Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 1 décembre 2014.

Endroit : Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, salle d’audience, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC).

Chef d’accusation

• Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).

Résultats :

• VERDICT : Chef d'accusation 1 : Non coupable.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Thibeault, 2014 CM 3023

 

Date : 20141205

Dossier : 201407

 

Cour martiale permanente

 

Salle d’audience du Centre Asticou

Gatineau (Québec), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et –

 

Capitaine J.R.N.J. Thibeault, requérant

 

 

En présence du Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.


Restriction à la publication : Par ordonnance de la cour rendue en application de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l’article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la personne décrite dans le présent jugement comme la plaignante.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS RELATIFS À LA REQUÊTE POUR FIN DE NON-RECEVOIR EN MATIÈRE DE COMPÉTENCE RELATIVEMENT AU MODE DE PROCÈS

(Prononcés de vive voix)

[1]             Il s’agit d’une demande pour fin de non-recevoir présentée par le capitaine Thibeault, l’accusé dans le présent procès, sur le fondement de l’alinéa 112.05(5)b) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC). Elle est présentée au début du procès, avant que le juge demande à l’accusé de plaider coupable ou non coupable au seul chef d’accusation figurant sur l’acte d’accusation.

[2]          Le capitaine Thibeault, requérant dans cette affaire, est accusé d’une infraction d’ordre militaire visée à l’article 130 de la Loi sur la défense nationale pour avoir commis, vers le 4 février 2012, à la Base des Forces canadiennes Borden, une agression sexuelle sur un officier des Forces canadiennes en violation de l’article 271 du Code criminel.

[3]             Le capitaine Thibeault présente une demande pour fin de non‑recevoir au motif que la Cour martiale permanente n’a pas compétence pour régler l’accusation dont elle est saisie parce qu’elle n’a pas été correctement convoquée par l’Administratrice de la cour martiale. Essentiellement, il soutient que compte tenu du contexte entourant la décision de la Cour d’appel de la cour martiale de tenir un nouveau procès, l’Administratrice de la cour martiale aurait dû lui donner l’occasion de choisir d’être jugé par une cour martiale permanente ou une cour martiale générale, conformément à l’article 165.193 de la Loi sur la défense nationale, ce qu’elle n’a pas fait. Indiquant que cette disposition est obligatoire dans un tel contexte, il invite la Cour à mettre fin à la procédure, ce qui permettra à l’Administratrice de la cour martiale de convoquer une cour martiale en prenant en considération cet article précis de la Loi.

[4]             À titre subsidiaire, pour remédier à ce manquement, il suggère à la Cour de contraindre l’Administratrice de la cour martiale à permettre au capitaine Thibeault de choisir le mode de procès ou de simplement ordonner qu’une cour martiale générale soit convoquée, cette dernière étant le choix personnel de l’accusé quant au type de procès qu’il souhaite pour statuer sur le chef d’accusation.

[5]             Sur le plan de la preuve, le requérant a présenté un avis de demande et un affidavit de l’adjointe de l’avocat de la défense, Mme Danielle Lever. Aucun témoin n’a été entendu et les deux parties n’ont soumis aucun autre élément de preuve.

[6]             Le 24 février 2014, la Cour d’appel de la cour martiale a accueilli l’appel du requérant concernant le même chef d’accusation examiné par la Cour martiale permanente, a annulé la déclaration de culpabilité de la précédente Cour martiale permanente et a ordonné la tenue d’un nouveau procès (voir RcThibeault, 2014 CMAC 2).

[7]             Le 15 mai 2014, à titre de juge saisi de l’affaire, j’ai présidé une conférence préalable à l’instruction avec les deux avocats afin de fixer la date du procès et d’examiner les problèmes possibles liés à la tenue du procès. À ce moment, le procès a été fixé au 1er décembre 2014 et les parties m’ont fourni des renseignements quant à la nature des éléments de preuve présentés et des questions juridiques pouvant être soulevées. Par la même occasion, j’ai rapidement traité de la question du choix de l’accusé concernant le type de procès, étant donné que la cour n’était pas déjà convoquée et que l’accusé était représenté par un avocat civil qui était peut-être moins au courant des procédures de la cour martiale.

