Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 3 septembre 2015.

Endroit : BFC Petawawa, édifice L-106, 48 terrain de parade Nicklin, Petawawa (ON).

Chef d’accusation :

• Chef d’accusation 1 : Art. 86 LDN, s’est battu avec une personne justiciable du code de discipline militaire.

Résultats :

• VERDICT : Chef d’accusation 1 : Coupable.
• SENTENCE : Détention pour une période de 25 jours.

Contenu de la décision

 

Référence : R. c. Perry, 2015 CM 3012

 

Date : 20150903

Dossier : 201518

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes de Petawawa

Petawawa (Ontario), Canada

 

Entre :

 

Sa majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal J.A. Perry, contrevenant

 

 

Devant : Lieutenant‑colonel L.‑V. d’Auteuil, J.M.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

(Prononcés de vive voix)

Introduction

[1]               Corporal Perry, après avoir accepté et enregistré votre plaidoyer de culpabilité relativement au premier et seul chef d’accusation figurant à l’acte d’accusation, la Cour vous déclare aujourd’hui coupable de cette infraction.

[2]               Dans le contexte particulier des Forces armées canadiennes, le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline, qui est une dimension essentielle de l’activité militaire dans les Forces canadiennes. Ce système vise à prévenir toute inconduite ou, d’une façon plus positive, à promouvoir la bonne conduite. C’est grâce à la discipline que les forces armées s’assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès, en toute confiance et fiabilité. Le système assure également le maintien de l’ordre public et veille à ce que les personnes assujetties au Code de discipline militaire soient punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

[3]               En l’espèce, le procureur et l’avocat de la défense ont présenté une observation conjointe sur la sentence que doit imposer la Cour. Ils ont recommandé que la Cour vous condamne à de la détention pour une période de 25 jours. Bien que la Cour ne soit pas liée par cette recommandation conjointe, il est généralement reconnu que le juge qui prononce la sentence ne devrait s’écarter de la recommandation conjointe que lorsqu’il a des raisons impérieuses de le faire. Ces raisons peuvent notamment découler du fait que la sentence n’est pas adéquate, qu’elle est déraisonnable, qu’elle déconsidérerait l’administration de la justice ou qu’elle irait à l’encontre de l’intérêt public comme il est énoncé au paragraphe 21 de la décision de la Cour d’appel de la cour martiale R. c.  Taylor, 2008 CACM 1.

[4]               Le prononcé des sentences dans une Cour martiale a pour objectif essentiel de contribuer au respect de la loi et au maintien de la discipline et, d’un point de vue plus général, d’une société juste, paisible et sûre. Toutefois, le droit ne permet pas à un tribunal militaire d’imposer une sentence plus sévère que ne le requièrent les circonstances. Autrement dit, toute sentence infligée par un tribunal doit être adaptée au contrevenant et représenter l’intervention minimale requise puisque la modération est le principe fondamental de la théorie moderne de la détermination de la sentence au Canada.

[5]               L’objectif fondamental de la détermination de la sentence par une cour martiale est d’assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline, comme je l’ai déjà mentionné, en infligeant des sentences visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

a)                  protéger le public, y compris les Forces canadiennes;

b)                  dénoncer le comportement illégal;

c)                  dissuader le contrevenant, et quiconque, de commettre les mêmes infractions;

d)                 isoler, au besoin, les contrevenants du reste de la société;

e)                  réadapter et réformer les contrevenants.

[6]               Lorsqu’il détermine la sentence à infliger, le tribunal militaire doit également tenir compte des principes suivants :

a)                  la sentence doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction;

b)                  la sentence doit tenir compte de la responsabilité du contrevenant et des antécédents de celui-ci;

c)                  la sentence doit être semblable à celles infligées à des contrevenants ayant une situation semblable et ayant commis des infractions semblables dans des circonstances semblables;

d)                 le cas échéant, le contrevenant ne doit pas être privé de liberté si une sentence moins contraignante peut être justifiée dans les circonstances. En bref, la Cour ne devrait avoir recours à une sentence d’emprisonnement ou de détention qu’en dernier ressort comme l’ont établi la Cour d’appel de la cour martiale et la Cour suprême du Canada;

e)                  enfin, toute sentence devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction et à la situation du contrevenant.

[7]               Je conclus que, dans les circonstances de l’espèce, la sentence doit surtout viser les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale.

