Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 27 avril 2015.

Endroit : Centre d’entraînement et formation de la 17e Escadre, 135 rue West, Winnipeg (MB).

Chefs d'accusation

• Chef d'accusation 1 (subsidiaire au chef d'accusation 2) : Art. 130 LDN, voies de fait causant des lésions corporelles (art. 267b) C. cr.).
• Chef d'accusation 2 (subsidiaire au chef d'accusation 1) : Art. 130 LDN, voies de fait contre un agent de la paix (art. 270(1)a) C. cr.).
• Chef d'accusation 3 : Art. 130 LDN, entrave un agent de la paix (art. 129a) C. cr.).
• Chefs d'accusation 4, 5 : Art. 130 LDN, proférer des menaces (art. 264.1(1)a) C. cr.).

Résultats :

• VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Coupable de l’infraction moindre et incluse de voies de fait (art. 266 C. cr.). Chef d’accusation 2 : Une suspension d’instance. Chefs d’accusation 3, 4, 5 : Coupable.
• SENTENCE : Une rétrogradation au grade d’adjudant et une amende au montant de 4000$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Simms, 2015 CM 4007

 

Date : 20150416

Dossier : 201449

 

Cour martiale générale

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et –

 

Adjudant-maître A.W. Simms, accusé

 

 

En présence du Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, juge militaire


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

DÉCISION SUR LE MOMENT DE L’INSTRUCTION ET DU JUGEMENT D’UNE REQUÊTE PROPOSÉE FONDÉE SUR LA CHARTE DE LA PART DE L’ACCUSÉ

 

INTRODUCTION

 

1.                  Le 12 novembre 2014, un officier autorisé par le Directeur des poursuites militaires a prononcé la mise en accusation de l’adjudant-maître A.W. Simms sous cinq chefs d’accusation. D’après quatre des chefs accusation, le 30 mai 2014, à l’Aéroport international de Winnipeg, l’accusé aurait commis des infractions visées à l’article 130 de la Loi sur la défense nationale (LDN), à savoir qu’il aurait commis des voies de fait causant des lésions corporelles et des voies de fait contre un agent de la paix, et qu’il aurait résisté à un agent de la paix et proféré des menaces contre le caporal Hall en contravention avec les alinéas 267b), 270(1)a), 129a) et 264.1(1)a) du Code criminel. Selon le cinquième chef d’accusation, qui se rapporte à une infraction censément commise au même moment et au même endroit et qui est visée à l’article 130 de la LDN, l’accusé aurait proféré des menaces contre le caporal Paradise, en contravention avec l’alinéa 264.1(1)a) du Code criminel.

 

2.                  Une cour martiale générale a été convoquée le 15 janvier 2015 pour tenir le procès de l’accusé. L’ordre de convocation stipule que, moi, le capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, juge militaire, j’ai été désigné pour présider le procès, qui doit débuter le 27 avril 2015 à la 17e Escadre Winnipeg, située au Manitoba.

 

3.                  Le 12 mars 2015, un document intitulé « Demande d’audition des procédures préliminaires - articles 112.03 et 112.04 des ORFC » a été présenté par l’avocat de l’accusé. Ce document faisait état de cinq motifs à l’appui de la requête, qui affirmait essentiellement que le transfert de la garde de l’accusé du service de police de Winnipeg à la police militaire n’avait pas été dûment autorisé et que, partant, la détention subséquente de l’accusé par la police militaire était devenue arbitraire et, donc, contraire à l’article 9 de la Charte canadienne des droits et libertés (ci‑après la « Charte »). Le redressement demandé était l’arrêt des procédures pour l’ensemble des accusations. L’avocat de l’accusé a déclaré ce qui suit : [traduction] « Nous proposons que cette requête soit entendue au cours du procès sur cette question après la présentation de la preuve de la poursuite. » Il a précisé que [traduction] « le requérant s’attend à ce que la preuve présentée dans le cadre du procès constitue un fondement permettant d’étayer les motifs énoncés » dans la requête.