[8]             Le 15 octobre 2014, l’avocat de la défense a écrit à l’Administratrice de la cour martiale par courriel, dans le but d’officialiser le choix du mode de procès par son client.

[9]             Le 17 octobre 2014, j’ai présidé une autre conférence préalable à l’instruction pendant laquelle j’ai précisé que ma référence rapide concernant le processus de convocation de la cour martiale pendant la conférence précédente n’était en aucun cas, d’une manière ou d’une autre, une indication quant à la façon de procéder au processus de convocation de la cour martiale.

[10]         Le 28 octobre 2014, le procureur, le major Carrier, a avisé l’Administratrice de la cour martiale par courriel que, dans le contexte, puisqu’elle n’avait pas l’intention de permettre à l’accusé de choisir le mode de procès, il était d’avis que ce choix pourrait être offert et qu’une cour martiale générale devrait être convoquée conformément au choix exprimé par le capitaine Thibeault.

[11]         Le lendemain, soit le 29 octobre 2014, sans que le capitaine Thibeault en soit informé par l’Administratrice de la cour martiale et plus de 30 jours avant la date fixée pour le début du procès, l’avocat du capitaine Thibeault a fait savoir par courriel à l’Administratrice de la cour martiale que l’accusé avait [traduction] « choisi de changer son mode de procès pour un procès devant une cour martiale générale » conformément au paragraphe 165.193(4) de la Loi sur la défense nationale.

[12]         Le 30 octobre 2014, l’Administratrice de la cour martiale a répondu par courriel à l’avocat de la défense qu’elle avait pris en compte l’opinion du procureur ainsi que la position du capitaine Thibeault relativement au choix du type de cour martiale. Elle a conclu que, dans le contexte, puisqu’un nouveau procès avait été ordonné par la Cour d’appel de la cour martiale, elle n’avait pas l’autorisation légale de modifier le mode de procès et que, par conséquent, une cour martiale permanente serait convoquée.

[13]         Le même jour, l’Administratrice de la cour martiale a convoqué une cour martiale permanente pour statuer sur l’infraction indiquée sur l’acte d’accusation en date du 3 août 2012, avec en pièce jointe un acte d’accusation traduit en date du 30 avril 2014.

[14]         Le 6 novembre 2014, l’avocat du capitaine Thibeault a réitéré, par courriel, à l’Administratrice de la cour martiale que son client avait le droit, en vertu de la Loi sur la défense nationale, de choisir un procès devant une cour martiale générale et qu’il avait légalement fait connaître sa position à cet égard.

[15]         L’Administratrice de la cour martiale lui a alors répondu par courriel le 7 novembre 2014 qu’elle ne changerait pas sa position indiquée dans son courriel précédent du 30 octobre 2014.

[16]         À la suite d’une demande présentée par l’avocat de la défense le 12 novembre 2014 visant à modifier le lieu du procès pour qu’il se déroule à la salle d’audience du Centre Asticou à Gatineau plutôt qu’à la Base des Forces canadiennes Bagotville, j’ai ordonné que la Cour martiale permanente du capitaine Thibeault soit tenue le 1er décembre 2014, au nouveau lieu, comme l’avait demandé l’accusé.

[17]         Le jour même, la présente requête m’a été présentée, à titre de question préliminaire à régler avant la date fixée pour le début du procès. J’ai décidé que lorsqu’une question préliminaire traite d’une fin de non‑recevoir relative à la compétence de la cour, cette question doit être instruite après le début du procès, comme l’indique l’article 112.05 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes. J’ai donc décidé que la présente demande pourrait être instruite par la cour le 1er décembre 2014.

