Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 22 juin 2016

Endroit : Manège militaire Capitaine Bellenden Hutcheson VC, le Toronto Scottish Regiment, 70 rue Birmingham, Toronto (ON)

Chefs d’accusation :

• Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).
• Chef d’accusation 2 : Art. 93 LDN, comportement déshonorant.
• Chef d’accusation 3 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats :

VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Retiré. Chefs d’accusation 2, 3 : Coupable.
SENTENCE : Une rétrogradation au grade de sergent, une réprimande et une amende au montant de 1000$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Wellowszky, 2016 CM 1011

 

Date : 20160624

Dossier : 201609

 

 

Cour martiale permanente

 

Manège militaire Captain Bellenden Hutcheson VC

Toronto (Ontario) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et –

 

Adjudant R.A. Wellowszky, contrevenant

 

 

En présence du : Colonel M. Dutil, J.M.C.


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]        L’adjudant Wellowszky a reconnu sa culpabilité, le 21 juin 2016, relativement au chef d’accusation de conduite déshonorante fondé sur l’article 93 de la Loi sur la défense nationale (LDN), et au chef d’accusation de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline fondé sur l’article 129 de la Loi sur la défense nationale. Les chefs d’accusation sont rédigés comme suit :

 

DEUXIÈME CHEF D’ACCUSATION

CONDUITE DÉSHONORANTE

Article 93 (LDN)

Exposé du cas : En ce que, le ou vers le 16 mars 2014, dans les toilettes réservées aux femmes du Régiment Royal du Canada situé au Manège militaire Fort York à Toronto (Ontario), il a agressé le sergent K.N.L. alors qu’il se trouvait en état d’ébriété et en uniforme.

 

 

TROISIÈME CHEF D’ACCUSATION

CONDUITE PRÉJUDICIABLE AU BON ORDRE ET À LA DISCIPLINE

 

Article 129 (LDN)

Exposé du cas : En ce que, le ou vers le 15 et 16 mars 2014, il a agressé le sergent K.N.L., contrevenant ainsi à la DOAD 5012-0, Prévention et résolution du harcèlement.

 

[2]        Les faits entourant les infractions commises sont relatés dans l’énoncé des circonstances qui a été déposé à la Cour sous la pièce 4 et est reproduit ci-après dans son intégralité.

 

ÉNONCÉ DES CIRCONSTANCES

 

1.                  À toutes les dates pertinentes de la présente affaire, l’adjudant (Adj) Wellowszky était membre du Régiment Royal du Canada dans la Force de réserve des Forces armées canadiennes.

 

2.                  Le 15 mars 2014, le Régiment Royal du Canada a organisé un dîner militaire au mess des sergents et adjudants du Manège militaire Fort York à Toronto (Ontario).

 

3.                  L’Adj Wellowszky et le Sgt K.N.L. étaient tous les deux présents au dîner, en uniforme, mais ils ne se sont pas adressé la parole au cours du repas.

 

4.                  Après le dîner, les invités se sont réunis dans le mess des sergents et adjudants. Vers 23 h 15, le Sgt K.N.L. a vu pour la première fois l’Adj Wellowszky. Celui-ci paraissait en état d’ébriété, au point de sembler débraillé et déséquilibré.

 

5.                  Au cours de la soirée, l’Adj Wellowszky s’est approché du Sgt K.N.L. pour lui demander de prendre une photo avec lui et de lui montrer ses jambes. Le Sgt K.N.L. a pris le commentaire sur le ton de la rigolade et a refusé de lui montrer ses jambes, mais elle a accepté de prendre une photo. Une autophoto des deux protagonistes a également été prise.

 

6.                  Le Sgt K.N.L. se trouvait dans le mess, assise sur un canapé à deux places avec un autre sergent, lorsque l’Adj Wellowszky a demandé s’il pouvait s’asseoir à côté d’elle. Elle s’est poussée pour lui permettre de s’asseoir. Alors qu’elle discutait avec d’autres personnes, l’Adj Wellowszky a glissé sa main sous ses fesses. Elle s’est levée pour éviter ce contact, puis s’est déplacée de quelques mètres pour discuter avec d’autres personnes.

