Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 19 octobre 2015

Endroit :

• Le 19 octobre 2015 : Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, salle d’audience, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC)

• Le 26 octobre 2015 : BFC Borden, TGAEFC, édifice A-171, pièce 202, 83 croissant Argus, Borden (ON)

Chefs d’accusation :

• Chefs d’accusation 1, 2, 4, 6 : Art. 101.1 LDN, a omis de se conformer à une condition imposée sous le régime de la section 3.
• Chefs d’accusation 3, 5 : Art. 90 LDN, s’est absenté sans permission.
• Chefs d’accusation 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13 : Art. 101.1 LDN, a omis de se conformer à une condition d’une promesse remise sous le régime de la section 3.

Résultats :

• VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3, 4, 5, 6, 8, 9, 10, 11, 12, 13 : Coupable. Chef d’accusation 7 : Non coupable.
• SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 15 jours et destitution du service de Sa Majesté. L’exécution de la peine d’emprisonnement a été suspendue.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Caicedo, 2015 CM 4020

 

Date : 20151126

Dossier : 201514

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Borden

Borden (Ontario), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Le sous-lieutenant C.W. Caicedo, contrevenant

 

 

En présence du Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

INTRODUCTION

 

Les chefs d’accusation

 

[1]               Le sous-lieutenant Caicedo a plaidé coupable à deux chefs d’accusation d’absence sans permission (ASP) en vertu de l’article 90 de la Loi sur la défense nationale (LDN) et à six chefs d’accusation d’omettre de conformer à une condition d’une promesse remise par un juge militaire en vertu de l’article 101.1 de la LDN. Après avoir plaidé non coupable aux quatre autres chefs d’accusation en vertu de l’article 101.1 de la LDN qui se rapportent à des conditions imposées par des officiers réviseurs, il a admis les faits constituant les éléments essentiels de ces quatre infractions et a été par conséquent déclaré coupable. Ces chefs d’accusation avaient fait l’objet d’une requête présentée au début de l’instance pour contester la constitutionnalité de l’article au titre duquel les conditions avaient été imposées.

 

Les questions examinées

 

[2]               Il m’incombe maintenant à titre de juge militaire présidant la présente Cour martiale permanente de déterminer la sentence. Pour ce faire, j’ai examiné les principes de la détermination de la sentence qu’appliquent les cours ordinaires du Canada ayant compétence en matière pénale et les cours martiales. J’ai aussi examiné tous les faits pertinents en l’espèce, particulièrement ceux qui ont été présentés dans l’exposé conjoint des faits déposé à la pièce 3, qui a été lu en partie par la poursuite en tant que sommaire des circonstances relatives au plaidoyer de culpabilité. J’ai également pris compte des nombreux documents soumis dans le cadre de l’audience de la détermination de la sentence, de même que les témoignages des témoins et les plaidoiries des avocats.

 

Le but du système de justice militaire

 

[3]               Le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour assurer le respect de la discipline dans les Forces canadiennes, et une composante essentielle de l’activité militaire. Ce système vise à promouvoir le bon comportement par la sanction adéquate de l’inconduite. C’est grâce à la discipline que les forces armées s’assurent que leurs membres remplissent leurs missions avec succès, en toute confiance et d’une manière fiable. Ce faisant, elles s’assurent aussi que l’intérêt public, lié à la promotion du respect des lois du Canada, est servi par la sanction des personnes assujetties au code de discipline militaire.

 

LES OBJECTIFS ET PRINCIPES DE LA DÉTERMINATION DE LA SENTENCE

 

[4]               L’imposition d’une sentence devant une cour martiale a pour objectif essentiel le respect de la loi et le maintien de la discipline en infligeant des peines visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a)                  protéger le public, y compris les Forces canadiennes;

 

b)                  dénoncer le comportement illégal;

 

c)                  dissuader le contrevenant et quiconque de commettre les mêmes infractions;

 

d)                  isoler au besoin les contrevenants du reste de la société; et

 

e)                  réadapter et réformer les contrevenants.

 

[5]               Lorsqu’il inflige une sentence, le juge doit également tenir compte des principes suivants :

 

a)                  la sentence doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction;

 

b)                  la sentence doit être proportionnelle à la responsabilité du contrevenant et aux antécédents de celui‑ci;

 

c)                  la sentence doit être semblable à des sentences infligées à des contrevenants ayant commis des infractions semblables dans des circonstances semblables;

 

d)                  le contrevenant ne devrait pas être privé de sa liberté s’il est possible, eu égard aux circonstances, de lui infliger une peine moins contraignante; et

 

e)                  enfin toutes sentences devraient être alourdies ou allégées pour tenir compte des circonstances aggravantes ou atténuantes se rapportant à l’infraction ou au contrevenant.

 

[6]               Cela dit, la peine infligée par un tribunal, qu’il soit militaire ou civil, devrait constituer l’intervention minimale nécessaire et appropriée dans les circonstances particulières de l’affaire. Dans le cas d’une cour martiale, il est donc question d’imposer une sentence la moins sévère ou une combinaison de peines qui permet de maintenir la discipline.

 

[7]               Les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC) exigent qu’un juge prononçant une sentence pour la Cour martiale examine toutes les conséquences indirectes du verdict ou de la sentence, et prononce une sentence proportionnée à la gravité de l’infraction et aux antécédents du contrevenant. Toute sentence infligée doit être adaptée au contrevenant et à l’infraction qu’il a commise. De plus, elle devrait être semblable aux sentences infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. Il ne s’agit pas du résultat d’une conformité servile aux antécédents, mais il s’agit plutôt de faire appel à notre sentiment commun de justice selon lequel les causes semblables doivent être traitées de façon semblable.