 

4.                     Le 25 mars 2015, j’ai présidé une conférence téléphonique tenue à la demande de l’avocat de l’accusé, principalement pour discuter de la question du moment de l’audition de la requête présentée le 12 mars. Lors de la conférence, le procureur de la poursuite était d’avis que la requête ne devait pas être entendue à la clôture de sa preuve comme l’a demandé l’avocat de l’accusé, mais plutôt avant l’ouverture du procès. Pendant la discussion qui s’est ensuivie, des préoccupations ont été soulevées quant à la difficulté pratique de prouver la requête au moyen de la preuve présentée devant le comité de la cour martiale générale, et des arguments ont été mis de l’avant pour faire valoir que la preuve à l’appui de la requête ne se rapportait pas aux accusations devant la Cour. L’avocat de l’accusé a demandé d’avoir l’occasion de présenter d’autres arguments et éléments de jurisprudence à l’appui de sa position. J’ai invité les deux avocats à préparer une argumentation écrite à l’appui de leur position respective et j’ai demandé la tenue d’une autre conférence téléphonique, qui aurait lieu le 2 avril 2015 et permettrait de discuter, entre autres, du moment de la présentation des arguments écrits.

 

5.                     Le 30 mars 2015, l’avocat de l’accusé a présenté une version modifiée du document intitulé « Demande d’audition des procédures préliminaires - articles 112.03 et 112.04 des ORFC » qui avait été soumis le 12 mars. Le contenu essentiel est identique à celui de la version antérieure, à l’exception de sept nouveaux motifs qui viennent s’ajouter aux cinq motifs déjà énoncés à l’appui de la requête. Ces sept motifs supplémentaires ont essentiellement trait au pouvoir détenu par le caporal Hall que ce dernier aurait pu exercer pour arrêter l’accusé ainsi qu’au statut d’agent de la paix du caporal Hall au moment de l’interaction entre ce dernier et l’accusé. 

 

6.                     Le 2 avril 2015, j’ai présidé une conférence téléphonique, comme prévu, pour discuter de diverses questions afférentes au procès, y compris les détails de la manière dont il est proposé de résoudre le différend entre les parties quant au moment de l’audition de la requête fondée sur la Charte relative à l’arrestation et à la détention subséquente de l’accusé. Les deux avocats ont convenu qu’il serait approprié que la question limitée du moment de l’audition de la requête soit tranchée par écrit en fonction de l’argumentation écrite, étayée par la jurisprudence applicable et soumise dans un délai établi. J’ai confirmé ce délai dans une ordonnance écrite rendue ultérieurement le 2 avril 2015.

 

OBSERVATIONS DES PARTIES

 

7.                     L’avocat de l’accusé prétend que ce qu’il a présenté jusqu’à maintenant ne constitue pas une requête, mais uniquement un avis indiquant qu’il pourrait soumettre une requête relative à la nature arbitraire de l’arrestation/détention de l’accusé. Il soutient que cet avis a été fourni afin de satisfaire à l’exigence énoncée à l’article 112.04 des ORFC. Dans ses observations, les questions en litige sont maintenant les suivantes : (1) La Cour détient-elle le pouvoir d’ordonner que la requête potentielle de la défense soit présentée à un moment en particulier? et (2) si tel est le cas, doit-elle ou comment peut-elle exercer ce pouvoir en l’espèce?

 

8.                     En ce qui a trait à la première question proposée, l’avocat de l’accusé fait valoir que l’article 187 de la LDN confère le droit de présenter une requête à tout moment dans le cadre d’une cour martiale, soit un droit ne pouvant être entravé par des règles ou des règlements, y compris par toute compétence inhérente à la Cour que celle-ci peut exercer pour contrôler sa propre procédure. Quoi qu’il en soit, l’exercice de cette compétence pour ordonner à un avocat de présenter une requête ainsi que son argumentation connexe à l’ouverture du procès contreviendrait au droit de l’accusé de présenter une défense pleine et entière.

 

9.                     Quant à la deuxième question proposée, l’avocat de l’accusé affirme que, si la Cour conclut qu’elle est investie du pouvoir discrétionnaire d’ordonner à l’accusé de présenter sa requête et son argumentation, elle doit exercer ce pouvoir d’une manière permettant que la requête soit présentée et débattue à un moment choisi par l’accusé, soit après la présentation de la preuve principale.

