Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 8 décembre 2014

Endroit : BFC Petawawa, édifice L-106, 48 terrain de parade Nicklin, Petawawa (ON).

Chef d'accusation :

• Chef d'accusation 1 : Art. 130 LDN, tentative de commettre l'infraction de production de substance (art. 7 LRCDAS).

Résultats :

• VERDICT : Chef d'accusation 1 : Coupable.
• SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 2000$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Pfahl, 2014 CM 3025

 

Date : 20141208

Dossier : 201444

 

Cour martiale permanente

 

Base de soutien de la 4e Division du Canada Petawawa

Petawawa (Ontario) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et –

 

Caporal F.P. Pfahl, contrevenant

 

 

En présence du : Lieutenant-Colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Le caporal Pfahl a été déclaré coupable par la présente Cour martiale permanente d’un chef d’accusation pour une infraction punissable sous le régime de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, à savoir une tentative de commettre l’infraction de production, en violation de l’article 7 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

 

[2]               Il revient maintenant au juge militaire qui préside la cour martiale de déterminer la sentence.

 

[3]               Dans le contexte particulier d’une force armée, le système de justice militaire constitue le moyen de dernier recours de faire régner la discipline, qui est un élément fondamental de l’activité militaire dans les Forces canadiennes. Le but de ce système est de prévenir toute inconduite ou, de façon plus positive, de veiller à promouvoir la bonne conduite. C’est grâce à la discipline qu’une force armée s’assure que ses membres rempliront leur mission avec succès, de manière fiable et confiante. Le système de justice militaire assure également l’ordre public et fait en sorte que les personnes qui sont assujetties au code de discipline militaire soient punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

 

[4]        Il est admis depuis longtemps qu’un système de justice ou un tribunal militaire distinct a pour objet de permettre aux Forces armées de régler les affaires qui concernent le respect du code de discipline militaire ainsi que d’assurer le maintien de la bonne organisation et du moral dans les Forces canadiennes; voir R. c. Généreux, 1992 1 R.C.S. 259, au paragraphe 293. Dans le même arrêt, la Cour suprême du Canada a reconnu ce qui suit, au paragraphe 31 :

 

Les tribunaux militaires jouent donc le même rôle que les cours criminelles ordinaires, soit punir les infractions qui sont commises par des militaires ou par d’autres personnes assujetties au Code de discipline militaire.

 

[5]        Cela étant dit, la sentence qu’inflige tout tribunal, qu’il soit militaire ou civil, devrait correspondre à l’intervention minimale nécessaire et appropriée dans les circonstances particulières de l’affaire.

 

[6]        En l’espèce, le procureur de la poursuite et l’avocat de la défense ont présenté une recommandation conjointe sur la sentence que la Cour devrait infliger. Ils ont recommandé que la Cour vous condamne à un blâme et à une amende de 2 000 $. Bien que la Cour ne soit pas liée par cette recommandation conjointe, il est généralement reconnu que le juge qui prononce la sentence ne devrait s’en écarter que lorsqu’il a des raisons impérieuses de le faire. L’expression « raisons impérieuses » signifie que la sentence est inappropriée, déraisonnable, de nature à déconsidérer l’administration de la justice ou contraire à l’intérêt public; voir Taylor c. R., 2008 CACM 1, au paragraphe 21.

 

[7]        L’objectif fondamental de la détermination de la sentence par une cour martiale est d’assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline en infligeant des sentences qui répondent à un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a)                  protéger le public, y compris les Forces canadiennes;

 

b)                  dénoncer les comportements illégaux;

 

c)                  dissuader le contrevenant et quiconque de commettre une infraction semblable;

 

d)                  isoler, au besoin, les contrevenants de la société;

 

e)                  aider les contrevenants à s’amender et à se réinsérer dans la société.

 

[8]        Quand il impose une sentence, le tribunal militaire doit également prendre en considération les principes suivants :

 

a)                  La sentence doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction. La sentence doit être proportionnelle à la responsabilité et aux antécédents du contrevenant.

 

b)                  L’harmonisation des sentences, c’est-à-dire l’infliction de sentences semblables à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables.

 

c)                  L’obligation, avant d’envisager la privation de liberté par l’emprisonnement ou la détention, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient. Bref, la Cour devrait imposer une sentence d’emprisonnement ou de détention seulement en dernier recours, comme l’ont statué la Cour d’appel de la cour martiale du Canada et la Cour suprême du Canada.