[8]               Les facteurs dans la présente affaire sont les suivants :

a)                  Dans la soirée du 9 décembre 2013, après le dîner de Noël du 2e RGC (Régiment du Génie de combat), le caporal Perry et le caporal Harwood se trouvaient au bâtiment de logements du 2e RGC (P101) à la Base des Forces canadiennes de Petawawa. Ils avaient tous les deux consommé de l’alcool.

b)                  À un moment donné, au cours de la soirée, une bagarre entre d’autres individus non identifiés a éclaté au premier étage. Les caporaux Perry et Harwood ont été impliqués d’une façon ou d’une autre dans l’incident. Cependant, bien que les caporaux Perry et Harwood aient eu un contact physique l’un avec l’autre, la nature exacte de leurs actes respectifs, dans cet événement, demeure floue. Ils soutiennent tous les deux qu’ils tentaient de mettre fin à la bagarre.

c)                  Après que toutes les parties ayant pris part à l’altercation ont été séparées, le caporal Harwood est monté au deuxième étage. Peu après l’incident, le caporal Perry s’est dirigé vers le caporal Harwood et lui a porté un coup directement au visage; ce dernier a été projeté par terre et s’est cogné la tête. Le caporal Perry a quitté immédiatement les lieux.

d)                 Les caporaux Anderson et Ross, qui étaient présents, ont prodigué les premiers soins au caporal Hardwood et ont composé le 911. Une ambulance a été envoyée et ce dernier a été transporté à l’hôpital de Pembroke.

e)                  Le caporal Harwood a subi des blessures résultant directement du coup qu’il a reçu au visage, notamment :

(i)                 des lacérations à la lèvre supérieure et une enflure de celle‑ci ont nécessité quatre points de suture;

(ii)               une coupure à l’arrière de la tête de deux centimètres de longueur.

f)                   Les blessures causées à la lèvre supérieure du caporal Harwood ont nécessité une reprise cicatricielle comprenant une chirurgie qui a eu lieu le 9 mars 2015. La plaie a été réexaminée le 20 avril 2015 et le processus de guérison évolue favorablement.

g)                  Le caporal Perry avait été informé que la police militaire était à sa recherche; il s’est présenté au détachement de la police militaire, le matin du 10 décembre 2013, le lendemain de l’incident. Le caporal Perry a été arrêté par la police militaire le même jour, pendant la matinée. Il a ensuite été mis en liberté sous condition par l’officier réviseur. Il a été depuis assujetti aux conditions suivantes :

(i)                 doit demeurer sous autorité militaire;

(ii)               doit s’abstenir de communiquer avec le caporal Harwood;

(iii)             ne doit pas troubler l’ordre public et doit avoir une bonne conduite;

(iv)             doit s’abstenir de consommer et de posséder de l’alcool.

h)                  Le 27 octobre 2014, le commandant du 2e RGC a placé le caporal Perry en mise en garde et surveillance (MG et S) pour ce même incident. Ce dernier a terminé avec succès la période de MG et S qui a pris fin le 27 avril 2015.

[9]               Pour en arriver à ce qu’elle croit être une sentence juste et appropriée, la Cour a tenu compte des facteurs atténuants et aggravants énoncés ci-dessous.

[10]           Comme facteurs aggravants, la Cour tient compte des éléments suivants :

a.                   La gravité objective de l’infraction. Vous avez été accusé, conformément à l’article 86 de la Loi sur la défense nationale. Ce type d’infraction est passible d’un emprisonnement de moins de deux ans.

b.                  Quant à la gravité subjective de l’infraction, la Cour tient compte de quatre éléments :

(i)                 Le manque de respect évident dont vous avez fait montre, par votre comportement, à l’égard de l’un de vos pairs. En outre, je crois, comme l’a mentionné votre avocat, que sans la consommation d’alcool en cause dans cet incident, une telle chose ne se serait pas produite. Donc, vous devez comprendre et je crois que vous comprenez que la résolution d’un problème de cette manière démontre clairement un manque de respect envers les autres. Aux yeux de tout militaire, peu importe son grade et sa fonction, à tout le moins c’est l’un des aspects les plus importants à prendre en considération, le fait que vous ayez fait preuve d’un manque de respect.

(ii)               Il y a le fait qu’il s’agissait d’une activité militaire sociale, à laquelle participaient de nombreux autres militaires dont un grand nombre de vos pairs, qui a eu lieu dans un établissement militaire. Un élément du leadership, c’est le fait d’être en mesure de contrôler son comportement et d’être un exemple, peu importe son grade. De plus, vous êtes aujourd’hui un caporal d’expérience et vous l’étiez aussi au moment de l’incident, de sorte que vous saviez que ce vous faisiez n’était pas un bon exemple à donner aux autres à bien des égards et je dois en tenir compte.