 

LES INFRACTIONS ET LE CONTREVENANT

 

Les infractions

 

[8]               Les circonstances des infractions sont les suivantes :

 

a)         Le 9 octobre 2014, le sous‑lieutenant Caicedo a été arrêté à 20 heures 52 par la police militaire pour avoir conduit un véhicule alors que son permis était suspendu, avoir désobéi à un ordre légitime et voies de fait contre un agent de la paix, pour lesquelles il a donc été placé sous garde. Le lendemain il a été libéré par un officier réviseur sous certaines conditions, notamment celle de se présenter aux autorités militaires de la Base des Forces canadiennes (BFC) Borden une fois par jour à 15 heures 30.

 

b)         Les 23 et 25 octobre 2014, le sous‑lieutenant Caicedo ne s’est pas présenté comme prévu. La déclaration de culpabilité relative aux premier et deuxième chefs d’accusation repose sur ces faits.

 

c)         Le 4 novembre 2014, le sous‑lieutenant Caicedo ne s’est pas présenté en service. Ses allées et venues étaient inconnues jusqu’au soir du 9 novembre 2014 et il ne s’est pas présenté aux autorités en contravention aux conditions de sa mise en liberté entre ces dates. La déclaration de culpabilité pour ASP relative au troisième chef d’accusation et celle pour omettre de se conformer à une condition relative au quatrième chef d’accusation reposent sur ces faits.

 

d)         Le sous‑lieutenant Caicedo a été placé sous garde lorsqu’il est retourné à son unité le 9 novembre 2014, et il a été libéré le lendemain par un officier réviseur sous certaines conditions, y compris, encore une fois, celle de se présenter.

 

e)         Le 11 novembre 2014, le sous‑lieutenant Caicedo a négligé de se présenter au défilé du jour du Souvenir à Borden contrairement tel qu’ordonné et il est demeuré absent jusqu’au 19 novembre 2014, au moment où il s’est rendu à son unité. Il a négligé de se présenté en contravention aux conditions de sa mise en liberté entre les 11 et 18 novembre. La déclaration de culpabilité d’ASP relative au cinquième chef d’accusation et celle d’omettre de se conformer à une condition relative au sixième chef d’accusation reposent sur ces faits.

 

f)          Le sous‑lieutenant Caicedo a été placé sous garde lorsqu’il est retourné à son unité le 19 novembre. Le lendemain, il n’a pas été libéré par l’officier reviseur; il a plutôt été conduit devant un juge militaire le 21 novembre et libéré sous des conditions, y compris celle de demeurer sur la base et de se présenter. La même soirée, il a été arrêté de nouveau pour avoir contrevenu à une condition. Il a été accusé relativement à cet incident, mais je l’ai déclaré non coupable car la poursuite n’avait pas été en mesure d’établir une preuve prima facie à l’égard d’un des éléments essentiels de l’infraction.

 

g)         Le sous‑lieutenant Caicedo a été libéré par un juge militaire le 26 novembre 2014, encore une fois sous la condition de se présenter et de demeurer sur la base.

 

h)         Le 6 décembre 2014, le sous‑lieutenant Caicedo n’est pas demeuré dans les limites de la BFC Borden et il ne s’est pas présenté à l’officier de service à 15 heures 30 contrairement à ce qu’exigeait sa promesse. Ces faits servent de fondement à la déclaration de culpabilité relative aux huitième et neuvième chefs d’accusation.

 

i)          Le 7 décembre 2014, le sous‑lieutenant Caicedo ne s’était pas vu accorder un congé pour la fin de semaine et il ne s’est pas présenté à l’officier de service à 9 heures contrairement à ce qu’exigeait sa promesse. À 10 heures, le sous‑lieutenant Caicedo s’est présenté à l’officier de service et l’a avisé qu’il revenait de Toronto, en contravention avec sa promesse. Ces faits servent de fondement à la déclaration de culpabilité relative aux dixième et onzième chefs d’accusation.

 

j)          Le 10 décembre 2014, le sous‑lieutenant Caicedo ne s’est pas présenté à sa chaîne de commandement à 10 heures tel que requis, en contravention à ce qu’exigeait sa promesse. Il s’est présenté à 11 heures 57 la même journée. Ces faits servent de fondement à la déclaration de culpabilité relative aux douzième et treizième chefs d’accusation.

 

k)         Le 17 avril 2015, la promesse du sous‑lieutenant Caicedo a été modifiée avec le consentement du directeur des poursuites militaires. Elle ne comportait plus l’exigence de se présenter et l’exigence de demeurer sur la base.

 

[9]               Ces infractions et les tâches administratives connexes relatives à la garde et à la révision de la garde, que ce soit par des officiers réviseurs ou à la suite d’audiences devant des juges militaires, ont nécessité des efforts et une main-d’œuvre considérables de la part de l’unité du sous‑lieutenant Caicedo. Par exemple, l’unité a dû affecter du personnel à la salle de garde où le sous‑lieutenant Caicedo a été détenu pendant plus de 191 heures sur 12 jours différents. En outre, plusieurs enquêtes disciplinaires ont dû être menées au sein de l’unité pour que des chefs d’accusation puissent être portés. Lors de son témoignage, le commandant de la compagnie régimentaire a affirmé que la présence au sein de l’unité d’un récidiviste ayant une mauvaise attitude sapait le moral de l’unité. Plus précisément, des mesures ont dû être prises pour aviser les membres subalternes de la compagnie qu’ils devaient faire valider tout ordre donné par le sous‑lieutenant Caicedo. Ces mesures sont extraordinaires concernant un officier et il se peut que cette situation mine la confiance des troupes à l’égard du corps des officiers de leur unité.

