Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 17 novembre 2014.

Endroit : Manège militaire Lieutenant-colonel D.V. Currie, VC, 1215 rue Main Nord, Moose Jaw (SK).

Chef d’accusation

• Chef d’accusation 1 : Art. 95 LDN, a frappé une personne qui en raison de son grade lui était subordonnée.

Résultats

• VERDICT : Chef d’accusation 1 : Non coupable.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Murphy, 2014 CM 3021

 

Date : 20141118

Dossier : 201412

 

Cour martiale permanente

 

Manège militaire Lieutenant‑colonel D.V. Currie VC

Moose Jaw (Saskatchewan) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

-et-

 

Le caporal J. J. Murphy, accusé

 

 

En présence du : Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.


 

Motifs du verdict

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Le caporal Murphy est accusé d’une infraction d’ordre militaire en vertu de la Loi sur la défense nationale relativement à un incident qui aurait eu lieu, le 13 avril 2013, au mess des caporaux et des soldats du manège militaire Lieutenant-colonel D.V. Currie VC, à Moose Jaw, en Saskatchewan.

 

[2]               Plus précisément, le chef de l’acte d’accusation renvoie à une infraction prévue à  l’article 95 de la Loi sur la défense nationale, soit celle d’avoir frappé une personne qui en raison de son grade lui était subordonnée.

 

[3]               Les éléments de preuve présentés à la Cour sont principalement des témoignages de vive voix et les témoins entendus, par ordre de comparution à la Cour sont : le cavalier Morin, le plaignant dans la présente affaire; le caporal‑chef Buckmaster; le caporal Murphy, l’accusé en l’espèce; M. Folk; le caporal England; M. Daniel Murphy.

 

[4]               De plus, la Cour a pris judiciairement connaissance des éléments énumérés à l’article 15 des Règles militaires de la preuve.

 

[5]               Il ressort de la preuve produite par la poursuite que le cavalier Morin était au mess des caporaux et des soldats du manège militaire Lieutenant-colonel D.V. Currie VC, à Moose Jaw, en Saskatchewan, dans la soirée du samedi 13 avril 2013. Il était assis sur le divan, buvait un verre et regardait le Super Bowl à la télévision. Il a entendu M. Daniel Murphy, le frère du caporal Murphy l’appeler. Il a aussi entendu des rires et peu après quelqu’un l’a frappé par derrière deux fois, avec la main, du côté droit de son visage, et une fois avec un poing fermé à l’arrière de sa tête. Il ne sait pourquoi une telle chose lui est arrivée. Il a fini son verre et quitté le mess.

 

[6]               Le caporal-chef Buckmaster était au mess cette soirée-là, et il a vu le frère du caporal Murphy engagé dans une conversation à l’arrière de la télévision, les deux étaient debout. Ensuite, il a vu le caporal Murphy s’approcher du cavalier Morin, attirer son attention, et dès que le cavalier Morin s’est retourné, le caporal Murphy lui a donné un coup à la tête. Il n’a rien entendu de la conversation précédant ce moment; il n’a rien remarqué avant et après cet incident entre ces deux personnes. Selon lui, il n’y a eu ni altercation, ni dispute, ni colère, ni querelle entre les deux personnes après cet incident et il n’a aucune idée des raisons qui ont mené le caporal Murphy à poser un tel acte à l’égard du cavalier Morin. Il a vu le cavalier Morin quitter le mess un peu plus tard.

 

[7]               Comme les témoins appelés par la défense — notamment le caporal Murphy — l’ont déclaré, celui-ci a fait du covoiturage avec un de ses amis et son frère pour se rendre au mess afin de regarder les championnats de combat ultime à la télévision. Peu de temps après leur arrivée, le caporal Murphy et son frère ont rencontré le cavalier Morin qui, selon eux, était ivre. Il n’arrivait pas à marcher droit, son discours était lent, il avait bu plusieurs verres avant cela, et il continuait à boire un verre de double rhum et de Coca-Cola qu’il venait à peine de commander.

 

[8]               Plus tard, le cavalier Morin était assis sur le divan et regardait le championnat de combat ultime à la télévision, tandis que le caporal Murphy et son frère ont commencé à jouer au billard à la table située derrière ce divan. À un moment donné, le frère du caporal Murphy a commencé à appeler le cavalier Morin qui semblait inerte, parce qu’il était penché sur le divan. Il semblait que le cavalier Morin perdait connaissance. Inquiet du fait qu’il ne réagissait pas, le caporal Murphy s’est approché du cavalier Morin par l’arrière et l’a frappé, sans véritable force, plusieurs fois sur le côté gauche de son visage, avec sa main gauche, lui demandant s’il allait bien. Il n’a pas obtenu de réponse.

