Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 4 mai 2015.

Endroit : 3e Escadre Bagotville, édifice 81, rue Windsor, Alouette (QC).

Chefs d'accusation :

• Chef d'accusation 1 : Art. 117f) LDN, a commis un acte à caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale.

• Chef d'accusation 2 : Art. 130 LDN, avoir fait l'emploi de documents contrefaits (art. 368 C. cr.).

Résultats :

• VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Non coupable. Chef d’accusation 2 : Coupable.
• SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 2000$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Soudri, 2015 CM 3007

 

Date : 20150507

Dossier : 201502

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces Canadiennes Bagotville

Bagotville (Québec) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Sous-lieutenant N. Soudri, accusé

 

Devant : Lieutenant-colonel L.-V. d'Auteuil, J.M.


 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Rendu oralement)

 

[1]               Le sous-lieutenant Soudri fait l’objet de deux infractions d’ordre militaire à être jugées par cette cour martiale permanente, soit d’avoir commis un acte de caractère frauduleux en s’étant frauduleusement absenté du travail à sept occasions, contrairement au paragraphe 117f) de la Loi sur la défense nationale (LDN), et soit d’une infraction punissable en vertu de l’article 130 de la LDN pour avoir fait l’emploi de documents contrefaits s’étant servi d’attestations de visite médicale à neuf reprises comme si elles étaient authentiques, sachant qu’elles étaient contrefaites.

 

[2]               Essentiellement, il est allégué par la poursuite que le sous-lieutenant Soudri se serait absenté de son lieu de travail pour pouvoir accompagner sa conjointe à des rendez-vous médicaux concernant cette dernière, et qu’il aurait justifié ses absences par le biais de certificats d’absence contrefaits. Ces infractions se seraient déroulées entre le 28 janvier et le 25 juillet 2013, à ou dans les environs de la Base des Forces canadiennes (BFC) Bagotville, Alouette, province de Québec.

 

 

 

LA PREUVE

 

[3]               La poursuite a cité huit témoins : le capitaine Patoine-Bédard, le major Gauvin, madame Sylvie Gagnon, le caporal Jetté, enquêteur principal au dossier, madame Monique Couture, madame Danielle Duchesne, madame Sarah Pedneault et madame Cathy Fleury.

 

[4]               De plus, dans le cadre de sa preuve, la poursuite a aussi introduit les documents suivants :

 

a)                  La pièce 3, un cartable contenant quinze certificats d’absence concernant monsieur Nabil Soudri;

 

b)                  La pièce 4, une copie d’une attestation de visite au Centre de santé et de services sociaux (CSSS) de Chicoutimi concernant madame Suzie Fillion, signée par madame Sylvie Gagnon et datée du 20 décembre 2013;

 

c)                  La pièce 5, une copie d’une attestation de visite au CSSS de Chicoutimi concernant monsieur Nabil Soudri, signée par madame Sylvie Gagnon et datée du 20 décembre 2013;

 

d)                  La pièce 7, une copie d’un relevé des congés militaires du capitaine Canuel pour la période du 1er avril 2012 au 31 mars 2013;

 

e)                  La pièce 8, une copie conforme à l’original du sommaire des dossiers personnels des militaires concernant le sous-lieutenant Soudri à jour au 29 avril 2015.

 

[5]               Les deux parties se sont entendues sur certains faits, dispensant un témoin de se présenter à la cour et à la poursuite de faire cette preuve. Les admissions de la défense sont les suivantes :

 

a)                  Le sous-lieutenant Soudri a travaillé à la section des opérations du 439e Escadron de soutien de combat, BFC Bagotville, du mois de décembre 2012 au mois de septembre 2013;

 

b)                  Le caporal Dubé a travaillé à la section des opérations du 439e Escadron de soutien de combat pendant la période où y travaillait également le sous-lieutenant Soudri;

 

c)                  Pendant cette période, le sous-lieutenant Soudri s’est absenté en raison de rendez-vous médicaux;

 

d)                  Il est arrivé au caporal Dubé de recevoir des attestations de visite médicale justifiant les absences du sous-lieutenant Soudri lorsque les officiers de la section n’étaient pas présents;

 

e)                  Le caporal Dubé n’a aucun souvenir des dates où ces attestations lui ont été remises, de leur nombre ou de leur nature;

 

f)                    Le caporal Dubé remettait ensuite ces attestations au capitaine Patoine-Bédard, sans les altérer.

 

[6]               Finalement, la cour a pris connaissance judiciaire des faits et questions énumérés à l'article 15 des Règles militaires de la preuve.

 

LES FAITS

 

[7]               Le sous-lieutenant Soudri a décidé de ne pas présenter de défense.

 

[8]               Le sous-lieutenant Soudri s’est enrôlé au sein des Forces canadiennes, Force régulière, comme pilote le 6 août 2007. Il a complété son cours de qualification militaire de base d’officiers en 2008 et il a suivi diverses formations reliées à son métier de pilote de 2009 à 2012. Dans le cadre de sa formation en cours d’emploi, il a travaillé à la section des opérations du 439e Escadron de soutien de combat, BFC Bagotville, du mois de décembre 2012 au mois de septembre 2013.

 

[9]               Le 439e Escadron a pour mission principal de supporter les opérations de vol de la 3Escadre à Bagotville. De plus, elle supporte la base du côté utilitaire et s’occupe aussi de recherche et sauvetage.

