Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 9 mars 2015.

Endroit : BFC Petawawa, édifice L-106, 48 terrain de parade Nicklin, Petawawa (ON).

Chefs d'accusation :

• Chef d'accusation 1 (subsidiaire au chef d'accusation 2) : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).
• Chef d'accusation 2 (subsidiaire au chef d'accusation 1) : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
• Chef d'accusation 3 (subsidiaire au chef d'accusation 4) : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).
• Chef d'accusation 4 (subsidiaire au chef d'accusation 3) : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
• Chef d'accusation 5 (subsidiaire au chef d'accusation 6) : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).
• Chef d'accusation 6 (subsidiaire au chef d'accusation 5) : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
• Chef d'accusation 7 (subsidiaire au chef d'accusation 8) : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).
• Chef d'accusation 8 (subsidiaire au chef d'accusation 7) : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
• Chefs d'accusation 9, 10 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats :

VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 : Non coupable.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

Référence : R. c. Donohue, 2015 CM 4004

 

Date : 20150313

Dossier : 201408

 

Cour martiale permanente

 

Base de soutien de la 4e Division du Canada

Petawawa (Ontario), Canada

Entre :

Sa Majesté la Reine

‑ et ‑

Sergent M.J. Donohue, accusé

En présence du Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU VERDICT

(Prononcés de vive voix)

Introduction

[1]        Des accusations ont été portées contre l’accusé sous le régime du Code de discipline militaire par suite d’événements survenus en juillet 2013, à l’époque où l’accusé supervisait, dans le cadre d’un programme d’acquisition d’expérience de travail, une vingtaine d’étudiants chargés de l’entretien du terrain à la Base des Forces canadiennes Petawawa. L’accusé, qui était membre de l’Unité interarmées de soutien du personnel, avait été affecté temporairement à l’Escadron des services du génie afin d’acquérir de l’expérience de travail auprès du personnel civil, parce qu’il devait être libéré des Forces canadiennes après 31 ans de service. Bien que l’accusé ait été rendu à la vie civile autour de septembre 2013, il sera appelé le sergent Donohue dans les présents motifs, soit le titre correspondant au statut et au grade qu’il détenait immédiatement avant de cesser d’être justiciable du Code de discipline militaire, conformément au paragraphe 60(3) de la Loi sur la défense nationale.

[2]                  à l’ouverture du procès, la poursuite a soutenu que le sergent Donohue s’était livré à des voies de fait ou à des actes de harcèlement à l’encontre de deux étudiantes du groupe qu’il supervisait. Il a été accusé de 10 chefs découlant de six incidents distincts concernant deux étudiantes différentes. Dans le cas de quatre de ces incidents, il faisait face à des accusations subsidiaires fondées sur l’article 130 de la Loi sur la défense nationale pour voies de fait, contrairement à l’article 266 du Code criminel, et sur l’article 129 de la Loi sur la défense nationale pour comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline relativement à des actes de harcèlement, contrairement à la Directive et ordonnance administrative de la Défense 5012‑0. Dans le cas de deux autres incidents, il faisait face à une seule accusation fondée sur l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, relativement une fois de plus à des actes de harcèlement.

[3]                  Après que la poursuite eut terminé la présentation de sa preuve, l’avocat du sergent Donohue a présenté une demande fondée sur l’absence de preuve prima facie à l’égard des six accusations portées au titre de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, soutenant que la poursuite n’avait présenté aucun élément de preuve concernant un élément essentiel des infractions en question, soit la connaissance réelle ou présumée qu’avait le sergent Donohue de la politique des Forces canadiennes concernant la prévention et la résolution du harcèlement, laquelle politique est énoncée à la Directive et ordonnance administrative de la Défense 5012‑0. La Cour a fait droit à la demande. En conséquence, seules les quatre accusations de voies de fait qui découlent de quatre incidents distincts touchant deux personnes doivent être tranchées en l’espèce.

Les accusations

[4]                  Les premier, troisième, cinquième et septième chefs d’accusation ont été portés au titre de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale relativement à des voies de fait, contrairement à l’article 266 du Code criminel du Canada.

[5]                  Voici les détails de chacun de ces chefs d’accusation :

Premier chef d’accusation : entre le 1er juillet 2013 et le 30 juillet 2013, à la BFC Petawawa, en Ontario, ou à proximité de celle‑ci, s’est livré à des voies de fait à l’encontre de Stephanie Dorsch en la tirant par les cheveux.

 

Troisième chef d’accusation : entre le 1er juillet 2013 et le 30 juillet 2013, à la BFC Petawawa, en Ontario, ou à proximité de celle‑ci, s’est livré à des voies de fait à l’encontre de Stephanie Dorsch en la soulevant la tête en bas.

Cinquième chef d’accusation : entre le 1er juillet 2013 et le 30 juillet 2013, à la BFC Petawawa, en Ontario, ou à proximité de celle‑ci, s’est livré à des voies de fait à l’encontre de Stephanie Dorsch en l’aspergeant d’eau.

Septième chef d’accusation : entre le 1er juillet 2013 et le 30 juillet 2013, à la BFC Petawawa, en Ontario, ou à proximité de celle‑ci, s’est livré à des voies de fait à l’encontre d’Anna Demers en la soulevant sur ses épaules.

La preuve

[6]                  La poursuite a fait témoigner huit personnes au procès : l’adjudant-maître Spence, qui a mené l’enquête disciplinaire au sein de l’unité au sujet du sergent Donohue; madame Kelly Russell, responsable de la maintenance des infrastructures extérieures à l’unité, y compris l’équipe chargée de l’entretien du terrain au sein de laquelle les infractions auraient été commises; Stephanie Dorsch et Anna Demers, les deux étudiantes mentionnées dans les chefs d’accusation, Ariel Benoît, Jolin Bouchard, Kristin Ling et Taylor Gavin, quatre autres étudiants qui ont participé au Programme fédéral d’expérience de travail étudiant de 2013 au sein de l’équipe chargée de l’entretien du terrain. Après que la Cour eut décidé de faire droit à la demande fondée sur l’absence de preuve prima facie, la défense a choisi de ne présenter aucun témoin.