 

7.                  L’Adj Wellowszky s’est levé pour la suivre, puis lui a donné une claque sur les fesses. Le Sgt K.N.L. l’a regardé et lui a indiqué que ses gestes n’étaient pas convenables. Il s’est excusé et elle s’est éloignée.

 

8.                  Quelques minutes plus tard, alors qu’elle était assise sur un canapé dans le mess, l’Adj Wellowszky s’est approché et a pris une photo d’elle alors que ses jambes étaient quelque peu exposées en raison de la fente de la jupe de son uniforme. Cette situation l’a rendue mal à l’aise.

 

9.                  Plus tard dans la soirée, alors que le Sgt K.N.L. était à nouveau assise sur le canapé, l’Adj Wellowszky l’a interpellée depuis l’autre côté de la salle pour lui demander à plusieurs reprises ce qu’elle voulait boire. Elle avait à ce moment-là arrêté de boire de l’alcool depuis plusieurs heures puisqu’elle conduisait. L’Adj Wellowszky insistait pour lui offrir une boisson alcoolisée. Le Sgt K.N.L. a lancé un regard au serveur pour lui indiquer qu’elle ne voulait boire que de l’eau.

 

10.              Vers 1 h 30 le 16 mars 2014, le Sgt K.N.L. s’est préparée à partir en commençant à dire au revoir à ses collègues dans le mess. Elle a dit au revoir à un groupe qui comprenait l’Adj Wellowszky. Ce dernier a commencé à la suivre, en lui demandant où elle allait et si elle souhaitait trouver un endroit calme où ils pourraient s’isoler. Elle a répondu par la négative et lui a dit qu’elle allait chercher son manteau avant de rentrer chez elle. Elle s’est sentie nerveuse à l’idée d’aller chercher son manteau et de se trouver seule avec lui, elle lui a donc indiqué qu’elle allait aux toilettes et qu’il pouvait retourner au mess.

 

11.              Il l’a suivie jusqu’aux toilettes et lui a dit qu’il allait attendre dehors jusqu’à ce qu’elle ait terminé. Elle a essayé de le renvoyer à plusieurs reprises au mess, mais il a refusé de partir. Elle s’est sentie nerveuse, et a donc envoyé une fois dans la cabine de toilette un message texte à son ami, le Sgt Probst, pour lui demander de se rendre devant les toilettes, là où elle pensait que se trouvait l’Adj Wellowszky, et de raccompagner ce dernier jusqu’au mess.

 

12.              Peu après, l’Adj Wellowszky est entré dans les toilettes réservées aux femmes pour lui demander si elle avait terminé. Elle se trouvait encore dans la cabine de toilette à ce moment-là. Elle lui a crié plusieurs fois de sortir des toilettes. Elle pensait qu’il était parti puisqu’elle avait entendu la porte s’ouvrir et se refermer.

 

13.              Le Sgt K.N.L. est sortie de la cabine et a fait un bond en découvrant que l’Adj Wellowszky se trouvait encore dans les toilettes. Il se tenait dans un endroit des toilettes qu’elle ne pouvait pas voir depuis la cabine.

 

14.              L’Adj Wellowszky s’est approché d’elle et a essayé de la prendre dans ses bras. Elle l’a repoussé, mais il l’a entourée de ses bras, l’a serrée fort et ne l’a pas lâchée. Il a embrassé son visage et son cou. Elle a crié « Non » et « Stop » à plusieurs reprises, mais il a continué à la pousser vers la cabine de toilette. Lorsqu’elle s’est retrouvée dos à la porte de la cabine, elle a été en mesure d’utiliser ses bras pour s’agripper au cadre de la porte et lui a hurlé d’arrêter.

 

15.              Il l’a finalement lâchée et elle a couru hors des toilettes jusqu’à la salle de musique où se trouvait son manteau.