 

[10]           L’officier de la section des opérations était le capitaine Canuel et son adjoint était le capitaine Patoine-Bédard. Il y avait aussi le caporal Dubé. Deux officiers y faisaient leur formation en cours d’emploi, soit le sous-lieutenant Hamel-Gagnon et le sous-lieutenant Soudri. À compter du mois de février 2013, le capitaine Patoine-Bédard est devenu l’officier de la section des opérations, considérant que le capitaine Canuel était en congé parental. Ce dernier est revenu à la section au mois d’avril et il a quitté définitivement la section au mois de juillet 2013. Le capitaine Taillefer s’est joint à la section à titre d’officier adjoint des opérations. Jusqu’au mois de juillet 2013, le lieutenant-colonel Savard était le commandant de l’escadron 439 et il a été remplacé par le major Gauvin, qui occupe toujours ce poste.

 

[11]           La conjointe de fait du sous-lieutenant Soudri est madame Suzie Fillion. Ils ont eu deux enfants, le premier en septembre 2013 et le deuxième en août 2014. Il appert de la preuve qu’entre janvier et septembre 2013, le sous-lieutenant Soudri a dû s’absenter du travail pour divers rendez-vous médicaux, incluant ceux qu’avait sa conjointe dans le cadre de son suivi de grossesse pour leur premier enfant.

 

[12]           Le sous-lieutenant Soudri avait plusieurs projets significatifs à accomplir à la section des opérations dans le cadre de sa formation en cours d’emploi tels que mettre à jour la liste des hôpitaux, la liste des sites de cache de carburant ou de repeindre l’emblème de l’escadron. Il travaillait à la section des opérations de huit heures à seize heures.

 

[13]           Afin de s’absenter, le sous-lieutenant Soudri devait obtenir obligatoirement l’autorisation d’un superviseur, comme c’était le cas pour l’autre sous-lieutenant. À compter du mois d’avril 2013, afin de mieux contrôler les allées et venues des deux officiers en formation en cours d’emploi, un livre de signature a été instauré dans lequel chacun des sous-lieutenants devaient indiquer ses entrées et sorties de la section afin de permettre aux superviseurs de les localiser. Par la suite, un tableau blanc a été installé afin d’indiquer les allées et venues de l’ensemble des membres de la section.

 

[14]           Le sous-lieutenant Soudri avisait son superviseur la semaine même, et des fois, le jour même du rendez-vous où il devait accompagner sa conjointe. Le superviseur ne questionnait pas en profondeur le sous-lieutenant Soudri car il lui faisait confiance et désirait lui laisser une certaine liberté quant à la gestion de sa vie personnelle. De plus, le sous-lieutenant Soudri n’était pas enclin à donner beaucoup de détails. Le superviseur sachant que le sous-lieutenant Soudri serait absent et la raison de l’absence, il n’y avait pas lieu pour lui d’aller plus loin dans la recherche d’information.

 

[15]           À une reprise, le 4 juillet 2013, le sous-lieutenant Soudri s’est absenté sans avoir avisé ses superviseurs. Il a justifié son absence le lendemain, 5 juillet, lors de son retour à la section des opérations, et il a fourni un document justifiant son absence (pièce 3, onglet 13).

 

[16]           Afin de confirmer la raison de ses absences alors qu’il accompagnait sa conjointe au service ambulatoire santé de la femme du CSSS de Chicoutimi, le sous-lieutenant Soudri a remis à ses supérieurs un billet de présence signé par un représentant du CSSS de Chicoutimi. Les billets ont été remis par le sous-lieutenant Soudri au caporal Dubé, au capitaine Canuel et au Capitaine Patoine-Bédard. Ce dernier a ultimement reçu et gardé l’ensemble des billets reçus du sous-lieutenant Soudri dans un calepin afin de garder un suivi et un bon contrôle sur ce type de documentation.

 

[17]           La clinique de santé de la femme du CSSS de Chicoutimi remet une attestation écrite de présence sous forme de billet à la demande à la personne qui a un rendez-vous et aussi aux personnes qui accompagnent la personne qui a un rendez-vous afin de démontrer auprès d’un employeur ou toute autre organisation qu’elles se sont bel et bien présentées.

 

[18]           Il s’agit d’un document qui est rempli et signé par l’une des deux agentes administratives à la réception de la clinique de santé de la femme du CSSS de Chicoutimi, mesdames Monique Couture et Sylvie Tremblay, ou par la personne qui les remplace lors de leur pause ou lors de leur période de dîner. Aucune copie n’est conservée par le CSSS de Chicoutimi.

 

[19]           Madame Danielle Duchesne est une personne qui a remplacé les deux agentes administratives à l’occasion et elle a témoigné qu’elle a signé et inscrit sa fonction sur de tels billets, qu’elle a remis à des personnes qui en ont fait la demande, tout en laissant le soin à ces personnes d’y ajouter elles-mêmes le nom de la personne et la date de la visite.

 

[20]           Deux de ces billets signés de sa main ont été remis par le sous-lieutenant Soudri à son superviseur pour des rendez-vous de sa femme qui auraient eu lieu le 28 janvier et le 7 février 2013 (pièce 3, onglets 4 et 5).

 

[21]           Le sous-lieutenant Soudri a aussi remis quatre billets signés par Francine Pedneault pour deux rendez-vous différents à la clinique de santé de la femme du CSSS de Chicoutimi le 14 février 2013 et deux rendez-vous différents le 21 février 2013 (pièce 3, onglets 6 à 9). Il a aussi remis un billet signé par Sonia Dufour pour deux rendez-vous le 21 mars 2013 (pièce 3, onglet 12).