[7]                  En plus d’entendre ces témoins, la Cour a admis un certain nombre de documents à titre de pièces, y compris deux photographies prises par Taylor Gavin lors de l’incident décrit dans le troisième chef d’accusation. La Cour a également accepté certaines admissions de la défense, notamment l’admission selon laquelle la cour avait compétence pour instruire la présente affaire, ainsi que les éléments essentiels de l’identité de l’accusé et l’endroit des infractions. De plus, la Cour a pris judiciairement connaissance des éléments mentionnés à l’article 15 des Règles militaires de la preuve.

Les faits Contexte

[8]                  Les événements à l’origine des accusations se sont produits en juillet 2013, au cours de la supervision et de l’emploi de l’équipe chargée de l’entretien du terrain à la base des Forces canadiennes Petawawa, qui se composait principalement de vingt étudiants employés dans le cadre d’un Programme fédéral d’expérience de travail étudiant. Pour encadrer le groupe, Kelly Russell avait obtenu les services de l’accusé, le sergent Donohue, de l’Unité interarmées de soutien du personnel (UISP), sur la Base. Même si un certain monsieur Dunn était le superviseur direct du sergent Donohue, madame Russell a rencontré ce dernier au début afin de s’assurer qu’il se sentait à l’aise pour travailler avec les jeunes et a observé de façon générale le travail qu’il a accompli pendant la période d’avril à juillet. Ainsi, elle lui a dit à un certain moment qu’il devrait se montrer moins brusque lorsqu’il s’adressait aux étudiants afin de préserver un environnement de travail sain chacun se sentirait bien. Le caporal Neil Sheard, qui provenait également de l’UISP, aidait le sergent Donohue à s’acquitter de ses fonctions en qualité de commandant adjoint. Le jeudi 1er août 2013, juste avant la longue fin de semaine du congé civique, madame Russell a reçu la visite du caporal Sheard, qui lui a dit qu’il était stressé, qu’il avait un conflit avec le sergent Donohue et qu’il ne pouvait plus travailler au sein de l’équipe. Il lui a également montré deux photographies, soit les pièces six et sept, sur lesquelles figure le sergent Donohue alors qu’il soulève Stephanie Dorsch la tête en bas dans une enceinte intérieure qui faisait partie du lieu de travail.

[9]                  Kelly Russell était contrariée par ce qu’elle a vu. Elle estimait que les gestes illustrés sur les photographies étaient très déplacés, elle se sentait responsable du bien‑être des étudiants et était déçue de voir que des choses se passaient au travail à son insu. Après avoir obtenu quelques renseignements du caporal Sheard, elle s’est rendue à la salle à manger les étudiants étaient réunis afin de leur parler de harcèlement et de comportements déplacés et de les inviter à venir la rencontrer s’ils souhaitaient discuter de quoi que ce soit avec elle. Environ une heure plus tard, elle a appris qu’Anna Demers pleurait; elle est donc allée la voir pour lui parler. Mademoiselle  Kelly a également mentionné au cours de son témoignage qu’elle avait parlé à Stephanie Dorsch au sujet des photographies. Après avoir consigné tous ces renseignements, elle a envoyé le rapport à l’adjudant-maître Spence, qu’elle a informé des incidents le 2 août 2013.

[10]                Dès qu’il a été informé de la situation, l’adjudant‑maître Spence a entrepris une enquête, d’abord, en prévenant formellement le sergent Donohue et en mettant fin à l’emploi de celui‑ci au sein de l’unité, le séparant ainsi des étudiants. L’adjudant-maître Spence a rencontré une vingtaine de témoins au cours de l’enquête, y compris mademoiselle Dorsch et mademoiselle Demers le 7 août. Après avoir pris le temps de réfléchir pour savoir si une enquête policière était justifiée ou non, il a terminé son enquête en interrogeant le sergent Donohue le 23 août 2013; le compte rendu de l’entrevue a été produit comme pièce 3. Les accusations en l’espèce ont été portées le 4 mars 2014 et le procès s’est ouvert plus d’un an plus tard, le 9 mars 2015.

Les voies de fait qui auraient été commises à l’encontre de Stephanie Dorsch

[11]                Stephanie Dorsch a témoigné au sujet des trois chefs d’accusation la concernant. En ce qui a trait au premier chef, elle a expliqué pendant son interrogatoire principal qu’au cours d’un après‑midi calme et ensoleillé de juillet 2013, probablement un vendredi, de la musique jouait et elle nettoyait l’équipement avec des collègues tout en bavardant et en s’amusant, lorsque le sergent Donohue lui a dit qu’il lui couperait les cheveux après qu’elle eut mentionné qu’elle avait besoin d’une coupe de cheveux. Le sergent Donohue l’a alors attrapée par les cheveux et l’a traînée dans leur espace de travail situé dans l’immeuble S‑122. Elle a dit qu’elle se déplaçait latéralement pendant qu’il traversait l’enceinte, longeant environ quatre portes de garage, et qu’il l’a relâchée, selon elle, avant d’atteindre la porte du bureau. Elle a dit qu’elle était embarrassée et ennuyée lorsque cet événement s’est produit et a supposé qu’elle s’était sentie soulagée par la suite, mais n’est pas certaine. Elle ne se souvient pas exactement des personnes qui se trouvaient là. Elle a dit qu’elle n’avait pas consenti.