 

10.                 Dans une brève réponse, le procureur de la poursuite soutient que ce qu’a présenté l’avocat de l’accusé les 12 et 30 mars 2015 constitue une requête préliminaire aux termes de l’article 187 de la LDN, qui ne permet pas une détermination après le début de l’instance découlant de l’engagement de la procédure établie à l’article 112.05 des ORFC. Il est soutenu que cette situation cadre avec le redressement demandé, soit l’arrêt des procédures, qui rendrait inutile l’emploi de l’ensemble des ressources sollicitées au cours d’une cour martiale générale. Toute conséquence censément négative mentionnée par l’avocat de la défense est tout simplement le résultat de ses choix tactiques. Outre son objection à la façon dont l’avocat de la défense a caractérisé la procédure, le procureur de la poursuite n’a traité d’aucun des arguments juridiques spécifiques soulevés et n’a cité aucune jurisprudence à l’appui de sa position.

 

11.                 L’avocat de la défense a répondu en affirmant que la position du procureur de la poursuite sur la portée de l’article 187 de la LDN était erronée, car, selon lui, elle permettrait le dépôt d’une requête projetée à tout moment sans avis officiel.

 

ANALYSE

 

12.                 Les observations portant sur la présente question soulignent non seulement les désaccords, mais également un certain malentendu de la part des parties quant au but et à la portée de l’article 187 de la LDN et de l’article 112.04 des ORFC sur les procédures préliminaires relativement aux procès devant une cour martiale. Je dois d’abord faire part de mon interprétation de ces dispositions importantes et commenter la signification et l’incidence précises des documents de requête présentés par l’avocat de la défense. Cela me permettra de conclure que, à titre de juge militaire, je détiens effectivement le pouvoir discrétionnaire de décider du moment de l’audition et du règlement de toute question, y compris les questions pouvant être visées par des requêtes préliminaires. Ensuite, j’exercerai mon pouvoir discrétionnaire et fournirai les directives nécessaires aux parties.

 

Le but et la portée de l’article 187 de la LDN et de l’article 112.04 des ORFC

 

13.                 La présence de l’article 187 de la LDN découle du fait qu’il n’existe pas de cour martiale permanente. Le processus menant à une cour martiale débute par une mise en accusation spécifique d’un accusé en particulier par le Directeur des poursuites militaires ou au nom de ce dernier [paragraphe 165(2) et article 165.16 de la LDN], se poursuit par la convocation d’une cour martiale générale ou dite permanente qui jugera l’accusé en fonction des accusations en question à un moment et à un endroit fixés pour le début de la procédure (article 111.01 des ORFC) et mène au début de la poursuite en cour martiale [alinéa 112.05(2) des ORFC]; le procès commence officiellement lorsque l’accusé enregistre un plaidoyer sur une accusation (note à l’article 110.10 des ORFC) et prend fin lorsque l’accusé est reconnu non coupable à l’égard de tous les chefs d’accusation ou lorsque la Cour fixe la sentence, s’il y a lieu [alinéas 112.05(20) ou (22) des ORFC]. Autrement dit, malgré la présence d’un administrateur permanent de la cour martiale et d’une magistrature militaire permanente dirigée par le juge militaire en chef, il n’existe pas de cour martiale permanente proprement dite – il existe une cour martiale générale ou dite permanente à l’égard d’un accusé en particulier.

 

