Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 10 novembre 2014.

Endroit : BFC Gagetown, édifice F-1, Oromocto (NB).

Chefs d’accusation
- Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, agression armée (art. 267a) C. cr.).
- Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 84 LDN, a brandi une arme contre un supérieur.
- Chef d’accusation 3 : Art. 85 LDN, a menacé verbalement un supérieur.

Résultats
- VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Coupable. Chefs d’accusation 2, 3 : Non coupable.
- SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 3000$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

Référence : R. c. Anderson, 2014 CM 4013

Date : 20141114
Dossier : 201435

Cour martiale permanente

Salle d’audience de la Base des Forces canadiennes Gagetown
Oromocto (Nouveau-Brunswick) Canada

Entre :

Sa Majesté la Reine

- et -

Caporal-chef G.M.E. Anderson, contrevenant

Devant : Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE LA SENTENCE

(Prononcés de vive voix)

Introduction

[1]               La Cour a déclaré le caporal-chef Anderson coupable d’une accusation aux termes de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale pour agression armée en contravention de l’alinéa 267a) du Code criminel du Canada.

[2]               Il m’incombe maintenant, à titre de juge militaire présidant la présente Cour martiale permanente, de déterminer la sentence. Pour ce faire, j’ai tenu compte des principes de détermination de la sentence qu’appliquent les cours ordinaires de juridiction criminelle au Canada et les cours martiales. J’ai également tenu compte des faits pertinents en l’espèce, tels qu’ils ont été révélés durant le procès et dans les pièces, les témoignages et la jurisprudence soumis au cours de l’audience de détermination de la sentence. J’ai aussi examiné les observations des avocats de la poursuite et de la défense.

Objectifs et principes de détermination de la sentence.

[3]               Le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline, qui est une dimension essentielle de l’activité militaire dans les Forces canadiennes. Son objectif est de promouvoir la bonne conduite en permettant de sanctionner de manière appropriée toute inconduite. C’est grâce à la discipline que les Forces armées s’assurent que leurs membres rempliront leur mission avec succès, en toute confiance et fiabilité. Ce faisant, elles veillent également à ce que la sentence infligée aux personnes assujetties au Code de discipline militaire serve l’intérêt public de promotion du respect des lois du Canada.

[4]               Il est reconnu depuis longtemps que l’objectif d’un système distinct de justice ou de tribunal militaire est de permettre aux Forces armées de se saisir des questions liées au respect du Code de discipline militaire et au maintien de l’efficacité et du moral au sein des Forces canadiennes.

[5]               Comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259, à la page 293 :

Pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace.

La Cour suprême souligne à la même page que dans le contexte particulier de la justice militaire :

Les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil.

[6]               Cela étant dit, la sentence infligée par un tribunal, qu’il soit militaire ou civil, devrait être l’intervention minimale nécessaire et appropriée dans les circonstances particulières de l’affaire. La modération est d’ailleurs le principe fondamental de la théorie moderne de détermination de la sentence au Canada. Le juge chargé de déterminer la sentence doit « prononce[r] une sentence proportionnée à la gravité de l’infraction et aux antécédents du contrevenant », comme le prévoient les ORFC. En d’autres mots, toute sentence imposée doit être adaptée au contrevenant et à l’infraction qu’il a commise.

[7]               L’objectif fondamental de la détermination de la sentence par une cour martiale est d’assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline en infligeant des sentences qui satisfont à au moins l’un des objectifs suivants :

a)                  protéger le public, y compris les Forces canadiennes;

b)                  dénoncer le comportement illégal;

c)                  dissuader le contrevenant et quiconque de commettre les mêmes infractions;

d)                 isoler au besoin les contrevenants du reste de la société;

e)                  réadapter et réformer les contrevenants.

