Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 22 octobre 2013.

Endroit : BFC Shilo, aménagements pour lectures d’entraînement, édifice C106, 106 chemin Patricia, Shilo (MB).

Chefs d’accusation

• Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, décharger une arme à feu avec une intention particulière (art. 244 C. cr.).
• Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 130 LDN, décharger une arme à feu avec insouciance (art. 244.2 C. cr.).
• Chef d’accusation 3 (subsidiaire au chef d’accusation 4) : Art. 130 LDN, décharger une arme à feu avec une intention particulière (art. 244 C. cr.).
• Chef d’accusation 4 (subsidiaire au chef d’accusation 3) : Art. 130 LDN, décharger une arme à feu avec insouciance (art. 244.2 C. cr.).
• Chef d’accusation 5 : Art. 130 LDN, voies de fait graves (art. 268 C. cr.).
• Chef d’accusation 6 : Art. 130 LDN, usage d’une arme à feu lors de la perpétration d’une infraction (art. 85(1) C. cr.).
• Chef d’accusation 7 : Art. 130 LDN, port d’une arme dissimulée (art. 90 C. cr.).
• Chef d’accusation 8 : Art. 130 LDN, possession d’une arme à feu dans un lieu non autorisé (art. 93 C. cr.).
• Chef d’accusation 9 : Art. 130 LDN, possession d’une arme à feu chargé à autorisation restreinte (art. 95 C. cr.).

Résultats

• VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 4, 5, 6, 9: Coupable. Chef d’accusation 2, 3, 7, 8: Retirés.
• SENTENCE : Emprisonnement pour une période de six ans et destitution du service de Sa Majesté.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Stillman, 2013 CM 4029

 

Date : 20131024

Dossier : 201322

Cour martiale permanente

Station des Forces canadiennes Shilo

Shilo (Manitoba) Canada

Entre :

Sa Majesté la Reine

- et -

Caporal-chef C.J. Stillman, contrevenant

 

Devant : Lieutenant-Colonel J-G Perron, J.M.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE LA SENTENCE

(Prononcés de vive voix)

[1]               Vous avez été déclaré coupable par cette Cour martiale permanente d’avoir déchargé une arme à feu avec une intention particulière en contravention de l’article 244 du Code criminel du Canada; d’avoir déchargé une arme à feu avec insouciance en contravention de l’article 244.2 du Code criminel; de voies de fait graves en contravention de l’article 268 du Code criminel; d’usage d’une arme à feu lors de la perpétration d’une infraction en contravention de l’article 85 du Code criminel; et de possession d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte avec des munitions en contravention de l’article 95 du Code criminel. Chaque accusation a été portée aux termes de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale. Vous n’avez pas plaidé coupable à ces accusations, mais avez reconnu, en vertu de l’alinéa 37b) des Règles militaires de la preuve, les faits nécessaires pour prouver ces cinq infractions. À présent, la Cour doit imposer une sentence juste et appropriée.

[2]               Pour commencer, je résumerai brièvement les faits de la présente affaire. Le caporal-chef Stillman a passé la nuit du 28 au 29 juillet 2012 à la résidence des bombardiers Trimm et Cote de la base des Forces canadiennes Shilo. Ils ont bu et se sont tenus ensemble. Le caporal-chef Stillman s’est disputé avec le bombardier Trimm : celui-ci lui a alors demandé de partir, ce que le caporal-chef Stillman a refusé de faire. Le bombardier Trimm lui a dit de rester où il était, et il est allé en haut réveiller le bombardier Cote pour qu’il l’aide à faire déguerpir le caporal-chef Stillman. Alors que le bombardier Trimm se trouvait dans la chambre du bombardier Cote, le caporal-chef Stillman est apparu à la porte. D’après sa posture, le bombardier Trimm s’est figuré qu’il était prêt à se battre, il s’est immédiatement dirigé vers lui et lui a asséné un coup de poing à la tête. Le bombardier Trimm l’a frappé à la tête plusieurs fois, provoquant des coupures, des ecchymoses et la tuméfaction d’un des yeux du caporal-chef Stillman. Ce dernier a quitté la résidence. À environ 0600 heures le 29 juillet 2012, il est revenu et a tiré sur la jambe du bombardier Trimm puis, peu après, a tiré sur le bombardier Cote. Le caporal-chef Stillman a été arrêté par la police militaire peu après, alors qu’il se trouvait encore à la base.