 

[22]           Selon le chef de service du CSSS de Chicoutimi, ressources humaines, mesdames Sarah Pedneault, Francine Pedneault et Sonia Dufour n’ont jamais été des employées du CSSS de Chicoutimi, soit à titre temporaire ou permanent. De plus, madame Monique Couture, agente administrative travaillant à la réception de la clinique de santé de la femme du CSSS de Chicoutimi ne connaît aucune personne portant ces noms ou qui aurait travaillé à cet endroit.

 

[23]           Le sous-lieutenant Soudri aurait remis un billet signé par madame Monique Blanchette pour un rendez-vous à la clinique de santé de la femme du CSSS de Chicoutimi le 4 juillet 2013. Toujours selon le chef de service du CSSS de Chicoutimi, ressources humaines, il y a une employée au service de son organisation portant le nom de Monic Blanchette, dont l’orthographe du prénom diffère de celle apparaissant sur le billet. De plus, cette personne est une technicienne en éducation spécialisée et ne travaille donc pas à la réception de la clinique de santé de la femme du CSSS de Chicoutimi, ce qui a aussi été confirmé par madame Monique Couture.

 

[24]           Finalement, le sous-lieutenant Soudri aurait remis un billet signé par madame Monique Couture pour un rendez-vous le 14 mars 2013 (pièce 3, onglet 11). Madame Couture a témoigné à l’effet que la signature apparaissant sur ce billet n’est pas la sienne et qu’elle ne reconnaît pas l’écriture utilisée sur le billet, incluant celle utilisée pour inscrire le mot « réceptionniste ». Elle a utilisé deux autres billets qui lui ont été présentés (pièce 3, onglets 3 et 15), et sur lesquels elle a reconnu sa signature et son écriture pour expliquer les différences qu’elle a noté avec le billet pour le rendez-vous du 14 mars 2013.

 

[25]           L’archiviste médicale du CSSS de Chicoutimi, madame Sylvie Gagnon, a effectué des vérifications dans le dossier de la conjointe du sous-lieutenant Soudri et de ce dernier, a contacté l’agente administrative de la clinique de fertilité, la gestionnaire de la clinique de santé de la femme du CSSS de Chicoutimi et la nutritionniste, et a vérifié dans le système informatique concernant les examens en laboratoire, afin d’être en mesure d’identifier, tel que demandé par l’enquêteur de la police militaire, les dates entre les mois de janvier et septembre 2013 pour lesquelles le sous-lieutenant Soudri et sa conjointe ont eu des rendez-vous à la clinique de santé de la femme du CSSS de Chicoutimi, le tout tel qu’il appert des pièces 4 et 5. Les dates de ces rendez-vous sont : le 14, 21 et 25 janvier 2013; le 1er et 26 février 2013; le 3 et 17 mai 2013; le 27 juin 2013; le 16, 26 et 30 juillet 2013; le 19 et 30 août 2013; et le 4, 11 et 13 septembre 2013. La conjointe du sous-lieutenant Soudri aurait aussi été hospitalisée du 16 au 18 septembre 2013, ce qui correspond à la période de la naissance de leur premier enfant.

 

[26]           La chef de l’unité de soins de la clinique de santé de la femme du CSSS de Chicoutimi, madame Cathy Fleury, a mentionné à la cour que pour avoir accès à des soins, les patients doivent prendre un rendez-vous avec un professionnel. Souvent, un suivi est effectué et les agentes administratives à la réception appellent les patients pour la prise de rendez-vous. Ces derniers sont inscrits dans le module informatique de rendez-vous et la présence de chaque patient y est inscrite. L’information est envoyée aux archives. La responsabilité de l’émission d’un billet de présence appartient aux agentes administratives à la réception. Tel qu’expliqué par madame Monique Couture, lorsqu’une personne se présente pour un rendez-vous ou pour rencontrer un professionnel, aussitôt elle sera enregistrée dans le système informatique. Madame Fleury a précisé que l’enregistrement est nécessaire car cela permet de fournir les informations essentielles au médecin qui prend des notes au dossier.

 

[27]           Durant le mois de juillet 2013, le capitaine Patoine-Bédard a eu certains doutes quant à l’authenticité de certains billets remis par le sous-lieutenant Soudri et il en a parlé à son commandant, le major Gauvin. Le capitaine Patoine-Bédard a alors remis l’ensemble des billets justificatifs reçus du sous-lieutenant Soudri au major Gauvin.

 

[28]           Ce dernier a communiqué avec la police militaire afin qu’une enquête soit instituée quant à l’authenticité des billets remis par le sous-lieutenant Soudri afin de justifier ses absences de son lieu de travail. Le major Gauvin a remis l’ensemble des billets justificatifs qu’il avait obtenus du capitaine Patoine-Bédard à l’enquêteur de la police militaire, le sergent Marseille.

 

[29]           Les accusations devant cette cour ont fait l’objet d’une mise en accusation formelle le 28 janvier 2015 par le directeur des poursuites militaires et une date de procès devant une cour martiale permanente a été fixée au 4 mai 2015 pour procéder à l’audition de la cause.

 

LE DROIT

 

[30]           Avant que la cour n’expose son analyse juridique, il convient d’aborder la question de la présomption d’innocence; du fardeau et de la norme de preuve hors de tout doute raisonnable, norme inextricablement liée aux principes fondamentaux appliqués dans tous les procès pénaux; de la question de crédibilité et de la fiabilité des témoignages; de la notion de preuve et des éléments essentiels concernant chacune des infractions dont fait l’objet le sous-lieutenant Soudri. Si l’ensemble de ces principes sont évidemment bien connus des avocats, ils ne le sont peut-être pas des autres personnes présentes dans la salle d’audience.