[18]           Le 14 novembre 2014, l’Administratrice de la cour martiale a annoncé un nouvel ordre de convocation reflétant la décision de la cour quant au lieu du procès.

[19]           Par la suite, le 1er décembre 2014, j’ai instruit la présente requête.

[20]           La question soulevée par l’accusé dans sa demande peut être formulée de la façon suivante : quelle procédure l’Administratrice de la cour martiale doit-elle suivre pour convoquer une cour martiale lorsque la Cour d’appel de la cour martiale ordonne la tenue d’un nouveau procès? La réponse à cette question donnera à la Cour une réponse claire concernant sa compétence. Évidemment, si la réponse est qu’il faut convoquer une cour martiale permanente parce qu’il s’agit du type de cour martiale qui a déjà jugé l’infraction, la Cour a alors compétence et l’accusé est devant ce type de cour en ce moment. Au contraire, si une cour martiale générale doit être convoquée parce que c’est ce qu’a choisi l’accusé en appliquant les dispositions pertinentes de la Loi sur la défense nationale, la Cour n’a donc pas compétence et cette situation exige une réparation appropriée.

[21]           Le capitaine Thibeault a fait valoir à la cour, par l’entremise de son avocat, qu’il s’agit d’une question d’interprétation législative et qu’après avoir appliqué les dispositions applicables de la Loi sur la défense nationale, il est facile de répondre à la question.

[22]           Selon lui, lorsque la Cour d’appel de la cour martiale ordonne la tenue d’un nouveau procès en application de l’article 238 de Loi sur la défense nationale, la question doit être traitée comme s’il n’y avait pas eu de procès, conformément à l’article 241.3 de la Loi sur la défense nationale, qui est ainsi rédigé :

Lorsque la Cour d’appel de la cour martiale ordonne un nouveau procès à l’égard d’une accusation en vertu de l’article 238, 239.1, 239.2 ou 240.2, l’accusé est jugé de nouveau comme si aucun procès n’avait été tenu sur celle-ci.

 

[23]           Cela signifie qu’un accusé n’est pas lié par son choix précédent quant au mode de procès et qu’il serait contraire au libellé clair de cette disposition d’agir ainsi.

[24]           Donc, d’après le requérant, le capitaine Thibeault doit revenir là où il était avant la tenue du premier procès. Cela signifie que pour convoquer une cour martiale, l’Administratrice de la cour martiale devrait convoquer la cour conformément à l’article 165.193 de la Loi sur la défense nationale et permettre au capitaine Thibeault de choisir le mode de procès, ce qui n’a pas été le cas relativement à la présente cour martiale permanente.

[25]           En outre, il a affirmé à la Cour que dans le contexte d’un nouveau procès ordonné par la Cour d’appel de la cour martiale en raison de l’assistance inefficace de son avocat, il ne serait pas sensé que le capitaine Thibeault soit lié par des décisions stratégiques prises en consultation avec cet avocat, comme le mode de procès, et qu’il n’ait pas la possibilité de choisir un nouveau mode de procès. Selon lui, cette décision serait injuste et contraire aux intérêts de la justice.

[26]    À ce sujet, l’intimée est du même avis que le requérant. Essentiellement, la poursuite croit que l’article 165.193 de la Loi sur la défense nationale s’applique dans les circonstances de l’espèce et doit avoir plein effet. Le procureur est d’avis qu’après que la Cour d’appel de la cour martiale a ordonné la tenue d’un nouveau procès, l’Administratrice de la cour martiale doit convoquer une cour martiale conformément au choix de l’accusé lorsqu’une disposition particulière exige cette mesure. Il a précisé que si la situation était celle indiquée au paragraphe 165.193(5) de la Loi sur la défense nationale, le Directeur des poursuites militaires n’aurait pas donné de consentement écrit. D’après le procureur, l’ensemble des faits présentés à la Cour exige l’application du paragraphe 165.193(7) de la Loi sur la défense nationale, ce qui signifie que l’Administratrice de la cour martiale doit donner l’occasion au capitaine Thibeault de choisir le type de cour martiale devant laquelle il souhaite être jugé.