[8]               Lorsqu’il impose une sentence, le juge chargé de déterminer la sentence doit également tenir compte des principes suivants :

a)                  la sentence doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction;

b)                  la sentence doit être proportionnelle à la responsabilité et aux antécédents du contrevenant;

c)                  la sentence doit être semblable aux sentences infligées à des contrevenants similaires pour des infractions comparables commises dans des circonstances analogues;

d)                 le cas échéant, le contrevenant ne devrait pas être privé de sa liberté si une sentence moins contraignante peut être appropriée dans les circonstances;

e)                  toute sentence devrait tenir compte des circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant.

[9]               Comme je viens de le dire, la sentence doit être semblable à celles qui sont infligées à des contrevenants similaires pour des infractions comparables commises dans des circonstances analogues.

Le contrevenant

[10]           Comparaît devant la Cour un caporal-chef d’infanterie de 26 ans qui a rejoint les rangs des Forces canadiennes en décembre 2005 à l’âge de 17 ans en tant que membre de la Première réserve. Comme réserviste, il s’est porté volontaire pour plusieurs périodes de service de réserve de classe B et C à temps plein au Canada, notamment à Valcartier et à Wainwright, et il a été affecté à l’étranger en 2009 auprès de l’Élément de soutien national de la Force opérationnelle interarmées en Afghanistan. Le caporal-chef Anderson a rejoint la Force régulière en octobre 2011 et travaille depuis à l’École d’infanterie de la Base Gagetown. Il n’a pas de fiche de conduite. Il est marié et a un fils de huit mois.

[11]           À l’audience de détermination de la sentence, la poursuite a appelé le lieutenant-colonel Oberwarth, commandant de l’École d’infanterie, et donc du contrevenant, depuis juin 2013. Il a affirmé qu’il avait été très déçu par la conduite du caporal-chef Anderson le 25 juillet 2013. Traiter un étudiant de la sorte est tout à fait contraire à ce qui est attendu des instructeurs de l’École d’infanterie quant à leur rôle dans l’instruction des candidats qui suivent des cours. Cela fait du tort à la réputation de l’École d’infanterie et à ses instructeurs dans la communauté militaire au sens plus général. Il a ajouté qu’il espérait plus de maturité de la part du caporal-chef Anderson, surtout en ce qui touche à sa consommation d’alcool en présence d’étudiants. Après les événements en question, le lieutenant-colonel Oberwarth a perdu toute confiance en lui comme instructeur et préférerait que le caporal-chef Anderson quitte son unité. Cela dit, le témoin a précisé qu’il ne pensait pas que ce dernier était intrinsèquement mauvais. Il croit en sa réadaptation et pense qu’il pourrait redevenir un membre productif.

[12]           Le lieutenant-colonel Oberwarth a également décrit les mesures prises à la suite des incidents du 25 juillet 2013, notamment en ce qui touche le caporal-chef Anderson, à qui il a été interdit d’agir comme instructeur à l’école. Il a confirmé que son affectation prévue au 2e Bataillon du Royal Canadian Regiment (2RCR) a été annulée à sa demande en juillet 2014, parce qu’il souhaitait que le caporal-chef Anderson reste attaché à son unité en attendant le terme de la présente instance en cour martiale. Il a ajouté qu’en dehors de restrictions concernant l’affectation et son emploi comme instructeur, les allégations avancées contre le caporal-chef Anderson n’ont eu pour l’instant aucune répercussion officielle sur sa carrière, mais que cela pouvait changer. Le caporal-chef Anderson n’a manqué aucun cours formel de progression de carrière du fait de l’instance pendante en cour martiale.

[13]           Le caporal-chef Anderson a également témoigné relativement à la détermination de la sentence. Il a expliqué qu’après l’incident il n’a plus été autorisé à assurer l’instruction à l’école et qu’il s’est efforcé depuis d’aider les autres instructeurs du mieux qu’il pouvait. Il a appris qu’une affectation au 2RCR avait été annulée l’été dernier. Il a déclaré, non sans émotion, que l’interdiction de former les candidats lui avait ôté tout but à l’École d’infanterie et qu’il aurait été content de passer au 2RCR où il se serait senti plus utile. Il a fourni des détails sur sa situation financière et familiale, et indiqué qu’il tenait beaucoup à demeurer dans les Forces canadiennes.