 

[31]           Le premier et le plus important des principes de droit applicables à toutes les causes découlant du Code de discipline militaire et du Code criminel est la présomption d’innocence. À l’ouverture de son procès, le sous-lieutenant Soudri est présumé innocent et cette présomption ne cesse de s’appliquer que si la poursuite a présenté une preuve qui convainc la cour de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[32]           Deux règles découlent de la présomption d’innocence. La première est que la poursuite a le fardeau de prouver la culpabilité. La deuxième est que la culpabilité doit être prouvée hors de tout doute raisonnable. Ces règles sont liées à la présomption d’innocence et visent à assurer qu’aucune personne innocente n’est condamnée.

 

[33]           Le fardeau de la preuve appartient à la poursuite et n’est jamais renversé. Le sous-lieutenant Soudri n’a pas le fardeau de prouver qu’il est innocent. Il n’a pas à prouver quoi que ce soit.

 

[34]           Que signifie l’expression « hors de tout doute raisonnable »? Un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il n’est pas fondé sur un élan de sympathie ou un préjugé à l’égard d’une personne visée par les procédures. Au contraire, il est fondé sur la raison et le bon sens. Il découle logiquement de la preuve ou d’une absence de preuve.

 

[35]           Il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue, et la poursuite n’est pas tenue de le faire. Une telle norme serait impossible à satisfaire. Cependant, la norme de preuve hors de tout doute raisonnable s’apparente beaucoup plus à la certitude absolue qu’à la culpabilité probable. La cour ne doit pas déclarer le sous-lieutenant Soudri coupable à moins d’être sûre qu’il est coupable. Même si elle croit que le sous-lieutenant Soudri est probablement coupable ou vraisemblablement coupable, cela n’est pas suffisant. Dans ces circonstances, la cour doit accorder au sous-lieutenant Soudri le bénéfice du doute et le déclarer non coupable parce que la poursuite n’a pas réussi à convaincre la cour de sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[36]           Il est important pour la cour de se rappeler que l’exigence de preuve hors de tout doute raisonnable s’applique à chacun des éléments essentiels d’une infraction. Elle ne s’applique pas aux éléments de preuve individuels. La cour doit décider, à la lumière de l’ensemble de la preuve, si la poursuite a prouvé la culpabilité du sous-lieutenant Soudri hors de tout doute raisonnable.

 

[37]           Le doute raisonnable s’applique à la question de la crédibilité. À l’égard de toute question, la cour peut croire un témoin, ne pas le croire ou être incapable de décider. La cour n’a pas besoin de croire ou de ne pas croire entièrement un témoin ou un groupe de témoins. Si la cour a un doute raisonnable quant à la culpabilité du sous-lieutenant Soudri en raison de la crédibilité des témoins, la cour doit le déclarer non coupable.

 

[38]           Si la preuve, l’absence de preuve, la fiabilité ou la crédibilité d’un ou plusieurs témoins soulèvent dans l’esprit de la cour un doute raisonnable sur la culpabilité du sous-lieutenant Soudri sur un chef d’accusation, la cour doit le déclarer non coupable de ce chef.

 

[39]           La cour ne doit examiner que la preuve qui lui est présentée dans la salle d’audience. Elle est constituée de témoignages et de pièces produites. Cela peut également comprendre des admissions, comme c’est le cas ici, car les avocats des deux parties se sont entendus sur certains faits.

 

[40]           Les réponses d’un témoin aux questions qui lui sont posées font partie de la preuve. Les questions, par contre, ne constituent pas de la preuve, à moins que le témoin ne soit d’accord avec ce qui est demandé. Seules les réponses constituent de la preuve.

 

[41]           Maintenant, qu’en est-il des différents éléments essentiels pour chacune des accusations à être prouvées par la poursuite?

 

[42]           Le sous-lieutenant Soudri est d’abord accusé d’avoir commis un acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la LDN contrairement au paragraphe 117f) de la LDN, et qui se lit comme suit :

 

117. Commet une infraction et, sur déclaration de culpabilité, encourt comme peine maximale un emprisonnement de moins de deux ans quiconque :

 

[…]

 

f) commet un acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128.

 

[43]           La poursuite devait donc établir hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants : l’identité du sous-lieutenant Soudri comme auteur de l’infraction, la date et le lieu de l’infraction tels qu’allégués dans l’acte d’accusation.

 

[44]           La poursuite devait aussi établir les éléments additionnels suivants : 

 

a)                  que le sous-lieutenant Soudri a commis un acte de caractère frauduleux, ce qui inclut de démontrer:

 

                                             i.                        que le sous-lieutenant Soudri a frustré ou privé un tiers de ses droits ou de ses biens.

 

                                           ii.                        l’usage, par le sous-lieutenant Soudri, de supercherie, de mensonge ou d’un autre moyen dolosif comme étant la cause de la frustration ou privation.

 

b)                  l’intention du sous-lieutenant Soudri de commettre l’acte de caractère frauduleux.

 

[45]           Quant à l’élément essentiel voulant que l’accusé frustre ou prive une personne d’une chose, il faut préciser que dans les circonstances la chose peut désigner un bien, un service, de l’argent ou une valeur. Par « biens », on entend biens meubles et immeubles de tous genres, biens-fonds, marchandises, et le droit de recouvrer ou de recevoir de l’argent ou des marchandises. Le mot « argent » a ici son acception habituelle, soit des billets de banque et des pièces de monnaie. La dépossession peut entraîner une perte pécuniaire pour les Forces canadiennes, mais pas nécessairement. Il suffit que la conduite de l’accusé ait induit les Forces canadiennes à agir à leur détriment. Les intérêts économiques ou financiers des Forces canadiennes doivent être menacés par la conduite de l’accusé, mais une perte d’argent ou d’un bien de valeur n’est pas nécessaire.