[27]    Afin de poursuivre son analyse, la Cour doit répondre aux questions suivantes :

a)                  Quelle est la signification exacte de la phrase « ordonner […] la tenue d’un nouveau procès sur l’accusation devant une cour martiale » figurant à l’alinéa 238(1)b) de la Loi sur la défense nationale dans le contexte d’un nouveau procès ordonné par la Cour d’appel de la cour martiale?

b)                  La signification d’« ordonner […] la tenue d’un nouveau procès sur l’accusation devant une cour martiale » prévoit‑elle que l’administratrice de la cour martiale doit donner effet à l’article 165.193 de la Loi sur la défense nationale?

[28]    Pour répondre à la première question, la Cour a procédé à un examen du cadre juridique permettant à l’administratrice de la cour martiale de convoquer une cour martiale et à la Cour d’appel de la cour martiale d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.

[29]    Dans le système de justice militaire canadien, « [l]a Cour martiale ne peut juger une personne sans une mise en accusation formelle de celle-ci par le Directeur des poursuites militaires ». (Voir l’article 165 de la Loi sur la défense nationale.)

[30]    La mise en accusation est prononcée lorsqu’est déposé auprès de l’Administratrice de la cour martiale un acte d’accusation signé par le Directeur des poursuites militaires. (Voir encore une fois l’article 165 de la Loi sur la défense nationale.)

[31]    Si l’infraction n’est pas visée aux articles 165.191 (cour martiale générale obligatoire) et 165.192 (cour martiale permanente obligatoire) de la Loi sur la défense nationale, un accusé a le droit de choisir d’être jugé par l’un ou l’autre des types de cour.

[32]         Après avoir été avisé, par écrit, par l’Administratrice de la cour martiale, l’accusé a 14 jours pour informer, par écrit, l’Administratrice de la cour martiale de son choix, sinon, il est réputé avoir choisi d’être jugé devant une cour martiale générale.

[33]         L’accusé peut changer d’idée une fois s’il reste plus de 30 jours avant la date de début du procès. Il peut aussi, avec le consentement écrit du Directeur des poursuites militaires, modifier son choix une seconde fois à tout moment ou, s’il reste moins de 30 jours avant le début du procès ou même après le début du procès, faire un nouveau choix.

[34]         La Cour est d’avis que la Cour d’appel de la cour martiale a jugé l’appel du capitaine Thibeault conformément à l’alinéa 238(1)b) de la Loi sur la défense nationale, qui est ainsi formulé :

238. (1) Si elle fait droit à un appel concernant la légalité d’un verdict de culpabilité, la Cour d’appel de la cour martiale peut rejeter le verdict et ordonner :

[…]

b) soit la tenue d’un nouveau procès sur l’accusation devant une cour martiale.

[35]         Comme l’a indiqué l’avocat du requérant, la Cour reconnaît que l’article 241.3 de la Loi sur la défense nationale serait applicable en l’espèce, ce qui implique que l’affaire du capitaine Thibeault doit être jugée comme si aucun procès n’avait été tenu sur celle-ci.

[36]         Or, la Cour n’a trouvé aucune autre disposition que les articles 238 et 241.3 de la Loi sur la défense nationale qui s’appliquerait manifestement aujourd’hui à l’espèce. Conformément au libellé de la disposition, la Cour conclut que l’article 165.193 de la Loi sur la défense nationale ne peut s’appliquer qu’au moment du prononcé de la mise en accusation. À première vue, rien dans la Loi n’indique que cette disposition doit s’appliquer dans d’autres circonstances.

[37]         Donc, comment doit-on interpréter « soit la tenue d’un nouveau procès sur l’accusation devant une cour martiale »?

