Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 16 juin 2015.

Endroit : BFC Petawawa, édifice L-106, 48 terrain de parade Nicklin, Petawawa (ON).

Chefs d’accusation :

• Chefs d’accusation 1, 2 : Art. 114 LDN, a commis un vol, étant, par son emploi, chargé de la garde ou de la distribution des objets volés ou d’en avoir la responsabilité.

Résultats :

• VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2 : Coupable.
• SENTENCE : Rétrogradation au grade de soldat, un blâme et une amende au montant de 1000$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

Référence : R. c. Sorbie, 2015 CM 3010

Date : 20150623 Dossier : 201506

Cour martiale permanente

Base de soutien de la 4e Division du Canada

Petawawa (Ontario)

Entre :

Sa Majesté la Reine

- et -

Caporal-chef P.K. Sorbie, contrevenant

En présence du lieutenant-colonel L.-V. d'Auteuil, J.M.

 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

(Prononcés de vive voix)

[1]               Caporal-chef Sorbie, ayant accepté et enregistré votre plaidoyer de culpabilité à l’égard des premier et deuxième chefs d’accusation qui figurent sur l’acte d’accusation, la Cour vous déclare maintenant coupable de ces chefs d’accusation. Il est maintenant de mon devoir en tant que juge militaire présidant la présente Cour martiale permanente de déterminer la sentence.

[2]               Dans le contexte particulier d’une force armée, le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour assurer le respect de la discipline, qui est une composante essentielle de l’activité militaire dans les Forces canadiennes. Ce système vise à prévenir toute inconduite ou, d’une façon plus positive, à promouvoir la bonne conduite. C’est grâce à la discipline qu’une force armée s’assure que ses membres rempliront leur mission avec succès, de manière fiable et confiante. Le système de justice militaire voit aussi au maintien de l’ordre public et s’assure que les personnes assujetties au code de discipline militaire sont punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

[3]               En l’espèce, l’avocat de la poursuite a recommandé à la Cour d’infliger au contrevenant une sentence de 90 jours d’emprisonnement. L’avocat de la défense a recommandé à la cour d’infliger au contrevenant une amende de 1 092 $. Or, il a affirmé que si la Cour estime que l’emprisonnement constitue une sentence appropriée pour le contrevenant, une période de sept jours serait suffisante dans les circonstances. De plus, il a soumis à l’examen de la Cour l’idée de suspendre l’exécution de la sentence.

[4]        L’objectif fondamental de la détermination de la sentence par une cour martiale est d’assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline et, d’un point de vue plus général, le maintien d’une société juste, vivant en paix et en sécurité. Toutefois, la loi n’autorise pas un juge militaire à infliger une sentence qui serait au-delà de ce que les circonstances requièrent. En d’autres mots, toute sentence infligée par un juge doit être adaptée au contrevenant et représenter l’intervention minimale requise puisque la modération est le principe fondamental des théories modernes de la détermination de la sentence au Canada.

[5]        Comme l’ont toujours fait les juges militaires présidant une cour martiale et comme l’a mentionné la Cour d’appel de la cour martiale dans l’arrêt R. c. Tupper, 2009 CACM 5, au paragraphe 30 :

Lorsqu’il élabore une peine, le juge du procès doit tenir compte des objectifs fondamentaux de la détermination de la peine qui figurent aux articles 718 et suivants du Code criminel

[6]        Gardant à l’esprit ces articles du Code criminel sur la détermination de la sentence, je dois, lorsque j’inflige une sentence, tenir compte d’au moins un des objectifs suivants :

a.                   protéger le public, y compris les Forces canadiennes;

b.                  dénoncer le comportement illégal;

c.                   dissuader le contrevenant, et quiconque, de commettre les mêmes infractions;

d.                  isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

e.                   réadapter et réformer les contrevenants.

[7]        Lorsque j’inflige une sentence, je dois également tenir compte des principes suivants :

a.                   la sentence doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction;

b.                  la sentence doit être proportionnelle à la responsabilité du contrevenant et aux antécédents de celui-ci;

c.                   la sentence infligée doit être semblable à celle infligée à un contrevenant pour une infraction semblable commise dans des circonstances semblables;

d.                  le contrevenant ne doit pas être privé de sa liberté s’il est possible, dans les circonstances, d’infliger une sentence moins contraignante. Bref, la cour ne devrait avoir recours à une sentence d’emprisonnement ou de détention qu’en dernier ressort, comme l’ont établi la Cour d’appel de la cour martiale et la Cour suprême du Canada;

e.                   enfin, toute sentence doit être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant.