14.                 Le but de l’article 187 de la LDN est de permettre, sur demande, à tout juge militaire ou, si la cour martiale a déjà été convoquée, au juge militaire la présidant, de juger toute question ou objection à l’égard de l’accusation avant l’ouverture du procès de l’accusé. La première observation que l’on peut faire est que le recours à l’article 187 est facultatif – il faut en faire la demande. En deuxième lieu, il convient de souligner que son champ d’application est très large; cet article s’applique à toute question ou objection à l’égard de l’accusation. La troisième observation est que l’article 187 vise à permettre au juge militaire de juger ces questions avant l’ouverture du procès de l’accusé. Cette situation soulève la question à savoir quel moment constitue véritablement l’ouverture du procès devant la cour martiale ou, en d’autres termes, ce qu’on entend précisément par « procédures préliminaires ». À quoi ces procédures préliminaires sont-elles préalables? La note à l’article 110.10 des ORFC stipule ce qui suit : « Lors d’une cour martiale, le procès commence lorsque l’accusé enregistre un plaidoyer sur une accusation. » L’ordre de la procédure lors d’une cour martiale est décrit précisément à l’article 112.05 des ORFC. L’étape du plaidoyer figure à l’alinéa 112.05(6) des ORFC. Cela m’amène à faire une dernière observation : le champ d’application très vaste de l’article 187 englobe certainement, mais non exclusivement, tous les motifs potentiels des questions ou objections visées aux alinéas (3) et (5) de l’article 112.05 des ORFC.

 

15.                 Ainsi, l’article 187 est simplement un outil pratique qui confère à un juge militaire le pouvoir de juger, sur demande, toute question ou objection à l’égard de l’accusation avant l’ouverture du procès de l’accusé, sans qu’il soit nécessaire d’attendre au moment prévu du début de la cour martiale indiqué dans l’ordre de convocation ou de se trouver à l’endroit précisé dans cet ordre. L’article 187 ne constitue pas l’instrument qui confère à l’accusé le droit de soumettre ces questions ou objections à l’examen d’un juge militaire; ce droit a déjà été conféré à l’accusé, soit expressément, par exemple par les articles 186 ou 191 de la LDN, soit implicitement, par exemple par l’application de l’alinéa 179(1)b). Dans la mesure où l’article 187 confère un droit, il ne s’agit que du droit d’une partie de demander à un juge militaire de juger une question avant l’ouverture du procès.

 

16.                 L’application pratique de l’article 187 ressort dans une situation où, par exemple, un accusé cherche à obtenir des détails complémentaires pour préparer sa défense, comme le prévoit le sous‑alinéa 112.05(5)c) des ORFC. Sans l’outil conféré par l’article 187, un juge militaire devrait demander à l’administrateur de la cour martiale d’émettre un nouvel ordre de convocation ou attendre et entendre la question à l’endroit et au moment où il a été ordonné que les procédures débuteront afin de trancher une question qui, si elle est accueillie, nécessitera sans aucun doute le report du reste des procédures. En invoquant l’article 187 dans le présent exemple, l’accusé peut demander que la question soit entendue et tranchée par vidéoconférence afin que les participants n’aient pas à se déplacer, comme le prévoit l’article 112.64 des ORFC, « Procédures préliminaires – Présence à distance », qui fait renvoi à l’article 112.03 des ORFC et à l’article 187.

 

17.                 Pour sa part, l’article 112.04 des ORFC constitue un règlement pris par le Gouverneur en conseil en vue de l’application de la LDN, comme le stipule l’article 12 de la même loi. Il rend effectivement efficace l’outil pratique conféré par l’article 187, en voyant à ce que le juge militaire et les autres parties soient au fait de ce que le requérant qualifie de question à trancher dans la requête projetée, de la preuve requise et du délai imparti pour présenter la requête. L’article 112.04 des ORFC fait renvoi aux articles 187 et 191.1 de la LDN ainsi qu’aux motifs potentiels des questions ou objections visées aux alinéas (3) et (5) de l’article 112.05 des ORFC. Il s’applique donc aux questions n’ayant pas fait l’objet d’une requête en vertu de l’article 187. Cela fait en sorte que même les questions sur lesquelles se penchera le juge militaire selon l’ordre de la procédure prescrite à l’article 112.05 des ORFC dans le cadre de la cour martiale au moment et à l’endroit fixés peuvent être réglées de manière efficace, particulièrement puisque cela permet à la partie adverse de répondre sans ajournement. Dans le cas de toute cour martiale, cela permet de déterminer le moment où il est probable que la présence des témoins soit requise, limitant ainsi les frais engagés pour faire attendre inutilement ces personnes jusqu’à ce qu’elles soient appelées au lieu du procès, qui peut être situé assez loin de leur résidence actuelle. Dans le cas d’une cour martiale générale, on peut ainsi s’assurer que les membres du comité peuvent être appelés à se réunir au moment où les procédures préliminaires ayant lieu en leur absence prennent fin, comme le prévoit l’alinéa 111.02(2.1) des ORFC.