 

Le contrevenant

 

[10]           Comparaît devant la Cour un officier du génie électrique et mécanique de 26 ans de l’élément de terre, muté à l’École du génie électrique et mécanique royale canadienne de Borden. Il s’est enrôlé dans les Forces armées canadiennes en qualité d’élève‑officier en 2008 et il a fréquenté le Collège militaire royal du Canada (CMRC) de Kingston de 2008 jusqu’à l’obtention de son baccalauréat ès sciences au printemps 2013. Le parcours scolaire/carrière militaire du sous‑lieutenant Caicedo a été difficile. D’abord un pilote, il a dû sélectionner un autre groupe professionnel militaire en 2012 après avoir échoué l’entraînement de base de pilote. Au CMRC, il n’a pas été en mesure de réussir ses études en génie aérospatial et il a dû tenter d’obtenir plutôt un diplôme en sciences spatiales. Il a de nouveau échoué et il a terminé ses études après cinq ans en obtenant un baccalauréat ès sciences. À titre d’officier du génie électrique et mécanique, il a intégré son unité actuelle en juin 2013. Après une certaine période de formation en cours d’emploi, on lui a fait suivre le cours qualification militaire de base des officiers terre, auquel il a échoué à deux reprises. À la suite d’une évaluation du responsable de l’instruction faisant état d’une inaptitude à servir comme officier de l’élément de terre, son unité a entamé un examen de son service à l’automne 2014. À cette époque, le sous‑lieutenant Caicedo commettait des infractions d’ordre militaire et manifestait une attitude négative. Le 23 octobre 2014, son unité a recommandé sa libération au titre du motif 2a) pour comportement ou service non satisfaisant. En date de la présente instance, une décision n’avait pas encore été rendue par l’autorité en matière de libération.

 

[11]           La psychiatre traitante du contrevenant a témoigné en tant qu’experte et a présenté un rapport décrivant son interaction avec le sous‑lieutenant Caicedo à partir du 2 octobre 2014. À cette époque, il avait déjà enchaîné les incidents d’inconduite et les infractions au code de discipline militaire, notamment pour absence sans permission et pour ivresse, comme l’indique sa fiche de conduite. Il avait fait l’objet d’une évaluation à un hôpital psychiatrique civil le 22 septembre. Selon l’impression clinique de la docteure Labonté était qu’il souffrait d’hypomanie. Elle a prescrit des médicaments le 2 octobre, mais le contrevenant ne s’est pas conformé au traitement, et n’est pas venu chercher sa dose quotidienne à la pharmacie. Le 10 octobre 2014, elle s’est vu demander de réévaluer d’urgence le sous‑lieutenant Caicedo, alors que ce dernier était sous garde. Il traversait une phase d’hypomanie aiguë qui, selon le diagnostic ultérieurement confirmé, relevait d’un trouble affectif bipolaire lorsqu’il a reçu son congé de l’hôpital psychiatrique civil le 17 octobre 2014. À l’époque, on lui a prescrit des antipsychotiques qu’il continue de prendre à ce jour. Dans son rapport, la docteure Labonté a signalé que dans 75 % des cas une personne qui vit un épisode aigu s’en remet dans les six semaines. Les infractions visées par la présente instance ont été commises sur une période de 49 jours entre le 23 octobre et le 10 décembre 2014. En ce qui a trait au lien entre ces infractions et le problème de santé mentale du contrevenant, la docteure Labonté s’est exprimée ainsi dans son rapport :

 

Il existe un lien important entre son trouble psychiatrique et les comportements qui l’ont amené à commettre les infractions dont il est accusé. Son impulsivité, ses idées de grandeur et son manque de jugement le portent à déformer les recommandations et les ordres selon ce qu’il veut entendre ou faire; par exemple, lorsqu’on lui a dit qu’il ne devait pas conduire et qu’il serait signalé au ministère des transports, il a compris qu’il ne devrait pas prendre le volant s’il était fatigué et il nous a dit qu’il avait conduit puisqu’il se sentait reposé. Il ne pouvait assumer la responsabilité de ses actes pendant cette période. De son point de vue, ce n’était pas lui qui se conduisait mal, c’était les autres qui tentaient de lui mettre des obstacles dans son chemin. Il croyait qu’il serait démontré que ces personnes avaient tort. Il croyait que même s’il était accusé, le caractère non fondé des accusations serait établi et qu’il serait innocenté. À ses yeux, il connaissait mieux les règles que sa chaîne de commandement, ce qui témoigne de ses idées de grandeur.

 

[12]           Acceptant cette opinion, je conclus que la capacité de jugement du sous‑lieutenant Caicedo était fortement affaiblie par son problème de santé mentale au moment où il a commis les infractions pour lesquelles il se voit infliger une sentence. Et pourtant, cela n’exonère pas le sous‑lieutenant Caicedo de la responsabilité de ses actes. De fait, il a accepté sa responsabilité en plaidant coupable à la plupart des chefs d’accusation et en reconnaissant les faits relatifs à d’autres, ainsi qu’en faisant savoir lors de son témoignage qu’il regrettait les préjudices qu’il avait causés.