[8]                  La Cour suprême du Canada a indiqué que le principe de la proportionnalité au chapitre de la détermination de la peine est un principe fondamental (voir R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, au paragraphe 37, et R. c. Nur, 2015 CSC 15, aux paragraphes 42 et 43), de sorte que la détermination de la sentence par un juge, y compris un juge militaire, est un processus extrêmement personnalisé.

[9]        Comme le juge LeBel l’a dit au paragraphe 37 de l’arrêt Ipeelee :

La proportionnalité représente la condition sine qua non d’une sanction juste. Premièrement, la reconnaissance de ce principe garantit que la peine reflète la gravité de l’infraction et crée ainsi un lien étroit avec l’objectif de dénonciation. La proportionnalité favorise ainsi la justice envers les victimes et assure la confiance du public dans le système de justice […]

Deuxièmement, le principe de proportionnalité garantit que la peine n’excède pas ce qui est approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant. En ce sens, il joue un rôle restrictif et assure la justice de la peine envers le délinquant. En droit pénal canadien, une sanction juste prend en compte les deux optiques de la proportionnalité et n’en privilégie aucune par rapport à l’autre.

[10]              De plus, le principe de la proportionnalité vise à réconcilier ces différents objectifs et à rendre la sentence infligée au contrevenant proportionnelle à la gravité de l’infraction et à la responsabilité du contrevenant et aux antécédents de celui-ci, comme il est indiqué à l’alinéa 112.48(2)b) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC).

[11]              Comme c’est souvent le cas, notamment en l’espèce, quand une infraction constitue un grave abus de confiance, j’estime que la sentence doit surtout viser les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale. Il est important de préciser que la dissuasion générale vise à ce que la sentence infligée dissuade non seulement le contrevenant de récidiver, mais aussi toute autre personne se trouvant dans une situation semblable de se livrer aux mêmes actes illicites. Comme l’a indiqué le juge Létourneau au paragraphe 22 de l’arrêt R. c. St. Jean, CACM-429, de la Cour d’appel de la cour martiale:

Les membres des Forces armées qui sont déclarés coupables de fraude, et les autres membres du personnel militaire qui pourraient être tentés de les imiter, devraient savoir qu’ils s’exposent à des sanctions qui dénonceront de façon non équivoque leur comportement et leur abus de confiance que leur témoignaient leur employeur de même que le public et les dissuaderont de se lancer dans ce genre d’activités.

[12]              Le caporal-chef Sorbie s’est joint à la Force régulière des Forces canadiennes en avril 2003 en tant que sapeur de combat. Il a été promu au grade de caporal en mai 2007 et a été promu caporal-chef en juin 2011. Il a été libéré des Forces canadiennes en janvier 2015. Il a passé la majorité de sa carrière au sein du 2e Régiment du Génie de combat (2e RGC) sur la Base des Forces canadiennes (BFC) à Petawawa.

[13]           D’août 2005 à février 2006, il a été membre de la Section du Génie du Quartier général de la Brigade mécanisée de la Force opérationnelle Kaboul en Afghanistan. Peu de temps après son retour d’Afghanistan, il a perdu son père, l’adjudant-chef Sorbie, qui était le sergent-major régimentaire du 3e Bataillon, The Royal Canadian Regiment, situé sur la BFC Petawawa.

[14]           Le caporal-chef Sorbie a indiqué à la Cour qu’il a commencé à consommer des opiacés, comme de la cocaïne, après le décès de son père et qu’il buvait de l’alcool. En 2012, il s’est blessé et il avait certaines restrictions médicales. En juillet 2012, il a été travailler à la cantine de l’unité à titre de commandant adjoint auprès du sergent Matte et ensuite, du sergent Suttie. Le personnel de la cantine devait également vendre des fourniments dans le magasin de fourniment du 2e RGC. Le caporal-chef Sorbie a signé pour les fonds de la caisse provenant des fonds non publics.. Le caporal-chef Sorbie avait une clé qui lui donnait accès à la cantine et au magasin de fourniment.