 

16.              Une fois dans la salle, elle a appelé le Sgt Probst. Il a décroché et elle lui a demandé de lire ses textos. Peu après, il l’a rejointe dans la salle de musique. Elle lui a alors expliqué ce qui s’était passé.

 

17.              Alors qu’ils discutaient des événements, l’Adj Wellowszky est arrivé à la porte de la salle de musique. Il a accusé le Sgt K.L.M. de lui avoir menti lorsqu’elle avait dit qu’elle partait, et il lui a demandé de rester pour prendre un autre verre. Au même moment, il lui a pincé fermement les fesses. Elle a sursauté, pris son manteau et est rentrée chez elle.

 

[3]        Lors de l’audience de détermination de la peine, le sergent K.N.L. a lu une déclaration de la victime qu’elle avait préparée pour l’occasion et qui se trouve sous la pièce 6. La Cour croit qu’il est important par ailleurs de reproduire cette déclaration afin de mettre en évidence de quelle manière ce type de comportement et de conduite a non seulement des effets préjudiciables réels sur la victime, autant du point de vue personnel que professionnel, mais également sur les Forces armées canadiennes. En effet, la victime estime qu’elle n’est plus en mesure de s’acquitter de ses fonctions au sein des Forces armées canadiennes en raison de ces événements.

 

DÉCLARATION DE LA VICTIME

 

Au cours des premières semaines de travail qui ont suivi les événements des 15 et 16 mars 2014, j’ai eu le sentiment que mon monde s’effondrait. Le Manège militaire Fort York, un endroit où, avant cette soirée fatidique, je ne pouvais pas m’empêcher de sourire lorsque j’en franchissais le seuil, est devenu un endroit effrayant que je redoutais. Au début, j’ai été excusée des réunions du SMC de manière à ne pas me trouver à proximité de l’Adj Wellowszky, et je devais avoir une escorte dès que je devais mener mes activités au sein des zones assignées à la compagnie. À première vue, cela semblait un arrangement convenable, surtout le premier jeudi soir où j’ai dû croiser à un moment l’Adj Wellowszky dans un couloir étroit à l’extrémité du terrain de parade. Je ne savais pas comment il allait réagir, s’il allait me sauter dessus physiquement ou m’agresser verbalement, alors j’étais heureuse de ne pas être seule. Mais au fur et à mesure, cet arrangement est devenu de plus en plus difficile puisque des membres de l’orchestre devaient rater une partie des répétitions pour me permettre de faire mon travail. Un soir, deux membres ont failli ne pas recevoir une promotion en raison d’une mauvaise communication, et j’ai craqué. (Pas littéralement, mais j’étais furieuse.) J’ai demandé à participer aux réunions du SMC en alternance avec l’Adj Wellowszky de manière à ce que nous ne nous trouvions pas ensemble, mais que nous puissions tous les deux obtenir les renseignements requis pour faire notre travail. Ma demande a d’abord été rejetée, puis elle a été mise en œuvre au début de l’année d’instruction suivante (septembre 2015). J’ai eu le sentiment de pouvoir enfin à nouveau faire mon travail.

 

Ce sentiment a été de courte durée lorsque je me suis rendu compte que je ne me sentais plus à l’aise dans le mess des sergents et adjudants. J’ai essayé de m’y rendre à plusieurs reprises les jeudis après la formation au cours de cet automne, mais je me suis aperçu rapidement que je ne pouvais pas me trouver dans la même pièce que l’Adj Wellowszky tout en étant détendue. J’ai fini par arrêter d’y aller, sauf à la demande explicite du SMR. J’ai non seulement perdu plusieurs centaines de dollars puisque je devais continuer à payer mes cotisations de mess, mais j’ai également quitté le comité du mess (occupation qui me plaisait bien) et j’ai perdu toute possibilité de réseautage se déroulant au mess, ce qui n’a pas facilité mon travail.