[38]         Logiquement, et puisque cette question ne fait l’objet d’aucun débat et d’aucune controverse, lorsqu’un nouveau procès est ordonné, il est évident pour la Cour que, dans le contexte du système de justice militaire et pour être en mesure de juger une infraction d’ordre militaire, une cour martiale doit être convoquée pour examiner les accusations en question (voir R. c. MacLellan, 2011 CMAC 5, au paragraphe 42), ce qui comprend l’obligation de convoquer une cour martiale dans le contexte du nouveau procès ordonné par la Cour d’appel de la cour martiale.

[39]         De plus, il ressort clairement du libellé de l’alinéa 238(1)b) de la Loi sur la défense nationale que lorsque la Cour d’appel de la cour martiale ordonne la tenue d’un nouveau procès, la cour martiale convoquée dans le cadre de cette ordonnance judiciaire doit traiter des mêmes accusations.

[40]    Manifestement, un nouveau procès ordonné par la Cour d’appel de la cour martiale exige la convocation d’une cour martiale pour traiter des accusations qui ont déjà fait l’objet d’une décision.

[41]    Par conséquent, lorsque la Cour d’appel de la cour martiale prononce une telle ordonnance, quel type de cour martiale doit-on convoquer?

[42]    Contrairement à la situation qui prévalait avant le 1er septembre 1999, lorsque les paragraphes 117.05(1) et (2) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes énonçaient des directives quant à la façon de convoquer une cour martiale dans le contexte d’un nouveau procès ordonné par la Cour d’appel de la cour martiale et qui ont été abrogés sans être remplacés, il n’y a plus rien dans la réglementation qui donnerait des indications à la Cour concernant la façon de convoquer une cour martiale lorsque la tenue d’un nouveau procès devant la cour martiale au sujet des mêmes chefs d’accusation est ordonnée par la Cour d’appel de la cour martiale en application de l’article 238 de la Loi sur la défense nationale.

[43]    À titre indicatif, les paragraphes 117.05(1) et (2) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes étaient ainsi formulés à l’époque :

(1)                 Sous réserve de l’alinéa (3), lorsqu’un nouveau procès est ordonné en vertu de l’article 210, 238 ou 248 de la Loi sur la défense nationale, le chef d’état‑major de la défense doit, à moins qu’on n’ait pas exigé de procès (voir le paragraphe 210(3) de la Loi sur la défense nationale), convoquer ou ordonner à une autorité convocatrice appropriée de convoquer une cour martiale pour juger l’accusé sur l’accusation pour laquelle le nouveau procès a été ordonné.

(2)                 L’autorité convocatrice visée au présent article est réputée avoir reçu une demande de procès d’un commandant relevant d’elle et doit convoquer une cour martiale sans autre enquête sur l’accusation ou étude de celle-ci.

[44]    Aujourd’hui, ces dispositions n’existent plus et n’ont pas été remplacées.

[45]    Autre détail intéressant, la Cour a demandé aux avocats de commenter le seul arrêt de la Cour d’appel de la cour martiale portant sur une question semblable à celle soulevée devant notre cour, mais jugée dans un contexte législatif totalement différent. Elle souhaitait entendre les parties quant à la mesure dans laquelle un tel arrêt serait contraignant pour trancher la question en litige.

[46]    Dans l’arrêt Graveline c. R., CMAC-356, rendu le 6 juin 1994, la Cour d’appel de la cour martiale devait décider quel type de cour martiale pouvait être convoquée par une autorité convocatrice dans le contexte d’un nouveau procès qu’elle avait ordonné.

[47]    Essentiellement, la Cour d’appel de la cour martiale a affirmé que le paragraphe 117.05(2) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes doit être pleinement applicable. Dans cet arrêt, la Cour a confirmé l’interprétation du juge militaire voulant que l’autorité convocatrice ne pouvait pas, à cette étape, prendre une nouvelle décision quant au caractère suffisant de la preuve afin de donner suite à l’accusation, mais pouvait exercer son pouvoir discrétionnaire relativement au type de cour martiale.