(iii)             À mon avis, les faits de l’espèce révèlent l’existence d’une préméditation, dans la mesure où une première altercation a eu lieu sans que vous y preniez part. Vous avez été mis dans une situation où une forme de violence était exercée, mais dans laquelle vous n’étiez pas impliqué et ensuite les choses se sont calmées et vous êtes retourné sur les lieux et puis, sans préavis, vous avez frappé quelqu’un. Il en ressort que vous avez réfléchi, d’une manière ou d’une autre, aux gestes que vous avez posés. Ce n’est donc pas seulement sur un coup de tête que l’incident s’est produit. Certaines choses se sont passées avant que vous vous accordiez du temps pour réfléchir à ce que vous avez fait.

(iv)             L’un des facteurs les plus aggravants, comme l’a signalé la poursuite, c’est le degré de violence en cause au cours de l’incident, comme l’indiquent les conséquences sur le caporal Harwood, la victime en l’espèce. Il s’agit d’un seul coup de poing, mais quel coup de poing! Vous l’avez assommé, manifestement, et il a perdu connaissance pendant un moment et il s’est cogné la tête. Les conséquences auraient pu être plus graves qu’elles ne l’ont été. Je comprends très bien que vous n’aviez pas l’intention de lui faire du mal ou de le blesser de cette façon, mais vous devez vous rappeler que le fait d’agir ainsi peut entraîner d’autres conséquences involontaires de votre part et que c’était violent, il s’agit donc d’un facteur aggravant que je dois prendre en considération.

[11]           Il y a des facteurs atténuants auxquels je dois réfléchir :

a)                  De toute évidence, il y a votre plaidoyer de culpabilité. Comme je l’ai mentionné plus tôt, c’est votre première occasion de faire valoir votre position à la Cour. Par le truchement de votre plaidoyer de culpabilité, vous m’avez dit que vous assumiez l’entière responsabilité de ce que vous avez fait. Je dois considérer qu’il s’agit d’un facteur atténuant.

b)                  Je dois aussi retenir votre coopération. Vous vous êtes présenté à la police lorsque vous avez entendu dire que celle-ci vous recherchait. Ainsi, vous ne vous êtes pas caché, vous ne vous êtes pas enfui, vous n’avez pas essayé d’aller ailleurs et vous avez fait face aux conséquences. Ce comportement doit également figurer parmi les facteurs atténuants.

c)                  Il y a eu aussi la période de mise en garde et de surveillance à propos de cet incident. Il s’agit d’une mesure administrative et non d’une mesure punitive; à mon avis, voilà une façon de dissuader les gens et de transmettre un message. Il s’agit là d’un moyen qu’utilise un commandant pour indiquer que cette personne est sous une forme quelconque de probation de manière à ce qu’elle puisse rectifier son comportement. C’est ce que vous avez fait et un message a été transmis à tout le monde, à savoir qu’un tel comportement ne sera pas toléré par votre commandant. De toute évidence, il a dit aux gens que, lorsqu’une pareille infraction est commise, il y a des conséquences administratives qui peuvent dissuader certaines personnes, et je dois prendre cela en considération.

d)                 Je dois tenir compte du fait que vous avez respecté vos conditions après avoir été remis en liberté. Ainsi, depuis un an et demi, soit depuis dix‑huit mois, vous avez respecté toutes les conditions. Je dois également en tenir compte. Cela met en évidence le fait que vous assumez vos responsabilités et que vous avez voulu montrer que vous pouvez observer une bonne conduite dans les circonstances.

e)                  Sans avoir entendu votre témoignage ou obtenu des éléments de preuve au sujet de votre rendement dans le contexte militaire, je crois comprendre que le fait que vous ayez respecté les conditions et ayez suivi avec succès le processus de mise en garde et de probation illustre bien que ce n’est probablement pas votre comportement habituel. Qui plus est, comme l’a mentionné votre avocat, la consommation d’alcool était en cause et, manifestement, vous n’êtes pas habitué de vous comporter de cette façon pour résoudre vos problèmes, et j’en tiens compte également.