[14]           Afin d’évaluer ce qui constituerait une sentence juste et appropriée, la Cour a tenu compte de la gravité objective de l’infraction qui, comme le prévoit l’alinéa 267a) du Code criminel, intégré par renvoi à l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, est punissable d’une sentence d’emprisonnement maximale de dix ans.

[15]           Les circonstances de l’infraction dont le caporal-chef Anderson a été déclaré coupable sont les suivantes :

a)                  Le caporal-chef Anderson faisait partie du personnel d’instruction de la QMBO (Terre), en tant que commandant adjoint (cmdtA) de l’une des sections. Il s’est rendu à une fête organisée par des étudiants, principalement des élèves-officiers, pour célébrer la fin du cours le soir du 25 juillet 2013, chez Doolys, à Oromocto.

b)                  Le caporal-chef Anderson s’est fait offrir des verres par des étudiants, notamment l’élève-officier Hartwick. Il a reconnu avoir pris au moins sept verres, de la bière, des doses et des whiskies soda. Il était en état d’ébriété, mais capable de tenir debout tout seul.

c)                  Il a indiqué que les étudiants souhaitaient discuter de leurs faiblesses et des éléments qui laissaient place à l’amélioration. Alors qu’il s’entretenait avec l’élève-officier Hartwick, il lui a parlé franchement de ses lacunes en matière de reconnaissance et de ses difficultés à accepter les directives.

d)                 Pendant la conversation, le caporal-chef Anderson a sorti un couteau de poche et l’a pointé, bras tendu, vers la gorge de l’élève-officier Hartwick en déclarant : [traduction] « Je vais » ou [traduction] « Je pourrais vous tuer tout de suite ».

e)                  L’élève-officier Hartwick, promu au rang de sous-lieutenant au moment du procès, a déclaré que le comportement du caporal-chef Anderson était totalement inattendu et qu’il s’était senti menacé en ayant un couteau pointé sur lui de cette manière. Il a expliqué que lorsque le couteau se trouvait à quelques centimètres de sa gorge, le caporal-chef Anderson avait un regard intense et qu’il ne semblait pas tout à fait là.

f)                   L’incident a pris fin lorsqu’une rixe a éclaté à proximité. Le caporal-chef Anderson a remis le couteau dans sa poche et empêché l’élève-officier Hartwick d’intervenir pour mettre fin à la bagarre, geste que ce dernier a apprécié et qu’il a jugé approprié.

g)                  Ensuite, l’élève-officier Hartwick s’est retiré près d’une sortie du bar pour se calmer. Personne n’a été blessé dans l’incident du couteau et aucune plainte n’a été adressée au personnel de sécurité ni aux membres du personnel d’instruction qui étaient présents à la fête. L’élève-officier Hartwick est parti peu après avec des camarades. L’épisode l’avait contrarié. Une fois de retour à la base, il a appelé des membres de sa famille et un cousin officier à l’École d’infanterie.

h)                  Le lendemain était le dernier jour du cours. L’élève-officier Hartwick et le caporal-chef Anderson se sont vus et serré la main, sans mentionner l’incident. L’élève-officier Hartwick a présenté une plainte à la police militaire au sujet de l’incident le lendemain alors qu’il était en congé en Ontario.

[16]           La Cour estime que les facteurs suivants sont des circonstances aggravantes en l’espèce :

a)                  la gravité subjective de l’infraction en ce qu’elle a été commise par un instructeur à l’égard d’un étudiant pendant un cours de progression de carrière important et difficile. Même si l’incident est survenu durant une activité sociale, de nombreux membres du personnel d’instruction étaient présents à la fête, et il ressort clairement des témoignages entendus que les rapports d’autorité entre le personnel et les étudiants avaient encore cours;

b)                  l’infraction a été commise par un membre du personnel d’instruction que ses supérieurs avaient placé à un poste de confiance pour qu’il prenne en charge et forme les futurs leaders de l’armée. Cette infraction représente une grave atteinte à cette confiance;

c)                  l’infraction a consisté à pointer, en état d’ébriété, un couteau sur une autre personne dans un lieu public;

d)                 le rang, le statut et l’expérience du caporal-chef Anderson dans la communauté militaire et celle des instructeurs, lequel, en sa qualité de caporal-chef, doit avoir une conduite exemplaire pour ses subalternes, qu’il soit ou non en fonction.