 

[46]           En ce qui concerne l’élément essentiel selon lequel l’accusé a fait usage de supercherie, de mensonge ou d’un autre moyen dolosif dans un but de dépossession, il est primordial de préciser que pour prouver cet élément la poursuite doit convaincre la cour hors de tout doute raisonnable que c’était par supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif que le sous-lieutenant Soudri a frustré ou privé les Forces canadiennes. Il n’est pas nécessaire d’établir un usage de ces trois moyens, un seul suffit. La supercherie est une fausse assertion faite par une personne consciente qu’elle est fausse ou qui a une raison de croire qu’elle est fausse, mais qui l’a fait malgré tout pour induire une personne à y donner suite comme si elle était vraie, et ce, au détriment de cette personne. Le mensonge est une fausse affirmation faite sciemment. Le terme « autre moyen dolosif » a un champ sémantique plus vaste que « supercherie » et « mensonge ». Il désigne tous les moyens, autres que la supercherie et le mensonge, que les gens raisonnables considéreraient comme malhonnêtes.

 

[47]           Enfin, l’intention de commettre un acte de caractère frauduleux évoque l’état d’esprit du sous-lieutenant Soudri au moment où il a dépossédé les Forces canadiennes par supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif. Pour établir cet élément essentiel, la poursuite doit convaincre la cour hors de tout doute raisonnable qu’il avait intentionnellement prononcé ces paroles et/ou commis ces actes par supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif et qu’il savait que ces paroles et/ou ces actes pourraient menacer les intérêts économiques ou financiers des Forces canadiennes.

 

[48]           Pour établir l’état d’esprit de l’accusé, ses connaissances ou ses intentions, la cour prend en considération ce qu’il a fait ou n’a pas fait, comment il l’a fait ou ne l’a pas fait, et ce qu’il a dit ou n’a pas dit. La cour doit examiner les paroles et la conduite du sous-lieutenant Soudri, non seulement au moment où il a fait usage de supercherie, de mensonge ou d’un autre moyen dolosif pour frustrer ou priver les Forces canadiennes, mais aussi avant et après cette période. Ces informations et les circonstances qui les entourent peuvent aider à cerner l’état d’esprit de l’accusé à ce moment-là.

 

[49]           Le sous-lieutenant Soudri est aussi accusé d’avoir fait l’emploi de documents contrefaits, contrairement à l’article 368 du Code criminel. Cet article se lit comme suit :

 

368. (1) Commet une infraction quiconque, sachant ou croyant qu’un document est contrefait, selon le cas :

 

a)      s’en sert, le traite ou agit à son égard comme s’il était authentique;

 

b)      fait ou tente de faire accomplir l’un des actes prévus à l’alinéa a), comme s’il était authentique;

 

c)       le transmet, le vend, l’offre en vente ou le rend accessible à toute personne, sachant qu’une infraction prévue aux alinéas a) ou b) sera commise ou ne se souciant pas de savoir si tel sera le cas;

 

d)      l’a en sa possession dans l’intention de commettre une infraction prévue à l’un des alinéas a) à c).

 

(1.1) Quiconque commet une infraction prévue au paragraphe (1) est coupable :

 

a)      soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans;

 

b)      soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

 

(2) Aux fins des poursuites engagées en vertu du présent article, l’endroit où un document a été contrefait est sans conséquence.

 

[50]           En plus, de l’identité du sous-lieutenant Soudri à titre d’auteur de l’infraction, de la date et du lieu tels qu’allégués dans les détails de l’infraction, la poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels additionnels suivants :

 

a)                  un document a été contrefait;

 

b)                  le sous-lieutenant Soudri savait que le document a été contrefait;

 

c)                  le sous-lieutenant Soudri s’est servi du document contrefait;

 

d)                  le sous-lieutenant Soudri a présenté le document comme authentique.

 

[51]           Un document contrefait est un faux document fait par une personne qui sait qu’il est faux et qui a l’intention qu’il soit traité comme authentique au détriment d’une autre personne ou organisation. Il importe peu où et par qui le document a été contrefait.

 

[52]           La démonstration que le sous-lieutenant Soudri savait que le document a été contrefait est reliée à l’intention de l’accusé, particulièrement au fait qu’il savait que le document était contrefait lorsqu’il l’a utilisé. Une manière de prouver cet élément essentiel est de démontrer qu’il savait réellement ou était au courant que le document était contrefait lorsqu’il l’a utilisé. Il n’a pas à savoir la définition juridique d’un « document contrefait » mais il doit connaître les circonstances qui font de ce document un document contrefait.

 

[53]           Une manière de prouver cet élément essentiel, c’est-à-dire la connaissance par le sous-lieutenant Soudri du caractère contrefait du document, est de démontrer qu’il était au courant de la nécessité de s’enquérir de la nature du document, mais qu’il a délibérément omis de le faire parce qu’il ne voulait pas connaître la vérité sur ce sujet.

 

[54]           Quant à l’élément essentiel concernant le fait que le sous-lieutenant Soudri s’est servi du document contrefait, cela implique le fait que l’accusé a utilisé lui-même le document ou de faire en sorte, ou d’essayer qu’une autre personne l’utilise. Il n’est pas nécessaire que l’autre personne ait réellement utilisé le document en raison des efforts de l’accusé. Il est suffisant que l’accusé ait essayé qu’une telle chose soit faite.