[12]                En ce qui concerne l’incident au cours duquel elle a été soulevée la tête en bas, elle s’est reconnue sur les photographies produites comme pièces 6 et 7. Elle croit que cet événement est survenu en juillet 2013, dans l’enceinte intérieure du lieu de travail à la base. Lorsqu’elle s’est fait demander comment elle s’était retrouvée dans cette position, elle a dit qu’elle avait une conversation normale avec le sergent Donohue et se trouvait assez près de lui lorsqu’il lui a saisi la tête entre ses genoux en utilisant une force modérée. Il lui a abaissé la tête et a exercé une pression sur ses tempes avec ses genoux. Il a ensuite saisi les ganses de son pantalon et l’a soulevée pendant environ dix secondes, après quoi il l’a ramenée doucement au sol. Elle ne se rappelle pas qu’il lui ait dit quoi que ce soit. Elle s’est sentie embarrassée par cet incident, parce que toutes les personnes présentes la regardaient et que tous les yeux étaient tournés vers elle. Elle a dit qu’elle n’avait pas consenti. Elle a ajouté en riant qu’elle se rappelait avoir dit : [traduction] « Aïe ! J’ai mal à la tête. Tu m’as donné mal à la tête », mais elle ne se rappelle pas si le sergent Donohue lui a dit quoi que ce se soit par la suite. En contre‑interrogatoire, elle a souligné qu’elle ne se souvenait pas des propos qui avaient été échangés avant qu’elle soit soulevée. Lorsqu’il lui a été suggéré que la discussion portait sur la démonstration d’une technique de lutte, elle a dit que c’était possible, mais qu’elle ne s’en souvenait pas. Lorsque d’autres questions lui ont été posées à ce sujet, elle a répondu qu’elle avait un souvenir confus de ce qui s’était produit avant et après l’événement. Cependant, lorsque l’avocat de la poursuite l’a réinterrogée, elle a affirmé qu’elle se souviendrait si le sergent Donohue lui avait proposé de participer à une démonstration de lutte. Elle a dit qu’elle ne pouvait se rappeler si cette proposition lui avait été faite.

[13]              Quant à l’incident de l’arrosage, Stephanie Dorsch a dit qu’il était survenu juste à l’extérieur de l’enceinte, lors d’un autre après‑midi calme et ensoleillé de juillet 2013, pendant que ses collègues et elle‑même nettoyaient l’équipement. Le sergent Donohue et d’autres personnes utilisaient des tuyaux d’arrosage, mais elle ne se souvient pas avec précision des personnes qui étaient présentes. Elle‑même avait un tuyau et était sur le point de retourner à l’extérieur pour travailler. Le sergent Donohue l’a arrosée. Elle lui a alors dit : [traduction] « Arrête. Mon tee‑shirt est transparent. » Il a continué, tout en lui disant : [traduction] « Il n’y a rien à voir de toute façon ». Elle a dit qu’elle n’avait pas consenti et qu’elle était très embarrassée, parce que d’autres personnes se trouvaient là et qu’elle était trempée.

[14]              Mademoiselle Dorsch n’avait aucun souvenir de la suite des événements qu’elle a relatés. Le sergent Donohue et elle‑même s’appelaient par leur prénom et l’accusé travaillait en tenue civile comme tous les autres membres de l’équipe. Elle a dit qu’elle n’avait déposé aucune plainte après les incidents. Elle savait que le sergent Donohue devait partir sous peu et a dit qu’ils faisaient souvent des blagues ensemble et qu’ils plaisantaient au sujet du moment de son départ en comptant les jours. Elle a souligné qu’elle considérait le sergent Donohue comme un petit frère agaçant qui la taquinait fréquemment. Elle a mentionné que d’autres personnes du groupe faisaient des blagues avec elle et qu’elle est le genre de personne qui prend les choses à la légère. Elle a dit que les incidents visés par les accusations avaient fait l’objet de discussions entre ses collègues. Elle a ajouté que son autre superviseur, le caporal Neal Sheard, était allé les voir pour leur montrer les photographies qu’il avait vues sur Facebook et qui illustraient l’incident au cours duquel elle avait été soulevée la tête en bas. Le caporal a dit qu’il signalerait l’incident à Kelly Russell. Elle aurait répondu que ce n’était pas grave. Il a tout de même fait le signalement, ce qu’il a confirmé plus tard le même jour. Elle a dit qu’elle n’avait pas reconnu la gravité des incidents avant que ceux‑ci soient signalés à des superviseurs qui étaient capables de les examiner du point de vue d’une personne de l’extérieur.

[15]              Kristin Ling a dit au cours de son témoignage qu’elle avait observé les trois événements décrits par Stephanie Dorsch, même si elle a ajouté que, d’après son souvenir, l’incident des cheveux est survenu immédiatement après celui au cours duquel Stephanie avait été soulevée la tête en bas. Même si elle a dit qu’elle avait été témoin de ces événements, mademoiselle Ling n’a pu se rappeler aucune des conversations tenues à leur sujet. De plus, mademoiselle Taylor Gavin, qui a pris les photographies de l’incident au cours duquel mademoiselle Dorsch a été soulevée, a été appelée à produire ces photographies comme pièces. Elle a confirmé ce qui s’était produit à cette occasion‑là. Elle a dit que le sergent Donohue et Stephanie Dorsch faisaient des blagues vers la fin de la journée de travail et que l’atmosphère était très calme. Elle croyait que c’était amusant de photographier l’événement; elle a donc sorti son iPhone et pris des photographies. Aucun des trois autres étudiants qui ont témoigné n’a vu l’un ou l’autre des trois incidents visés par les accusations concernant Stephanie Dorsch.

