Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 8 septembre 2014.

Endroit : BFC Esquimalt, édifice 30-N, Victoria (CB).

Chefs d’accusation :

• Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).
• Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Verdicts

• Chefs d’accusation 1 : Coupable. Chef d’accusation 2 : Retiré.

Sentence

• Une réprimande et une amende au montant de 1000$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Klein, 2014 CM 4009

 

Date : 20140912

Dossier : 201410

 

Cour martiale permanente

 

Salle d’audience de Victoria

Esquimalt (Colombie-Britannique) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Lieutenant de vaisseau G.M. Klein, contrevenant

 

 

Devant : Commander J.B.M. Pelletier, J.M.


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               La Cour a déclaré le Lieutenant de vaisseau Klein coupable du premier et seul chef d’accusation figurant sur l’acte d’accusation au titre de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, c’est-à-dire de voies de fait, en contravention de l’article 266 du Code criminel du Canada.

 

[2]               Il m’incombe à présent, en tant que juge militaire présidant la présente Cour martiale permanente, de déterminer la sentence. Pour ce faire, j’ai tenu compte des principes de détermination de la sentence applicables aux tribunaux ordinaires de juridiction criminelle au Canada et aux cours martiales. J’ai aussi tenu compte des faits pertinents en l’espèce, tels qu’ils ont été révélés durant le procès, de même que des pièces et de la jurisprudence soumises pendant l’audience de détermination de la sentence. J’ai également examiné les observations des avocats de la poursuite et de la défense.

 

[3]               Le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline, et représente une dimension essentielle de l’activité militaire dans les Forces canadiennes. Ce système vise à promouvoir la bonne conduite par la sanction adéquate de l’inconduite. C’est grâce à la discipline que les forces armées s’assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès en toute confiance et fiabilité. Ce faisant, elles s’assurent aussi que l’intérêt public lié à la promotion du respect des lois du Canada est servi par la sanction des personnes assujetties au Code de discipline militaire. 

 

[4]               Il est reconnu depuis longtemps que l’objectif d’un système de justice ou de tribunaux militaires distinct est de permettre aux forces armées de traiter des questions liées au respect du Code de discipline militaire et au maintien de l’efficacité et du moral des Forces canadiennes.

 

[5]               Comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259, à la page 293 :

 

[…] Pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace. […]

 

Dans la même page, elle souligne que dans le contexte particulier de la justice militaire :

 

[…] Les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil. […]

 

[6]               Cela dit, la sentence imposée par le tribunal, qu’il soit civil ou militaire, doit constituer l’intervention minimale nécessaire adéquate dans les circonstances particulières. La modération est d’ailleurs le principe fondamental de la théorie moderne de détermination de la sentence au Canada. Le juge qui impose la sentence doit « prononc[er] une sentence proportionnée à la gravité de l’infraction et aux antécédents du contrevenant », comme l’indiquent les Ordonnances et règlements royaux. En d’autres termes, toute sentence infligée doit être adaptée au contrevenant et à l’infraction qu’il a commise.

 

[7]               L’objectif fondamental de la détermination de la sentence par une cour martiale est d’assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline en infligeant des sentences qui répondent à au moins l’un des objectifs suivants :

 

a)                  protéger le public, ce qui comprend les Forces canadiennes;

 

b)                  dénoncer le comportement illégal;

 

c)                  dissuader le contrevenant et quiconque de commettre les mêmes infractions;

 

d)                  isoler au besoin les contrevenants du reste de la société;

 

e)                  réadapter et réformer les contrevenants.

 

[8]               Lorsqu’il inflige une sentence, le juge doit également tenir compte des principes suivants :

 

a)                  la sentence doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction;

 

b)                  la sentence doit être proportionnelle à la responsabilité et aux antécédents du contrevenant;

 

c)                  la sentence doit être semblable aux sentences infligées à des contrevenants comparables relativement à des infractions similaires commises dans des circonstances analogues;

 

d)                  le cas échéant, le contrevenant ne devrait pas être privé de sa liberté si une sentence moins contraignante peut être appropriée dans les circonstances;

 

e)                  enfin, toute sentence devrait tenir compte des circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant.