 

[55]           Finalement, représenter quelque chose comme authentique signifie de décrire ou mettre de l’avant le caractère authentique du document, c’est-à-dire comme étant la chose réelle, tel qu’il apparaît être, plutôt que ce qu’il est vraiment et tel qu’il est connu par l’accusé. Cet élément essentiel est relié à l’intention de l’accusé de tromper une personne ou organisation à qui le document est présenté comme étant authentique.

 

POSITION DES PARTIES

 

[56]           La poursuite est d’avis que le sous-lieutenant Soudri a utilisé neuf billets concernant sept journées différentes où il aurait accompagné sa conjointe à la clinique de santé de la femme du CSSS de Chicoutimi pour justifier son absence de la section des opérations du 439e Escadron de soutien de combat entre la fin du mois de janvier et le début du mois de juillet 2013, alors qu’il savait que les documents soumis ne reflétaient nullement la réalité parce ce que ces rendez-vous n’ont pas eu lieu, commettant ainsi les deux infractions alléguées dans l’acte d’accusation.

 

[57]           De son côté, l’avocat de la défense a mentionné que la preuve présentée par la poursuite n’est pas suffisante afin de permettre à la cour de conclure hors de tout doute raisonnable que le sous-lieutenant Soudri savait que les documents en question étaient contrefaits et qu’il s’en soit personnellement servi. Au surplus, il a soumis à la cour que le caractère frauduleux des actes reprochés à son client n’a pas été démontré par la poursuite selon le fardeau de preuve requis car la preuve qui a été soumise à la cour ne révèle pas clairement et spécifiquement de quoi était constitué la privation dont a été l’objet les Forces canadiennes suite aux absences du sous-lieutenant Soudri.

 

ANALYSE

 

Deuxième chef d’accusation

 

[58]           La cour débutera son analyse par le deuxième chef d’accusation, soit celui relatif à l’emploi des documents contrefaits par le sous-lieutenant Soudri. L’accusation vise neuf billets qui auraient été soumis par l’accusé pour justifier son absence parce qu’il avait accompagné sa conjointe à la clinique de santé de la femme du CSSS de Chicoutimi aux dates suivantes : le 28 janvier 2013 (pièce 3, onglet 4), le 7 février 2013 (pièce 3, onglet 5), le 14 février 2013 (pièce 3, onglets 6 et 7), le 21 février 2013 (pièce 3, onglets 8 et 9), le 14 mars 2013 (pièce 3, onglet 11), le 21 mars 2013 (pièce 3, onglet 12), et le 4 juillet 2012 (pièce 3, onglet 13).

 

[59]           En ce qui a trait à l’identité de l’accusé en tant qu’auteur de l’infraction, la preuve a établi clairement que c’est bien le sous-lieutenant Soudri qui a remis à ses superviseurs, les capitaines Patoine-Bédard et Canuel, les billets afin de confirmer la raison de ses sept absences autorisées aux dates indiquées sur les documents. Le témoignage du capitaine Patoine-Bédard sur cette question apparaît sans équivoque à la cour. Il est vrai que la preuve a aussi révélé qu’il est possible que certains de ces documents aient été obtenus par l’intermédiaire du caporal Dubé, aussi membre de la section, mais cela n’entache en rien le témoignage du capitaine sur cette question, considérant que le processus était clair et que d’une manière ou d’une autre, la preuve dans son ensemble révèle que c’est bien le sous-lieutenant Soudri qui remettait les documents. De plus, ayant été le superviseur et ayant côtoyé l’accusé durant une période de neuf mois sur une base quotidienne pour le travail, il est clair que le capitaine Patoine-Bédard était en mesure d’identifier l’accusé comme étant l’auteur de l’infraction.

 

[60]            Concernant la période pendant laquelle les billets ont été remis, le capitaine Patoine-Bédard a témoigné à l’effet qu’il les a reçus le jour même ou quelques jours après l’absence autorisée de l’accusé et qui correspond à la période alléguée dans les détails de l’accusation.

 

[61]           Finalement, quant au lieu de l’infraction, encore une fois, le témoignage du capitaine Patoine-Bédard est tout à fait convaincant. Il a expliqué que le sous-lieutenant Soudri a soumis les billets sur les lieux de son service, soit la Base des Forces canadiennes Bagotville. La preuve concernant le capitaine Canuel et le caporal Dubé, qui ont aussi reçu de tels documents, est au même effet.

 

[62]           Le capitaine Patoine-Bédard a témoigné de manière calme, directe et concise. Il se rappelait bien des événements qui se sont déroulés en 2013 concernant l’accusé. Il est apparu clairement à la cour qu’il n’avait aucun parti pris dans cette affaire.

 

[63]           Concernant l’identité, la date et le lieu relatifs à la commission de l’infraction, la cour est d’avis qu’en considérant la preuve dans son ensemble, la poursuite s’est déchargée de son fardeau de preuve et à prouver, hors de tout doute raisonnable, ces trois éléments essentiels de l’infraction d’utilisation de documents contrefaits.

 

[64]           En se fiant aussi à cette même preuve, la cour est d’avis que la poursuite a démontré, hors de tout doute raisonnable, que c’est bel et bien l’accusé qui s’est servi de ces neuf documents.

 

[65]           Maintenant, est-ce que ces neuf documents ont été contrefaits? La preuve révèle que pour les dates apparaissant sur chacun des neuf documents, le sous-lieutenant Soudri et sa conjointe n’avait pas de rendez-vous à la clinique de santé de la femme du CSSS de Chicoutimi. Il a été démontré que le système d’enregistrement de rendez-vous à la clinique est rigoureux et qu’une recherche exhaustive a été effectuée par les autorités du CSSS de Chicoutimi pour s’assurer qu’ils n’omettaient aucune possibilité. Il est possible qu’une erreur se produise car ce système n’est pas à l’abri d’une erreur humaine. Par contre, il serait difficile de croire qu’une erreur ait pu se produire à neuf reprises à l’égard des mêmes personnes.