 

[13]           Depuis la commission de la dernière infraction le 10 décembre 2014, le sous‑lieutenant Caicedo n’a pas récidivé, malgré son assujettissement à de sévères conditions depuis avril 2015. Ces derniers mois, ses fonctions nécessitent simplement qu’il se présente à son unité le matin afin de se voir confier des tâches de façon ponctuelle. La plupart du temps, le sous‑lieutenant Caicedo ne passe pas plus que de 5 à 20 minutes au travail avant de retourner à sa résidence dans une caserne de la base. Il suit des cours universitaires principalement par internet, y compris un cours spécifique qui devrait lui permettre de satisfaire aux conditions préalables à l’obtention du diplôme en sciences spatiales du CMR qu’il cherchait à obtenir en 2013. Le sous‑lieutenant Caicedo n’a pas de conjoint en ce moment. Sa situation financière est très précaire et il doit faire face à des dettes à la consommation d’environ 91 000 $, principalement attribuables à des dépenses excessives sur des voyages d’agrément et à d’autres achats.

 

[14]           Le sous‑lieutenant Caicedo s’attend à faire l’objet d’une libération obligatoire des Forces armées canadiennes et il a accepté que ses renseignements médicaux soient pris en compte au cours du processus administratif menant à cette libération. D’ailleurs, pendant l’audience de la détermination de la sentence, la Cour a été avisée par la docteure Labonté que le sous‑lieutenant Caicedo s’était vu attribuer une catégorie médicale permanente qui le place en contravention avec l’universalité du service. En effet, bien que le sous‑lieutenant Caicedo soit actuellement asymptomatique, le trouble affectif bipolaire dont il souffre est chronique et les personnes qui en sont atteintes peuvent rechuter. Ainsi, il est probable qu’une libération pour raisons médicales soit ordonnée, sans compter la libération résultant du comportement et du rendement non satisfaisants du contrevenant.

 

LA POSITION DES PARTIES SUR LA SENTENCE

 

La poursuite

 

[15]           Au chapitre de la détermination d’une sentence appropriée, la poursuite a mis l’accent sur les objectifs de dénonciation et de dissuasion, demandant à cette Cour d’imposer une sentence prévoyant à la fois une peine d’emprisonnement de 45 jours et la destitution du service de Sa Majesté. Pour étayer cet argument, la poursuite a porté à l’attention de la Cour un certain nombre de décisions, de cours martiales et de tribunaux civils, prouvant que des peines d’incarcération de courte durée font partie des sentences pouvant être appropriées pour les infractions d’omettre de se conformer à une condition de mise en liberté commises dans des circonstances semblables à celles en l’espèce. La poursuite a soutenu que l’emprisonnement devrait être purgé à la Caserne de détention et prison militaire des Forces canadiennes à Edmonton, en Alberta.

 

La défense

 

[16]           En réponse aux plaidoiries de la poursuite, l’avocat de la défense a fait valoir que le principal objectif de la sentence en l’espèce est la réadaptation. L’avocat de la défense s’est dit d’avis que les infractions découlaient d’un jugement affaibli causé par un trouble de santé mentale reconnu pendant une période relativement courte. Depuis, le contrevenant a pris des mesures pour stabiliser son trouble médical et par conséquent il n’a pas récidivé. Le sous‑lieutenant Caicedo se prépare à la vie civile, un défi en soi qu’il ne faudrait pas alourdir par une sentence sévère. Selon l’avocat de la défense, une sentence appropriée serait l’imposition d’un blâme ou, au plus, la destitution seule. Si la Cour conclut que l’emprisonnement constitue la peine minimale nécessaire pour maintenir la discipline, l’avocat de la défense demandera que la durée de la peine soit équivalente au temps déjà passé sous garde ou que l’exécution de la peine soit suspendue afin que le sous‑lieutenant Caicedo n’ait pas réellement à purger une peine en prison. Quant à l’établissement d’emprisonnement proposé par la poursuite, la défense soutient que le contrevenant devrait être placé dans un établissement civil.

 

ANALYSE

 

La gravité objective des infractions

 

[17]           Pour déterminer une sentence équitable et appropriée, la Cour a tenu compte de la gravité objective des deux infractions d’absence sans permission et des dix infractions d’omettre de se conformer à une condition, tel qu’illustré par la peine maximale que la Cour pourrait infliger. Infractions prévues à l’article 90 ou à l’article 101.1 de la LDN encourent comme peine maximale un emprisonnement de moins de deux ans ou une peine moindre. Une seule peine peut être imposée par une cour martiale pour toutes les infractions.

 

La gravité subjective des infractions

 

[18]           En ce qui a trait à la gravité subjective des infractions, la Cour accepte l’argument de la poursuite voulant que d’omettre de se conformer à une condition de mise en liberté constitue une infraction grave qui témoigne d’un manque de respect envers une autorité légitime, soit l’autorité de deux officiers réviseurs et d’un juge militaire. Bien que les circonstances dans la présente affaire soient moins graves que celles dans R. c. Grenier, 2013 CM 4014, les observations du juge Perron sur la gravité subjective d’une infraction sont à mon avis applicables en l’espèce. Un membre des Forces armées canadiennes, particulièrement un officier, qui enfreint des conditions imposées à maintes reprises en échange de la possibilité d’éviter un maintien sous garde abuse de la confiance qui lui a été accordée et fait preuve d’un manque de respect à l’égard de la primauté du droit. Cette situation appelle une dénonciation car le respect de la primauté du droit est l’un des piliers fondamentaux de notre société et de la discipline militaire.