Les voies de fait qui auraient été commises à l’encontre d’Anna Demers

[16]              En ce qui a trait au seul incident la concernant, Anna Demers a dit que l’incident s’est produit au cours d’un après‑midi chaud et ensoleillé de juillet, alors qu’elle était passagère avec deux autres garçons dans un camion que conduisait le sergent Donohue. Pendant le trajet, des blagues ont été échangées, notamment des blagues au sujet du temps chaud. À un certain moment, le sergent Donohue a dit à la blague qu’il la lancerait dans la rivière. Il s’est ensuite arrêté, puis est sorti, a marché vers elle, a détaché la ceinture de sécurité et l’a fait sortir. Elle a dit qu’à ce moment‑là, elle n’était pas certaine qu’il donnerait suite à ses intentions. Pourtant, il l’a fait. Il l’a soulevée sur ses épaules et a commencé à marcher en direction de l’eau. À ce moment‑là, elle a constaté que le sergent Donohue était sérieux. Elle a dit qu’elle ne voulait pas et il l’a immédiatement déposée au sol.

[17]     Même si elle a dit au cours de son témoignage que Steven Lorbetski et Jolin Bouchard étaient présents dans le camion à ce moment‑là, le premier n’a pas été appelé à témoigner et, bien qu’il ait été appelé, le second n’a pas été interrogé au sujet de cet incident, lequel n’est donc pas corroboré.

Règles de droit applicables

Éléments constitutifs de l’infraction

[18]     L’alinéa 265(1)a) du Code criminel définit les éléments constitutifs de l’infraction de voies de fait. Voici les dispositions qui nous intéressent :

265. (1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas :

a) d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement;

[19]     Outre les éléments concernant l’identité de l’accusé, ainsi que le lieu et la date de l’infraction reprochée, qui ont été admis ou qui ne sont pas contestés en l’espèce, les éléments suivants doivent être établis hors de tout doute raisonnable :

a)             que le sergent Donohue a employé la force contre mademoiselle Dorsch ou mademoiselle Demers de la manière précisée dans les accusations portées contre lui;

b)            que le sergent Donohue a employé la force de manière intentionnelle;

c)            que ni mademoiselle Dorsch ni mademoiselle Demers n’ont consenti à la force employée par le sergent Donohue;

d)           que le sergent Donohue savait que ni mademoiselle Dorsch ni mademoiselle Demers ne consentaient à la force employée par lui.

[20]     En ce qui concerne le quatrième élément, il importe de signaler que la poursuite peut démontrer que le sergent Donohue savait que ni mademoiselle Dorsch ni mademoiselle Demers n’ont donné leur consentement de l’une ou l’autre des trois façons suivantes : connaissance effective, insouciance, ou aveuglement volontaire à l’absence de consentement.

La présomption d’innocence et la preuve hors de tout doute raisonnable

[21]              Dans le cadre de son exposé des règles de droit applicables en l’espèce, il est important que la cour aborde la question de la présomption d’innocence et de la norme relative à la preuve hors de tout doute raisonnable, deux concepts fondamentaux dans le cas des sentences rendues sous le régime du Code de discipline militaire et dans le cadre des procès criminels.

[22]              Au Canada, toute personne faisant face à des accusations criminelles ou pénales est présumée innocente jusqu’à ce que la poursuite prouve sa culpabilité au‑delà de tout doute raisonnable. Le fardeau de la preuve revient à la poursuite et n’est jamais transféré à personne. Il n’incombe jamais à l’accusé de prouver qu’il est innocent.

[23]              Que signifie l’expression « hors de tout doute raisonnable »? Un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il ne procède ni de la sympathie ni des préjugés envers les individus concernés par les procédures. Ce doute est plutôt fondé sur la raison et le sens commun. Il procède logiquement de la preuve ou de l’absence de preuve.

[24]              Il est pour ainsi dire impossible de prouver quelque chose avec une certitude absolue et la poursuite n’est pas tenue de le faire. Une telle norme de preuve serait trop exigeante. Cependant, la norme de preuve hors de tout doute raisonnable est bien plus proche de la certitude absolue que la culpabilité probable. Le sergent Donohue ne peut être déclaré coupable à moins que la Cour ne soit certaine qu’il est coupable. Même si la Cour croit que l’accusé est probablement coupable ou vraisemblablement coupable, cela n’est pas suffisant. Dans ces circonstances, la cour doit lui accorder le bénéfice du doute et le déclarer non coupable parce que la poursuite n’a pas réussi à le convaincre de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.

[25]              L’essentiel pour la Cour est de tenir compte du fait que la preuve hors de tout doute raisonnable s’applique à chacun des éléments essentiels de chaque accusation. Elle ne s’applique pas aux éléments de preuve individuels. La Cour doit décider, en tenant compte de l’ensemble de la preuve, si la poursuite a prouvé la culpabilité du sergent Donohue au‑delà de tout doute raisonnable.

[26]              Le doute raisonnable vaut aussi pour l’appréciation de la crédibilité. À l’égard de toute question, la Cour peut croire un témoin, ne pas le croire ou être incapable de décider. Elle n’a pas besoin de croire ou de ne pas croire entièrement un témoin ou un groupe de témoins. Si elle a un doute raisonnable quant à la culpabilité du sergent Donohue en raison de la crédibilité des témoins, elle doit le déclarer non coupable.

Thèse des parties

[27]              La poursuite affirme simplement qu’elle a produit des témoins qui ont établi chacun des éléments constitutifs des quatre infractions de voies de fait reprochées à l’accusé, ajoutant que leur témoignage n’a pas été contredit et que, par conséquent, je devrais conclure que la preuve démontre, hors de tout doute raisonnable, la culpabilité du sergent Donohue.

[28]              Les arguments de la défense sont plus nuancés et varient selon l’accusation en cause. Pour ce qui est des premier et septième chefs d’accusation, la défense fait valoir que les actes reprochés n’ont pas été établis hors de tout doute raisonnable. Quant aux troisième et cinquième chefs d’accusation, la défense affirme que les éléments du consentement et de la connaissance de l’absence de consentement n’ont pas été établis. À titre subsidiaire, l’avocat de la défense affirme que le sergent Donohue peut invoquer la croyance sincère au consentement comme moyen de défense et que, même si les infractions de voies de fait étaient établies, la défense du « mauvais tour » a été établie suivant les faits de l’espèce et que, par conséquent, l’accusé devrait être acquitté.

