Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 9 septembre 2014

Endroit : Centre Asticou, pièce 2601, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC)

Chefs d'accusation

• Chefs d'accusation 1 : Art. 130 LDN, accès à la pornographie juvénile (art. 163.1(4.1) C. cr.).
• Chefs d'accusation 2, 3 : Art. 130 LDN, possession de pornographie juvénile (art. 163.1(4) C. cr.).
• Chefs d'accusation 4 : Art. 130 LDN, mise à disposition de la pornographie juvénile (art. 163.1(3) C. cr.).

Contenu de la décision

 

AUDIENCE PAR UN JUGE MILITAIRE

 

Référence : R. c. McGoey, 2014 CM 3020

 

Date : 20141017

 

Procédures préliminaires

 

Salle d’audience du Centre Asticou

Gatineau (Québec) Canada

 

Entre :

Sa Majesté la Reine, intimée

 

- et –

 

Soldat J. McGoey, requérant

 

 

En présence du : Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.


 

MOTIFS CONCERNANT LA REQUÊTE DE DIVULGATION

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Le soldat McGoey est accusé de quatre infractions liées à de la pornographie juvénile, et plus précisément d’infractions punissables en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, pour accès à la pornographie juvénile et possession et distribution de pornographie juvénile, en contravention des paragraphes 163.1 (3), (4) et (4.1) du Code criminel.

 

[2]               Ces infractions se seraient produites entre mars et juin 2013 à la Base des Forces canadiennes Borden, ou dans les environs. L’acte d’accusation est daté du 28 mai 2014 et les accusations ont été prononcées le 2 juin 2014. La cour martiale n’a pas encore été convoquée.

                                   

[3]               Comme l’indique l’article 187 de la Loi sur la défense nationale, à tout moment après le prononcé d’une mise en accusation et avant l’ouverture du procès de l’accusé, tout juge militaire, lorsque la cour martiale n’a pas encore été convoquée, peut, sur demande, juger toute question ou objection à l’égard de l’accusation.

 

[4]               Par conséquent, le capitaine de corvette Walden, au nom du requérant, le soldat McGoey, a présenté un avis de requête concernant une question relative à la divulgation, reçu par l’administrateur de la cour martiale le 9 septembre 2014.

 

[5]               Le 25 septembre 2014, j’ai été désigné par le juge militaire en chef pour instruire la requête présentée par le soldat McGoey et, le même jour, une conférence préparatoire à l’audience a eu lieu par téléphone dans laquelle j’ai déterminé, avec l’accord des deux parties, que l’affaire serait instruite à la salle d’audience du centre Asticou le 8 octobre 2014 à 9 h 30.

 

[6]               Ensuite, le 8 octobre 2014, j’ai procédé à l’audience de l’affaire. Pendant l’audience, les parties ont déposé un certain nombre de documents afin d’étayer leurs thèses respectives, dont trois affidavits comportant certaines pièces jointes et la dénonciation en vue d’obtenir un mandat de perquisition datée du 12 juin 2013. De plus, l’agent de police spécial Versace a témoigné pour le compte de l’intimée.

 

[7]               Premièrement, il faut résumer le contexte dans lequel cette question concernant la divulgation a été soulevée par le requérant. La Police provinciale de l’Ontario (la PPO) comporte une Section de l’exploitation sexuelle des enfants qui mène des enquêtes précises concernant les personnes impliquées dans la possession de matériel de pornographie juvénile et l’accès à du matériel de pornographie juvénile sur des ordinateurs et sur Internet.

 

[8]               Une des activités de cette section consiste à surveiller les réseaux électroniques connus pour être utilisés par des personnes qui veulent posséder de la pornographie juvénile et y accéder. Cette activité permet à la section de recueillir des renseignements pour localiser les personnes impliquées dans une telle activité criminelle. Un de ces réseaux est le réseau Ares, un réseau de partage de fichier public libre.