 

[9]               Conformément aux observations soumises par les deux avocats, je suis arrivé à la conclusion que dans les circonstances particulières de la présente affaire, la détermination de la sentence doit mettre l’accent sur les objectifs de la dénonciation et de la dissuasion générale. La sentence imposée doit non seulement dissuader le contrevenant, mais aussi d’autres personnes dans une situation analogue de se livrer à la même conduite prohibée.

 

[10]           Comme nous venons de le noter, la sentence doit être semblable à celles qui sont infligées à des contrevenants comparables ayant commis des infractions similaires dans des circonstances analogues.

 

[11]           Le contrevenant qui comparaît devant la Cour a 45 ans et a joint la Force régulière en décembre 1991; depuis qu’il a terminé sa formation d’officier des opérations maritimes de surface (MAR S), il effectue principalement son service sur des sous-marins ou dans des unités à terre s’occupant des opérations et du soutien aux activités sous-marines. Il sert à présent sur le sous-marin NCSM CHICOUTIMI à Esquimalt. Il n’a pas de fiche de conduite. Il est marié et a deux enfants âgés de deux ans et quatre ans.

 

[12]           Le Lieutenant de vaisseau Klein a déclaré à l’audience de détermination de la sentence qu’après l’incident qui a donné lieu à l’accusation dont il a été déclaré coupable, il a reçu un avis d’intention visant à le placer en mise en garde et surveillance. Il a soumis des observations et a fini par recevoir un avertissement écrit en guise de sanction administrative. Il a également pris des mesures pour régler ses problèmes de gestion du stress et de la colère. Il a suivi une formation pour apprendre à gérer sa colère et a obtenu un transfert temporaire à un autre poste sur la Base.

 

[13]           Pour déterminer ce qui constituerait une sentence juste et appropriée, la Cour a tenu compte de la gravité objective de l’infraction qui, comme le prévoit l’article 266 du Code criminel intégré par renvoi à l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, est punissable d’une sentence d’emprisonnement maximale de cinq ans.

 

[14]           Les circonstances dans lesquelles le Lieutenant de vaisseau Klein a été déclaré coupable sont les suivantes :

 

a)                  aux petites heures du 10 octobre 2013, le Lieutenant de vaisseau Klein était à l’arrêt sur sa bicyclette à la dernière intersection avant l’arsenal CSM de la Base des Forces canadiennes Esquimalt, où quatre panneaux d’arrêt règlent la circulation et le droit de passage. Lorsque c’était son tour d’avancer, le Commissionnaire Gale, qui avait quitté son poste à la guérite près de la barrière pour se placer près du centre de l’intersection, a fait signe au Lieutenant de vaisseau Klein de s’arrêter, l’empêchant ainsi de passer, et a permis par un geste de la main à quatre camionnettes qui sortaient d’un parc de stationnement adjacent d’avancer en convoi;

 

b)                  le Lieutenant de vaisseau Klein a proféré un juron, se demandant pourquoi les [traduction] « trous du cul » obtenaient le passage, et il a lancé au Commissionnaire Gale qu’il le dénoncerait aux policiers, apparemment parce qu’il ne savait pas qui avait la priorité de passage dans un arrêt à quatre sens;

 

c)                  le Lieutenant de vaisseau Klein a continué de se montrer verbalement agressif pendant que le Commissionnaire Gale faisait signe aux véhicules ayant obtenu la priorité, et il s’est approché de lui en faisant mine de le regarder dans les yeux. Le Lieutenant de vaisseau Klein a cru que sa pièce d’identité avait été vérifiée et, une fois passés les véhicules prioritaires, il a commencé à pédaler pour franchir la barrière;

 

d)                  le Commissionnaire Gale regagnait son poste à la guérite en marchant du côté gauche de la voie entrante. Étant légèrement plus rapide que lui qui était à pied, le Lieutenant de vaisseau Klein s’apprêtait à le doubler et à passer la barrière lorsque le Commissionnaire Gale a crié « stop » trois fois. Le Lieutenant de vaisseau Klein a immédiatement appuyé sur les deux freins de sa bicyclette;