 

d)                  En dernier lieu, toute sentence qui compose une sentence devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant.

 

[9]               En l’espèce, la Cour est d’avis qu’elle devrait mettre l’accent sur les objectifs de la dénonciation et de la dissuasion spécifique pour déterminer la sentence, comme le suggèrent les deux avocats.

 

[10]           La Cour est saisie d’une infraction de tentative de produire de la psilocybine. Comme l’a mentionné le juge Dutil lorsqu’il a statué dans l’affaire R. c. Humphrey B. (Ex-soldat), 2011 CM 1009 :

 

La Cour d’appel de la cour martiale et de nombreuses cours martiales ont constamment décidé que la consommation et le trafic de stupéfiants sont plus graves dans le milieu militaire, en raison de la nature même des fonctions et responsabilités de tous les membres des Forces canadiennes, qui doivent assurer la sécurité et la défense de notre pays et de nos concitoyens canadiens. La collectivité militaire ne peut tolérer aucun manquement à sa politique rigoureuse et bien connue qui interdit l’usage de drogues illicites. Cependant, il faut appliquer ces énoncés généraux dans le contexte de chaque cas, à la lumière des principes et objectifs pertinents en ce qui concerne la détermination de la sentence.

 

[11]           Au cours des années 2012 et 2013, le caporal Pfahl était membre du 2e Régiment du génie de combat. À la lumière des aveux qu’il a faits, il semble à la Cour qu’il connaissait le sapeur Harley. Au cours de la période allant de novembre 2012 à février 2013, diverses discussions ont eu lieu entre ces deux personnes au sujet de la production de « champignons magiques ». Ce lien a été établi par des textos que s’échangeaient ces deux personnes. Ce dont ces deux individus ont discuté pour l’essentiel, c’est de la façon de faire pousser des « champignons magiques » et du moment de commencer à en produire. Le 24 février 2013, une perquisition a été menée à la résidence du caporal Pfahl et la police y a trouvé 21 bocaux Mason. Cette perquisition a révélé que le caporal Pfahl avait échoué dans sa tentative de faire pousser des « champignons magiques » chez lui dans ces bocaux.

 

[12]           Comme je l’ai mentionné ci-dessus, la Cour doit tenir compte des facteurs aggravants et des facteurs atténuants dans le cadre de la présente affaire. En ce qui concerne les facteurs aggravants :

 

a)                  La première chose que la Cour doit examiner, c’est la gravité objective de l’infraction. Une infraction à l’article 7 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances concernant une substance inscrite à l’annexe III comporte une sentence maximale de dix ans d’emprisonnement. Toutefois, compte tenu du fait que le caporal Pfahl a été accusé d’une tentative de commettre une infraction de cette nature, le sous‑alinéa 463d)(i) du Code criminel réduit essentiellement de moitié cette sentence maximale et y substitue une sentence maximale de cinq ans d’emprisonnement pour une tentative de commettre l’infraction.

 

b)                  En ce qui concerne la gravité subjective de l’infraction, la Cour a tenu compte de trois éléments :

 

i.                     D’abord, le manque d’intégrité et de responsabilité que révèle votre comportement. Fondamentalement, en tant que membre des Forces canadiennes, vous êtes au courant de la politique de tolérance zéro à l’égard de la consommation de drogue dans les Forces canadiennes. En dépit de ce fait, vous avez pris la décision personnelle de produire une sorte de drogue. Cela démontre qu’à cette époque, vous avez manqué totalement de respect en vous livrant à une telle activité dans un contexte militaire.

 

ii.                   La preuve a également révélé de manière circonstancielle que, pour vous livrer à une telle activité, il devait exister un élément de préméditation. Pour produire ce type de drogue, vous avez dû planifier délibérément les choses pour pouvoir atteindre votre objectif, c’est-à-dire que vous avez dû trouver un moyen d’y parvenir, trouver le matériel adéquat pour franchir chaque étape et faire de la recherche en vue d’obtenir un résultat. De telles démarches ont pris du temps et vous auriez été capable d’y mettre fin, mais vous les avez menées à terme.

 

iii.                  En dernier lieu, j’ai tenu compte du lieu comme facteur de gravité subjective. Fondamentalement, vous vous êtes livré à cette activité près d’un établissement de défense. Vous étiez si près en fait que vous étiez en mesure de fournir un accès facile à la substance à vos confrères membres des Forces canadiennes.