 

18.                 Ensemble, l’article 187 de la LDN et l’article 112.04 des ORFC font en sorte que toute question puisse être entendue et tranchée à un moment et selon une méthode fixés par un juge militaire, en consultation avec les parties. Ce moment se situerait probablement avant la date et l’heure du début de la cour martiale indiquées dans l’ordre de convocation et, dans tous les cas, avant l’ouverture du procès, soit le moment où un plaidoyer est enregistré. Par lui‑même, l’article 112.04 des ORFC est simplement un outil visant à s’assurer que tout renseignement portant sur une question qui sera soulevée pendant la cour martiale avant l’ouverture du procès est communiqué au juge militaire et à l’autre partie afin de veiller à ce que le processus d’audition et de jugement soit aussi efficace que possible.

 

L’application de l’article 187 de la LDN et de l’article 112.04 des ORFC en l’espèce

 

19.                 La question soulevée par l’avocat de la défense au sujet de la légalité de l’arrestation et de la détention de l’accusé constitue une question mixte de droit et de fait visée à l’article 191 de la LDN et au sous‑alinéa 112.05 (5)e) des ORFC, et, à titre de juge militaire présidant la présente cour martiale, je connaîtrai de la question et statuerai sur celle-ci en l’absence des membres du comité. Comme il a été expliqué ci‑dessus, il s’agit d’une question pouvant faire l’objet d’une demande d’audition et de décision avant l’ouverture du procès aux termes de l’article 187 de la LDN. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une question qui, en vertu de l’ordre de la procédure promulgué à l’article 112.05 des ORFC et suivi par les juges militaires présidant les cours martiales, est soulevée avant l’ouverture du procès, c’est‑à‑dire avant qu’on demande à l’accusé quel est son plaidoyer.

 

20.                 La distinction faite par l’avocat de l’accusé entre la soumission d’un avis de requête conformément à l’article 112.04 des ORFC et la présentation de la requête réelle est reconnue. La teneur requise de l’avis ne constitue pas la requête elle‑même. La procédure prévoit que les éléments de preuve et les arguments seront présentés oralement à l’audience, bien que des observations écrites étayées ou non par des arguments verbaux ne soient pas exclues et soient souvent utilisées, comme dans le cas des plaidoiries ayant mené à la présente décision.

 

21.                 La nature exacte des documents transmis par l’avocat de l’accusé les 12 et 30 mars 2015 devrait, partant, consister en un avis de requérant envoyé par l’avocat pour satisfaire à l’exigence énoncée à l’article 112.04 des ORFC. Cela dit, en vertu de leur teneur, plus précisément de la requête voulant que la question de la légalité de l’arrestation et de la détention de l’accusé soit tranchée à la clôture de la présentation de la preuve de la poursuite, je ne peux pas considérer que ces documents visent à me demander de juger cette question avant l’ouverture du procès, comme le prévoit l’article 187. Ainsi, je considère que ces documents constituent un avis indiquant la présence d’une question de fait et de droit sur la légalité de l’arrestation et de la détention de l’accusé que je devrai trancher en l’absence du comité à un moment qui sera déterminé à la suite de l’échange des observations écrites sur lesquelles est fondée la décision. Ledit moment sera établi dans les paragraphes ci‑après. Après la prise de la décision, l’accusé demeurera libre de signifier qu’il ne souhaite pas présenter une requête fondée sur la Charte en ce qui concerne la légalité de son arrestation et de sa détention en retirant son avis. En effet, dans les circonstances en l’espèce, l’avocat de l’accusé a décrit la décision de présenter une requête de ce type comme l’une de ses tactiques, et je ne suis pas disposé à faire modifier la conduite de la défense.