 

[19]           Je suis du même avis que le juge militaire Lamont, qui s’est exprimé en ces termes dans R. c. Desgroseilliers, 2013 CM 2014 :

 

Comme je le notais dans la décision Soldat Castle en mars 2008, j’estime que, dans le contexte militaire, l’infraction consistant à déroger aux conditions d’une remise en liberté est en quelque sorte plus grave que l’infraction analogue prévue dans le Code criminel pour la violation des conditions d’une remise en liberté relative à des accusations reposant sur le Code criminel. La raison en est évidemment que le non‑respect des conditions dans le contexte militaire revient à enfreindre les prescriptions imposées par un juge militaire. Les membres des Forces canadiennes sont initiés dès les premiers jours à l’importance d’obéir aux ordres de leurs supérieurs militaires.

 

Les facteurs aggravants

 

[20]           Je conclus que les circonstances des infractions d’omettre de se conformer à une condition sont aggravantes puisqu’il ne s’agit pas que d’un simple manquement à l’exigence de se présenter aux autorités. Le contrevenant ne s’est pas tout simplement présenté en retard; dans la majorité des cas, il a quitté la base pendant plusieurs jours. De plus, il n’est pas seulement question d’une violation répétée d’une ordonnance ou d’une promesse, mais plutôt de trois différentes séries de conditions imposées à trois occasions, deux fois par un officier réviseur et une fois par un juge militaire.

 

[21]           Quant aux deux infractions d’absence sans permission, la durée de ces absences était de 15 jours, qui est importante et aggravante.

 

[22]           Les répercussions du comportement du sous‑lieutenant Caicedo sur son unité, tant au chapitre du fardeau administratif qu’il a fait peser sur ses collègues et ses supérieurs, mais aussi au chapitre du manque de respect et de confiance que son comportement a suscité. Il a toutefois exprimé des regrets à cet égard au cours de son témoignage.

 

[23]           Enfin, le sous‑lieutenant Caicedo a commis six des infractions pour lesquelles il a plaidé coupable après avoir été reconnu coupable d’ivresse par un commandant supérieur lors d’un procès sommaire le 1er décembre 2014. Il n’a manifestement pas profité de cette occasion pour réfléchir de son comportement et se reprendre en main.

 

Les facteurs atténuants

 

[24]           La Cour a aussi tenu compte des facteurs atténuants suivants, qui ont été mentionnés par les avocats et établis par la preuve en mitigation, en particulier par l’avocat de la défense :

 

a)                  le trouble de santé mentale dont souffrait le sous‑lieutenant Caicedo au moment où les infractions ont été commises tel qu’il a été décrit ci‑dessus;

 

b)                  le plaidoyer de culpabilité du sous‑lieutenant Caicedo à l’égard de huit chefs d’accusation et son admission des faits relativement à quatre autres chefs d’accusation qui aux yeux de la Cour, et compte tenu de son témoignage, démontre qu’il a de véritables remords et qu’il assume entièrement la responsabilité de ce qu’il a fait. Il a reconnu sa responsabilité au cours d’une audience publique très formelle de la Cour martiale, en présence de membres de son unité actuelle et de sa chaîne de commandement;

 

c)                  le fait que le sous‑lieutenant Caicedo a passé 191 heures sous garde sur une période de 12 jours;

 

d)                  le fait que le comportement du sous‑lieutenant Caicedo s’est nettement amélioré depuis décembre 2014 et qu’il semble avoir maîtrisé son problème de santé mentale en se présentant à des rendez-vous médicaux sur une base régulière et en respectant les directives concernant la prise de médicaments. Cela dit, l’état mental du sous‑lieutenant Caicedo demeure fragile et cette condition exige l’atténuation de toute sentence pouvant avoir une incidence négative sur sa santé ou compromettre les progrès qu’il a réalisés au cours des 11 derniers mois; et

 

e)                  l’âge et le potentiel du sous‑lieutenant Caicedo, qui semble motivé à poursuivre ses études, à régler ses dettes et à préparer sa transition vers la vie civile, étant donné qu’il devrait être libéré des Forces armées canadiennes. En outre, il est toujours susceptible de contribuer à la société canadienne d’une manière très positive à l’avenir.

 

Les objectifs de la détermination de la sentence à favoriser en l’espèce

 

[25]           J’en suis venu à la conclusion, eu égard aux circonstances propres à la présente affaire, que la sentence devrait être axée sur les objectifs de dénonciation et de dissuasion. De fait, la nature des infractions exige que la Cour souligne que d’omettre de se conformer à une condition de mise en liberté ne peut être considéré comme tolérable au sein de la société canadienne, spécifiquement dans le milieu militaire qui accorde une importance particulière à l’obéissance aux ordres.

 

[26]           Cela dit, je ne souscris pas à la position de la poursuite selon laquelle la réadaptation, bien qu’elle doive être prise en compte, devrait occuper une place secondaire plutôt qu’être mise au premier plan en l’espèce. La preuve montre clairement que le sous‑lieutenant Caicedo a commis les infractions pendant une période relativement courte alors qu’il traversait une phase aiguë d’un trouble de santé mentale diagnostiqué. Il n’a pas récidivé depuis. La preuve est sans équivoque sur le fait qu’il devra retourner à la vie civile prochainement. Par conséquent, je conclus que l’objectif de réadaptation se situe au premier plan en l’espèce, tout comme celui de dissuasion générale, la nécessité d’une dissuasion spécifique étant réduite compte tenu des circonstances. Bref, toute sentence que j’impose ne doit pas avoir d’effet néfaste important sur les efforts que le contrevenant devra déployer pour réintégrer la société comme membre productif.

 

Les sentences proposées s’inscrivent dans l’éventail approprié

 

[27]           En ce qui concerne la jurisprudence soumise par les avocats, la Cour est convaincue que leurs propositions s’inscrivent dans l’éventail des peines possibles. Bien que je puisse déroger à cet éventail, ce ne sera pas nécessaire en l’espèce.