[3]               Comme l’a indiqué la Cour d’appel de la cour martiale (CACM), la détermination de la sentence est un processus fondamentalement subjectif et individualisé dans le cadre duquel le juge du procès a l’avantage d’observer et d’entendre tous les témoins; c’est une des tâches les plus difficiles dont il doive s’acquitter (voir R. c. Tupper, 2009 CACM 5, paragraphe 13).

[4]               La Cour d’appel de la cour martiale a par ailleurs clairement indiqué dans l’arrêt Tupper que les visées et objectifs fondamentaux de la détermination de la sentence, tels qu’ils sont énoncés dans le Code criminel du Canada, s’appliquent dans le contexte du système de justice militaire, et les juges militaires doivent en tenir compte lorsqu’ils déterminent la sentence. L’article 718 du Code criminel prévoit que l’objectif essentiel de la détermination de la sentence est de contribuer « au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre » par l’imposition de sanctions justes servant un ou plusieurs des objectifs suivants :

a)                  dénoncer le comportement illégal;

b)                  dissuader les délinquants, et quiconque de commettre des infractions;

c)                  isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

d)                  favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

e)                  assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

f)                    susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

[5]               Les articles 718 à 718.2 du Code criminel regardant la détermination de la sentence prévoient un processus individualisé dans le cadre duquel la Cour doit tenir compte non seulement des circonstances de l’infraction, mais aussi de la situation spécifique du contrevenant. La sentence doit également être semblable à d’autres sentences imposées dans des circonstances similaires. Le principe de proportionnalité est au cœur de tout prononcé de la sentence et signifie qu’une sentence ne doit pas excéder ce qui est juste et approprié eu égard au caractère moralement répréhensible du contrevenant et à la gravité de l’infraction; cependant, une sentence est également une [traduction] « forme de censure judiciaire et sociale ». Une sentence appropriée peut témoigner dans une certaine mesure des valeurs et préoccupations communes d’une société.

[6]               Le juge doit pondérer les objectifs de détermination de la sentence qui correspondent aux circonstances spécifiques de l’affaire. Il revient au juge qui prononce la sentence de décider le ou lesquels des objectifs méritent le plus de poids. L’importance accordée aux circonstances atténuantes ou aggravantes modifiera la sentence le long de l’échelle des sentences appropriées pour des infractions similaires.

[7]               La CACM a également indiqué que le contexte particulier de la justice militaire peut, lorsque les circonstances l’indiquent, justifier et parfois exiger une sentence qui favorisera les objectifs militaires (voir Tupper, paragraphe 34). Mais il convient de garder à l’esprit que l’objectif ultime de la détermination de la sentence dans le contexte militaire est le rétablissement de la discipline pour le contrevenant et la société militaire. La Cour doit infliger une sentence qui soit l’intervention minimale nécessaire pour maintenir la discipline.

[8]               Le contrevenant ne se voit imposer qu’une seule sentence, qu’il soit coupable d’une ou de plusieurs infractions, et celle-ci peut comprendre plus d’une sanction.

[9]               La poursuite et l’avocat qui assure votre défense ont conjointement proposé une sentence d’emprisonnement de six ans et la destitution du service de Sa Majesté. La CACM a clairement affirmé que le juge chargé de prononcer la sentence ne doit s’écarter d’une observation conjointe que si la sentence proposée jette le discrédit sur l’administration de la justice ou peut autrement contrevenir à l’intérêt public.