Question en litige

[29]              La présente affaire ne soulève pas des faits très complexes et ne fait pas intervenir non plus des concepts juridiques très difficiles. Il y a peu de faits contradictoires au sujet des éléments constitutifs des infractions comme on peut s’y attendre lorsque la défense choisit de ne pas présenter de preuve. Le litige porte essentiellement sur la crédibilité des témoins à charge et sur la question de savoir si, en tant qu’arbitre des faits, je suis convaincu hors de tout doute raisonnable de la crédibilité de leurs affirmations quant aux éléments constitutifs des infractions.

[30]              Je tiens également à bien préciser dans les présents motifs ce qui n’est pas en litige. De fait, plusieurs arguments et observations ont été formulés de la part de la poursuite, surtout à la clôture du procès, sur les gestes tout à fait déplacés du sergent Donohue qui, en tant que militaire du rang supérieur, avait abusé de son autorité pour se livrer à des attouchements sur des étudiantes confiées à sa surveillance et sur le fait qu’il n’avait pas fait preuve de leadership.

[31]              Il n’appartient toutefois pas à la présente cour martiale de porter un jugement sur les qualités de leadership de l’accusé ou sur sa performance ou sur le caractère blâmable de ses agissements en présence de personnes ayant la moitié de son âge. Il incombe à la cour d’évaluer la solidité de la preuve qui lui a été présentée et de décider si les quatre infractions de voies de fait ont été établies. Cette tâche serait exactement la même indépendamment de l’âge de l’accusé ou même si ce dernier ne s’était pas vu confier des obligations d’encadrement en raison de son rang ou de son affectation, avec la possible exception de l’exercice d’une autorité suffisante pour annuler le consentement, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Analyse

Premier et deuxième éléments : Emploi de la force de manière intentionnelle

[32]              À cette étape‑ci, je dois me demander si le sergent Donohue a employé la force de manière intentionnelle contre Stephanie Dorsch et Anna Demers de la manière précisée dans les actes d’accusation. La défense affirme que la preuve présentée au sujet des premier et septième chefs d’accusation concernant l’incident au cours desquels le sergent Donohue aurait tiré Stephanie Dorsch par les cheveux et celui où il aurait fait monter Anna Demers sur ses épaules est insuffisante pour me permettre de conclure que les actes reprochés ont été prouvés hors de tout doute raisonnable. La défense admet que les actes relatifs aux deux autres accusations ont été établis.

[33]              Il est vrai que le témoignage de Stephanie Dorsch soulève des doutes au sujet de sa crédibilité sur plusieurs points. Même si la Cour n’a aucune réserve quant à sa moralité et son honnêteté et malgré le fait qu’elle lui a donné l’impression d’être une personne joviale et de tempérament facile qui n’hésitait pas à interagir avec la cour, sa capacité de se souvenir était faible. Elle n’arrivait pas à se rappeler la séquence des incidents, se limitant à déclarer qu’ils s’étaient produits au cours du mois de juillet chaque fois au cours d’un après‑midi calme où les membres de l’équipe bavardaient et s’amusaient. Elle a déclaré que sa mémoire était floue, ajoutant que, dans la plupart des cas, elle ne pouvait se rappeler de détails des conversations qui auraient pu expliquer le contexte des incidents.

[34]              Cette faiblesse est particulièrement évidente en ce qui a trait à l’incident au cours duquel elle a été soulevée la tête en bas : elle ne pouvait se souvenir non seulement des détails de cet incident, mais également du sujet de la conversation ayant pu l’entourer. En conséquence, tout ce qu’il reste de son témoignage au sujet de cet incident est le fait qu’elle a été agressée soudainement et de façon inattendue. Malgré le caractère généralement évasif de son contre‑interrogatoire, elle s’est parfois ouverte lors de son interrogatoire direct pour déclarer qu’elle arrivait à se souvenir de détails d’autres conversations. Par exemple, elle se rappelait avoir dit, sur un ton badin, lors de l’incident au cours duquel elle a été soulevée la tête en bas : [traduction] « Aïe ! J’ai mal à la tête. Tu m’as donné mal à la tête ». Il semble qu’elle ait une mémoire sélective et qu’elle ait tendance à adapter son témoignage en fonction de la personne qui l’interroge. En ce qui concerne l’incident au cours duquel elle a été soulevée la tête en bas, elle a dit qu’il était possible que la discussion ait porté sur la démonstration d’une technique de lutte, mais, lorsque l’avocat de la poursuite l’a réinterrogée, elle a affirmé qu’elle se souviendrait si le sujet de la lutte avait été évoqué. Malgré ses réticences à fournir de plein gré des renseignements lors de son contre‑interrogatoire, je constate qu’elle ne semblait pas avoir d’animosité envers l’accusé. Au contraire, elle a qualifié d’amicaux leurs rapports de travail, expliquant notamment qu’ils plaisantaient sur le nombre de jours qu’il leur restait à travailler ensemble, expliquant qu’il s’agissait de remarques faites sur le ton de la plaisanterie et non comme un signe de mécontentement, contrairement à ce qu’a laissé entendre la poursuite.