 

[13]           En ce qui concerne les facteurs atténuants :

 

a)                  Le premier point dont je dois tenir compte, ce sont les aveux que vous avez faits, les regrets que vous avez affichés et exprimés et votre entière collaboration une fois que vous avez été mis en état d’arrestation et que des choses ont été saisies chez vous. Essentiellement, ces gestes montrent que vous avez assumé pleinement la responsabilité de vos actes, et ce fait sera pris en considération.

 

b)                  Il y a également la nature non commerciale de cette tentative de produire. En substance, ce que les faits démontrent à la Cour, c’est que vous n’avez pas agi en vue de réaliser un profit financier ni de manière à distribuer la substance parmi vos confrères membres de votre unité et dans d’autres unités de la Base. La Cour peut en déduire, en l’absence de toute indication contraire, que vous avez agi pour votre usage personnel; vu la portée limitée de votre intention, la Cour doit en tenir compte parmi les facteurs atténuants.

 

c)                  Un autre aspect est votre âge et vos perspectives de carrière; vous êtes âgé de 24 ans. Vous considérez que c’est vieux, mais vous êtes jeune en ce sens que vous avez peut-être acquis de l’expérience dans votre travail au sein des Forces canadiennes, mais il s’agit probablement du seul milieu de travail que vous avez connu depuis l’âge de 18 ans, comme vous l’avez mentionné.

 

d)                  Vous avez encore des perspectives de carrière dans les Forces canadiennes et la Cour doit en tenir compte.

 

e)                  De plus, vous avez dû faire face à la présente cour martiale, soit à une audience publique dont les tiers sont avisés. Vous devez vous présenter en public devant vos pairs, vos supérieurs et vos confrères membres des Forces canadiennes. La cour martiale est toujours un événement en soi dans une base, et cet événement contribue à dissuader les gens de commettre des infractions.

 

f)                    J’ai également pris en considération les mesures administratives qui ont été prises et le processus qui a été mis en branle; ceux-ci ont manifestement eu un effet dissuasif sur vous. Malgré tout, il ne s’agit pas du facteur principal dont je dois tenir compte pour déterminer la sentence. On vous a imposé une mise en garde et surveillance relativement à l’incident pour lequel vous vous trouvez devant la Cour. La preuve a révélé que vous avez respecté cette surveillance essentiellement chaque mois et que vous avez réussi. La mesure a changé quelque chose en vous, dans vos habitudes, ce qui donne clairement à penser à la Cour que vous avez pris ces incidents au sérieux.

 

g)                  Il y a aussi le fait qu’à la suite de cet incident, vous avez décidé de réorganiser votre vie à un point tel que vous avez maintenant une conjointe de fait et un enfant, ce qui a modifié énormément votre attitude. Vous avez montré à la Cour que vous avez pris cet avertissement au sérieux et que vous avez décidé de voir la vie d’un autre point de vue.

 

h)                  Je dois de plus tenir compte du fait que votre fiche de conduite est vierge; il n’existe aucune note sur une fiche de conduite concernant la perpétration d’une infraction ni de toute infraction similaire ou différente relativement au code de discipline militaire.

 

i)                    J’ai également appris que vous continuez de jouir du soutien des membres de votre chaîne de commandement. En dépit de vos problèmes personnels, ils jugent que vous réussissez bien sur le plan des relations de travail, et la preuve que votre avocat a produite devant la Cour montre sans équivoque que dans votre milieu de travail, en tant que soldat, vous faites preuve de respect et de professionnalisme dans l’exécution de vos fonctions.

 

[14]           Les infractions liées aux stupéfiants incitent habituellement les cours martiales à envisager sérieusement une sentence d’incarcération. Comme vous l’avez entendu, la protection des tiers et votre propre sécurité pendant les opérations, les exercices et les autres activités de cette nature sont des facteurs cruciaux dont il faut absolument tenir compte. Si vous êtes sous l’influence de stupéfiants dans l’exécution de vos fonctions ou si vous incitez des tiers à le faire par votre comportement, vous mettez en danger la vie d’autrui ainsi que votre propre vie; il ne s’agit donc pas d’une simple question de plaisir frivole, il est aussi question de faire en sorte que les gens soient en sécurité et s’acquittent bien de leur mission de protéger la sécurité d’autrui.