[15]           Le sergent Suttie et d’autres membres du personnel de la cantine ont commencé à se douter que de l’argent manquait dans la caisse de la cantine du 2e RGC. Ils avaient remarqué que le caporal-chef Sorbie participait plus activement à la gestion des procédures quotidiennes de fermeture, lesquelles comprenaient les dépôts de fonds et l’enregistrement des ventes. Ils avaient aussi remarqué que lorsqu’il faisait des achats pour la cantine, le caporal-chef Sorbie prenait beaucoup de temps pour exécuter la tâche. Il était le seul utilisateur de la carte de crédit de la cantine utilisée pour faire des achats dans les magasins.

[16]           À la lumière de ces observations, le sergent Suttie a donné l’ordre à deux militaires du rang (subalternes) qui travaillaient à la cantine de compter l’argent deux fois par jour. Le vendredi 19 juillet 2013, ils ont compté l’argent avant de partir et il y avait 277,50 $ dans la caisse. Un montant de 77,50 $ a été retiré pour le dépôt et un fond de la caisse de 200 $ s’y trouvait toujours.

[17]           Alors qu’il était en vacances, le caporal-chef Sorbie a été vu en train d’entrer dans l’unité le dimanche 21 juillet 2013 alors qu’il n’avait pas signé la feuille de présence. Il est allé à la cantine et a pris 147 $ de la caisse.

[18]           Le lundi matin suivant, l’argent de la caisse a été compté conformément aux directives du sergent Suttie et il a été constaté qu’il ne restait que 53 $.  

[19]           À un autre moment, un autre membre du personnel de la cantine a remarqué qu’il manquait 70 $ dans la caisse et a posé des questions au caporal-chef Sorbie sur le sujet. Ce dernier lui avait avoué avoir pris l’argent.

[20]           Le caporal-chef Sorbie, en tant que commandant adjoint de la cantine, avait signé un formulaire d’attestation selon lequel « tout bien non public disparu, endommagé, perdu, défalqué, volé, détruit ou détérioré et toute dépense irrégulière de fonds non publics (en espèces ou en valeurs assimilables à des espèces) sont [sic] recouvrés de la façon suivante ».

[21]           Après enquête, le caporal-chef Sorbie a été destitué de son poste de commandant adjoint de la cantine le 26 août 2013. Peu de temps après, on a découvert qu’il manquait environ 11 000 $ dans le fonds de la cantine

[22]           Durant l’entrevue tenue après la mise en garde, le caporal-chef Sorbie a admis que, pendant qu’il occupait le poste de commandant adjoint de la cantine, il a pris des articles de la cantine sans payer, y compris un tomahawk. Il a utilisé la feuille d’émargement comme guichet automatique. Il a reconnu avoir volé des montants variant de 5 $ à 60 $ chaque jour du 1er juillet 2012 au 26 août 2013. Il a aussi déclaré qu’il consommait de la drogue quotidiennement depuis 2006 et qu’il dépensait de 20 à 200 $ par jour pour de l’oxycontin, du percocet, des timbres de fentanyl, de la morphine, de la cocaïne et d’autres types d’opiacés. Il a mentionné lors de son témoignage devant la cour qu’il était devenu physiquement dépendant à ces drogues entre 2012 et 2013.

[23]           Il souffre d’une dépression grave et a des difficultés à dormir depuis 2006. Il a affirmé que les drogues lui permettaient de se sentir mieux, mais qu’en fin de compte, il se sentait encore plus déprimé.

[24]           Une fois destitué de son poste à la cantine, il a demandé de l’aide. En octobre 2013, il s’est inscrit à la thérapie d’entretien à la méthadone au Centre de traitement des toxicomanies de l’Ontario, qu’il recevait deux fois par semaine. Il était suivi par son médecin une fois par mois et cette substance le gardait stable. Il a eu un rendez-vous avec un psychiatre en octobre 2014. Cependant, une fois libéré des Forces, il n’avait plus accès à ce soutien. Pendant qu’il était dans les Forces, il a demandé de pouvoir suivre un programme de traitement en résidence, mais il ne l’a jamais obtenu.