[10]           La poursuite fait valoir que les principes suivants de détermination de la sentence s’appliquent en l’espèce : dénonciation et dissuasion générale et spécifique. La poursuite a présenté à la Cour quatre décisions à l’appui de son observation selon laquelle la proposition conjointe représente la sentence minimale dans la présente affaire. L’avocat de la défense soutient que la réadaptation est un principe important de détermination de la sentence en l’espèce.

[11]           J’estime que les facteurs suivants sont des circonstances aggravantes.

a)                  Ces infractions sont objectivement très graves puisque les articles 85, 244, 244.2 et 268 prévoient une sentence d’emprisonnement maximal de quatorze ans et l’article 95 une sentence de dix ans. L’article 244 prévoit une sentence minimale de cinq ans, l’article 244.2 de quatre ans, et l’article 85 d’un an, mais consécutive à toute autre sentence. Il est clair que le législateur souhaitait punir sévèrement les contrevenants qui utilisent des armes à feu.

b)                  D’un point de vue subjectif, ces infractions sont également très graves. Vous avez tiré sur un camarade soldat à la jambe et sur un autre encore. Pourquoi? Parce que vous avez perdu le contrôle. Vous pouvez vous estimer très chanceux de n’avoir tué aucun d’eux. Le bombardier Trimm se remettra très certainement sans séquelles physiques. Encore une fois, vous devriez vous estimer heureux.

c)                  Les armes à utilisation restreinte – ici un pistolet Remington de calibre .45, modèle 1911R1 semi-automatique – sont des armes très contrôlées au Canada et leur possession n’est pas un droit. Vous avez contrevenu à plusieurs lois relatives à cette arme et l’avez utilisée contre d’autres soldats.

d)                  Vous avez déchargé votre arme à feu dans la zone résidentielle de la base. Vous auriez aussi pu blesser d’autres personnes innocentes vivant dans le voisinage immédiat.

[12]           Je suis prêt à accepter l’avis de votre psychologue selon lequel vous avez principalement réagi à l’agression du bombardier Trimm, mais il y avait cependant un certain degré de planification et de préméditation dans le sens où vous avez dû marcher jusqu’à votre chambre au bâtiment L132 et sortir votre pistolet de son étui verrouillé. Vous avez retiré un magasin et des munitions de calibre .45. Vous avez chargé le pistolet, l’avez pris et êtes retourné à pied à la résidence des bombardiers Trimm et Cote. Une carte partielle de la BFC Shilo, versée en pièce 6, montre que vous avez dû parcourir une distance assez importante. Vous avez eu le temps de réfléchir. Vous auriez pu rester dans votre chambre, vous rendre à l’hôpital de la base, ou vous adresser à la police militaire, mais vous avez choisi de faire ce que vous avez fait.

[13]           L’alcool a certainement joué un rôle important dans ce triste incident. Pour votre psychologue, il s’agit d’un aspect essentiel des infractions. Quoiqu’on ne puisse pas cautionner les actions du bombardier Trimm à votre égard, il vous a présenté ses excuses à votre retour. Vous n’avez pas réexaminé vos intentions, mais avez simplement tiré sur lui avant de vous en aller. Ce n’est pas le genre de comportement que nous enseignons ni que nous attendons dans les Forces canadiennes, et il n’est pas acceptable dans la société canadienne. Vous auriez peut-être réagi très différemment si vous n’aviez pas été sous l’influence de l’alcool, mais il en a été autrement.

[14]           J’examinerai à présent les circonstances atténuantes en l’espèce.

a)                  Vous n’avez pas de fiche de conduite; il s’agit donc de votre première infraction. Vous étiez âgé de quarante ans au moment de sa perpétration. Vous avez rejoint les rangs des Forces canadiennes en 1994, vous les avez quittés en 1997, puis réintégrés en 2000.