 

22.              Je souhaite préciser, afin d’éviter tout malentendu de la part de l’accusé quant à sa décision d’aller de l’avant avec la présentation de sa requête, que, dans l’exercice de mon pouvoir de contrôler et de prévenir tout abus de procédure dans la présente cour martiale, si l’accusé décide de ne pas présenter une requête fondée sur la Charte concernant la légalité de son arrestation et de sa détention avant l’ouverture du procès, je ne permettrai pas que cette requête ou une requête similaire soit présentée ultérieurement au cours du procès, sous réserve d’un changement important extraordinaire et entièrement imprévu dans les circonstances applicables.

 

Le pouvoir discrétionnaire s’appliquant à la gestion du déroulement du procès

 

23.              J’ai conclu que l’article 187 de la LDN ne confère nullement le droit de présenter une requête à tout moment au cours d’un procès, contrairement à l’argument de l’accusé. J’ai également tranché que l’accusé peut encore décider de ne pas présenter une requête fondée sur la Charte au chapitre de la légalité de son arrestation et de sa détention. Cela dit, si l’accusé décide d’aller de l’avant avec sa requête, je dois indiquer aux parties le moment où cette requête sera entendue et jugée.

 

24.              Comme il a été susmentionné, la question soulevée par l’avocat de la défense au sujet de la légalité de l’arrestation et de la détention de l’accusé constitue une question mixte de droit et de fait visée au sous‑alinéa 112.05 (5)e) des ORFC. Par conséquent, il s’agit d’une question préliminaire qui, selon l’ordre prescrit de la procédure de la cour martiale, doit être entendue avant la présentation du plaidoyer, laquelle marque l’ouverture du procès en cour martiale. La question que je dois trancher consiste à déterminer si je possède, à titre de juge militaire, le pouvoir discrétionnaire requis pour déroger à l’ordre prescrit de la procédure afin de permettre que la question soit entendue et jugée à un autre moment, soit après la présentation de la preuve de la poursuite, comme l’a demandé l’avocat de la défense.

 

25.              Le paragraphe 179(1) de la LDN stipule que la cour martiale a, pour les questions relevant de sa compétence, les mêmes attributions qu’une cour supérieure de juridiction criminelle. En tant que juge militaire présidant la présente cour martiale générale, je suis effectivement investi de la compétence de conclure que les droits que la Charte confère à l’accusé ont été violés dans les circonstances qui m’ont été démontrées, ainsi que de fournir à l’accusé un redressement approprié en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte.

 

26.                 La Cour suprême du Canada a conclu que les tribunaux exerçant une telle compétence ont le pouvoir discrétionnaire de fixer le moment où ils rendront une décision à l’égard d’une requête préliminaire (R. c. DeSousa [1992] 2 R.C.S. 944 au par. 17). Plus précisément, la Cour détient le pouvoir discrétionnaire d’établir le moment où elle statuera sur les demandes d’arrêt des procédures ou de redressement connexe fondées sur une violation présumée de la Charte (R. c. La [1997] 2 R.C.S. 680 au par. 27).

 

27.                 En conséquence, pour pouvoir effectuer la présente enquête de manière efficace et équitable, je requiers, à mon avis, le même pouvoir discrétionnaire de décider du moment où je devrais entendre et juger une requête comme celle que m’a présentée l’avocat de l’accusé en l’espèce, même si cela nécessite une dérogation à l’ordre de la procédure prescrite à l’article 112.05 des ORFC. Il y a lieu de souligner que cet article est de nature procédurale et que, partant, il ne doit pas être appliqué au détriment de la marche à suivre pour rendre une décision appropriée à l’égard d’une question de fond. Il convient également de souligner, à titre anecdotique, que de nombreux juges militaires ont par le passé conclu qu’ils possédaient le même pouvoir discrétionnaire et accepté d’instruire une requête fondée sur la Charte à un moment autre que celui prescrit à l’article 112.05 des ORFC.