 

[9]               Le cavalier Morin s’est assis. Il semblait distrait et en colère, il n’a rien dit pendant un certain moment, et, enfin, il s’est levé et est parti. Le frère du caporal Murphy lui a parlé brièvement pendant qu’il récupérait son manteau et le cavalier Morin a quitté le mess.

 

[10]           Avant que la présente Cour ne formule son analyse juridique, il convient de traiter de la présomption d’innocence et de la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable, une norme qui est inextricablement liée au principe fondamental de tous les procès pénaux. Naturellement, ces principes sont bien connus des avocats, mais les autres personnes présentes dans la salle d’audience les connaissent peut-être moins.

 

[11]           On peut affirmer à juste titre que la présomption d’innocence constitue, indubitablement, le principe fondamental par excellence de notre droit pénal et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable est un élément essentiel de la présomption d’innocence. Dans les affaires relevant du code de discipline militaire, comme dans celles relevant du droit pénal, quiconque est accusé d’une infraction criminelle est présumé innocent jusqu’à ce que la poursuite ait prouvé sa culpabilité, et cela, hors de tout doute raisonnable. L’accusé n’a pas à prouver son innocence. C’est à la poursuite qu’il incombe de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments constitutifs de l’infraction.

 

[12]           La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve présentée par la poursuite, mais plutôt à l’ensemble de la preuve sur laquelle cette dernière s’appuie pour établir la culpabilité de l’accusé. Le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé incombe à la poursuite, jamais à l’accusé. Il n’incombe nullement au caporal Murphy de prouver qu’il est innocent. Il n’a rien à prouver.

 

[13]           Si, après avoir examiné tous les éléments de preuve, le tribunal a un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé, celui-ci doit être acquitté. L’expression « hors de tout doute raisonnable » est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de l’histoire et des traditions judiciaires. Dans l’arrêt R c Lifchus, [1997] 3 RCS 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives au sujet du doute raisonnable. Les principes décrits dans cet arrêt ont été appliqués dans plusieurs autres arrêts de la Cour suprême et des cours d’appel. Essentiellement, un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il ne doit pas reposer sur la sympathie ou sur un préjugé. Le doute doit reposer sur la raison et le bon sens. C’est un doute qui survient à la fin du procès. L’accusation portée contre un individu ne préjuge en rien de sa culpabilité, et j’ajouterai que les seules accusations dont doit répondre un accusé sont celles qui figurent sur l’acte d’accusation déposé au tribunal.

 

[14]           Au paragraphe 242, de l’arrêt R c Starr, [2000] 2 RCS 144, la Cour suprême du Canada a déclaré que :

 

[...] une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu’elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

 

[15]           Par contre, il faut se rappeler qu’il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. D’ailleurs, la poursuite n’a pas d’obligation en ce sens. La certitude absolue n’est pas une norme de preuve en droit. La poursuite doit seulement prouver la culpabilité de l’accusé, en l’espèce le caporal Murphy, hors de tout doute raisonnable. Pour placer les choses en perspective, si la Cour est convaincue que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit l’acquitter, car la preuve de culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[16]           Qu’entend-on par preuve? La preuve peut comprendre le témoignage sous serment ou l’affirmation solennelle faite à la Cour par les témoins sur ce qu’ils ont vu ou ce qu’ils ont fait; il peut s’agir de documents, de photographies, de cartes ou d’autres articles produits par les témoins; de témoignages d’experts; d’aveux judiciaires quant aux faits par la poursuite ou la défense; d’éléments dont la Cour prend judiciairement connaissance.

 

[17]           Il n’est pas rare que des éléments de preuve présentés à la Cour soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents d’un fait. La Cour doit déterminer quels éléments de preuve sont crédibles.