 

La détermination de la sentence appropriée

 

[28]           Un principe important veut que la Cour inflige la peine la moins sévère qui permette de maintenir la discipline. La peine la plus sévère proposée à la Cour, selon l’échelle prévue à l’article 139 de la LDN, est une peine d’emprisonnement, qui selon la poursuite devrait être de 45 jours. Cette durée me semble suffisante. Ayant cerné la peine la plus sévère que je suis disposé à infliger, je dois d’abord analyser la peine la moins sévère qu’a proposée la défense et établir si elle suffit pour répondre aux objectifs de la détermination de la sentence que j’ai mentionnés ci‑dessus, soit la dénonciation, la dissuasion et la réadaptation. Au besoin, j’aurai recours à des peines plus sévères de l’échelle des peines figurant à l’article 139.

 

[29]           Est-ce que la peine d’un blâme proposée comme peine initiale par la défense suffisante pour répondre à ces objectifs? Je ne crois pas. Une telle peine n’est manifestement pas suffisante pour dénoncer adéquatement le comportement d’un contrevenant qui a désobéi de manière répétée aux directives de deux officiers réviseurs et d’un juge militaire. Par surcroît, étant donné la situation personnelle du contrevenant, qui est assujetti à peu d’obligations militaires et qui attend sa libération des Forces armées canadiennes, une telle peine serait perçue par les personnes au fait des circonstances de l’affaire, principalement au sein de l’unité du contrevenant, comme une peine qui n’entraîne aucune conséquence réelle. Ce serait effectivement le cas, même aux yeux des personnes au courant du trouble de santé mentale du contrevenant. Une telle peine n’aurait absolument aucun effet dissuasif. D’ailleurs, la décision de limiter la peine à un blâme lorsqu’il est question de douze infractions pourrait avoir comme effet de déconsidérer l’administration de la justice militaire.

 

[30]           Je dois donc recourir à la liste de peines figurant à l’article 139 de la LDN, je constate que les trois peines prévues et suivantes de l’échelle, c’est‑à‑dire, la perte de l’ancienneté, la rétrogradation et la détention, ne s’appliquent pas au contrevenant compte tenu de son grade et de sa qualité d’officier. La prochaine peine applicable est la destitution. C’est une peine qui convient particulièrement à une situation où une personne a agi d’une manière tout à fait incompatible avec la vie militaire. C’est le cas en l’espèce. Il s’agit d’une peine importante, plus sévère que la détention, qui est pourtant privative de liberté. C’est également une peine qui selon moi comporte une signification symbolique car elle témoigne officiellement du fait qu’une personne n’a plus sa place dans la collectivité militaire et qu’elle doit en être exclue sans délai. En ce sens, il s’agit d’un type de peine qui permettra de répondre aux objectifs de dénonciation et de dissuasion, particulièrement la dissuasion générale. Elle aura des répercussions sur le contrevenant, mais celles‑ci n’entraveront pas sa réadaptation, un objectif important en l’espèce. En effet, le contrevenant se prépare déjà pour son retour à la vie civile. L’imposition d’une sentence de destitution accélérera le processus. J’ai tranché qu’il s’agit là d’une peine appropriée à infliger en l’espèce.

 

[31]           Selon les plaidoiries de la poursuite, l’imposition d’une peine de destitution ne serait pas suffisante en soi pour répondre aux objectifs de dénonciation et de dissuasion. La poursuite sollicite une peine d’emprisonnement de 45 jours conjuguée à la destitution en tant que sentence minimale nécessaire pour maintenir la discipline. La défense soutient qu’un emprisonnement n’est pas requis et qu’il nuirait à la réadaptation du contrevenant. Les deux parties ont soumis des arguments et des plaidoiries valides à l’appui de leur position. Parmi les précédents établis par d’autres cours martiales se trouvent des peines n’imposant qu’une destitution seule et des sentences de destitution combinées à d’autres peines, dont l’emprisonnement. Il m’incombe d’exercer mon jugement et d’établir la sentence minimale qui satisfera à l’exigence de la discipline à la lumière de la preuve dont je dispose et des principes applicables.

 

[32]           Je conclus que les circonstances des infractions d’omettre de se conformer à une condition en l’espèce conjuguées à leur nature répétitive, soit dix infractions en tout, appellent l’imposition d’une sentence qui prévoit une peine d’emprisonnement. Il ne s’agissait pas que de simples violations, mais bien d’un mépris flagrant à l’égard de l’obligation de demeurer sur la base et de se présenter. Les violations se rapportaient à trois différentes séries de conditions imposées à trois occasions, deux fois par des officiers réviseurs et une fois par un juge militaire. Il est question d’infractions graves. L’imposition ne prévoyant qu’une destitution à un militaire qui est déjà dissocié de ce que l’on pourrait appeler une carrière militaire normale en attendant sa libération administrative ne serait pas, à mon avis, suffisante pour répondre aux exigences globales en matière de maintien de la discipline.

 

[33]           Bien que je sois arrivé à cette conclusion, je suis entièrement conscient du fait que la santé mentale du contrevenant a joué un rôle dans la commission des infractions et qu’elle continue de jouer un rôle au chapitre de son potentiel de réadaptation. Pour cette raison, je conclus que la durée proposée par la poursuite pour l’emprisonnement est excessive et qu’elle n’est pas nécessaire à la satisfaction des exigences en matière de discipline. Étant donné que le contrevenant a déjà passé 191 heures sur 12 jours en détention avant procès, j’estime qu’une peine de 15 jours d’emprisonnement, combinée à la destitution, constituerait la sentence minimale permettant de répondre aux exigences en matière de discipline dans les circonstances en l’espèce. L’incidence de l’imposition d’un emprisonnement servirait les objectifs de dénonciation et de dissuasion peu importe la durée de l’emprisonnement.