 

L’exercice du pouvoir discrétionnaire en l’espèce

 

28.                 Il faut encore déterminer la manière dont je devrais exercer ce pouvoir discrétionnaire pour établir le moment de la présentation de la requête proposée, selon les circonstances en l’espèce. La jurisprudence citée par l’avocat de la défense illustre assez précisément la difficulté de la situation, particulièrement les motifs du juge Barrow de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique dans l’arrêt R. c. Steadman [2009] 81 W.C.B. (2d) 173. Tout d’abord, il est intéressant de constater que la préférence exprimée dans l’ordre de la procédure des cours martiales à l’article 112.05 des ORFC trouve écho dans certaines des considérations en matière de politiques reconnues par les cours de juridiction criminelle qui militent en faveur du règlement des requêtes de ce type avant l’ouverture du procès. Il a été conclu, entre autres, que si une requête préliminaire fondée sur la Charte peut donner lieu à l’arrêt de la poursuite, il est dans l’intérêt de l’État et de l’accusé que cette question soit tranchée au préalable en vue d’éviter la tenue d’un procès inutile.

 

29.                 En effet, dans l’arrêt R. c. Byron (2001), 156 C.C.C. (3d) 312, la Cour d’appel du Manitoba a conclu que, généralement, les requêtes préliminaires devaient être tranchées avant ou à l’ouverture du procès. Elle est parvenue à la conclusion suivante : [traduction] « Il n’est pas dans l’intérêt d’un accusé, ni de l’État, de tenir un procès inutile. Du point de vue de l’accusé, il doit engager les frais juridiques afférents au procès ainsi que toute autre dépense liée au déplacement et à la perte de salaire. Il doit également vivre avec la perception associée à la prononciation d’un verdict de culpabilité » (au paragraphe 22). Des considérations similaires ont été exprimées par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Ontario (Ministry of Labour) c. Pioneer Construction Inc., [2006] O.J. no 1874, 79 O.R. (3d) 641, à savoir que [traduction] « en l’absence de circonstances inhabituelles », une requête d’arrêt de procédures doit ordinairement être débattue avant le procès (au paragraphe 27).

 

30.                 En revanche, des tribunaux ont conclu que lorsque la résolution d’une requête fondée sur la Charte est tributaire de la détermination de l’incidence qu’aurait le manquement sur le processus judiciaire, il serait préférable de statuer sur la question après la présentation de la preuve au procès, car c’est uniquement à ce moment-là que l’incidence du manquement sur le processus judiciaire peut être connue dans son intégralité (R. c. La [1997] 2 R.C.S. 680 au par. 27). Bien qu’il ne soit pas clair en quoi la violation présumée pourrait influer sur le procès, en l’espèce, je souligne le fait que l’avocat de la défense, dans la conclusion de ses observations, a soutenu que [traduction] « la Cour doit être au fait du degré de culpabilité morale et des détails de l’interaction entre l’accusé et le caporal Hall pour pouvoir déterminer si un arrêt constitue le redressement approprié en l’espèce ». Dans l’arrêt R c. Andrew (S.) (1992), 60 O.A.C. 324, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu, au paragraphe 325, que sauf si la violation de la Charte [traduction] « est flagrante et manifeste, il est préférable que le procès ait lieu et que la question de la violation soit examinée au fur et à mesure de la présentation de la preuve ». Cette pratique est également valide lorsqu’il est question d’établir la portée du préjudice, comme l’a décidé la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R. c. B. (D.J.) (1993), 16 C.R.R. (2d) 381, au paragraphe 382.

 

31.              Des considérations additionnelles et impérieuses ressortent lorsque le procès doit se dérouler devant un comité en cour martiale générale. En particulier, il importe de minimiser les interruptions pendant le déroulement du procès devant le comité. En fonction des motifs présentés par l’avocat de l’accusé, je suis d’avis que, malgré ses meilleures tentatives d’ajouter sept motifs étroitement liés aux éléments des deux accusations ayant trait au statut du caporal Hall à titre d’agent de la paix, la preuve pertinente aux fins de la requête pourrait comprendre des éléments de preuve autres que ceux devant être produits par le procureur de la poursuite pour prouver les éléments des infractions. Cette situation donnerait probablement lieu à une contestation de l’étendue du contre-interrogatoire des témoins à charge par l’avocat de la défense ainsi qu’à la nécessité de résoudre ces questions en l’absence du comité. Qui plus est, la liste des questions litigieuses de fait et de droit énoncées par l’accusé dans les observations écrites contient des questions pouvant tout autant être décelées au cours de l’interrogatoire principal du caporal Hall. D’autres, y compris l’incidence qu’a eue sur l’accusé l’interaction entre ce dernier et le caporal Hall, devront peut-être être présentées par l’accusé lui‑même. L’argumentation figurant dans la requête devra nécessairement traiter de certaines questions de droit de grande portée, comme le statut d’agent de la paix du caporal Hall, qui, selon les renseignements m’ayant été fournis, est un membre de la police militaire exerçant des fonctions à l’extérieur de sa base à l’Aéroport international de Winnipeg.