 

Alors que mars 2015 approchait, je savais que je devais prendre une décision à propos du prochain dîner officiel des sergents et adjudants. J’ai fini par conclure que j’avais autant le droit que l’Adj Wellowszky de participer à cette soirée et j’ai décidé d’y aller, en demandant un soutien féminin pour m’aider pendant la soirée. J’ai demandé à une amie d’une autre unité qui connaissait un peu la situation de m’accompagner. Je n’ai su qu’en arrivant sur place que l’Adj Wellowszky ne viendrait pas, mais j’ai tout de même passé une soirée horrible. Je n’ai pas pu m’empêcher de repenser aux événements de l’année précédente, ça a hanté mon esprit toute la soirée. En résumé, je suis arrivée sur place, j’ai dîné, je suis restée jusqu’aux discours puis je suis partie. J’ai pleuré quasiment pendant tout le trajet jusqu’à chez moi.

 

Au cours de l’été 2015, le rapport Deschamps a été publié, et tout à coup la question du harcèlement et des agressions dans l’Armée a été mise en évidence, ce que j’ai trouvé un peu ironique puisque je me trouvais au milieu du processus, mais n’avais pas encore entendu beaucoup parler d’un procès. Le général Whitecross effectuait une tournée du Canada pour faire des présentations devant les membres des FAC à propos du harcèlement en indiquant qu’il y aurait désormais une politique de tolérance zéro, et puisque j’étais à cette époque employée à la BFC Borden, j’ai dû assister à cette présentation. Ces trois heures ont été pénibles, mais j’ai appris à ce moment-là que la date prévue de mon audience devant la Cour martiale générale avait été fixée au 30 novembre 2015, et même si cela semblait être un temps d’attente assez long, j’étais tout de même contente de voir se profiler la fin de l’histoire.

 

De retour à l’unité en septembre 2015, l’Adj Wellowszky a changé de service, donc nous n’avions plus à assister aux réunions du SMC en alternance; cependant, mes relations avec l’Adj Ops, le Sgt BOR/FIN, le Capt Adjt et les autres SMC étaient difficiles et maladroites, ce qui compliquait mon travail une nouvelle fois. J’ai ensuite été informée en octobre par un appel téléphonique du Maj Samson que l’audience avait été reportée en juin 2016, et cela m’a bouleversée. Je ne pouvais pas croire que ce processus allait encore être prolongé de six mois! J’éprouvais déjà suffisamment de difficultés, et le fait que je devais chaque jeudi soir me rendre dans les zones assignées à la compagnie, avec le risque de croiser l’Adj Wellowszky, me rendait incroyablement nerveuse. Je pense que j’aurais pu abandonner à ce moment-là, mais je me suis refusée à le faire.

 

Je dois dire que lorsque la possibilité d’accepter un contrat de catégorie B d’une durée de 2,5 mois à la BFC Borden au cours de l’hiver 2016, au sein de la division de la musique, avec les mêmes personnes avec lesquelles j’avais travaillé l’été précédent, s’est présentée, j’ai tout de suite accepté, bien qu’il fût compliqué d’exercer mes fonctions de SMC au sein de l’unité tout en me trouvant à un autre endroit. Ce contrat m’a permis de quitter le Manège militaire Fort York et de travailler dans un environnement au sein duquel je me sentais la bienvenue, appréciée et à l’aise, soit tout le contraire de ce que j’avais ressenti au sein du Régiment Royal du Canada au cours des deux dernières années.

 

Pour terminer, alors que je travaille à nouveau à la BFC Borden cet été en tant que directrice de cours au sein de la division de musique, un incident qui s’est produit il y a quelques semaines m’a fait réaliser que je n’étais plus en mesure d’assumer le rôle d’adjudant efficacement au sein des FAC. En raison des événements de mars 2014 et de tout ce qui a suivi, je ne suis plus capable de diriger ou de gérer efficacement des troupes. Si l’occasion se présente de réaliser un déplacement latéral dans un poste pour lequel personne ne relèverait directement de moi, alors j’accepterais cette mutation avec la permission de ma chaîne de commandement; dans le cas contraire, je demanderais ma libération des FAC.