[17]           La Cour estime aussi que les facteurs suivants constituent des circonstances atténuantes, telles que révélées par les observations des conseils et la preuve présentée à cette fin :

a)                  il s’agit d’un événement isolé, qui ne ressemble pas au caporal-chef Anderson, qui a surpris toutes les personnes concernées, et qui ne témoigne pas d’un cycle d’agression,

b)                  la conduite et la performance satisfaisantes du caporal-chef Anderson après ces événements, bien qu’il ait subi des restrictions concernant son activité;

c)                  enfin, les états de service du caporal-chef Anderson auprès des Forces canadiennes et l’absence de fiche de conduite. De plus, des copies de lettres de recommandation et des évaluations de sa performance attestent une carrière prometteuse qui a naturellement été ralentie par la présente instance. La Cour déduit toutefois des documents fournis et du témoignage de son commandant que le caporal-chef Anderson peut continuer à apporter une contribution positive à l’Armée.

Les observations des parties

[18]           S’agissant de déterminer la sentence appropriée, la poursuite insiste sur les objectifs de dénonciation et de dissuasion, et demande à la Cour d’imposer une sentence combinant une sentence de détention de 30 jours et une rétrogradation. À l’appui de cette observation, la poursuite a soumis à la Cour un certain nombre de décisions de cours martiales et de tribunaux civils montrant que les sentences de privation de liberté de courte durée s’inscrivent dans l’éventail possible des sentences appropriées pour une infraction commise dans des circonstances comparables à celles qui nous occupent.

[19]           En réponse aux observations de la poursuite, l’avocat de la défense a fait valoir que le seul objectif à prendre en compte en l’espèce était celui de la réadaptation. Pour lui, comme l’incident témoignait d’un manque de jugement flagrant, le caporal-chef Anderson n’avait pas l’intention de blesser quiconque, et il a payé le prix de son erreur tout au long de la dernière année puisque l’instruction lui a été interdite et l’affectation au 2RCR refusée. L’avocat de la défense soutient qu’une sentence appropriée serait de lui imposer un blâme associé à une amende d’un montant minimal de 2 000 $. Il invoque également un certain nombre de décisions d’après lesquelles une réprimande ou un blâme associés à une amende représentent une sentence appropriée dans des circonstances telles que les présentes.

Objectifs à souligner

[20]           Je conclus que dans les circonstances particulières de la présente affaire, la détermination de la sentence devrait mettre l’accent sur les objectifs de dénonciation et de réadaptation.

Les sentences proposées s’inscrivent dans l’éventail approprié

[21]           En ce qui concerne la jurisprudence soumise par les avocats, la Cour est convaincue que leurs propositions s’inscrivent dans l’éventail des sentences possibles dans des circonstances telles que les présentes.

Détermination de la sentence appropriée

[22]           Un principe important veut que la Cour doive imposer la sentence la moins sévère qui permette de maintenir la discipline. La sentence la plus sévère proposée à la Cour, selon l’échelle prévue à l’article 139 de la Loi sur la défense nationale, est une sentence de détention dont la poursuite soutient qu’elle devrait être de 30 jours. Ce sera le point de départ aux fins de mon analyse, avant de descendre dans l’échelle.