 

32.              Bref, ce qu’il faut retenir de tout cela, c’est que même s’il y avait accord sur les faits pertinents, il faudrait un certain temps pour débattre la requête, et je devrai ensuite délibérer sur la question en vue de rendre une décision. Il est attendu que ce processus se déroulera après que le comité eut entendu la preuve de la poursuite, mais avant qu’il ait entendu la preuve de l’avocat de la défense. Pris ensemble, ces éléments constituent plus qu’une simple interruption de la participation des membres du comité au procès.

 

33.              Je reconnais que toute cour martiale générale comporte des interruptions prévues et inattendues, mais inévitables de la participation des membres du comité au procès. Cela dit, j’estime qu’il est de mon devoir de m’assurer que le temps devant être investi par les membres du comité dans le processus est pris en compte et d’éviter l’interruption de leurs fonctions autant que possible, car des interruptions de ce type ne sont pas généralement favorables au bon déroulement du procès.

 

34.              Par conséquent, j’ai décidé d’appliquer une approche hybride. J’accorderai une période distincte pour l’audition et la résolution de la requête en vue de minimiser la durée de l’interruption du procès tout en m’assurant que l’ensemble de la preuve de la poursuite peut être examiné au cours du règlement ultime de la question relative au degré de la violation et du préjudice subi par l’accusé pendant la détermination du redressement approprié. Je suis parvenu à cette décision après avoir tenu compte des difficultés additionnelles possibles quant à la présentation de la preuve par l’accusé, difficultés qui ne sont pas inhabituelles pour quiconque se trouve dans la position d’un requérant sur lequel pèse la charge de présentation. En outre, je ne vois aucune raison pourquoi tous les aspects de la demande ne pourraient pas être débattus avant le procès, tout en laissant la possibilité que d’autres arguments soient présentés en fonction de la preuve de la poursuite réellement entendue pendant le procès.

 

DÉCISION ET DIRECTIVE

 

35.              Pour ces motifs, j’ordonne que l’accusé fasse part de son intention d’aller de l’avant avec sa requête visant à contester la légalité de son arrestation et de sa détention ainsi qu’à obtenir un arrêt des procédures en tant que redressement conformément à l’avis daté du 30 mars 2015, et ce, au plus tard le lundi 20 avril 2015.  

 

36.              Si l’accusé décide d’aller de l’avant avec sa requête, cette dernière sera entendue à compter du lundi 27 avril 2015, à la date, à l’heure et à l’endroit où on a ordonné à la Cour de se réunir à la 17e Escadre Winnipeg, en l’absence du comité de la cour martiale générale. L’accusé produira sa preuve, tout comme le fera le procureur de la poursuite. Les avocats des parties présenteront ensuite leurs arguments.

 

37.              Je ne jugerai pas la requête avant que le comité ait entendu l’ensemble de la preuve de la poursuite au procès. À cette étape, en l’absence du comité, je permettrai aux deux avocats de proposer des observations supplémentaires sur la preuve produite pendant la présentation du dossier de la poursuite. Je rendrai ensuite ma décision à l’égard de la requête, encore une fois en l’absence du comité.

 

 

(Original signé par)

J.B.M. Pelletier, capitaine de frégate

(Juge militaire présidant la cour)


 

Avocats :

 

Lieutenant-colonel K.A. Lindstein et major D.G.J. Martin, Service canadien des poursuites militaires

 

Procureurs de Sa Majesté la Reine

Lieutenant-colonel D. Berntsen, Direction du Service d’avocats de la défense

Avocat de la défense pour l’adjudant-maître Simms

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