 

e)                  peu avant que la bicyclette ne s’arrête complètement, la main ou le bras gauche du Commissionnaire Gale est entré en contact avec l’épaule du Lieutenant de vaisseau Klein. Le premier avait levé le bras en criant « stop » pour arrêter le second.  À l’instant où le Lieutenant de vaisseau Klein a heurté sa main, le Commissionnaire Gale l’a poussé un peu puis a immédiatement enlevé sa main;

 

f)                    le Lieutenant de vaisseau Klein a fait passer sa main du levier de frein de sa bicyclette à l’épaule droite du Commissionnaire Gale, pour le pousser ou le bousculer. Ce dernier a reculé, mais a repris son équilibre immédiatement;

 

g)                  le Commissionnaire Gale n’a pas été blessé lors de cet incident.

 

[15]           La Cour considère les facteurs suivants comme des circonstances aggravantes dans la présente affaire :

 

a)                  la gravité subjective de l’infraction commise, en ce qu’elle visait un commissionnaire qui assurait des fonctions de sécurité à la barrière de l’arsenal CSM de la Base des Forces canadiennes Esquimalt, durant l’heure de pointe matinale, à la vue d’un certain nombre de spectateurs, dont deux ont jugé l’incident assez significatif pour signaler la conduite du Lieutenant de vaisseau Klein à leurs supérieurs dans la chaîne de commandement;

 

b)                  les fonctions de commissionnaire de la victime, chargé par les autorités militaires d’appliquer la sécurité dans les installations militaires de tout le pays, une tâche qui requiert la coopération et le respect de chaque personne qui en franchit le seuil, ce qu’il n’obtient pas toujours, comme en témoigne la présente instance;

 

c)                  le rang, le statut et l’expérience de l’accusé dans les collectivités militaires et navales; en tant qu’officier, celui-ci doit donner l’exemple à ses subordonnés pour ce qui est du niveau de collaboration requis à l’égard des gardes de sécurité et, en tant que sous-marinier, il doit réagir au stress avec plus de sang-froid qu’il n’en a montré en l’occurrence.

 

[16]           La Cour a également tenu compte des circonstances atténuantes suivantes telles qu’attestées par les observations des avocats et la preuve présentée à cette fin :

 

a)                  le fait que l’agression a consisté en une seule poussée qui a immédiatement suivi un contact involontaire et inattendu, et qui n’a pas causé de blessures au Commissionnaire Gale;

 

b)                  le fait que le contrevenant a collaboré à l’enquête en fournissant une déclaration ainsi que l’enregistrement audio et vidéo de l’incident qu’il avait en sa possession, ce qui, d’après la Cour, montre qu’il était disposé à assumer la responsabilité de ses actes;

 

c)                  les mesures que le contrevenant a prises à la suite des événements pour mieux maîtriser sa colère et réduire son stress par un changement temporaire d’affectation;

 

d)                  l’état de service du contrevenant auprès des Forces canadiennes et l’absence de fiche de conduite. Bien que l’avocat de la défense ait décidé de ne pas produire en preuve les évaluations du rendement, la Cour interprète le fait que la chaîne de commandement ait décidé après les événements d’imposer un avertissement écrit au lieu d’une mise en garde et surveillance comme un signe que le contrevenant peut continuer à apporter une contribution positive à la Marine et au service sous-marinier.

 

[17]           En ce qui concerne la détermination de la sentence appropriée, la poursuite a demandé à la Cour d’imposer une sentence combinant un blâme et une amende comprise entre 1 000 $ et 2 000 $. À l’appui de cette observation, la poursuite a cité les décisions Corporal Wells, 2007 CM 2006 et Lieutenant Hernandez, 2009 CM 4003. Malheureusement, la Cour estime que ces affaires sont d’une utilité très limitée. Elles se rapportent toutes deux à des cas d’ivresse au poste d’équipage. La première concerne un caporal dont les problèmes de santé mentale ont fini par influencer significativement la sentence, aggravée en partie par les 21 mois écoulés entre la perpétration de l’infraction et la tenue du procès. Quant à la décision Hernandez, la sentence résultait d’une recommandation conjointe et ne précisait donc pas le ou les objectifs spécifiquement envisagés dans la détermination de la sentence; par ailleurs, dans cette affaire, la Cour n’a fourni aucune indication quant aux facteurs à prendre en compte pour privilégier un type de sentence par rapport à un autre, et promouvoir les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale particulièrement pertinents en l’espèce.