[25]           Il suit maintenant les deux dernières semaines d’un programme de traitement à la méthadone à la Sunrise Methadone Clinic et il demande l’aide des anciens combattants pour pouvoir suivre un programme de traitement en résidence. Essentiellement, il veut se défaire de sa dépendance aux drogues, réintégrer la société et devenir un actif solide. Sa motivation vient notamment de son fils de sept ans.

[26]           Il reçoit une pension d’invalidité mensuelle de 900 $ des anciens combattants et n’a aucun autre revenu. Il habite actuellement avec sa mère. Il paie une pension alimentaire mensuelle de 200 $ et donne 700 $ à sa mère pour couvrir les différentes dépenses. Il a accumulé beaucoup de dettes reliées à des cartes de crédit, mais il ne doit pas d’argent à des trafiquants de drogues. Il n’a aucun emploi.

[27]           Il a dit qu’il se sentait terriblement mal par rapport à ce qu’il avait fait et qu’à un certain moment, il a essayé de s’enlever la vie. Il a affirmé qu’entre le moment où il a avoué qu’il avait volé de l’argent et le moment où il a été libéré, il s’est excusé auprès de ses pairs autant qu’il l’a pu.

[28]           Le jour où le caporal-chef Sorbie a été retiré de la cantine, l’unité a mené une enquête disciplinaire. Quelques jours plus tard, l’affaire a été transférée à la Police militaire afin qu’elle poursuive l’enquête. L’enquête a pris fin à la mi-novembre 2013. Pendant huit mois, rien ne s’est passé et aucune preuve n’a été produite afin de justifier le fait que, pendant cette période, aucune mesure n’a été prise dans ce dossier.

[29]           Le commandant actuel du 2e RGC a assumé ses fonctions en juin 2014. Un mois plus tard, soit en juillet 2014, des accusations ont été portées contre le contrevenant. L’affaire a été envoyée à l’autorité de renvoi en août 2014 et au directeur des poursuites militaires en octobre 2014. Le dossier a été confié à un procureur en novembre 2014 et les accusations ont été déposées le 12 février 2015.

[30]           Le commandant du 2e RGC a mentionné que le fait que ce dossier n’ait pas été réglé en temps opportun a suscité des préoccupations chez les membres de l’unité à propos de la capacité du système de justice militaire à traiter des questions disciplinaires, comme celle touchant le contrevenant.

[31]           Au début du mois de décembre 2014, le commandant actuel du 2e RGC a déclaré le contrevenant coupable des deux accusations d’ASP. Le contrevenant a donc été condamné à 2 jours consigné aux quartiers et à une amende de 1 000 $. De plus, le commandant a chassé le contrevenant de l’unité et de la Base afin de passer un message aux membres de l’unité, soit que le crime, comme celui commis en l’espèce, ne paie pas. Le contrevenant a été libéré le 12 janvier 2015 en vertu du motif 5(f) — inapte à continuer son service militaire.

[32]           La personne qui vole un objet dont elle a la garde dans le cadre de son emploi commet une infraction directement liée aux obligations d’ordre éthique des membres des Forces canadiennes, comme l’honnêteté, l’intégrité et la loyauté. Pour un militaire du rang, tout comme pour un officier, être digne de foi en tout temps est plus qu’essentiel pour l’exécution de toute tâche ou mission au sein de forces armées, peu importe la fonction ou le rôle dont il doit s’acquitter.

[33]           Pour déterminer la peine, j’ai tenu compte des facteurs aggravants suivants :

a.                   Je considère la gravité objective de l’infraction comme un facteur aggravant. Les infractions dont vous avez été accusé se rapportent à l’article 114 de la Loi sur la défense nationale et sont punissables d’un emprisonnement maximal de 14 ans.

b.                  Deuxièmement, la gravité subjective de l’infraction, qui concerne deux éléments :

i.          L’abus de confiance. Vous avez commis ces infractions dans un établissement de la Défense, soit dans la cantine de votre unité qui devait servir à améliorer et à renforcer le moral et l’esprit de corps de vos pairs et de votre unité. Votre manque d’intégrité, de courage, d’honnêteté et de loyauté était totalement contraire aux obligations et aux principes d’éthique qu’on vous a enseignés quand vous étiez un soldat dans les Forces canadiennes et a fait en sorte que cette organisation des fonds non publics a été privée de ces fonds de façon permanente. Compte tenu de votre grade, de votre expérience et de votre position au sein des Forces canadiennes, vous saviez que vous abusiez par votre conduite de la confiance de vos pairs et de vos supérieurs dans la chaîne de commandement. Vous ne serez pas surpris d’apprendre qu’ils se sentent trahis. Vos collaborateurs ont été déçus par votre conduite et attendaient mieux de votre part, tout comme la population générale espère davantage de ses soldats. Essentiellement, vous n’avez pas hésité à penser à vous avant de penser aux autres.  