[23]           La poursuite a souligné l’effet de réadaptation associé à une sentence de détention. Cette sentence comporte en effet un élément de rééducation. D’un autre côté, cependant, les tribunaux ont établi à maintes reprises que le contrevenant ne devrait pas être privé de liberté si une sentence moins restrictive peut être appropriée. La poursuite fait valoir que la détention est appropriée compte tenu de la gravité objective de l’infraction, attestée par la sentence d’emprisonnement maximale de dix ans dont elle est punissable, et la gravité des circonstances dans lesquelles elle a été commise. Je conviens que l’infraction est grave. Pourtant, elle n’est assortie d’aucune sentence minimale, ce qui autorise la Cour à adapter la sentence à un large éventail de circonstances. En l’espèce, les circonstances sont loin d’être triviales. La conduite du caporal-chef Anderson a été honteuse. Pourtant, un élément important révélé par le témoignage du sous-lieutenant Hartwick est que le caporal-chef Anderson, immédiatement après que l’incident a pris fin à cause d’une rixe, a remis le couteau dans sa poche et a empêché le sous-lieutenant Hartwick d’intervenir pour mettre fin à la bagarre, un geste que ce dernier a apprécié et qu’il a jugé convenable. Les témoignages des sous-lieutenants Bowser et Lee m’indiquent aussi qu’ils ont initialement interprété les gestes du caporal-chef Anderson comme une plaisanterie. En fait, la victime elle-même a dû réfléchir à ce qui s’était passé et a consulté d’autres personnes avant de conclure qu’elle devait signaler l’incident.

[24]           De l’avis de la Cour, ces éléments démontrent que l’acte extrêmement stupide commis par le caporal-chef Anderson à l’endroit de l’élève-officier Hartwick n’était motivé ni par l’hostilité ni par l’intention de blesser. Comme l’a conclu le juge militaire Lamont en Cour martiale permanente dans la décision Caporal Levesque, 2005 CM 08, l’incarcération peut être de mise lorsque l’utilisation abusive d’armes à feu est prouvée, mais elle ne s’ensuivra pas nécessairement lorsque le contrevenant n’est motivé par aucune hostilité à l’endroit d’un confrère militaire. J’estime, compte tenu de toutes les circonstances de la présente affaire, que la détention n’est pas requise.

[25]           La sentence suivante proposée par la poursuite est la rétrogradation. Encore une fois, cette dernière a insisté sur l’effet de réadaptation associé à cette sentence. Quand bien même ce serait le cas, la Cour doit décider si la rétrogradation est la sentence minimale requise pour réadapter le contrevenant. Ce faisant, elle ne peut faire abstraction du fait qu’une telle sentence rétrograderait le caporal-chef Anderson au rang de simple soldat puisque le titre de caporal-chef est une affectation et non un grade. Il s’agit d’une conséquence extrêmement grave, non seulement du point de vue des répercussions financières sur sa solde, mais aussi du statut, et de la contribution que le caporal-chef Anderson peut être appelé à apporter aux Forces armées canadiennes, une institution dont il a rejoint les rangs à l’âge de 17 ans.

[26]           Dans les lettres de recommandation et rapports d’évaluation produits en pièces 6 et 7, les qualités et l’éthique de travail du caporal-chef Anderson sont soulignées avec éloquence, par des officiers comme par des sous-officiers supérieurs. Par ailleurs, ses antécédents et son expérience dans l’armée, de même que ses connaissances et sa compréhension du système d’instruction, qu’il a démontrées durant son témoignage sur ces questions au procès, montrent que le caporal-chef Anderson est à sa place et qu’il est productif à cette affectation. Les effets d’une rétrogradation se feraient sentir pendant des années et alourdiraient les restrictions professionnelles qui le visent depuis qu’il a commis l’infraction en juillet 2013. Une période aussi longue de réadaptation avant de pouvoir retrouver un poste lui permettant de contribuer pleinement et utilement aux Forces armées canadiennes équivaudrait à une traversée du désert. La Cour estime qu’il s’agirait d’une sentence disproportionnée à l’infraction qu’il a commise, compte tenu des circonstances dans lesquelles elle a été perpétrée.