b)                  La commandante de votre peloton a témoigné et n’a pas tari d’éloges à votre sujet. Vous êtes un excellent travailleur et un bon modèle pour vos pairs et subalternes. L’adjudant Gerrow a également évoqué votre impeccable performance (pièce 12). D’excellents rapports d’évaluation indiquent que vous avez gagné le respect de vos pairs et supérieurs par vos efforts constants. Les lettres de reconnaissance figurant en pièce 10, démontrent aussi que vous vous acquittez de votre tâche de manière très compétente et que vous êtes apprécié. Vous vous êtes également conformé à de nombreuses conditions de libération très strictes au cours des quinze derniers mois. Vous avez été déployé avec les troupes à trois reprises durant votre carrière, une fois en Bosnie et deux fois en Afghanistan.

c)                  Votre conduite depuis les infractions montre que vous êtes à même de vous réadapter et de résoudre les difficultés émotionnelles et psychologiques qui ont contribué à vos actions. Votre psychologue vous décrit comme un patient idéal qui s’efforce de suivre ses traitements; ainsi, vous assistez scrupuleusement à vos réunions des AA ou à toute autre séance d’aide psychologique recommandée. Vous avez même fait preuve de leadership au sein de ces groupes et avez aidé d’autres patients.

d)                  Vous avez jeté votre pistolet au sol, levé les mains et immédiatement reconnu que vous aviez tiré sur quelqu’un lorsque vous avez été initialement appréhendé par la police militaire.

e)                  La Cour a été informée de vos problèmes psychologiques et émotifs. Votre psychologue a fourni une bonne description de votre état mental au moment des infractions et aujourd’hui. Son pronostic est encourageant mais, bien entendu, il ne peut pas prédire l’avenir. Vous avez fait beaucoup de progrès depuis juillet 2012; je vous incite à poursuivre dans vos efforts.

f)                    Il semblerait que vous ayez demandé de l’aide peu avant d’être affecté d’Edmonton à Shilo, mais sans grand résultat. J’ai peu de commentaires à faire dans la mesure où j’ai reçu très peu d’informations à ce sujet. Je ne me livrerai pas à des conjectures quant à la question de savoir si cette situation aurait pu être évitée si vous aviez reçu un traitement à Edmonton.

g)                  Vous avez exercé votre droit de plaider non coupable aux accusations. Cependant, vous avez fait des aveux grâce auxquels la Cour disposait des faits prouvant au-delà de tout doute raisonnable que vous aviez commis ces infractions. Votre avocat a expliqué votre démarche par votre désir de conserver à tout hasard votre droit d’appel. Ces aveux signifient qu’aucun témoin ne comparaîtra devant la Cour martiale, ce qui se traduira probablement par des économies de temps et d’argent.

h)                  Vous avez fait ce que font peu de contrevenants; vous avez témoigné et exprimé vos remords. Je vous crois. Je pense que vous réalisez pleinement que ce que vous avez fait est très répréhensible. Je conviens avec le procureur que vous pouvez encore être un membre productif de la société canadienne une fois que vous aurez purgé votre sentence.

[15]           Cette sentence doit mettre d’abord l’accent sur la dénonciation de la conduite du contrevenant et la dissuasion générale, mais aussi sur sa réadaptation.

[16]           Au moment de déterminer la sentence appropriée, la Cour a tenu compte des circonstances entourant la perpétration de ces infractions, des circonstances atténuantes et aggravantes, des observations de la poursuite et de l’avocat qui assure votre défense, ainsi que des principes applicables de détermination de la sentence.

[17]           Je conviens avec les avocats que vous n’êtes pas le type de contrevenant qui mérite plus que la sentence minimale imposée par la loi. La Cour a donc conclu que la sentence proposée ne jetterait pas le discrédit sur l’administration de la justice et qu’elle est dans l’intérêt public. Par conséquent, la Cour souscrit à l’observation conjointe du procureur et de l’avocat qui assure votre défense.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[18]           CONDAMNE le caporal-chef Stillman à une sentence d’emprisonnement de six ans et à la destitution du service de Sa Majesté.


 

Avocats :

Lieutenant-Colonel S. Richards, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major J.L.P.L. Boutin, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du caporal-chef C.J. Stillman

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.