 

[9]               Je ne veux pas entrer dans les termes techniques, mais il est important de comprendre que sur ce genre de réseau, un fichier peut être divisé en divers fragments parmi de multiples utilisateurs et être réassemblé à partir de différentes sources. Après une recherche, une liste de fichiers et des renseignements descriptifs à leur sujet seront fournis, et en cliquant sur un résultat de recherche, l’utilisateur téléchargera le fichier à partir de multiples utilisateurs qui possèdent différents fragments du fichier.

 

[10]           Si l’on garde cette description en tête, il est facile de conclure qu’un utilisateur sur le réseau Ares devient alors un ordinateur hôte en vue de partager des fichiers avec d’autres utilisateurs sur ce réseau. Toutefois, cet utilisateur peut avoir la capacité de configurer ou de reconfigurer les paramètres du logiciel Ares sur son ordinateur afin de décider quel genre de fichier pourra être téléchargé sur son répertoire partagé.

 

[11]           Lorsque le téléchargement d’un fichier est commencé, une liste est créée concernant les renseignements et les adresses de protocole Internet (PI) des ordinateurs, confirmant qu’ils ont le même fichier ou la même partie de fichier. Une telle liste permet de détecter et d’enquêter sur les ordinateurs impliqués dans le partage de fichiers comportant de la pornographie juvénile.

 

[12]           L’agent de police spécial Versace est membre de la PPO et est le cofondateur d’un outil d’enquête automatisé pour le réseau Ares, qui s’intitule le programme Roundup Ares. Il s’agit d’un outil d’enquête créé à l’interne et qui a été partagé avec quelques autres organismes d’application de la loi dans le monde.

 

[13]           Le programme permet de télécharger des fichiers de pornographie juvénile suspects à partir d’une adresse IP suspecte précédemment localisée sans être reconnue. Il permet ensuite aux autorités d’enquête de confirmer la nature exacte du matériel téléchargé et leur fournit des renseignements pour approfondir l’enquête.

 

[14]           Selon la dénonciation produite à l’audience, un policier de la Section de l’exploitation sexuelle des enfants a utilisé le logiciel Roundup Ares, qui lui a fourni des renseignements concernant une adresse PI précise. Il s’est avéré qu’un fichier différent comportant de la pornographie juvénile a été téléchargé sur le même ordinateur à trois jours différents, soient les 28, 29 et 30 mai 2013. L’ordinateur à cette adresse PI était associé à d’autres fichiers d’enquête localisés depuis le 6 mars 2013 dans la base de données liée à la cybercriminalité contre les enfants (CCCE).

 

[15]           L’enquêteur a confirmé que la nature exacte des trois fichiers vidéo téléchargés était du matériel de pornographie juvénile. Il s’est avéré que l’adresse IP était fournie par Rogers Communications, qui a confirmé l’identité exacte de l’abonné.

 

[16]           Le 4 juin 2013, les policiers de la PPO ont rencontré les agents du Service national des enquêtes des Forces canadiennes (SNEFC) situé à Borden et les ont informés de l’enquête actuelle au sujet d’une personne résidant dans un édifice sur la base. Il a été décidé que le détachement SNEFC Borden assumerait la responsabilité de l’enquête et porterait des accusations si nécessaire.

 

[17]           Le 12 juin 2013, un mandat de perquisition a été exécuté à cet édifice et l’ordinateur de l’accusé a été saisi.

 

[18]           Le caporal Flinn, membre du SNEFC, a procédé à un examen judiciaire de l’ordinateur de l’accusé, à l’aide d’un logiciel de dissection numérique appelé Internet Evidence Finder (IEF), afin de localiser et d’identifier la présence de matériel de pornographie juvénile. Il en a effectivement trouvé, et il a donc préparé son rapport d’enquête.

 

[19]           Comme je l’ai déjà dit, l’acte d’accusation a été signé par un représentant du Directeur des poursuites militaires le 28 mai 2014 et les quatre accusations figurant sur l’acte d’accusation ont été prononcées le 2 juin 2014. Le bureau de l’avocat de la défense a reçu une première divulgation le 11 juin 2014.

 

[20]           Le capitaine de corvette Walden a également été invité à communiquer avec le détachement SNEFC Borden afin qu’on lui transmette deux disques compacts comportant des renseignements supplémentaires qui n’avaient pas été fournis lors de la première divulgation. Ces disques contenaient essentiellement ce qui suit :

 

a)                  le curriculum vitæ et le rapport judiciaire du caporal Flinn;

 

b)                  une copie non modifiée du lecteur de disque dur de l’accusé.