 

Ce sont là les répercussions que les événements des 15 et 16 mars 2014 ont eues sur moi.

 

[4]               Dans son court témoignage, elle a expliqué le dernier paragraphe de sa déclaration écrite et précisé que l’incident en question concernait son incapacité en tant que directrice de cours à gérer une plainte de harcèlement sexuel impliquant deux de ses étudiants en raison de sa propre expérience de victime récente d’un incident grave de harcèlement. Cette affirmation illustre bien le préjudice qu’elle a subi, mais aussi celui qu’ont subi les Forces armées canadiennes.

 

[5]               En plus du témoignage de la victime, les éléments de preuve présentés devant la Cour comprennent ce qui suit : la teneur du chapitre 204 des Directives sur la rémunération et les avantages sociaux, dont la Cour a pris connaissance judiciaire, en vertu du paragraphe 15(2) des Règles militaires de la preuve; la teneur de l’Ordre d’opération du CEMD (O Op CEMD) – Op HONOUR, en date du 14 août 2015, pièce 5, dont la Cour a pris connaissance judiciaire, en vertu du paragraphe 15(2); le résumé des états de service du membre et les rapports d’appréciation du rendement de 1999 à 2013, concernant l’adjudant Wellowszky, pièce 7; le rapport des fichiers centraux de la solde du contrevenant de décembre 2014 à juin 2016, pièce 8; un document dans lequel le commandant du Régiment Royal du Canada donne son opinion sur l’Adjudant Wellowszky et la façon dont il réagira aux résultats de la présente procédure, pièce 9; un document dans lequel la femme du contrevenant donne son point de vue sur les répercussions que les événements ont eues sur sa famille et sa relation de couple, pièce 10.

 

[6]               Dans la décision R. c. Morgan, 2015 CM 4005, 8 avril 2015, le contrevenant a plaidé coupable et été reconnu coupable à l’égard de trois chefs d’accusation fondés sur l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, soit de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline sous la forme de harcèlement sexuel de trois membres de sexe féminin d’un grade inférieur. Contrairement à la présente affaire, les contacts physiques étaient « de nature évanescente et non envahissante »; cependant, je souscris entièrement aux remarques formulées par mon collègue, le juge militaire Pelletier, aux paragraphes 16 à 18, en ce qui concerne l’effet corrosif du harcèlement sexuel dans un environnement ou milieu de travail :

 

[16]       L’avocat de la défense a fait valoir que les faits de l’espèce ne constituent pas les exemples les plus flagrants de harcèlement sexuel. Il a aussi affirmé que les contacts physiques étaient de nature évanescente et non envahissante. La Cour reconnaît qu’il n’est pas rare que des collègues flirtent dans leur milieu de travail. Or, même si les faits qui constituent du harcèlement sexuel peuvent être classés selon leur gravité, il reste que le harcèlement sexuel dans un milieu de travail est grave en soi. Comme l’a conclu la Cour suprême du Canada au paragraphe 56 de l’arrêt Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252 :

 

[...] Le harcèlement sexuel en milieu de travail est un abus de pouvoir tant économique que sexuel. Le harcèlement sexuel est une pratique dégradante, qui inflige un grave affront à la dignité des employés forcés de le subir. En imposant à un employé de faire face à des gestes sexuels importuns ou à des demandes sexuelles explicites, le harcèlement sexuel sur le lieu de travail est une atteinte à la dignité de la victime et à son respect de soi, à la fois comme employé et comme être humain.