ii.          Les circonstances attestent que vos actes étaient délibérément planifiés et que vous ne vous êtes pas privé de recommencer chaque jour pendant près d’un an. Ce comportement répété, continu et prémédité doit être considéré comme un facteur très aggravant dans les circonstances de la présente affaire.

[34]           J’ai aussi tenu compte des facteurs atténuants suivants :  

a.                   D’après les faits présentés en l’espèce, j’estime que votre plaidoyer de culpabilité à l’égard des deux accusations révèle que vous assumez l’entière responsabilité de vos actes;

b.                  La valeur totale du vol se situe au bas de l’échelle des peines, soit environ 1 000 $. Même s’il a été constaté qu’il manquait 11 000 $ du fond de la cantine après que vous ayez été destitué de votre poste, la Cour ne peut considérer ce montant comme s’il avait une quelconque signification dans les circonstances de l’affaire. Vous avez plaidé coupable à une accusation de vol d’un montant précis, dégageant la poursuite de l’obligation de le prouver. Il n’y a, en l’espèce, aucune autre circonstance qui permettrait d’affirmer que vous êtes responsable, sur le plan disciplinaire, de tout le montant manquant. La poursuite a clairement indiqué comment elle a calculé le montant auquel vous avez plaidé coupable et la Cour n’a d’autre choix que de l’accepter tel quel.

c.                   Malgré la durée de la période au cours de laquelle le vol a été commis, je dois dire qu’il n’exigeait pas une planification importante ni une très grande sophistication. En réalité, vous avez obtenu ce poste à cause de vos restrictions physiques. Vous n’étiez pas formé pour ce poste et ce n’était pas une tâche commune à exécuter pour une personne exerçant votre métier. Dans les circonstances, il n’était pas sage d’affecter à ce poste une personne ayant les problèmes personnels auxquels vous faisiez face à l’époque. Sans excuser les actes que vous avez commis, en vous donnant un tel pouvoir alors que vous vous trouviez dans une telle situation personnelle, sans supervision claire et étroite, il est possible que vous ayez eu l’impression qu’il s’agissait d’une façon facile d’obtenir ce dont vous aviez besoin sans que quiconque sans aperçoive. En fait, le commandant actuel du 2e RGC s’assure désormais que le poste que vous occupiez soit davantage surveillé, et ce, sur une base régulière. Il a autorisé l’installation d’un système de point de vente coûteux pour faciliter l’inventaire et les opérations, accroître l’efficacité et diminuer les chances que d’autres puissent commettre les mêmes actes que vous avez commis ou faire en sorte qu’ils soient découverts très rapidement.

d.                  Pour dénoncer les actes que vous avez commis et dissuader les autres d’agir de la sorte, deux mesures ont été prises :

i.                  Premièrement, vous avez été banni de l’unité et de la Base à cause de l’ensemble de vos actes, y compris les accusations dont la Cour est saisie, parce que votre commandant voulait indiquer clairement que le crime ne paie pas. On vous a dit que vous avez trahi votre chaîne de commandement et vos pairs et que vous pouviez être arrêté si vous vous trouviez dans le secteur de l’unité ou sur la Base. Essentiellement, votre commandant vous a retiré du rang de vos fonctions militaires et vous a renvoyé à la maison. Fait intéressant, cette mesure doit être prise conformément aux conditions énoncées à l’article 101.09 des ORFC quand les accusations sont portées et il semble qu’aucune des conditions n’a été respectée. Cela dit, selon la Cour, il semble que vous ayez été sanctionné pour dénoncer votre conduite et envoyer le message aux autres que ce que vous avez fait ne peut pas être toléré, même si vous êtes présumé innocent devant la Cour.