[27]           La Cour juge encourageant le témoignage du lieutenant-colonel Oberwarth selon lequel le caporal-chef Anderson peut être réadapté. La Cour estime qu’une rétrogradation n’est pas nécessaire à cette fin et estime en fait que les chances de réadaptation du caporal-chef Anderson seraient supérieures s’il conservait son affectation actuelle de caporal-chef. Par conséquent, la Cour n’imposera pas de rétrogradation.

[28]           Si l’on descend dans l’échelle des sentences, la Cour trouve maintenant la recommandation de l’avocat de la défense d’infliger un blâme ainsi qu’une amende d’un montant minimal de 2 000 $. La Cour estime qu’un blâme représente une sentence qui n’est pas insignifiante, parce qu’elle exprime adéquatement la réprobation requise pour les actes inacceptables commis par le contrevenant. La Cour joindra à cette sentence une amende, car il est important que la sentence ait des répercussions personnelles sur le contrevenant et qu’elle soit perçue comme telle. La Cour estime que la somme de 3 000 $ est la sentence minimale requise pour maintenir la discipline dans les circonstances de la présente affaire.

Ordonnances accessoires

[29]           En vertu de l’article 196.14 de la LDN, je rendrai une ordonnance autorisant le prélèvement d’échantillons génétiques du contrevenant.

[30]           Comme le caporal-chef Anderson a été déclaré coupable d’une infraction au cours de laquelle une personne a été menacée de violence, la Cour martiale doit, conformément à l’article 147.1 de la Loi sur la défense nationale, se demander s’il est souhaitable de rendre une ordonnance d’interdiction. La poursuite fait valoir qu’une telle ordonnance est requise pour une période de cinq ans, alors que la défense estime que cela n’est pas nécessaire, car le contrevenant ne représente pas une menace. Quoique la Cour note que le contrevenant n’a ni fiche de conduite ni casier judiciaire, sa conduite du 25 juillet 2013 représentait une menace, dans un lieu public, qui demeure inexpliquée. Dans les circonstances, la Cour juge souhaitable, dans l’intérêt de la sécurité du public, de rendre une ordonnance d’interdiction aux termes de l’article 147.1 de la Loi sur la défense nationale.

Imposition de la sentence

[31]           Caporal-chef Anderson, les circonstances des accusations dont vous avez été déclaré coupable révèlent un comportement que je juge hautement inacceptable de la part d’un instructeur de l’armée. J’espère que vous en prendrez conscience. Pourtant, votre chaîne de commandement se dit confiante en vos capacités de réadaptation, et vous croit en mesure de continuer à apporter une contribution importante à l’Armée canadienne, que ce soit comme fantassin au sein d’un bataillon ou comme instructeur. C’est en tenant compte de cela, et sans atténuer la gravité des actes que vous avez posés, que la Cour a décidé de vous imposer une sentence qui tienne compte de votre capacité à apporter une contribution positive et en atténue les conséquences pour vous et votre jeune famille.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[32]           VOUS CONDAMNE à un blâme et à une amende de 3 000 $ payable en dix versements mensuels de 300 $, à partir du 1er décembre 2014. L’amende doit être acquittée en totalité au plus tard le 1er novembre 2015, ou à votre libération de la force régulière des Forces canadiennes, selon la première éventualité.

[33]           REND LES ORDONNANCES SUIVANTES, À SAVOIR :

a)                  une ordonnance autorisant le prélèvement de substances corporelles afin d’effectuer une analyse génétique aux termes de l’article 196.14 de la Loi sur la défense nationale;

b)                  une ordonnance vous interdisant, pour une période de cinq ans à partir d’aujourd’hui, de posséder des armes à feu, arbalètes, armes prohibées, armes à autorisation restreinte, dispositifs prohibés, munitions, munitions prohibées et substances explosives, ou l’un ou plusieurs de ces objets, aux termes de l’article 147.1 de la Loi sur la défense nationale.


 

 

 

 

Avocats :

 

Le Directeur-Poursuites militaires représenté par le capitaine de corvette D.T. Reeves.

 

Capitaine de corvette P. Desbiens, Service d’avocats de la défense

Avocat du caporal-chef G.M.E. Anderson

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.