[48]         Il faut souligner qu’avant le 1er septembre 1999, l’autorité convocatrice jouait un rôle quasi-judiciaire, puisqu’essentiellement, elle ne faisait pas seulement qu’ordonner la tenue d’une cour martiale.

[49]         L’autorité convocatrice était un membre de rang élevé de la chaîne de commandement et devait déterminer le caractère suffisant de la preuve pour donner suite à l’accusation et s’il était dans l’intérêt des Forces canadiennes de le faire. L’autorité convocatrice devait ensuite contraindre l’accusé à comparaître devant un type de cour martiale précis, identifiant par la même occasion les avocats qui comparaîtraient à titre de procureur, d’avocat de la défense et de juge‑avocat. S’il s’agissait d’une cour martiale générale ou disciplinaire, un comité était alors formé en indiquant le nom des officiers qui en faisait partie.

[50]         Aujourd’hui, l’Administratrice de la cour martiale joue un rôle beaucoup plus limité à titre d’autorité convocatrice lorsqu’elle convoque une cour martiale. Essentiellement, elle informe l’accusé, l’avocat de la défense, le procureur, le juge militaire et les membres du comité qu’elle a choisis, le cas échéant, du lieu et du moment convenus pour la tenue de la cour martiale. Elle ne participe aucunement au choix du type de cour martiale depuis que ses fonctions ont été établies le 1er septembre 1999.

[51]         Revenons à l’arrêt Graveline. La signification qu’on lui donne doit prendre en compte la compréhension des fonctions de l’autorité convocatrice au moment des faits.

[52]         La Cour comprend que dans l’arrêt Graveline, la Cour d’appel de la cour martiale a décidé que le paragraphe 117.05(2) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes devait s’appliquer et que, compte tenu de la nature du pouvoir discrétionnaire exercé par l’autorité convocatrice à cette époque, elle aurait eu le pouvoir de décider du type de cour martiale à convoquer dans le contexte d’un nouveau procès ordonné par la Cour d’appel de la cour martiale.

[53]         La Cour conclut que cet arrêt ne s’applique pas en l’espèce, puisqu’il ne fournit aucune indication quant à la façon dont l’alinéa 238(1)b) de la Loi sur la défense nationale devrait être interprété, étant donné qu’une disposition des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes qui n’existe plus a été appliquée à cette question bien précise et que le pouvoir discrétionnaire ainsi que l’autorité ont été exercés légalement d’une manière totalement différente par l’autorité convocatrice à cette époque.

[54]         Toutefois, comme l’a suggéré le requérant, l’article 241.3 de la Loi sur la défense nationale semble fournir une certaine aide pour répondre à la question.

[55]         Encore une fois, je cite :

Lorsque la Cour d’appel de la cour martiale ordonne un nouveau procès à l’égard d’une accusation en vertu de l’article 238, 239.1, 239.2 ou 240.2, l’accusé est jugé de nouveau comme si aucun procès n’avait été tenu sur celle-ci.

[56]         Le requérant affirme aussi qu’une simple lecture de cette disposition suffit pour conclure qu’en traitant cette affaire comme si aucun procès n’avait été tenu, il est possible de conclure qu’il faut donner plein effet à l’article 165.193 de la Loi sur la défense nationale, ce qui implique que, avant de convoquer la cour, l’Administratrice de la cour martiale doit donner au capitaine Thibeault l’occasion de choisir le mode de procès.

[57]         En tout respect, la cour conteste cette interprétation. Dans ce contexte, la Cour interprète la disposition différemment du requérant. De mon point de vue, elle indique « comme si aucun procès n’avait été tenu » et non « comme si aucune cour martiale n’avait été tenue ». Sur le plan de la procédure quant au choix du mode de procès, la différence est suffisamment importante, d’après la cour, pour faire la distinction entre ce qu’elle peut faire et ce qu’elle ne peut pas faire dans le contexte d’un nouveau procès ordonné par la Cour d’appel de la cour martiale.