[12]           Maintenant, en ce qui concerne la sentence proposée, votre avocat et le procureur recommandent une sentence de détention. Il s’agit d’incarcération et l’incarcération devrait être une sanction de dernier recours seulement. Il n’y a rien d’inférieur à cela qui pourrait être considéré par le tribunal comme une sentence appropriée. Vous m’avez entendu avoir quelques difficultés avec la recommandation concernant le contexte de l’infraction et ce qui s’est passé jusqu’à ce jour au cours des 18 derniers mois. Même si cela me semble un peu sévère, je ne vois rien de déraisonnable dans cette recommandation faite par les deux avocats dans le cadre d’une négociation de plaidoyer, comme l’a présenté votre avocat. Je comprends que votre plaidoyer et la recommandation résultent clairement de discussions qui ont lieu entre les avocats et des faits de l’espèce; lorsque j’examine l’infraction pour laquelle vous avez plaidé coupable, il me semble que cette sentence est très élevée dans l’échelle des sentences pour ce type d’infraction. Toutefois, compte tenu du contexte, compte tenu également du fait que vous êtes représenté par un avocat ayant de l’expérience et que le procureur porte attention aux circonstances de l’infraction et au fait qu’elle a abouti au type d’infraction présenté au tribunal, je ne vois aucune raison impérieuse de ne pas tenir compte de cette recommandation.

[13]           Je veux souligner et préciser clairement que si j’accepte la recommandation présentée par les avocats, cela n’indique nullement que ce genre d’infraction commande chaque fois une sentence d’incarcération. Chaque cas est différent. Le fait de prononcer une sentence, comme l’a précisé la Cour suprême du Canada dans des décisions, est un processus individualisé. Je comprends et je respecte ce qui m’est recommandé, et je comprends le contexte de la recommandation; par conséquent, je ne considère pas la sentence d’incarcération comme une sentence inappropriée dans les circonstances.

[14]           Il m’a été recommandé, en ce qui concerne le type d’incarcération, de vous condamner à une sentence de détention. La détention vise à réhabiliter les détenus militaires et à leur redonner l’habitude d’obéir dans un cadre militaire structuré en fonction des valeurs et des compétences propres aux membres des Forces canadiennes. Le respect est l’une de ces valeurs et la détention, à mon avis, permettrait d’atteindre cet objectif.

[15]           Le nombre de jours recommandé me préoccupe aussi, mais lorsque je prête attention au contexte de ces discussions et à ce qui m’a été soumis par les avocats, j’estime que le nombre demeure raisonnable dans les circonstances, parce que la période de détention maximale qui peut être imposée est de 90 jours, par conséquent, une période de 25 jours est raisonnable.

[16]           Il ne m’a pas été recommandé de suspendre la sentence, aussi, je n’en tiendrai pas compte et aucun facteur ne m’a été présenté qui permettrait de penser qu’il serait judicieux de le faire. Je ne dispose d’aucun élément de preuve.

[17]           J’accepterai donc la recommandation conjointe présentée par les avocats qui vous condamne à 25 jours de détention, étant donné que cette sentence n’est pas contraire à l’intérêt public et qu’elle ne risque pas d’entraîner une déconsidération de l’administration de la justice.

[18]           Je crois comprendre aussi, caporal Perry, que vous avez tiré une leçon de cet incident et que vous mettrez à profit votre sentence pour tourner la page. Vous bénéficierez encore de 25 jours pour réfléchir à ce qui s’est passé, pendant votre séjour en détention, mais également, vous prendrez le temps de réfléchir à votre engagement au sein des Forces canadiennes. Il est toujours possible de transformer une épreuve en quelque chose de positif. Je ne connais pas vos antécédents, mais vous voulez peut‑être devenir un leader au sein des Forces canadiennes. Je crois que vous l’avez appris durement, mais cette épreuve peut vous être profitable. Vous ne voulez pas que d’autres personnes, d’autres soldats, se comportent de cette manière. Il existe des moyens pour l’éviter : la maîtrise de soi en est un, ainsi que la gestion de la colère. Ce n’est pas une bonne stratégie de se bagarrer pour régler ses comptes et c’est la raison pour laquelle le Code de discipline militaire a créé une infraction pour ce genre de comportement.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[19]           DÉCLARE le corporal Perry coupable du premier et seul chef d’accusation figurant à l’acte d’accusation parce qu’il s’est battu avec un autre justiciable du Code de discipline militaire, en violation de l’article 86 de la Loi sur la défense nationale.

[20]           CONDAMNE le caporal Perry à une période de détention de 25 jours.

 

Avocats :

Le Directeur des Poursuites militaires, représenté par  le capitaine de frégate P. Killaby

Capitaine de corvette B. Walden, Direction du Service d’avocats de la défense, avocat du caporal Perry

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