 

[15]           J’ai donc dû me pencher sérieusement sur la question de l’incarcération. Dans le contexte d’une tentative et en réfléchissant à d’autres facteurs comme la nature de l’infraction, les objectifs et les principes en matière de détermination de la sentence ainsi que les facteurs atténuants et aggravants que je viens juste de mentionner, je dirais que je ne vois aucun avantage dans les circonstances à vous imposer l’incarcération dans cette affaire. J’ai eu la possibilité de lire la décision dans l’affaire Morgan, dans laquelle j’ai agi comme juge à l’époque, ainsi que la décision dans l’affaire Humphrey que j’ai mentionnée ci-dessus et qui traitait du même type de stupéfiant, mais j’ai également lu la décision Wright. Toutes ces décisions ont été prononcées par des cours martiales en 2012. Je ferais une distinction entre l’affaire Wright et la présente cause, à savoir que la nature de l’infraction elle‑même n’a pas été considérée comme une tentative à l’époque, mais plutôt comme la production d’une substance. L’affaire Wright mettait également en cause d’autres infractions et le juge militaire qui présidait l’audience a dû tenir sérieusement compte non seulement de l’effet du type de drogue consommée, mais aussi de la série de faits qui avaient incité le contrevenant à l’époque à faire ce qu’il avait fait. Des articles avaient été saisis à l’époque dans cette affaire et l’enquête avait révélé qu’un petit laboratoire organisé avait été mis sur pied, ce qui est différent des circonstances de l’espèce; je dois donc conclure que la décision Wright ne trouve pas application en l’espèce, ce qui appuie ma conclusion selon laquelle l’incarcération n’est pas justifiée dans le contexte de la présente affaire. À mon point de vue, l’incarcération n’est pas appropriée dans les circonstances de l’espèce non seulement en raison de ces décisions, mais aussi, je pense, parce qu’il s’agit d’une affaire qui ne l’exige pas en dernier recours, comme l’ont statué la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel de la cour martiale.

 

[16]           La Cour juge raisonnable la suggestion des avocats dans les circonstances de l’espèce et elle accepte la combinaison du blâme et de l’amende comme sentence minimale à imposer dans la présente affaire. J’ai également réfléchi à la possibilité de rendre une ordonnance interdisant au caporal Pfahl de posséder des armes, en application de l’article 147.1 de la Loi sur la défense nationale. À mon point de vue, les circonstances de la perpétration de l’infraction et ce qui a été divulgué en preuve depuis la perpétration de cette infraction ne m’amènent pas à conclure, de quelque façon que ce soit, qu’il serait souhaitable de rendre une ordonnance de cette nature. Comme l’a mentionné votre avocat, il n’existe aucun lien avec le crime organisé, la perpétration de l’infraction n’a donné lieu à aucun acte de violence et rien n’indique qu’une arme ait joué quelque rôle que ce soit dans les circonstances de la présente affaire; la manipulation d’une arme n’inquiète pas la Cour et les deux avocats sont d’accord à ce sujet.

 

[17]           Caporal Pfahl, je comprends que vous faites encore face à de l’incertitude à propos de votre carrière; toutefois, vous m’avez montré aujourd’hui que, peu importe ce qui vous arrivera, que vous soyez ou non libéré des Forces canadiennes, vous vous êtes prouvé à vous‑même que vous avez encore la capacité de faire quelque chose de bien quand vous êtes aux prises avec des problèmes personnels. Indépendamment de ce que l’avenir vous réserve en ce qui concerne la décision des autorités des Forces canadiennes quant à votre avenir dans les Forces, je crois que vous avez la force et la volonté de faire des progrès. C’est la raison pour laquelle j’ai accepté la sentence recommandée. Je vous souhaite bonne chance dans les démarches que vous avez entreprises pour changer de métier et qui démontrent à nouveau que vous avez la volonté de poursuivre votre carrière dans les Forces.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[18]           VOUS CONDAMNE à un blâme et à une amende de 2 000 $ payable en cinq versements mensuels de 400 $ chacun à compter du 1er janvier 2015. Si vous êtes libéré des Forces canadiennes pour quelque raison que ce soit avant le paiement complet de l’amende, le solde impayé sera exigible avant votre libération.


 

Avocats :

 

Le Directeur des poursuites militaires, représenté par le major J.E. Carrier.

 

Major C.E. Thomas, Direction du Service des avocats de la défense, avocat du caporal F.P. Pfahl.

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