ii.                Deuxièmement, vous avez été libéré des Forces canadiennes en raison de votre conduite générale, notamment celle qui se reflète dans les accusations dont la Cour est saisie. Je reconnais assurément que cette mesure administrative ne constitue pas en soi une sanction disciplinaire. Cependant, elle a un effet dissuasif spécifique sur vous et peut avoir, dans une certaine mesure, un effet dissuasif général sur d’autres personnes. Elle a également pour effet de dénoncer votre conduite. Vous avez été libéré en vertu du motif 5(f), qui signifie « inapte à continuer son service militaire ». Il est important de savoir que ce motif « [s’]applique à la libération d’un officier ou militaire du rang qui, soit entièrement ou principalement à cause de facteurs en son pouvoir, manifeste des faiblesses personnelles ou un comportement ou a des problèmes de famille ou personnels qui compromettent grandement son utilité ou imposent un fardeau excessif à l’administration des Forces canadiennes », comme il est indiqué au premier tableau de l’article 15.01 des ORFC.

e.                   Le temps mis pour régler le dossier. La Cour ne veut pas blâmer personne en l’espèce, mais plus les dossiers disciplinaires sont traités rapidement, plus la sentence imposée est pertinente et efficace pour le moral et la cohésion des membres de l’unité, comme l’a indiqué votre ancien commandant devant cette cour. Le temps écoulé depuis l’incident, soit environ deux ans, est l’un des facteurs qui diminuent, dans une certaine mesure, la pertinence d’une sentence plus sévère. Comme l’a dit le commandant du 2e RGC, le temps mis à régler le dossier a eu un effet négatif important sur l’unité.

f.                   Le fait que vous ayez clairement reconnu avoir ruiné votre carrière dans les Forces canadiennes et votre vie jusqu’à maintenant en raison de votre dépression et de votre dépendance aux drogues. Vous m’avez clairement indiqué que vous vouliez trouver des moyens, autres que la consommation de drogues et d’alcool, qui vous permettraient de régler vos problèmes personnels. Vous n’utilisez pas votre situation comme excuse pour justifier ce que vous avez fait. Vous reconnaissez que vous auriez dû mieux gérer votre situation pour éviter d’être devant la Cour aujourd’hui. Vous avez fait de petits pas importants dans le but de vous en sortir et vous savez très bien qu’il vous reste encore beaucoup de chemin à faire pour atteindre votre objectif ultime, c’est-à-dire redevenir un membre productif de la société.

g.         Votre situation financière personnelle. Vous n’avez pas d’emploi et vous recevez une pension d’invalidité mensuelle de 900 $ qui sert à vous acquitter de vos obligations en matière de garde d’enfants et à payer les dépenses engagées par votre mère pour pouvoir vivre avec elle. 

[35]           L’avocat de la poursuite avait proposé d’infliger au contrevenant une peine d’emprisonnement de 90 jours. La Cour suprême du Canada a précisé que l’incarcération sous la forme d’un emprisonnement n’est adéquate que lorsqu’aucune autre sanction ou combinaison de sanctions n’est appropriée pour l’infraction et le contrevenant. La Cour est d’avis que ces principes sont pertinents dans un contexte de justice militaire et cela a été confirmé dans l’arrêt R. c. Baptista, 2006 CACM 1, de la Cour d’appel de la cour martiale.

[36]           Selon les cours pénales du Canada, les vols commis par des personnes en situation de confiance forment une catégorie spéciale aux fins de la détermination de la sentence. Habituellement, la dénonciation et la dissuasion de ce type d’infraction requièrent une sentence d’incarcération.

[37]           Dans un contexte militaire, les cours martiales ont pris une approche quelque peu différente. Il ressort d’un examen de différentes décisions rendues au cours des six dernières années (voir les décisions des cours martiales dans Price, Blackman, Loughrey, Haché, Roche, Hynes, Noseworthy, Gray, Clark, Tardif, Cyr, Coulombe et Paas) où il est question de vol ou de fraude par un employeur et d’abus de confiance que la sentence peut varier d’une sentence purement militaire, comme une rétrogradation combinée ou non à un blâme et/ou une amende, à une sentence typiquement criminelle, comme l’emprisonnement. Plus l’infraction est liée à la communauté militaire, plus il est approprié d’infliger une sentence purement militaire.