 

[17]       Ce principe est prévu dans la politique des Forces canadiennes DAOD 5012-0 intitulée « Prévention et résolution du harcèlement », selon laquelle « [t]ous les membres des FAC et les employés du MDN ont le droit d’être traités avec équité, respect et dignité dans un milieu de travail exempt de harcèlement; ils ont par ailleurs la responsabilité de traiter les autres de la même façon. » Il s’agit d’une norme qui a été maintes fois appliquée par les dirigeants des Forces canadiennes, tant sur le plan administratif que par le biais de poursuites intentées sous le régime du Code de discipline militaire, notamment devant les cours martiales. Par exemple, la Cour souscrit aux remarques formulées par le juge Lamont de la Cour martiale permanente au paragraphe 9 de l’affaire R. c. Caporal Priemus, 2006 CM 2013, à savoir que les victimes de harcèlement sexuel ont gagné le respect de leurs pairs, supérieurs et subordonnés et ont droit à ce respect, ajoutant que :

 

[...] la Cour doit aussi être préoccupée par l’effet dissuasif. Les membres des Forces canadiennes, notamment les membres féminins qui sont le plus souvent [victimes] de ce comportement, doivent avoir l’assurance que leur dignité est respectée par les autres membres.

 

[18]         La Cour reconnaît que des militaires des Forces canadiennes — de grade parfois différent — peuvent avoir un comportement enjôleur dans un lieu de travail. Or, en l’espèce, le comportement était importun et aurait dû être considéré comme tel en trois occasions au cours d’une longue période, en ce qui concerne trois membres féminins dont le grade était inférieur à celui du contrevenant. La Cour convient avec l’avocat de la poursuite que ces circonstances, y compris, en particulier, le grade du contrevenant, sont des facteurs aggravants. Rien n’indique que les victimes aient subi des traumatismes en lien avec les incidents ou qu’il y ait eu des répercussions opérationnelles sur les unités à ce moment-là, mais il reste que le harcèlement de la part d’une personne qui détient un grade supérieur ou qui occupe un poste supérieur à l’égard d’un membre subalterne peut avoir pour effet de miner la confiance mutuelle et le respect des personnes et peut créer un milieu de travail malsain, tel qu’il est indiqué dans la politique DAOD 5012-0.

 

[7]               L’objectif fondamental de la détermination de la peine en cour martiale est d’assurer le respect de la loi et de la discipline militaire par l’infliction de peines qui répondent à un ou plusieurs des objectifs suivants : dénoncer les comportements illégaux; dissuader les contrevenants et autres personnes de commettre les mêmes infractions; isoler, au besoin, le contrevenant du reste de la société; assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité; susciter la conscience de leurs responsabilités chez les contrevenants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité; enfin, favoriser la réadaptation et la réinsertion sociale du contrevenant.

 

[8]               La sentence doit également tenir compte des principes suivants. La peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction, aux antécédents du contrevenant et à son degré de responsabilité. Elle doit être semblable à celles infligées à des contrevenants ayant commis des infractions semblables dans des circonstances semblables. La Cour doit aussi respecter le principe selon lequel un contrevenant ne devrait pas être privé de liberté si des sanctions moins contraignantes peuvent être justifiées dans les circonstances. Autrement dit, une peine d’emprisonnement devrait constituer une sanction de dernier recours. Enfin, la peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant. Cependant, la Cour doit faire preuve de retenue lorsqu’elle détermine la peine en infligeant la sanction la moins sévère possible pour maintenir la discipline. Les deux parties ont convenu que les objectifs prépondérants relatifs aux infractions de cette nature sont la dénonciation et la dissuasion, tant sur le plan individuel que collectif; cependant, la peine doit également refléter le tort causé à la victime et à la communauté militaire, tout en permettant la réhabilitation et la réinsertion du contrevenant au sein de cette même communauté.

 

[9]               L’adjudant Wellowszky a fait preuve d’un rendement et d’une conduite solides et stables tout au long de sa carrière de 24 ans en tant que réserviste. Il est décrit comme un véritable chef de file doté d’un leadership exceptionnel en matière de commandement. Son professionnalisme a régulièrement été reconnu, de même que ses compétences, ses grandes capacités et son dévouement. Aux dires de son commandant actuel, l’adjudant Wellowszky était un chef dévoué et très efficace, ainsi qu’un mentor solide qui a contribué de manière significative au Régiment Royal du Canada et aux Forces armées canadiennes. Il ne fait aucun doute que les événements qui sont à l’origine des accusations portées contre lui ont eu des répercussions importantes, non seulement sur la victime, mais aussi sur la famille du contrevenant, comme en fait foi le document déposé à la Cour sous la pièce 10.