 

[66]           Les billets portant les dates du 28 janvier et 7 février 2013 portent la signature de madame Danielle Duchesne. Elle a témoigné que la signature et l’écriture quant au titre inscrit étaient bien d’elle mais que les autres inscriptions, soient la date et le nom du patient, n’était pas d’elle. Cet état de fait reflète son témoignage à l’effet qu’elle avait comme pratique de remettre un billet signé de sa part, en y inscrivant son titre, à tout client qui en faisait la demande sans vérifier quoi que ce soit d’autre. Elle se fiait à la parole des gens et leur laissait le loisir d’y inscrire le nom du client et la date du rendez-vous, considérant que les gens pouvaient venir chercher un billet plusieurs jours après leur rendez-vous. Considérant que la date qui a été inscrite sur ces deux billets ne concorde pas avec un rendez-vous du sous-lieutenant Soudri ou de sa conjointe à la clinique de santé de la femme du CSSS de Chicoutimi, la cour considère que la poursuite a démontré hors de tout doute raisonnable, considérant l’ensemble de la preuve, que ces documents ont été contrefaits.

 

[67]           Concernant les deux billets datés pour les deux rendez-vous du 14 février 2013 et les deux billets datés pour les rendez-vous du 21 février 2013, il appert que la signature qui apparaît sur chacun des billets est celle de madame Francine Pedneault. Or, il appert de la preuve qu’il n’y a jamais eu d’employé portant ce nom qui a travaillé au CSSS de Chicoutimi et pouvant ainsi valider les billets à la clinique de santé de la femme du CSSS de Chicoutimi. Considérant qu’au surplus, la date qui a été inscrite sur ces quatre billets ne concorde pas avec un rendez-vous du sous-lieutenant Soudri ou de sa conjointe à la clinique de santé de la femme du CSSS de Chicoutimi, la cour considère que la poursuite a démontré hors de tout doute raisonnable, considérant l’ensemble de la preuve, que ces documents ont aussi été contrefaits.

 

[68]           En ce qui a trait au billet portant la date du 21 mars 2013, la preuve a aussi démontré que la signataire, madame Sonia Dufour, n’était pas une personne employée au CSSS de Chicoutimi et que la date inscrite ne concorde pas avec un rendez-vous du sous-lieutenant Soudri ou de sa conjointe à la clinique de santé de la femme du CSSS de Chicoutimi. La même conclusion s’impose à l’égard de ce billet au même titre que ceux du 14 et 21 février 2013.

 

[69]           La cour considère que la poursuite a démontré hors de tout doute raisonnable, considérant l’ensemble de la preuve, que le billet portant la date du 4 juillet 2013 est un document contrefait car la preuve a démontré que la signataire de ce billet n’a jamais été une secrétaire ou une personne travaillant à la réception de la clinique de santé de la femme du CSSS de Chicoutimi. En considérant, de plus, que la date qui a été inscrite sur ce billet ne concorde pas avec un rendez-vous du sous-lieutenant Soudri ou de sa conjointe à la clinique de santé de la femme du CSSS de Chicoutimi, la cour ne peut qu’en venir à cette conclusion.

 

[70]           Finalement, pour le billet sur lequel la date du 14 mars est inscrite, le témoignage de madame Monique Couture est déterminant sur cette question. Elle a clairement indiqué à la cour, sans l’ombre d’un doute, que la signature et le titre ne sont pas de sa main. Elle a même utilisé deux documents similaires à titre de comparaison où elle a reconnu sa signature et son écriture. De plus, la date qui a été inscrite sur ce billet ne concorde toujours pas avec un rendez-vous du sous-lieutenant Soudri ou de sa conjointe à la clinique de santé de la femme du CSSS de Chicoutimi, la cour conclut que la poursuite a démontré hors de tout doute raisonnable, considérant l’ensemble de la preuve, que ce document a été contrefait.

 

[71]           Est-ce que le sous-lieutenant Soudri savait que ces neuf documents ont été contrefaits? Il n’existe aucune preuve directe pouvant démontrer que tel était le cas. En conséquence, la poursuite à inviter la cour à procéder par inférence à partir de la preuve déjà introduite devant elle.

 

[72]           La preuve est à l’effet que le sous-lieutenant Soudri est la seule personne qui a obtenu et remis ces billets. En effet, en plus des documents contrefaits, la poursuite a introduit en preuve des billets qui correspondaient à des rendez-vous pour lesquels le sous-lieutenant Soudri a accompagné sa conjointe et qui ont été remis au superviseur. Les billets étaient constitués à compter du moment où un client en faisait la demande et avait pour objet de certifier que la personne dont le nom y apparaissait, s’était présentée au rendez-vous. Ainsi, cela implique une démarche personnelle qui fait en sorte que dans les circonstances décrites, la cour conclut hors de tout doute raisonnable que l’accusé était au courant du contenu du billet qui servait à légitimer et confirmer la raison à l’origine de l’autorisation qu’il avait reçu de s’absenter pour accompagner sa conjointe à un rendez-vous à la clinique de santé de la femme du CSSS de Chicoutimi. Puisque ces documents ne correspondent pas à un rendez-vous que lui ou sa conjointe aurait eu selon les registres de la clinique de santé de la femme du CSSS de Chicoutimi, il ne peut s’être rendu à ce dernier endroit pour l’accompagner et il savait donc personnellement que les documents en question ne reflétaient pas la réalité, et étaient par le fait même contrefaits. Comme l’a dit le procureur de la poursuite, il ne peut y avoir d’autre conclusion que celle à l’effet que l’accusé était au courant que les documents étaient contrefaits. La cour conclut que la poursuite s’est déchargée de son fardeau de preuve, eu égard à l’ensemble des circonstances, concernant cet élément essentiel de l’accusation.