 

[21]           Le 20 juin 2014, le procureur de la poursuite a produit le sommaire des dépositions.

 

[22]           Le 12 août 2014, le capitaine de corvette Walden a demandé la divulgation d’autres renseignements, soit une copie du logiciel Roundup Ares et une copie du dossier et des fichiers d’enquête d’intérêt. En réponse, le procureur de la poursuite lui a dit qu’il ne lui fournirait pas une copie du logiciel et du dossier et des fichiers d’enquête d’intérêt, mais qu’il pourrait s’organiser pour que l’avocat de la défense et son expert puissent utiliser le logiciel Roundup Ares à un détachement de la PPO.

 

[23]           Entre la mi‑juillet et la fin août 2014, différents échanges ont eu lieu entre le SNEFC et l’avocat de la défense pour que ce dernier puisse avoir accès aux renseignements supplémentaires sur les deux disques, mais sans succès jusqu’à maintenant. Principalement, il s’agit de savoir comment l’avocat de la défense contrôlerait les renseignements. Il semble que ce dernier et la police ne s’entendent pas sur cette question.

 

[24]           Pendant l’audience, l’intimée m’a indiqué que le dossier et les fichiers d’enquête d’intérêt se trouvaient sur les deux disques et faisaient partie du rapport judiciaire. De plus, le procureur de la poursuite a finalement divulgué à l’avocat de la défense une copie certifiée conforme de la déclaration.

 

[25]           Le requérant m’a dit que concernant la divulgation du curriculum vitæ du caporal Flinn, du rapport judiciaire et du lecteur de disque dur de l’accusé, les seuls problèmes se rapportent à la méthode pour lui faire parvenir ces éléments et les paramètres relatifs au contrôle qu’il devrait exercer sur eux, plus précisément le rapport judiciaire et le lecteur de disque dur, compte tenu de la nature très sensible du matériel et du fait qu’il aimerait en faire une copie pour des raisons pratiques, notamment pour le remettre à un expert. De plus, il a soutenu que la manière imposée par le procureur de la poursuite pour divulguer ces éléments de preuve l’obligerait à révéler le nom de l’expert qu’il a engagé, ce qui serait contraire à toute pratique connue.

 

[26]           Concernant la divulgation du logiciel Roundup Ares, le requérant a indiqué qu’il doit y avoir accès, afin de comprendre clairement comment les renseignements ont été obtenus pour étayer la dénonciation, et lui permettre d’éventuellement contester la validité du mandat de perquisition ayant mené à la fouille et à la saisie de l’ordinateur de l’accusé, dans lequel il est allégué que du matériel de pornographie juvénile a été trouvé. Pour les mêmes raisons, le requérant a estimé que le logiciel de dissection numérique intitulé Internet Evidence Finder devrait être divulgué parce qu’il a été utilisé par les enquêteurs du SNEFC afin d’identifier le matériel de pornographie juvénile sur l’ordinateur de l’accusé.

 

[27]           L’intimée ne voit aucun problème à divulguer le curriculum vitæ du caporal Flinn. Ce n’est manifestement pas un problème. Toutefois, concernant le rapport judiciaire et le lecteur de disque dur de l’accusé, elle a affirmé que la méthode adoptée par le procureur de la poursuite est la suivante; compte tenu de la nature sensible et sérieuse du matériel divulgué, l’avocat de la défense ne peut en effectuer aucune copie pour la soumettre à un expert et la seule façon pour ce dernier d’en obtenir une est en s’adressant directement au procureur de la poursuite une fois l’expert identifié par l’avocat de la défense. Essentiellement, l’intimée était d’avis que la façon dont le matériel de cette nature doit être divulgué devrait être fixée judiciairement au lieu de le faire sur consentement entre les parties.