 

[10]           Outre la gravité objective des infractions, la Cour considère que, s’agissant d’un cas où la personne déclarée coupable est passible d’une peine maximale d’emprisonnement de cinq ans et d’une destitution ignominieuse du service de Sa Majesté, les éléments suivants sont des facteurs aggravants dans les circonstances de la présente affaire :

 

a)                  Les circonstances entourant la perpétration des infractions : Contrairement aux faits de l’affaire Morgan, les événements qui ont conduit aux accusations sont très graves, lorsqu’on parle de conduite déshonorante et de harcèlement sexuel. Le niveau de force physique utilisé pour abuser de l’intégrité sexuelle de la victime d’un grade inférieur est important. Les avances répétées du contrevenant envers la victime montrent qu’il y a eu escalade dans l’usage de la force et témoignent d’une attitude égoïste exacerbée par l’alcool, en dépit des messages clairs et sans équivoque de la victime demandant au contrevenant de cesser son comportement et de la laisser tranquille.

 

b)                  Les répercussions sur la victime et les Forces armées canadiennes : Il ne fait aucun doute que les événements qui se sont déroulés les 15 et 16 mars 2014 ont eu des répercussions graves sur la victime, tant du point de vue personnel que professionnel. Sa déclaration décrit de manière éloquente le traumatisme qu’elle a subi ainsi que la perte financière qui en a découlé. Cependant, les répercussions de ces événements sur la victime ont également causé des dommages tout aussi graves à l’institution. La victime ne se sent plus capable d’exercer ses fonctions et d’assumer son rôle de chef de file au sein des Forces armées canadiennes à cause des effets que les événements ont eus sur elle, et elle envisage de demander sa libération des FAC puisqu’elle ne sent plus capable de diriger et de gérer des troupes de manière efficace. Au cours de l’audience, la Cour a demandé à la poursuite si la victime avait reçu le soutien et l’aide nécessaires, mais la poursuite ne le savait pas. J’espère que la chaîne de commandement veillera à ce que la victime reprenne confiance en ses capacités et qualités d’adjudant, grade qu’elle détient actuellement.

 

c)                  Les événements se sont déroulés au cours d’un dîner officiel dans un lieu public, mais aussi dans les toilettes réservées aux femmes : Les participants au dîner officiel qui a eu lieu au Manège militaire Fort York étaient tous en uniforme. L’adjudant Welloszky semblait être dans un état d’ébriété avancé, au point de sembler débraillé et déséquilibré. Compte tenu de son grade et de son niveau d’expérience, un militaire du rang supérieur ne doit pas se permettre d’atteindre un tel niveau d’ébriété, facteur qui a contribué directement au comportement qu’il a eu par la suite envers la victime. Les événements qui se sont déroulés dans les toilettes sont très graves et totalement inacceptables. Tout le monde devrait se sentir en sécurité lors d’un événement public entre collègues, et qui plus est dans l’espace privé que constituent les toilettes réservées aux personnes de son sexe.

 

[11]     La Cour considère les éléments suivants comme des facteurs atténuants dans les circonstances :

 

a)                  Les plaidoyers de culpabilité de l’adjudant Wellowszky : Le contrevenant a reconnu devant la Cour sa culpabilité à l’égard des infractions qui lui sont reprochées. Ce faisant, il assume l’entière responsabilité de ses actes et la Cour considère qu’il exprime ainsi ses regrets, ce qui est compatible avec le témoignage de son épouse qui a indiqué que son mari avait été ouvert et honnête à propos de la situation et qu’il avait eu recours à des services de counselling, notamment des services de consultation matrimoniale, et qu’il avait demandé conseil à son Église.