 

La suspension de l’exécution de la peine d’emprisonnement

 

[34]           La défense a fait valoir que toute peine d’emprisonnement que je juge nécessaire devrait être suspendue. L’article 215 de la LDN dispose ce qui suit :

 

Le tribunal militaire peut suspendre l’exécution de la peine d’emprisonnement ou de détention à laquelle il a condamné le contrevenant.

 

[35]           Il est clair d’après cette disposition que la question de la suspension d’une sentence d’incarcération ne se pose pas à moins que le juge qui impose la sentence ait déterminé que le contrevenant est condamné à l’emprisonnement ou à la détention, après avoir appliqué les principes de la détermination de la sentence appropriés dans les circonstances entourant l’infraction et la situation du contrevenant.

 

[36]           Comment les juges militaires décident-ils si une sentence doit être suspendue? En l’absence de critères prévus par la loi en matière de suspension, les juges militaires imposant des sentences aux contrevenants en cour martiale ont élaboré avec le temps deux exigences auxquelles il doit être satisfait. Cette situation est démontrée dans la décision que j’ai rendue cette année dans R. c. Boire, 2015 CM 4010, dans laquelle j’ai appliqué deux décisions du juge militaire d’Auteuil, soit R. c. Paradis, 2010 CM 3025 et R. c. Masserey, 2012 CM 3004.

 

[37]           Pour obtenir la suspension d’une sentence d’emprisonnement ou de détention, le contrevenant doit démontrer, selon une prépondérance de probabilités, que ses circonstances particulières justifient une suspension de la peine d’emprisonnement ou de détention. Si le contrevenant s’est acquitté de son fardeau, la Cour doit se demander si une suspension de la peine d’emprisonnement ou de détention aurait comme effet de miner la confiance du public dans le système de justice militaire, dans les circonstances entourant l’infraction et la situation du contrevenant y compris, mais pas limitées, aux circonstances particulières justifiant une suspension.

 

La peine d’emprisonnement devrait-elle être suspendue?

 

[38]           En l’espèce, le sous‑lieutenant Caicedo soutient que son trouble médical actuel, qui est lié à la commission des infractions, justifierait la suspension de la sentence d’emprisonnement. À l’appui de cet argument, l’avocat de la défense a invoqué l’opinion de la docteure Labonté, qui, dans son rapport, a conclu que l’imposition au contrevenant d’un horaire strict, généralement associé à l’incarcération, est susceptible d’accroître son niveau de stress et pourrait être contre‑productif.

 

[39]           Je tiens à souligner que la docteure Labonté n’affirme pas que le sous‑lieutenant Caicedo ne peut pas se voir infliger une sentence d’emprisonnement; son opinion à cet égard est axée sur la distinction entre une prison militaire et un centre correctionnel civil. Je considère toutefois que le stress accru qui découlerait inévitablement d’être incarcéré en prison n’aidera nullement la réadaptation du contrevenant ni la capacité de ce dernier à surmonter les défis de taille qui l’attendent au cours de sa transition vers la vie civile. Vu la courte durée de l’emprisonnement de 15 jours que je considère comme le minimum nécessaire pour répondre aux besoins en matière de discipline, je suis d’avis que, compte tenu des circonstances, le contrevenant a justifié la suspension de cette sentence d’emprisonnement spécifique. Cette position cadre avec la conclusion à laquelle est arrivé le juge militaire en chef dans R. c. O’Toole, 2012 CM 1018.

 

[40]           En ce qui concerne la seconde exigence, je dois examiner si une suspension de la peine d’emprisonnement minerait la confiance du public dans le système de justice militaire, dans les circonstances entourant les infractions et la situation du contrevenant, y compris les circonstances particulières justifiant une suspension. Je conclus que les circonstances concernant la santé mentale du sous‑lieutenant Caicedo, qui justifient la suspension de la peine d’emprisonnement dans le présent cas et leur caractère contraignant, sont de nature à être facilement comprises par un observateur raisonnablement informé. C’est tout particulièrement le cas lorsque le même trouble de santé mentale a eu une incidence aussi importante sur la commission des infractions.

 

[41]           Par conséquent, l’exécution de la peine d’emprisonnement sera suspendue.

 

Le débat entre la prison militaire et la prison civile

 

[42]           Bien que ces motifs soient manifestement suffisants pour régler la question de la détermination de la sentence en l’espèce, la Cour estime qu’elle doit exprimer son point de vue sur un débat auquel ont été consacrées plusieurs heures de la présente audience de la détermination de la sentence, soit la question de savoir si le contrevenant devrait purger son éventuelle sentence d’emprisonnement à la Caserne de détention et prison militaire des Forces canadiennes à Edmonton ou dans un établissement civil. L’avocat de la défense a demandé que son client soit envoyé dans un établissement civil. La poursuite a proposé que je devrais incarcérer le contrevenant à la Caserne de détention et prison militaire des Forces canadiennes.