[35]              Malgré ces faiblesses, il n’en demeure pas moins que le témoignage de mademoiselle Dorsch au sujet de la survenance de chacun des trois incidents dans lesquels elle a été impliquée a été corroboré. Même si mademoiselle Ling était confuse au sujet du moment exact où l’incident des cheveux s’était produit par rapport à celui au cours duquel mademoiselle Dorsch avait été soulevée la tête en bas, je n’ai aucune raison de mettre en doute son témoignage suivant lequel elle avait vu de ses propres yeux l’incident en question. J’ai tenu compte du fait que les témoins ont discuté entre eux des incidents avant que l’on apprenne qu’une plainte avait été déposée, mais ce fait ne suffit pas pour soulever un doute dans mon esprit au sujet de la survenance des trois incidents impliquant Stephanie Dorsch.

[36]              Quant à Anna Demers, les doutes quant à sa crédibilité sont moins sévères. Malgré certains trous de mémoire, elle pouvait, contrairement à mademoiselle Dorsch, relater le contexte dans lequel l’incident auquel elle avait été mêlée s’était produit et elle a fourni des détails précis au sujet de la séquence des événements. Elle a témoigné au sujet de ce qui s’était dit et de ce qui s’était produit. Malgré l’absence d’éléments de preuve corroborants auxquels on se serait attendu compte tenu de son affirmation quant à la présence de deux autres personnes sur les lieux, je suis convaincu hors de tout doute raisonnable que l’incident qu’elle a relaté au cours duquel le sergent Donohue l’a soulevée sur ses épaules et a commencé à marcher en direction de la rivière s’est effectivement produit.

[37]                Je conclus par conséquent que la poursuite a prouvé selon la norme requise que les quatre événements faisant l’objet des accusations se sont effectivement produits et plus précisément que le sergent Donohue a employé intentionnellement la force dans chaque cas.

Troisième élément : Absence de consentement

[38]                La thèse de la poursuite sur le consentement se résume à affirmer que le fait qu’Anna Demers et Stephanie Dorsch ont toutes les deux répondu par l’affirmative à la question de savoir si elles avaient consenti à la force employée contre elles au cours des incidents en question, conjugué au fait que la validité de leur réponse n’a pas été attaquée lors du contre‑interrogatoire et n’a pas été contestée directement par d’autres éléments de preuve font en sorte que je dois conclure que cet élément a été établi hors de tout doute raisonnable.

[39]                Pourtant tel n’est pas le cas. Bien qu’il soit admis que Stephanie Dorsch et Anna Demers ont toutes les deux affirmé qu’elles n’avaient pas consenti à ce que la force en question soit appliquée contre elles, il n’en demeure pas moins qu’il m’incombe, en tant que juge des faits, d’évaluer la crédibilité des assertions en question en fonction de l’ensemble des témoignages que j’ai entendus.

[40]                L’appréciation de la crédibilité n’est pas une science exacte et elle n’est pas déterminée par l’application d’une série de règles précises. C’est une tâche difficile et délicate qui ne se prête pas toujours facilement à une énonciation précise et complète. En l’espèce, j’ai effectivement des réserves au sujet de la crédibilité des affirmations de Stephanie Dorsch et d’Anna Demers quant à leur consentement parce qu’à mon avis, il y a, dans les témoignages que j’ai entendus, certains éléments qui justifieraient un doute raisonnable quant à leur consentement à l’emploi de la force. Avant d’expliciter les réserves en question, je tiens à citer certains propos de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique qui, bien qu’ils aient été formulés dans le cadre d’une cause civile, s’appliquent aux doutes que j’ai au sujet de la crédibilité en l’espèce :

[traduction]

Mais la validité de la preuve ne dépend pas, en dernière analyse, du fait qu’elle demeure non contredite, ou encore du fait que le juge a pu formuler des observations favorables ou défavorables à son sujet ou au sujet du comportement d’un témoin; ce sont là des facteurs qui entrent en ligne de compte lorsqu’il s’agit d’apprécier la preuve, mais ils sont tributaires de la compatibilité de la preuve avec les probabilités qui concernent l’ensemble de l’affaire et dont l’existence a été démontrée au moment des faits.

[41]                On trouve en l’espèce une grande quantité d’éléments de preuve, provenant de pratiquement la totalité des témoins, surtout les deux personnes désignées dans les allégations de l’acte d’accusation, suivant lesquels l’atmosphère qui régnait au sein du groupe d’étudiants et avec leurs deux superviseurs immédiats était calme et à la blague et que les gens se taquinaient et que tout le monde au sein du groupe s’appelait par son prénom et tout le monde était habillé de la même façon pour accomplir le travail, y compris le sergent Donohue et l’autre superviseur, le caporal Sheard.

[42]                Ces éléments de preuve ont eu des répercussions sur les éléments constitutifs des infractions comme l’a illustré de façon convaincante le témoignage de Taylor Gavin, qui a pris des photos de l’incident au cours duquel mademoiselle Dorsch a été soulevée la tête en bas. Mademoiselle Gavin a expliqué que, même si elle ne pouvait se rappeler de la teneur des conversations, elle avait eu le sentiment que quelque chose d’étrange était sur le point d’arriver et que par conséquent elle avait décidé de se servir de son téléphone pour prendre les photos que l’on trouve aux pièces 6 et 7. Elle a ainsi obtenu deux photos bien centrées montrant le sergent Donohue regardant directement l’appareil photo, en train de sourire sur les deux clichés qui ont été pris à partir de deux angles légèrement différents. Mademoiselle Gavin a expliqué qu’elle ne croyait pas que quelque chose de déplacé se produisait à ce moment‑là et que même après coup, elle avait publié les photos sur Facebook. Il ressort à l’évidence du témoignage de mademoiselle Gavin que le sergent Donohue n’était pas la seule personne qui affichait un sourire à ce moment‑là; selon toute vraisemblance, la situation était perçue comme très drôle. Le témoignage de Stephanie Dorsch et la façon dont elle a repris mot pour mot les propos du sergent Donohue sur le ton de la plaisanterie en lui disant qu'il lui avait donné [traduction] « des maux de tête » révèlent qu’elle souriait probablement elle aussi.