 

b)                  Les états de service de l’adjudant Wellowszky : Le contrevenant a passé plus de 24 ans au sein de la Force de réserve des Forces armées canadiennes. Les événements qui ont mené aux accusations sont en contradiction avec les qualités importantes dont il a fait preuve tout au long de sa carrière. Les gestes qu’il a posés envers une personne de sexe féminin d’un grade inférieur alors qu’il était en état d’ébriété ne cadrent pas avec le chef de file décrit par son commandant. Les états de service de l’adjudant Wellowszky semblent à tout le moins indiquer qu’il s’agit d’un incident isolé qui ne devrait pas se reproduire.

 

c)                  L’absence d’un dossier criminel ou disciplinaire : Le contrevenant ne présente aucune condamnation au criminel et il s’agit de sa première expérience avec le système de justice militaire.

 

d)                  La situation familiale et financière de l’adjudant Wellowszky : Le contrevenant est marié et père de trois enfants âgés de 10, 11 et 13 ans. Sa femme et lui (l’adjudant Wellowszky) ont tous deux subi les conséquences de ses gestes, et leur relation en a souffert. Il ne fait aucun doute que ses gestes ont causé de graves problèmes à sa famille; cependant, tous semblent croire qu’ils vont s’en remettre au fil du temps. L’adjudant Wellowszky est le seul soutien économique de la famille. Son emploi civil lui rapporte environ 60 000 $ par an.

 

[12]           Les deux avocats ont convenu qu’une rétrogradation au grade de sergent, une réprimande et une amende constitueraient une peine appropriée. Cependant, la poursuite recommande une amende de 2 500 $, tandis que la défense estime qu’une amende de 500 $ serait suffisante en l’espèce, compte tenu des autres sanctions plus sévères qui composent la peine.

 

[13]           La rétrogradation est une sanction très grave dans le contexte militaire. Son incidence sur le contrevenant militaire et ses frères et sœurs d’armes est clairement visible, forte et immédiate. La personne en question ne mérite plus son grade jusqu’à ce qu’elle regagne la confiance de sa chaîne de commandement. Lorsque le contrevenant est membre de la Force de réserve, cette sanction peut également avoir des conséquences sur sa vie et son emploi civils (voir R. c. Smith, (1995) 5 C.A.C.M. 361). La réprimande équivaut à dénoncer publiquement le comportement du contrevenant.

 

[14]           Ces deux sanctions visent à dénoncer le comportement et à dissuader quiconque de commettre les mêmes infractions. Lorsqu’elles sont combinées, elles font clairement comprendre que la conduite en question et le comportement du contrevenant étaient particulièrement graves dans les circonstances. Quant au montant de l’amende qui les accompagne, il vise principalement à dissuader le contrevenant lorsqu’une amende s’ajoute aux autres sanctions. La détermination du montant de cette amende doit tenir compte du degré de responsabilité du contrevenant ainsi que des circonstances particulières de l’affaire.

 

[15]           Dans l’affaire qui nous occupe, l’amende s’ajoute aux deux autres sanctions, notamment à la sanction grave de rétrogradation qui se situe directement après la détention sur l’échelle des sanctions décrite au paragraphe 139(1) de la Loi sur la Défense nationale. Une amende du montant proposé par la poursuite serait beaucoup trop sévère, si l’on considère la peine dans son intégralité.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[16]           VOUS DÉCLARE coupable du chef d’accusation de conduite déshonorante fondé sur l’article 93 de la Loi sur la défense nationale, et du chef d’accusation de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline fondé sur l’article 129 de la Loi sur la défense nationale.

 

[17]           VOUS INFLIGE les sanctions suivantes : une rétrogradation au rang de sergent, une réprimande et une amende de 1 000 $ payable immédiatement.


 

Avocat :

 

Major A.-C. Samson, pour le Directeur des poursuites militaires

 

M. Brendan Neil, Brendan Neil Barrister & Solicitor

466, rue Speers, 3étage, Oakville (Ontario) L6K 3E9

Avocat de l’adjudant R.A. Wellowszky

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.