 

[18]           La crédibilité n’est pas synonyme de vérité et l’absence de crédibilité n’est pas synonyme de mensonge. La Cour doit tenir compte de nombreux facteurs pour évaluer la crédibilité d’un témoin. Par exemple, elle évaluera la possibilité qu’a eue le témoin d’observer et les raisons d’un témoin de se souvenir. Elle se demandera, par exemple, si les faits valaient la peine d’être notés, s’ils étaient inhabituels ou frappants, ou relativement sans importance et, par conséquent, à juste titre plus faciles à oublier. Le témoin a-t-il un intérêt en ce qui concerne l’issue du procès ou une raison de donner un témoignage qui favorise davantage une partie plutôt que l’autre? Le dernier facteur s’applique d’une manière quelque peu différente à l’accusé. Bien qu’il soit raisonnable de supposer que l’accusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption d’innocence ne permet pas de conclure qu’il mentira lorsqu’il décide de témoigner.

 

[19]           Un autre élément permet de déterminer la crédibilité, la capacité apparente du témoin à se souvenir. L’attitude du témoin quand il témoigne est un facteur dont on peut se servir pour évaluer sa crédibilité : le témoin était-il réceptif aux questions, honnête et franc dans ses réponses, ou évasif, hésitant? Argumentait-il sans cesse? Enfin, son témoignage était-il cohérent en lui-même et compatible avec les faits non contredits?

 

[20]           De légères contradictions peuvent se produire, et cela arrive en toute innocence; elles ne signifient pas nécessairement que le témoignage devrait être écarté. Il en va tout autrement, par contre, d’un mensonge délibéré. Un tel mensonge est toujours grave et il pourrait vicier l’ensemble du témoignage.

 

[21]           La Cour n’est pas tenue d’accepter le témoignage d’une personne à moins que celui-ci ne lui paraisse crédible. Cependant, elle jugera un témoignage digne de foi à moins d’avoir une raison de ne pas le croire.

 

[22]           Comme la règle du doute raisonnable s’applique à la question de la crédibilité, la Cour doit d’abord se prononcer de manière définitive sur la crédibilité de l’accusé en l’espèce et décider si elle ajoute foi ou non à ce qu’il dit. Il est vrai que la présente affaire soulève des questions importantes de crédibilité, et il s’agit d’un cas où la méthode d’évaluation de la crédibilité exposée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c W (D) se doit d’être appliquée, car l’accusé, le Corporal Murphy, a témoigné.

 

[23]           Comme il ressort de la page 758 de cet arrêt, le critère est énoncé ainsi :

 

Premièrement, si vous croyez la déposition de l’accusé, manifestement vous devez prononcer l’acquittement.

 

Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l’accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l’acquittement.

 

Troisièmement, même si vous n’avez pas de doute à la suite de la déposition de l’accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l’accusé.

 

[24]      Ce critère a été énoncé principalement pour éviter que le juge des faits ne procède en déterminant quelle preuve il croit  : celle produite par l’accusé ou celle présentée par la poursuite. Cependant, il est également clair que la Cour suprême du Canada a souvent répété qu’il n’est pas nécessaire de réciter cette formule mot à mot comme une incantation (voir l’arrêt R c S (WD), [1994] 3 RCS 521, à la page 533).

 

[25]      La Cour ne doit pas tomber dans le piège de choisir entre deux versions ou de donner l’impression de l’avoir fait. Comme la Cour suprême du Canada l’a récemment déclaré au paragraphe 21 de l’arrêt R c Vuradin, 2013 CSC 38 :

 

La question primordiale qui se pose dans une affaire criminelle est de savoir si, compte tenu de l’ensemble de la preuve, il subsiste dans l’esprit du juge des faits un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé : W. (D.), p. 758. L’ordre dans lequel le juge du procès énonce des conclusions relatives à la crédibilité des témoins n’a pas de conséquences dès lors que le principe du doute raisonnable demeure la considération primordiale. Un verdict de culpabilité ne doit pas être fondé sur un choix entre la preuve de l’accusé et celle du ministère public : R. c. C.L.Y., 2008 CSC 2, [2008] 1 R.C.S. 5, par. 6-8. Les juges de première instance n’ont cependant pas l’obligation d’expliquer par le menu le cheminement qu’ils ont suivi pour arriver au verdict : voir R. c. Boucher, 2005 CSC 72, [2005] 3 R.C.S. 499, par. 29.