[43]           Le droit s’appliquant à cette question figure à l’article 220(3) de la LDN, qui a été reproduit et développé à l’article 114.06 des ORFC, qui est libellé ainsi :

 

114.06 – ENVOI À LA PRISON CIVILE

 

(1)     Le paragraphe 220(3) de la Loi sur la défense nationale prescrit :

 

« 220. (3) Les prisonniers militaires astreints à une peine d’emprisonnement de moins de deux ans sont, lorsqu’elle est mise à exécution, envoyés le plus tôt possible dans une prison civile pour la purger conformément à la loi. L’autorité incarcérante peut toutefois, aux termes des règlements pris par le gouverneur en conseil, ordonner qu’ils soient incarcérés dans une prison militaire ou une caserne disciplinaire pour y purger leur peine, en tout ou en partie. »

 

(2)     Sous réserve de l’alinéa (3), s’il est souhaitable de le faire en raison des besoins du service, une autorité incarcérante peut ordonner qu’un prisonnier militaire soit incarcéré dans une prison militaire ou une caserne disciplinaire pour y purger sa peine ou la partie de sa peine que l’autorité incarcérante peut indiquer.

 

(3)     Lorsqu’un contrevenant justiciable du code de discipline militaire en vertu du paragraphe 61(1) de la Loi sur la défense nationale est condamné à l’extérieur du Canada à une peine d’emprisonnement de moins de deux ans, l’autorité incarcérante peut, sous réserve de l’approbation du chef d’état-major de la défense, ordonner que le contrevenant soit incarcéré dans une prison militaire ou une caserne disciplinaire pour y purger la totalité de sa peine ou toute partie de sa peine que le chef d’état-major de la défense peut indiquer.

 

[44]           En ma qualité de juge militaire je suis une autorité incarcérante. Si j’entends infliger une peine d’emprisonnement de moins de deux ans, comme c’est le cas en l’espèce, la loi m’oblige, dans le cadre de la mise à exécution de la sentence, à envoyer la personne le plus tôt possible dans une prison civile. On entend par « le plus tôt possible » le moment de la signature d’un mandat de dépôt en Cour tandis que je rends ma décision. C’est la règle. Le reste de l’article 220(3) présente l’exception, comme l’indique clairement l’emploi du mot « toutefois » avant la description des circonstances dans lesquelles je peux ordonner qu’un prisonnier militaire soit envoyé dans une prison militaire ou une caserne disciplinaire. Au Canada, ces circonstances se limitent aux situations où il est souhaitable de le faire en raison des besoins du service.

 

[45]           Je suis certainement prêt à supposer que si un contrevenant demande d’être envoyé dans une prison militaire pour purger sa peine et que la poursuite donne son accord, le juge militaire présidant l’instance peut considérer que les besoins du service ont été dûment pris en compte et respectés. Ce n’est pas le cas lorsque la défense s’y oppose. Dans une telle situation, il revient à la poursuite d’établir qu’il est souhaitable de le faire en raison des besoins du service, selon une prépondérance de probabilités.

 

[46]           En l’espèce, l’affidavit et le témoignage du commandant de la Caserne de détention et prison militaire des Forces canadiennes donnaient à penser que la prison militaire d’Edmonton était un excellent établissement sans drogues et violence et qui était voué à la réadaptation des contrevenants. Bien que j’aie été impressionné par le témoignage du commandant et son engagement à aider les personnes emprisonnées ou détenues dans son établissement, il reste que cette preuve ne se rapportait pas aux critères applicables aux besoins du service. Cette preuve n’était tout simplement pas pertinente et, conjuguée à la demande de sentence de destitution du service de Sa Majesté présentée par la poursuite, incohérente dans le contexte. Pourquoi serait-il souhaitable, eu égard aux besoins du service, d’ordonner à une personne condamnée à la destitution, qui sera donc expulsée des Forces armées canadiennes, de purger sa sentence dans une prison militaire?

 

[47]           Il me semble que les autorités compétentes, dans le domaine des poursuites ou un autre domaine, auraient plutôt avantage à consacrer leur énergie, temps, arguments et leurs données probantes démontrant l’excellence de l’établissement d’Edmonton à convaincre le Parlement de modifier la LDN afin que cet établissement y soit défini comme l’établissement d’incarcération principal. Ces autorités pourraient également s’employer à montrer aux membres de la collectivité militaire susceptibles de se voir infliger un emprisonnement qu’ils peuvent demander de purger leur peine à Edmonton plutôt que dans un établissement civil.

 

[48]           J’espère de ne pas avoir à endurer un débat aussi inutile au cours d’une audience à l’avenir. Les ressources judiciaires doivent être utilisées judicieusement.

 

L’imposition de la sentence

 

[49]           Sous‑lieutenant Caicedo, les circonstances des douze infractions dont je vous ai reconnu coupable témoignent d’un comportement qui est tout à fait incompatible avec le service au sein des Forces armées canadiennes. Vous avez connu des difficultés tout au long de votre carrière, lesquelles semblent être liées à un trouble de santé mentale avec lequel vous devrez composer pendant toute votre vie. La présence de ce trouble a fortement influé sur ma décision de ne pas vous faire purger une peine en prison en dépit de la gravité de vos actions. Des défis de taille vous attendent et j’ai décidé de ne pas rendre votre situation encore plus difficile. Je crois que vous méritez un peu de répit. J’espère que vous tirerez des leçons de cette instance et que vous pourrez reprendre votre vie en main sans récidiver à l’extérieur des Forces armées canadiennes.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[50]           VOUS CONDAMNE à de l’emprisonnement pour une période de 15 jours et à la destitution du service de Sa Majesté.

 

[51]           SUSPEND l’exécution de la peine d’emprisonnement.

 

 

Avocats :

 

Le Directeur des Poursuites militaires, représenté par le major J.S.P. Doucet et le major A.J. Van der Linde

 

Le capitaine de corvette P.D. Desbiens, Direction du Service d’avocats de la défense, avocat du sous‑lieutenant C.W. Caicedo

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