[58]         Toujours dans le contexte de cette disposition, la Cour comprend que la signification du mot « procès » est liée aux procédures qui ont lieu après le plaidoyer de l’accusé à l’égard des chefs d’accusation, ce qui empêche, lorsque la Cour d’appel de la cour martiale ordonne un nouveau procès, l’application de l’article 165.193 de la Loi sur la défense nationale en ce qui concerne le choix du mode de procès par un accusé ou la possibilité de choisir de nouveau le mode de procès avec le consentement du Directeur des poursuites militaires.

[59]         En l’absence de toute autre disposition en la matière dans la Loi sur la défense nationale, une telle interprétation refléterait l’état actuel du droit dans notre pays relativement à cette question bien précise et y serait conforme.

[60]         Au Canada, la Common Law a établi que dans le contexte d’une procédure en matière pénale, il est interdit de procéder à un nouveau choix après qu’un nouveau procès a été ordonné par une cour d’appel (voir R. c. Welsh, [1950R.C.S. 412, R. c. Dennis [1960] R.C.S. 286, R. c. Sagliocco, (197951 C.C.C. (2d) 188; R. c. Cole, (198266 C.C.C (2d) 485), sauf si une loi le prévoit (voir l’alinéa 686(5)a) du Code criminel, qui indique que la Cour d’appel doit ordonner qu’un procès devant un juge sans jury devienne un procès devant juge et jury ou le paragraphe 686(5.1) du Code criminel en ce qui concerne le changement d’un procès devant juge et jury en un procès devant un juge sans jury). La Cour a eu l’occasion d’interpréter une décision plus récente de la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans R. c. Niemi, 2008 CanLII 82239 (C.S. Ont.) et elle ne change pas d’opinion quant à l’état actuel du droit, compte tenu du contexte actuel.

[62]         La Cour conclut que la signification exacte de la phrase « ordonne un nouveau procès à l’égard d’une accusation » figurant à l’alinéa 238(1)b) de la Loi sur la défense nationale dans le contexte d’un nouveau procès ordonné par la Cour d’appel de la cour martiale est que l’Administratrice de la cour martiale doit convoquer une cour martiale pour les mêmes chefs d’accusation et devant le même type de cour martiale. Le résultat final en l’espèce est qu’en ordonnant un nouveau procès résultant de l’appel interjeté par le capitaine Thibeault, la Cour d’appel de la cour martiale a ordonné à l’Administratrice de la cour martiale de convoquer une cour martiale permanente pour juger une accusation d’agression sexuelle, comme l’avait précisé au départ le Directeur des poursuites militaires. La Cour conclut que l’Administratrice de la cour martiale a correctement exercé ses pouvoirs conformément aux lois et à la décision judiciaire lorsqu’elle a convoqué la présente cour martiale permanente.

[63]         Si la poursuite avait décidé de ne pas donner suite à l’accusation, il aurait été facile pour elle de le faire, libérant ainsi l’Administratrice de la cour martiale de son obligation de convoquer une cour martiale pour procéder à un nouveau procès, comme l’a ordonné la Cour d’appel de la cour martiale.

[64]         Compte tenu de ma décision relativement à la signification exacte de la phrase « ordonne un nouveau procès à l’égard d’une accusation » figurant à l’alinéa 238(1)b) de la Loi sur la défense nationale, il est évident que l’article 165.193 de la Loi sur la défense nationale ne peut s’appliquer dans ce contexte.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[65]         REJETTE la demande du requérant concernant le mode de procès;

[66]         DÉCLARE que la Cour martiale permanente a compétence pour donner suite au chef d’accusation qui figure dans l’acte d’accusation;

[67]         TIENT le procès relativement à ce chef d’accusation.


Avocats :

Le Directeur des poursuites militaires, représenté par le major J.E. Carrier.

M. T. Brown, Greenspon, Brown et associés, avocat du capitaine J.R.N.J. Thibeault.

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