 

[26]      Pour que la Cour tire la conclusion selon laquelle le caporal Murphy est coupable de l’infraction d’avoir frappé le cavalier Morin, son subordonné par le grade, la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants :

 

a)                  l’identité du caporal Murphy en tant qu’auteur de l’infraction alléguée;

 

b)                  la date de l’infraction;

 

c)                  l’endroit de l’infraction;

 

d)                 le fait que le caporal Murphy a frappé le cavalier Morin;

 

e)                  le fait que le cavalier Morin était un subordonné par le grade du caporal Murphy;

 

f)                   l’état d’esprit répréhensible du caporal Murphy.

 

[27]      En fait, les deux parties ont présenté des preuves selon lesquelles la Cour doit seulement trancher une seule question, celle de l’état d’esprit répréhensible du caporal Murphy.

 

[28]      En réalité, le caporal Murphy a admis dans son témoignage être l’auteur de l’infraction alléguée et que l’infraction alléguée a eu lieu le 13 avril 2013 au mess des caporaux et des soldats du manège militaire du lieutenant-colonel D.V. Currie, VC, à Moose Jaw, en Saskatchewan. Son témoignage a été confirmé par tous les autres témoins appelés par les deux parties.

 

[29]           Alors, la Cour est convaincue que la poursuite s’est acquittée du fardeau de la preuve hors de tout doute raisonnable en ce qui a trait aux éléments essentiels de l’identité, de la date et de l’endroit de l’infraction.

 

[30]           En ce qui concerne l’élément essentiel relatif à ce que le cavalier Morin était un subordonné par le grade du caporal Murphy, il ressort de la preuve qu’au moment de l’incident allégué, tant le cavalier Morin que le caporal Murphy détenaient ces grades. Un cavalier est l’équivalent d’un soldat dans les unités des véhicules de combat des Forces armées canadiennes, comme les Saskatchewan Dragoons, auxquels les deux appartenaient lors de l’incident.

 

[31]           Ainsi, la Cour est convaincue que la poursuite s’est acquittée du fardeau de la preuve hors de tout doute raisonnable en ce qui a trait à cet élément essentiel.

 

[32]           En ce qui concerne maintenant l’élément essentiel de l’infraction selon lequel le caporal Murphy a frappé le cavalier Morin, la Cour est aussi convaincue que la poursuite s’est acquittée du fardeau de la preuve hors de tout doute raisonnable en ce qui a trait à cet élément essentiel précis de l’infraction.

 

[33]           Il ressort de l’article 1.04 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC) que les mots sont interprétés selon le sens ordinaire approuvé dans Le Petit Robert s’il s’agit d’un texte français. En fait, ce dictionnaire définit le terme « frapper » comme le fait de « toucher quelqu’un plus ou moins rudement en portant un ou plusieurs coups ». Dans ce même dictionnaire, l’adverbe « rudement » signifie « de façon brutale », « avec dureté, sans ménagement ». Toujours dans ce même dictionnaire, le terme « coup » est défini comme un « choc brutal que l’on fait subir à quelqu’un pour faire mal ».

 

[34]           Ainsi, essentiellement, dans le contexte de l’interprétation de l’article 95 de la Loi sur la défense nationale, le terme « frapper » signifierait toucher quelqu’un avec dureté, sans ménagement, en lui faisant subir un choc brutal pour faire mal.

 

[35]                Sans y accorder de poids particulier, la Cour relève que la note B de l’article 103.28 des Ordonnances et règlements royaux donne à peu près le même sens au verbe « frapper » :

 

L’expression « frappe » signifie qu’un coup est porté avec la main ou le poing ou avec quelque objet tenu dans la main.

 

[36]           Selon les témoins de la poursuite, le caporal Murphy a frappé ou giflé le cavalier Morin à la tête ou sur le côté de son visage. Selon Le Petit Robert, gifler est un terme qui décrit plus précisément l’action de frapper, parce que ce terme signifie « frapper quelqu’un sur la joue, du plat ou du revers de la main ».

 

[37]           Le témoignage donné par le caporal Murphy décrit son acte à l’égard du cavalier Morin au moment de l’incident comme le fait de « tapoter » le côté du visage du caporal Morin pour s’assurer que celui-ci ne s’évanouissait pas, étant donné la quantité d’alcool qu’il avait consommé ce soir-là. Le verbe « tapoter » est défini par Le Petit Robert comme étant « frapper légèrement à petits coups répétés ».