[43]              En ce sens, malgré la réponse négative qu’elle a donnée à la question de savoir si elle avait accordé son consentement, il reste une forte probabilité, vu l’ensemble de la preuve, qu’elle a joué le jeu et s’est fait le complice de la blague qui se faisait à ce moment‑là. Je trouve non crédible son témoignage suivant lequel le sergent Donohue lui aurait saisi la tête entre ses genoux sans crier gare, compte tenu du fait qu’elle est totalement incapable de relater le contexte de la conversation qui se serait produite immédiatement avant l’incident. Je trouve également invraisemblable que, si elle avait été attaquée aussi soudainement qu’elle le prétend, elle n’ait pas estimé que ce comportement méritait à tout le moins une explication de la part du sergent Donohue. Or, ils sont demeurés en excellents termes après le départ de ce dernier. J’estime que mademoiselle Dorsch avait probablement des raisons de jouer le jeu de son « agaçant petit frère » comme elle a qualifié le sergent Donohue avec qui elle entretenait des rapports amicaux et qu’elle souhaite éviter de perturber l’humeur de plaisanterie du groupe à ce moment‑là. Vu l’ensemble de la preuve, il me reste donc un doute quant à cet élément du troisième chef d’accusation.

[44]              J’ai formulé des observations sur le troisième chef d’accusation en premier lieu, car c’est sur cette accusation que les éléments de preuve portant sur la blague ou l’atmosphère de plaisanterie sont les plus solides du fait des photos et du témoignage de mademoiselle Gavin. Pourtant, les mêmes éléments de preuve relatifs à l’atmosphère de plaisanterie valent aussi pour d’autres incidents, compte tenu spécialement du fait que l’on ignore la séquence dans laquelle les événements en question se sont produits.

[45]              Quant à l’incident au cours duquel le sergent Donohue a soulevé Anna Demers sur ses épaules et l’a transportée jusqu’à la rivière, mademoiselle Demers a expliqué que la bonne humeur régnait à bord du camion à ce moment‑là et que le sergent Donohue avait dit à la blague qu’il la lancerait dans la rivière. Si j’ai bien compris le témoignage d’Anna Demers, elle l’a laissé la sortir du camion parce que, selon ses dires, elle n’était pas certaine qu’il donnerait suite à ses intentions. Il semble qu’elle ne craignait pas vraiment de se faire jeter à l’eau. J’estime probable qu’elle a joué le jeu jusqu’à ce qu’il devienne évident que le sergent Donohue était sérieux et qu’elle risquait de se retrouver à l’eau. Elle a raconté qu’à ce moment‑là, elle avait compris que le sergent Donohue était sérieux et qu’elle lui avait dit qu’elle ne voulait pas et qu’il l’avait immédiatement déposée au sol. Je me rends compte que ce n’est pas parce que quelqu’un ne s’oppose pas à quelque chose qu’il y consent et pourtant, vu l’ensemble de la preuve relative à cet incident, il existe une probabilité réelle que mademoiselle Demers ait consenti à jouer le jeu jusqu’au moment où elle a exprimé ses réticences. Vu l’ensemble de la preuve, il me reste un doute quant à cet élément du septième chef d’accusation.

[46]              Sur le cinquième chef d’accusation concernant l’incident de l’arrosage, la preuve est très ténue pour ce qui est de la séquence exacte des faits. De toute évidence, il s’agissait là encore d’une autre occasion calme où la plupart des membres du personnel se trouvaient réunis au même endroit pour nettoyer l’équipement. Suivant les témoignages entendus, le fait de s’arroser l’un l’autre n’était pas inusité en pareil cas. Vu l’ensemble de la preuve, il était donc probable qu’il existait une forme de consentement à se faire arroser dans le cadre de ce type d’activité inoffensive. Suivant la preuve, mademoiselle Dorsch aurait prononcé des mots suivant lesquels elle se serait opposée au fait de se faire arroser à ce moment‑là parce qu’elle portait un tee‑shirt transparent et que l’on pourrait voir son soutien‑gorge si elle était trempée. Suivant la preuve, le sergent Donohue aurait prononcé des paroles voulant dire qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter puisque [traduction] « il n’y a rien à voir de toute façon ». Ce que la preuve ne permet pas de savoir avec certitude, toutefois, c’est si c’est le moment où ce qui était probablement un arrosage réciproque est devenu une agression à la suite de la suppression du consentement à cette activité. La preuve est insuffisante pour supprimer, dans mon esprit, la probabilité que l’arrosage a cessé immédiatement où la demande d’arrêter a été formulée et où la réponse du sergent Donohue qui s’apparentait à une sorte d’excuse du genre [traduction] « Pardon, mais ne t’en fais pas. Il n’y a de toute façon rien à voir ». Je me rends compte qu’en n’écartant pas cette possibilité, je retiens l’opinion la plus favorable à la défense, mais j’estime que c’est ce que je dois faire dans les circonstances. Là encore, vu l’ensemble de la preuve, il me reste un doute quant à cet élément du cinquième chef d’accusation.