[38]           De toute évidence, la chaîne de commandement et les pairs du caporal-chef Sorbie se sont sentis trahis. Ils étaient déçus et fâchés d’apprendre ce qu’il a fait pendant plus d’un an; cependant, il ne s’agit pas de déterminer quelle sentence les convaincrait que, de leur point de vue, justice a été rendue, mais comme l’a indiqué le juge militaire Perron au paragraphe 31 de la décision R. c. Price, 2009 CM 4009 :

La question principale soulevée en l’espèce est la suivante : quelle est la sentence juste et appropriée qui est proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de culpabilité du contrevenant et qui respectera les principes de dissuasion générale et de dénonciation du comportement illégal?

[39]           Vu la nature des infractions, les principes de détermination de la sentence applicables, principalement la dénonciation et la dissuasion générale, et aussi les facteurs aggravants et atténuants énumérés précédemment, je suis arrivé à la conclusion que l’incarcération ne constitue pas la sentence la moins sévère infligée pour ces infractions. L’incarcération ne me semble pas être la seule sentence qui convienne dans les circonstances pour atteindre les objectifs de la dénonciation et de la dissuasion générale et ce n’est pas, selon moi, la sentence minimale qui doit être infligée compte tenu des faits de l’espèce. Je ne vois aucune raison, dans les circonstances de l’espèce, qui justifierait de priver le contrevenant de sa liberté. 

[40] Comme l’a dit le juge Perron au paragraphe 30 de la décision Price :

Les cours martiales doivent déterminer la sentence appropriée au moyen de l’échelle des peines. Ces sentences doivent promouvoir la discipline. L’échelle des peines comporte certaines peines qui ne se retrouvent pas dans le Code criminel du Canada, comme la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté, la destitution du service de Sa Majesté, la rétrogradation, la perte de l’ancienneté, le blâme, la réprimande et les peines mineures. Ces peines reflètent l’importance que nous accordons au service honorable dans les Forces canadiennes de Sa Majesté et au grade d’une personne. Elles reflètent nos valeurs en tant que membres du métier des armes.

[41]           J’estime qu’une sentence purement militaire, comme une rétrogradation combinée à d’autres sentences, reflèterait et servirait davantage les principes de dénonciation et de dissuasion générale dans les circonstances de l’espèce.

[42]           Comme l’a indiqué la Cour d’appel de la cour martiale dans l’arrêt R. c. Fitzpatrick, 5 C.M.A.R. 336; et Reid c. R., Sinclair c. R., 2010 CACM 4, une rétrogradation est une sentence purement militaire qui traduit la perte de confiance en la capacité du membre contrevenant de faire preuve de leadership à son grade actuel.

[43]           Caporal-chef Sorbie, vous vous battez avec vos démons intérieurs depuis le décès de votre père, ce qui vous a amené à trahir la confiance de votre chaîne de commandement et de vos pairs dans le but de satisfaire vos propres besoins au détriment de ceux de la communauté militaire. On vous a dit à diverses reprises avant ce procès que vous aviez perdu la confiance de plusieurs en raison de votre consommation de drogues et d’alcool.

[44]           Vous avez pris certaines mesures pour cesser votre descente aux enfers, mais le monde militaire a déjà perdu confiance en vous. Malgré cela, vous cherchez tout de même à vous libérer de votre dépendance en essayant d’obtenir de l’aide.

[45]           Dans les circonstances de l’espèce, j’estime qu’une sentence purement militaire comportant une rétrogradation au grade de soldat, un blâme et une amende serait une sentence appropriée qui reflèterait cette perte de confiance.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[46]           Vous DÉCLARE coupable des premier et deuxième chefs d’accusation inscrits sur l’acte d’accusation, soit d’avoir commis un vol alors que vous étiez, par votre emploi, chargé de la garde, du contrôle ou de la distribution des biens volés.

[47]           Vous CONDAMNE à une rétrogradation au grade de soldat, à un blâme et à une amende de 1 000 $. L’amende doit être versée en mensualités de 100 $ chacune, à compter du 1er juillet 2015 et pour les neuf mois suivants.

Avocats :

Directeur des Poursuites militaires, représenté par le major A. Samson.

Major D. Hodson, Service d’avocats de la défense, avocat du caporal-chef P.K. Sorbie.

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