 

[38]           Pour la Cour, il est clair que, malgré le fait que différents témoins ont rapporté que le caporal Murphy frappait, giflait ou tapotait le visage du cavalier Morin, et étant donné le sens global des termes utilisés par les témoins, en définitive, le cavalier Morin a été frappé par le caporal Murphy, peu importe le degré de force utilisé. Selon la Cour, il appert que les témoignages révèlent de toute évidence qu’il s’agissait de quelque chose de plus qu’un simple toucher.

 

[39]           En conséquence, la Cour est aussi convaincue que la poursuite s’est acquittée du fardeau de la preuve hors de tout doute raisonnable en ce qui a trait à cet élément essentiel.

 

[40]           Cela amène alors la Cour à débattre du dernier, et non du moindre, élément essentiel de l’infraction, qui est l’état d’esprit répréhensible du caporal Murphy.

 

[41]           Dans l’arrêt R c Latouche, CACM-431, le juge Ewaschuk, s’exprimant au nom de la cour, a fait une analyse approfondie de ce que signifie la mens rea en général (voir les paragraphes 13 à 27). Au paragraphe 20, il a décrit la mens rea comme faisant « référence à l’état d’esprit répréhensible requis pour la perpétration de l’infraction particulière qui fait l’objet de l’accusation, tel que le prévoit les éléments constitutifs du crime ».

 

[42]           Au paragraphe 27 de cet arrêt, il a conclu son analyse en ces termes :

 

Finalement, la mens rea est l’état d’esprit coupable requis par les éléments essentiels constitutifs du crime faisant l’objet de l’accusation, indépendamment de l’intention de l’accusé, ou de son absence d’intention, de contrevenir à la loi et indépendamment de sa connaissance de la loi, du caractère moralement blâmable de sa conduite ou de son mobile.

 

[43]           Ainsi, quel est l’état d’esprit coupable requis par les éléments constitutifs essentiels de l’infraction prévue à l’article 95 de la Loi sur la défense nationale, soit celle d’avoir frappé une personne qui en raison de son grade lui était subordonnée?

 

[44]      L’article 95 de la Loi sur la défense nationale est libellé ainsi :

 

Quiconque frappe ou de quelque autre façon maltraite un subordonné – par le grade ou l’emploi – commet une infraction et, sur déclaration de culpabilité, encourt comme peine maximale un emprisonnement de moins de deux ans.

 

[45]           Il convient de relever que la note marginale de l’article 95 de la Loi sur la défense nationale est : « Mauvais traitements à subalternes ». Selon la Cour, il appert que le législateur a édicté une telle disposition dans le but d’empêcher tout comportement abusif des membres des Forces canadiennes en position d’autorité, qui consisterait à frapper ou à user de tout autre type de violence à l’égard de tout subordonné en raison de l’existence du système de grade dans le contexte militaire.

 

[46]           Les deux éléments essentiels qui constituent cette infraction précise sont :

 

premièrement, frapper ou faire subir un mauvais traitement à quelqu’un d’autre;

 

deuxièmement, l’existence d’un lien hiérarchique basée sur le grade ou l’emploi entre l’auteur de l’infraction et la prétendue victime.

 

[47]           Selon la Cour, il appert que cette infraction est en quelque sorte le pendant de celle prévue à l’article 84 de la Loi sur la défense nationale concernant l’usage de la violence ou de menaces contre un supérieur, laquelle est décrite comme l’infraction de frapper ou d’user de violence à l’égard d’un supérieur.

 

[48]           De la lecture du Code de discipline militaire et plus précisément de la lecture de l’article 95 de la Loi sur la défense nationale et de l’interprétation des éléments constitutifs essentiels de cette infraction précise, la Cour conclut que la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable que le caporal Murphy avait l’intention d’user de son autorité ou d’user de violence à l’égard d’un subordonné en raison de l’existence d’un tel lien hiérarchique.

 

[49]           Dans le but de formuler son analyse, la Cour applique maintenant le critère énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt R c W (D), afin de décider si elle peut trouver quelque raison dans la preuve, prise dans son ensemble, de ne pas croire le témoignage de l’accusé quant à l’élément relatif à l’intention.

 

[50]           Les quatre témoins qui ont témoigné pour le compte de l’accusé, notamment le caporal Murphy, ont témoigné de manière honnête et calme. Ils étaient précis lorsqu’ils ont donné leurs réponses et n’ont pas hésité à demander aux avocats de répéter une question, s’ils n’en comprenaient pas le sens.