 

[28]           Concernant le logiciel Roundup Ares, l’intimée était d’avis qu’aucune copie de ce logiciel ne serait divulguée. Son opinion était fondée sur deux motifs : premièrement, le logiciel échappe au contrôle du procureur de la poursuite parce que les méthodes d’enquête internes de la PPO ne sont pas assujetties au contrôle de la poursuite militaire; deuxièmement, il y a un privilège d’intérêt public en common law applicable dans les circonstances qui justifieraient le poursuivant de ne pas divulguer une telle méthode d’enquête interne utilisée par la PPO pour ce genre de crime. Par contre, malgré son opinion, l’intimée m’a clairement dit qu’elle ne voyait aucun problème à donner accès à l’avocat de la défense, et à l’expert de l’accusé, au logiciel à un établissement de la PPO pour lui permettre de l’examiner.

 

[29]           Enfin, concernant le logiciel de dissection numérique appelé Internet Evidence Finder, l’intimée a indiqué qu’il s’agit d’un logiciel en vente sur le marché que tout expert devrait être capable d’identifier et utiliser sans problème, ce qui n’oblige pas l’intimée à en fournir une copie.

 

[30]           Il me semble que la question générale soulevée par la requête concerne davantage la méthode de divulgation de la preuve que les éléments qui doivent être divulgués ou non. Le droit à la divulgation n’est pas une fin en soi. Il vise à assurer le droit de l’accusé à une justice fondamentale en fonction des questions opposées de la fiabilité du résultat et de l’équité.

 

[31]           Il est bien établi en droit que le procureur de la poursuite a l’obligation, l’obligation juridique, de divulguer à l’accusé tous les renseignements pertinents, pas simplement le matériel que le procureur de la poursuite a l’intention d’utiliser dans le cadre de sa preuve. Les fruits de l’enquête en sa possession ne sont pas la propriété du procureur de la poursuite en vue de garantir une déclaration de culpabilité, mais la propriété du public en vue de veiller à ce que justice soit rendue.

 

[32]           Toutefois, le procureur de la poursuite a un certain pouvoir discrétionnaire lié à la pertinence et au privilège. Dans ce contexte, le procureur de la poursuite n’a aucune obligation de divulguer ou de produire des documents qu’il n’a pas. Il s’agit d’une obligation imposée au procureur de la poursuite, et ce dernier doit divulguer tout nouveau renseignement ou matériel à la défense dès qu’il l’a en sa possession ou sous son contrôle.

 

[33]           Le droit de l’accusé à la divulgation de renseignements entre en jeu chaque fois qu’il y a une possibilité raisonnable que le renseignement soit utile à l’accusé pour sa défense pleine et entière. Ce droit est protégé par l’article 7 de la Charte et aide à garantir la capacité de l’accusé à exercer son droit à une défense pleine et entière, comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Carosella (1997), 112 C.C.C. (3d) 289, au paragraphe 37.

 

[34]           Il est bien établi en droit que l’objectif de la poursuite des infractions n’est pas de garantir une déclaration de culpabilité à tout prix; il s’agit de soumettre au tribunal les éléments que le poursuivant considère comme une preuve crédible et pertinente qui établirait la perpétration d’une présumée infraction. Le procureur de la poursuite a l’obligation de présenter clairement, intégralement et équitablement tous les éléments de preuve disponibles. Le procureur de la poursuite ne gagne pas; le procureur de la poursuite ne perd pas.

 

[35]           Les liens entre l’obligation de divulgation et les obligations du procureur de la poursuite ont été énoncés par la juge Claire L’Heureux-Dubé, alors juge à la Cour suprême, dans l’arrêt R. c. O’Connor (1995), 103 C.C.C. (3d) 1. Elle indique ce qui suit à la page 50 de cet arrêt, au paragraphe 101 :

 

Bien que l’obligation de divulguer qui incombe au ministère public ait connu un regain de vigueur depuis l’adoption de la Charte, en particulier l’art. 7, cette obligation n’est pas subordonnée à la preuve préalable de l’existence d’une violation de la Charte. La divulgation intégrale et équitable des détails de la preuve est plutôt un aspect fondamental de l’obligation du ministère public d’être au service du tribunal en tant qu’officier public de bonne foi, dont le rôle exclut toute notion de gagner ou de perdre un procès, et consiste plutôt à s’assurer que justice soit rendue : Stinchcombe, précité, à la p. 333.