[47]                  Pour ce qui est de l’incident des cheveux faisant l’objet de la première accusation, l’on sait qu’une discussion avait eu lieu entre mademoiselle Dorsch et le sergent Donohue au cours d’un autre après‑midi calme et ensoleillé de juillet 2013, probablement un vendredi, alors que de la musique jouait et qu’elle nettoyait l’équipement avec des collègues tout en bavardant et en s’amusant. Le sergent Donohue lui aurait dit qu’il lui couperait les cheveux, puis l’a attrapée par les cheveux et l’a traînée dans leur espace de travail situé dans l’immeuble S‑122, ce dont mademoiselle Ling a été témoin. Malgré son témoignage suivant lequel elle n’a pas donné son consentement, vu l’ensemble de la preuve et notamment de ses relations amicales avec le sergent Donohue, il demeure possible qu’elle a joué le jeu et ne s’est pas opposée à la « blague » que lui faisait alors le sergent Donohue. Là encore, j’ai du mal à croire qu’après s’être fait agripper par les cheveux de la manière qu’elle a relatée, elle n’aurait pas estimé que ce geste méritait à tout le moins des explications; or, elle n’en a pas demandé au sergent Donohue. Ils sont demeurés en excellents termes jusqu’au départ de ce dernier. Je ne dois pas oublier que la séquence des incidents qui se sont déroulés en l’espèce est inconnue, et ce, suivant le témoignage de mademoiselle Dorsch elle‑même. Il m’apparaît probable que l’incident du tirage de cheveux est un autre exemple où mademoiselle Dorsch a joué le jeu en acceptant le comportement de son [traduction] « agaçant petit frère » comme elle a qualifié le sergent Donohue avec qui elle entretenait des rapports amicaux et d’éviter de perturber le climat de bonne humeur qui régnait au sein du groupe à ce moment‑là. Conclure autrement contredirait selon moi mes conclusions précédentes au sujet des autres incidents. Là encore, vu l’ensemble de la preuve, il me reste un doute au sujet de cet élément du cinquième chef d’accusation.

[48]                  Comme je l’ai déjà expliqué, le doute qu’il me reste concerne la probabilité qu’Anna Demers et Stephanie Dorsch ont joué le jeu en acceptant les blagues pas très drôles du sergent Donohue en ce qui concerne les incidents d’agression faisant l’objet des accusations. Ce doute est‑il un doute raisonnable? Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un doute imaginaire ou frivole. Il n’est pas fondé sur la sympathie ou sur des préjugés envers les individus concernés par les procédures. J’estime que ce doute est fondé sur la raison et le sens commun et à mon avis il procède logiquement de la preuve ou de l’absence de preuve. J’estime qu’il me reste un doute raisonnable quant à un élément essentiel de chacune des quatre accusations de voies de fait.

Autres éléments

[49]              Cette conclusion suffit pour trancher l’affaire, mais je tiens à ajouter que, même si je n’avais pas le doute raisonnable que je viens d’exprimer sur un élément essentiel du consentement, le résultat serait le même. Me fondant sur les mêmes éléments de preuve concernant l’atmosphère de « blague » en cause dans les incidents en question, il me resterait quand même un doute sur l’élément essentiel suivant portant sur la connaissance de l’absence de consentement. D’ailleurs, il incombe à la poursuite de démontrer hors de tout doute raisonnable que le sergent Donohue était conscient du fait que mademoiselle Dorsch ou mademoiselle Demers n’avaient pas consenti aux contacts physiques faisant l’objet des accusations. Pour ce faire, la poursuite doit démontrer que le sergent Donohue savait effectivement que mademoiselle Dorsch ou mademoiselle Demers n’avaient pas donné leur consentement ou qu’il a fait preuve d’insouciance ou d’aveuglement volontaire face à l’absence de consentement.

[50]              Vu l’ensemble de la preuve présentée en l’espèce, en particulier l’atmosphère de blague dont les témoins ont fait état dans leur témoignage et que j’ai relatée en détail dans mon analyse sur l’élément du consentement, la probabilité que j’ai exposée m’aurait également laissé avec un doute raisonnable quant à la connaissance effective du consentement de la part du sergent Donohue. Il me resterait également un doute raisonnable quant à l’existence d’un risque d’absence de consentement connu par le sergent Donohue, qui aurait agi malgré ce risque. En fait, il me resterait un doute raisonnable quant à la conscience par le sergent Donohue d’indications lui permettant de penser que mesdemoiselles Dorsch et Demers n’avaient pas donné leur consentement et quant au fait que le sergent Donohue aurait délibérément choisi d’ignorer ces indications parce qu’il ne voulait pas savoir la vérité.

[51]              Je me suis également penché sur la question de savoir si le fait de consentir de jouer le jeu en acceptant les blagues du sergent Donohue pourrait être annulé par le fait que ce consentement aurait pu être obtenu en raison de l’exercice de l’autorité comme le prévoit l’alinéa 265(3)d) du Code criminel. Rien ne permet d’appuyer l’inférence que des menaces ont été proférées ou même que les étudiants pouvaient s’exposer à des conséquences négatives en raison de l’autorité que le sergent Donohue exerçait sur eux en tant que supérieur. D’ailleurs, je retiens du témoignage de madame Kelly Russell suivant lequel c’est elle en réalité qui était la personne qui détenait le véritable pouvoir de surveillance sur l’équipe d’entretien au sol. Elle a engagé les étudiants et c’est elle qui avait approuvé le choix du sergent Donohue pour qu’il s’occupe de leur encadrement. Chaque fois que des difficultés surgissaient dans les rapports entre les superviseurs et les étudiants, elle intervenait personnellement. De fait, elle a bien expliqué dans son témoignage qu’elle se sentait responsable des étudiants et qu’un des aspects qui l’avait troublée le plus lorsqu’elle avait vu les photos montrant l’incident au cours duquel Stephanie Dorsch avait été soulevée la tête en bas avait été de constater qu’elle n’était pas au courant de certaines choses qui se produisaient au sein de l’équipe.

Conclusion

[52]              Je dois donc conclure, vu l’ensemble de la preuve, que la poursuite n’a pas réussi à convaincre la Cour de la culpabilité du sergent Donohue hors de tout doute raisonnable.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[53]              DÉCLARE l’accusé, le sergent Donohue, non coupable des chefs 1, 3, 5 et 7 de l’acte d’accusation de voies de fait contrairement à l’article 130 de la Loi sur la défense nationale.

Avocats :

Directeur des Poursuites militaires, représenté par le major A.C. Samson.

Me D. Anber, avocat du sergent M.J. Donohue.

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