rapprochent étroitement des objectifs essentiels de détermination de la peine du système de justice militaire et tiennent compte des intérêts vitaux des Forces canadiennes dans le maintien de la discipline, de la bonne organisation et du moral.

[18]           Compte tenu des faits, n’eût été la recommandation conjointe, la cour aurait envisagé l’infliction d’une sentence privative de liberté plus longue. La cour estime toutefois que la sentence proposée n’est pas inappropriée, déraisonnable, de nature à déconsidérer l’administration de la justice ou contraire à l’intérêt public. Par conséquent, la cour acceptera la recommandation conjointe des avocats de la poursuite et de la défense en ce qui a trait à la sentence.

[19]           La cour est disposée à accepter la recommandation d’une sentence de détention au lieu d’une sentence d’emprisonnement parce qu’elle rend possible la réadaptation, compte tenu du fait que la preuve présentée par la poursuite indique que la chaîne de commandement est d’avis que le sapeur Harley est un bon soldat qui possède beaucoup d’aptitudes. Il reviendra aux autorités militaires responsables de déterminer, après examen de tous les facteurs, si le sapeur Harley devrait se voir accorder la possibilité de continuer à servir dans les Forces canadiennes, après qu’il aura purgé sa sentence de détention.

POUR CES MOTIFS, LA COUR

[20]           VOUS DÉCLARE coupable des premier et deuxième chefs mentionnés à l’acte d’accusation.

[21]           VOUS CONDAMNE à une sentence de détention de 21 jours.

 

Avocats :

Major E. Carrier, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine


 

M. D. Couture, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du sapeur Harley

 

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