 

[36]           L’exercice par le procureur de la poursuite de son pouvoir discrétionnaire est susceptible de contrôle par un juge militaire. La non-divulgation absolue de renseignements pertinents à l’égard de la défense ne peut être justifiée que sur le fondement d’un privilège juridique. Ce privilège est susceptible de contrôle au motif que cette restriction au droit à une défense pleine et entière dans un cas donné n’est pas raisonnable.

 

[37]           Il ne s’agit pas d’un cas où le poursuivant tente de cacher des renseignements à la défense. Le procureur de la poursuite était et est toujours prêt à divulguer tout ce qui est sous son contrôle et en la possession des corps policiers, et de donner accès à ce matériel. Le différend en cause concerne la manière dont l’accès devrait être donné. Je reconnais que l’insistance du procureur de la poursuite sur la façon précise de procéder à la divulgation est fondée sur une préoccupation sincère et honnête que la pornographie juvénile pourrait être diffusée par inadvertance.

 

[38]           S’agissant du curriculum vitæ du caporal Flinn, je comprends qu’il ne pose aucun problème et doit être divulgué dès que possible.

 

[39]           S’agissant du rapport judiciaire, qui comprend le dossier et les fichiers d’enquête d’intérêt, et du lecteur de disque dur de l’accusé, le problème, du point de vue de l’intimée, est la diffusion possible de matériel de pornographie juvénile.

 

[40]           Je dirais qu’à l’instar du procureur de la poursuite, qui est tenu d’agir selon les règles de déontologie dans le cadre du procès et de la divulgation, l’avocat de la défense a systématiquement démontré qu’il agissait selon les règles de déontologie. Je n’ai aucune raison de penser que l’avocat de la défense, de ce point de vue, diffusera ce matériel au‑delà de la portée de son contrôle ou de sa possession personnels le cas échéant. À mon avis, il en est de même pour l’expert choisi par l’avocat de la défense.

 

[41]           Ensuite, les conditions suggérées par l’avocat de la défense à titre d’engagement dans son courriel daté du 16 juillet 2014 m’apparaissent plus que raisonnables dans les circonstances et je ne vois aucune raison en l’espèce de ne pas les respecter. Ces conditions auraient dû être considérées comme suffisantes par le procureur de la poursuite afin de s’acquitter de son obligation concernant la divulgation.

 

[42]           Concernant la divulgation du logiciel Roundup Ares, j’estime qu’il est pertinent pour l’accusé de savoir, en lien avec les accusations prononcées, comment les renseignements ont été recueillis pour pouvoir étayer la dénonciation ayant mené à la perquisition et à la saisie de son ordinateur, et comment ces renseignements ont été obtenus à l’appui de certains éléments essentiels des deuxième et quatrième accusations sur l’acte d’accusation.

 

[43]           Toutefois, en revanche, je comprends la préoccupation de l’intimée concernant la diffusion d’une technique d’enquête particulière, qui est représentée par l’utilisation du logiciel Roundup Ares. Monsieur Versace a indiqué assez clairement dans son témoignage que le logiciel a été établi par des autorités d’application de la loi pour usage interne seulement et qu’il fait évidemment partie d’une technique d’enquête pour repérer les personnes qui possèdent du matériel de pornographie juvénile et qui le rendent accessible.

 

[44]           Dans ces circonstances, j’estime que la proposition du procureur de la poursuite de donner accès au requérant en permettant à l’avocat de la défense ou à son expert de se présenter à un établissement de la PPO et, en privé, d’examiner le logiciel et de parler à ceux qui l’ont créé et qui s’en servent, permettrait au procureur de la poursuite de s’acquitter de son obligation de divulgation sur cette question précise. Cette suggestion est raisonnable dans les circonstances et, compte tenu de ma conclusion sur cette question, je ne vois pas en quoi il me serait utile d’examiner l’application d’un privilège d’intérêt privé en common law comme l’a soulevé l’intimée.