 

[73]           En dernier lieu, il appert de la preuve que le sous-lieutenant Soudri a présenté ces documents comme authentique, c’est-à-dire comme étant un document officiel et original émanant du CSSS de Chicoutimi afin de démontrer qu’il s’était bien rendu au rendez-vous en question avec sa conjointe.

 

[74]           En conséquence, considérant l’ensemble de la preuve, la cour en vient à la conclusion que la poursuite a démontré hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels de cette accusation et trouve ainsi coupable l’accusé d’avoir utilisé neuf documents contrefaits.

 

Premier chef d’accusation

 

[75]           Maintenant, en ce qui a trait au premier chef d’accusation, tel que mentionné dans l’analyse du deuxième chef d’accusation, la cour considère que les éléments essentiels à propos de l’identité, de la date et du lieu relatifs à la commission de l’infraction, que la poursuite s’est déchargée de son fardeau de preuve et à démontrer, hors de tout doute raisonnable, ces trois éléments essentiels de l’infraction d’avoir commis un acte à caractère frauduleux.

 

[76]           Est-ce que l’accusé a commis un acte de caractère frauduleux? Dans le cadre de notre analyse du deuxième chef d’accusation, la preuve a clairement démontré que le sous-lieutenant Soudri a usé de supercherie en déclarant faussement tout d’abord à son supérieur qu’il devait s’absenter pour accompagner sa conjointe à un rendez-vous à la clinique de santé de la femme du CSSS de Chicoutimi, pour ensuite présenter un document qu’il savait faux et qui démontrait qu’il avait fait une telle chose, alors que cela n’était pas le cas. Cette preuve est donc concluante quant à la démonstration par la poursuite que l’accusé a fait usage de supercherie.

 

[77]           Cette supercherie aurait eu pour effet, selon la preuve de la poursuite, de priver les Forces canadiennes, et plus particulièrement la section des opérations du 439Escadron, de la prestation de travail qu’aurait dû normalement fournir l’accusé et pour laquelle il était payé. Il y aurait ainsi une perte économique pour les Forces canadiennes car elles auraient payé quelqu’un qui n’aurait pas fourni le service attendu en retour.

 

[78]           La cour est d’avis que cet aspect n’a pas été démontré par la poursuite hors de tout doute raisonnable. En effet, le mode de fonctionnement de la section des opérations du 439e Escadron reposait beaucoup plus sur la bonne foi de ses membres qu’autre chose. La preuve révèle qu’il y avait un certain va et vient qui avait pour résultat que les membres de cette section n’étaient pas tous au même endroit en même temps. Les superviseurs étaient des pilotes et ils volaient de temps à autre. Les officiers en formation en cours d’emploi avaient différents projets et différentes tâches. Rien dans la preuve n’indique que certains projets ou certaines de ces tâches n’ont pu être accomplis en raison des absences de l’accusé. A-t-il complété ses projets à la maison, ou en demeurant plus longtemps sur les lieux de son travail? La preuve demeure silencieuse à ce sujet. Dans les faits, il n’y pas de preuve concluante, très spécifique et détaillée quant à la nature exacte et à l’impact de la privation sur l’unité et les Forces canadiennes en raison de l’absence de l’accusé lors de ces sept occasions où il a fait usage de supercherie.

 

[79]           Dans les circonstances, en regard de l’ensemble de la preuve présentée par la poursuite, la cour conclut que cette dernière ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve hors de tout doute raisonnable, à l’effet que le sous-lieutenant Soudri a commis un acte de caractère frauduleux en s’absentant de son travail comme il l’a fait.

 

[80]           De plus, il n’apparaît pas clairement de la preuve présentée par la poursuite que l’accusé connaissait les conséquences de mettre en péril, par le biais de ses absences, les intérêts économiques des Forces canadiennes en raison de ce que la section des opérations du 439e Escadron devait accomplir. Étant donné la nature des tâches plutôt mineures et cléricales qui lui étaient confiées dans le cadre de sa formation en cours d’emploi, il apparaît difficile de croire que l’accusé aurait pu penser qu’il était un rouage si essentiel aux opérations de l’unité que sa performance et sa prestation de travail mettait en péril les intérêts de l’unité dans l’accomplissement de sa mission en commettant un acte de caractère frauduleux. À cet égard, la preuve est loin de convaincre la cour sur cet élément essentiel de l’accusation.

 

[81]     En conséquence, considérant l’ensemble de la preuve, la cour en vient à la conclusion que la poursuite n’a pas démontré tous les éléments essentiels de cette accusation hors de tout doute raisonnable et trouve ainsi non coupable l’accusé d’avoir commis un acte de caractère frauduleux.

 

POUR TOUTES CES RAISONS, LA COUR:

 

[82]           DÉCLARE le sous-lieutenant Soudri non coupable du premier chef d’accusation apparaissant à l'acte d'accusation; et

 

[83]           DÉCLARE le sous-lieutenant Soudri coupable du deuxième chef d’accusation apparaissant à l'acte d'accusation.


 

Avocats:

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par le major P. Doucet, le major B. Tremblay et la lieutenante de vaisseau V. Pagé

 

Capitaine de corvette P.D. Desbiens, service d’avocats de la défense, avocat du sous-lieutenant N. Soudri

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