 

[18]           La Cour a du mal à croire qu’il n’y ait aucun précédent d’agression impliquant un officier sobre du rang de capitaine à lui soumettre. Il nous paraît absolument incroyable qu’aucune décision concernant une agression mineure contre un garde de sécurité, un policier ou une autre personne en position d’autorité n’ait été trouvée dans la jurisprudence canadienne, ne serait-ce que pour donner à la Cour une idée des sentences susceptibles d’être imposées en l’espèce.

 

[19]           L’avocat de la défense a fait valoir, en réponse aux observations de la poursuite, que pour remplir les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale, eu égard au rang du contrevenant et à son statut d’officier, la sentence appropriée en l’espèce doit prévoir au minimum une réprimande. L’avocat de la défense a ajouté que cette sentence pouvait être combinée à une amende allant de 500 $ à 1 000 $.

 

[20]           En somme, les deux parties conviennent donc qu’une réprimande ou un blâme est requis en l’espèce pour atteindre les objectifs nécessaires de dénonciation et de dissuasion générale, compte tenu du rang de l’accusé. Les deux parties envisagent dans leurs observations d’accompagner la réprimande ou le blâme d’une amende. La Cour est d’avis qu’une amende est requise pour remplir l’objectif de dissuasion générale. Pour ce qui est du montant, les observations des deux parties se rejoignent sur la somme de 1 000 $. Compte tenu de cette position, la Cour estime qu’il s’agit du montant minimal à imposer pour s’assurer que la sentence remplit les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale proposés par les parties.

 

[21]           La dernière question à régler est de savoir si la sentence principale devant accompagner l’amende doit être une réprimande ou un blâme. La poursuite recommande un blâme mais, comme je l’ai souligné plus tôt, elle n’a pas fourni de renseignements utiles sur la gamme de sentences susceptibles d’être imposées; la Cour ne connaît donc aucune raison d’imposer une telle sentence – la plus sévère – plutôt que la réprimande proposée par la défense. La Cour n’empruntera pas cette voie attendu qu’elle doit imposer la sentence minimale requise pour maintenir la discipline. Comme rien n’indique qu’un blâme est nécessaire à cette fin, la Cour doit décider s’il convient d’accepter l’observation de la défense selon laquelle une réprimande constituerait la sentence minimale requise pour maintenir la discipline.

 

[22]           La poursuite ayant spécifiquement indiqué qu’aucune ordonnance accessoire n’était requise en l’espèce, aucune ne sera rendue.

 

[23]           Lieutenant de vaisseau Klein, les circonstances entourant les accusations dont vous avez été déclaré coupable révèlent un comportement que j’estime tout à fait inacceptable de la part d’un officier de la Marine royale canadienne. Je pense que vous vous en êtes rendu compte vous-même il y a un moment. Votre chaîne de commandement a pourtant exprimé sa confiance en vos aptitudes et en votre capacité à continuer à offrir une contribution significative au service sous-marinier et à votre unité, qui se prépare à regagner la mer.  Dans cette optique, la Cour imposera une sentence reconnaissant votre capacité à apporter une contribution positive, et dont les conséquences financières seront moins grandes pour vous et votre jeune famille.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[24]           VOUS CONDAMNE à une réprimande et à une amende de 1 000 $ payable en quatre versements mensuels de 250 $, devant être acquittée en totalité au plus tard le 1er mars 2015.


 

Avocats :

 

Major J.G. Simpson, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major L. Boutin, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du lieutenant de vaisseau Klein

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