 

[45]           Enfin, concernant la divulgation d’une copie du logiciel de dissection numérique appelé Internet Evidence Finder, l’intimée a indiqué au tribunal qu’un expert judiciaire qui respecte les normes industrielles à ce jour saurait comment utiliser IEF et devrait posséder le logiciel de sorte qu’il pourrait donner accès aux données à la défense sans devoir en fournir une copie.

 

[46]           Concernant cette question précise, cette affirmation semble raisonnable dans les circonstances. Selon le témoignage du caporal Flinn, IEF est un produit élaboré par l’industrie pour récupérer des données sur des disques durs et dans la mémoire vive des ordinateurs. Il s’agit d’un produit breveté et ne peut vraisemblablement pas être partagé.

 

[47]           Je dirais que dans ces circonstances, je crois que le procureur de la poursuite doit divulguer les renseignements concernant la version exacte d’IEF utilisée par les enquêteurs du SNEFC. Ensuite, si, pour toute raison, l’expert judiciaire engagé par l’avocat de la défense ne sait pas comment se servir d’IEF ou ne possède pas un tel logiciel, le procureur de la poursuite, par l’entremise du SNEFC, devrait donner accès au requérant en permettant à l’avocat de la défense ou à son expert de se présenter à un établissement du SNEFC et, en privé, d’appliquer le logiciel à la copie du disque dur du requérant.

 

POUR CES MOTIFS :

 

[48]           J’ACCUEILLE, en partie, la requête;

 

[49]           J’ORDONNE la divulgation du curriculum vitæ du caporal Flinn à l’avocat de la défense du requérant dès que possible;

 

[50]           J’ORDONNE que le rapport d’expert, qui comprend le dossier et les fichiers d’enquête d’intérêt, et le lecteur de disque dur de l’accusé, soient divulgués par le poursuivant à l’avocat de la défense du requérant à la signature par ce dernier de l’engagement suivant :

 

a)                  Il ne fait qu’une seule copie de tout matériel contenant de la pornographie juvénile sur le lecteur de disque dur d’un ordinateur portable désigné par le DSAD à cette fin et cette copie sera effacée de son emplacement sur le disque dur et de la corbeille dans le même délai que l’engagement no 2.

 

b)                  Tous les disques originaux seront retournés au GICT ou au procureur de la poursuite dans les 45 jours suivant l’issue du procès. Dans l’éventualité où un appel est formé, les disques originaux peuvent être retenus jusqu’à 45 jours suivant l’issue de l’appel.

 

c)                  Le rapport comportant des images ne sera vu que par l’avocat de la défense, les experts engagés par l’avocat de la défense et l’accusé aux fins des procédures devant la cour martiale. L’accusé ne devra pas avoir la possession des images ou du rapport ni un accès non accompagné à ces images ou à ce rapport.

 

d)                 Tout expert engagé par l’avocat de la défense s’engage à ne pas faire de copies de tout matériel contenant de la pornographie juvénile et à respecter les engagements nos 2 et 3.

 

[51]           J’ORDONNE que le procureur de la poursuite donne accès au requérant en permettant à son avocat de la défense ou à son expert de se présenter à un établissement de la PPO et, en privé, d’examiner le logiciel Roundup Ares et de parler à ceux qui l’ont créé ou qui s’en servent.

 

[52]           J’ORDONNE que les détails soient fournis à l’avocat de la défense du requérant concernant la version utilisée par les enquêteurs du SNEFC du logiciel de dissection numérique appelé Internet Evidence Finder sur le lecteur de disque dur de l’accusé et si, pour toute raison, l’expert judiciaire engagé par l’avocat de la défense ne sait pas comment utiliser l’IEF ou ne possède pas un tel logiciel, le procureur de la poursuite, par l’entremise du SNEFC, devrait donner accès au requérant en permettant à l’avocat de la défense ou à son expert de se présenter à un établissement du SNEFC et, en privé, d’appliquer le logiciel à la copie du lecteur de disque dur de l’accusé.


 

Avocats :

 

Capitaine de corvette D. Reeves, Service canadien des poursuites militaires, Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Capitaine de corvette B.G. Walden, Direction du service d’avocats de la défense, Avocat du soldat McGoey,

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