 

[51]           Selon la Cour, il appert que cet incident est devenu connu de tous les témoins lorsqu’il est apparu qu’une accusation serait portée. Tous les témoins avaient une excellente capacité à se rappeler l’incident. Ils n’étaient pas en mesure d’en fournir chaque détail, étant donné le temps qui s’était écoulé depuis l’incident, ce qui est apparu normal à la Cour.

 

[52]           Évidemment, il y avait des divergences mineures dans leurs souvenirs de l’incident, ce qui est normal étant donné l’écoulement du temps. Toutefois, leur récit de l’affaire était très cohérent et logique. Le déroulement de l’incident rapporté était le même, alors que la chronologie pouvait être différente, mais pas suffisamment différente au point de susciter tout doute.

 

[53]           La Cour n’a eu aucun doute quant aux témoignages de M. Murphy et de M. Folk en ce sens qu’ils sont d’une façon ou d’une autre relativement proches de celui du caporal Murphy. Selon ce qu’ils ont dit et la façon dont ils ont témoigné, la Cour n’a eu aucun doute sur leur intérêt quant à l’issue du procès. La façon dont ils ont témoigné n’a pas révélé à la Cour qu’ils essayaient de faire correspondre les faits, afin d’amener la Cour à acquitter le caporal Murphy.

 

[54]           De l’avis de la Cour, le témoignage du caporal Murphy et la preuve produite par les autres témoins qu’il a appelés sont crédibles et fiables.

 

[55]           Selon le témoignage du caporal Murphy, lorsqu’il s’est approché du cavalier Morin, il avait clairement l’intention de l’aider, parce qu’il était inquiet du bien-être de son ami. Le contexte décrit par l’accusé dans son témoignage établit clairement que le cavalier Morin était saoul, qu’il allait s’évanouir, et que le caporal Murphy était inquiet pour lui.

 

[56]           Le caporal Murphy s’est approché du cavalier Morin comme un être humain qui tentait d’en aider un autre. Il n’y avait pas de lien hiérarchique lorsque le caporal Murphy s’est approché du cavalier Morin et il est évident que le premier ne voulait pas abuser de son autorité ou user de violence contre le second, dans un tel contexte. Il est évident que le témoignage caporal Murphy a soulevé un doute raisonnable en ce qui a trait à cette question.

 

[57]           Par conséquent, compte tenu de l’ensemble de la preuve, la poursuite n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels de l’infraction consistant à frapper une personne qui en raison de son grade lui était subordonnée.

 

[58]           Cela étant dit, la Cour aimerait aussi souligner que, si elle était arrivée à la conclusion que le témoignage du caporal Murphy soulevait un doute raisonnable, la Cour aurait quand même prononcé l’acquittement de l’accusé, à la deuxième étape du critère énoncé dans l’arrêt R c W (D), parce que ce témoignage, même si elle ne le croyait pas, aurait laissé à la Cour un doute raisonnable.

 

[59]           Enfin, la Cour aimerait ajouter qu’elle n’aurait pas été convaincue hors de tout doute raisonnable à la troisième étape du critère énoncé dans l’arrêt R c W (D), parce qu’elle n’aurait pas accepté la preuve produite par la poursuite concernant l’identité et l’intention requise.

 

[60]           En fait, le cavalier Morin n’a pas été en mesure d’identifier la personne qui l’a frappé sur le côté du visage et à l’arrière de sa tête, tandis que le caporal‑chef Buckmaster a décrit un contexte assez différent dans lequel le caporal Murphy aurait frappé le cavalier Morin. Aussi, aucun de ces deux témoins appelés par la poursuite n’a fourni quelque raison ou contexte expliquant pourquoi le caporal Murphy aurait agi de cette façon. En réalité, ils n’étaient en aucune façon en position d’expliquer les raisons qui justifiaient un tel comportement du caporal Murphy.

 

[61]           Par conséquent, compte tenu de l’ensemble de la preuve, la poursuite n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels de l’infraction consistant à frapper un subordonné par le grade.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[62]      DÉCLARE le caporal Murphy non coupable de la première et seule accusation énoncée dans l’acte d’accusation.


 

Avocats :

 

Major R.J. Rooney, Service canadien des poursuites militaires, procureur de Sa Majesté la Reine

 

Capitaine de corvette B. Walden, Direction du service d’avocats de la défense, avocat du caporal Murphy

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