Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 8 octobre 2015

Endroit : BFC Valcartier, l’Académie, édifice 534, Courcelette (QC).

Chefs d’accusation :

• Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).
• Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
• Chef d’accusation 3 (subsidiaire au chef d’accusation 4) : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).
• Chef d’accusation 4 (subsidiaire au chef d’accusation 3) : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats :

• VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 3 : Une suspension d’instance. Chefs d’accusation 2, 4 : Coupable.
• SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 2000$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Bernier, 2015 CM 3015

 

Date : 20151014

Dossier : 201558

 

Cour martiale permanente

 

Base de soutien de la 2e Division du Canada Valcartier

Valcartier (Québec) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Lieutenant-colonel M.C. Bernier, contrevenant

 

 

En présence du : Lieutenant-colonel L.-V. d'Auteuil, J.M.


 

Restriction à la publication : Par ordonnance de la cour rendue en vertu de l'article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l'article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser, de quelque façon que ce soit, tout renseignement permettant d'établir l'identité des personnes décrites dans le présent jugement comme étant les plaignantes.

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

[1]               Lieutenant-colonel Bernier, la cour accepte et enregistre votre plaidoyer de culpabilité relativement aux deuxième et quatrième chefs d'accusation figurant à l'acte d'accusation et, par le fait même, vous déclare coupable aujourd'hui de ces deux infractions. Quant aux premier et troisième chefs d'accusation pour lesquels vous avez plaidé non coupable, considérant qu’ils sont subsidiaires aux deux autres chefs d’accusation, la cour ordonne une suspension d’instance.

 

[2]               Maintenant, il m'incombe à titre de juge militaire présidant la présente cour martiale de déterminer la peine à être infligée au lieutenant-colonel Bernier.

 

[3]               Le système de justice militaire constitue l'ultime recours pour faire respecter la discipline qui est une dimension essentielle de l'activité militaire dans les Forces canadiennes. Ce système a pour but de prévenir toute inconduite ou d'une façon plus positive, de veiller à promouvoir la bonne conduite. C'est au moyen de la discipline que les forces armées s'assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès, en toute confiance et fiabilité. Le système de justice militaire veille également au maintien de l'ordre public et s’assure que les personnes assujetties au Code de discipline militaire sont punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

 

[4]               Dans l'arrêt R. c. Généreux, [1992] 1 RCS 259, à la page 293, la Cour suprême du Canada a affirmé ce qui suit :

 

Pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace.

 

[5]               Il est important de rappeler que le droit ne permet pas à un tribunal militaire d'imposer une sentence qui se situerait au-delà de ce qui est requis dans les circonstances de l'affaire. En d'autres mots, toute peine infligée par le tribunal doit être individualisée et représenter l'intervention minimale requise puisque la modération est le principe fondamental des théories modernes de la détermination de la peine au Canada.

 

[6]               Le procureur de la poursuite a suggéré à cette cour d’imposer au contrevenant une peine de rétrogradation. De son côté, l’avocat de la défense a suggéré qu’une peine comportant une réprimande et une amende de deux mille dollars rencontrerait les fins de la justice.

 

[7]               L'objectif fondamental de la détermination de la peine par une cour martiale est d'assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline par l'infliction de peines visant un ou plusieurs objectifs :

 

a)                  protéger le public, y compris les Forces canadiennes;

 

b)                  dénoncer le comportement illégal;

 

c)                  dissuader le contrevenant et quiconque de commettre les mêmes infractions;

 

d)                  isoler, au besoin, les contrevenants du reste de la société; et

 

e)                  réadapter et réformer les contrevenants.

 

[8]               Les peines infligées qui composent la sentence imposée par un tribunal militaire doivent également prendre en compte les principes suivants :

 

a)                  la proportionnalité par rapport à la gravité de l'infraction;

 

b)                  la responsabilité du contrevenant et les antécédents de celui-ci;

 

c)                  l'harmonisation des peines, c'est-à-dire l'infliction de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances similaires;

 

d)                  le cas échéant, le contrevenant ne doit pas être privé de liberté si une peine moins contraignante peut être justifiée dans les circonstances. En bref, la cour ne devrait avoir recours à une peine d'emprisonnement ou de détention qu'en dernier ressort, comme l'ont établi dans leurs décisions la Cour d'appel de la cour martiale du Canada et la Cour suprême du Canada; et

 

e)                  enfin, toute peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration des infractions et à la situation du contrevenant.

 

[9]               Je conclus que dans les circonstances particulières de l'espèce, la peine doit viser surtout les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale. Il faut se rappeler que la dissuasion générale ne vise pas seulement le contrevenant mais aussi tout autre militaire qui serait tenté de commettre des infractions similaires ou semblables et de décourager ces gens de les commettre.

 

[10]           Le lieutenant-colonel Bernier s’est enrôlé dans les Forces canadiennes en 1988. Cet officier de l’élément blindé a été déployé dans le cadre de la crise d’Oka, à Chypre et à quatre reprises en Bosnie. Il a obtenu un baccalauréat en administration des affaires en 2008, suivi d’une maîtrise en études de la défense en 2009 du Collège militaire royal du Canada. En 2012, il a été de nouveau déployé à Kabul en Afghanistan. C’est en juillet 2013 que lui a été confié le commandement du Centre d’instruction de la 2e Division canadienne. Il est marié et il a quatre enfants.

 

[11]           Les faits de cette cause se sont déroulés dans la nuit du 18 au 19 octobre 2014, à l’occasion d’une soirée commémorative pour souligner les 100 ans du Royal 22e Régiment. Cette soirée se tenait au Centre des Congrès de Québec, situé au 1000, boulevard René-Lévesque Est, dans la ville de Québec, province de Québec. Les convives étaient vêtues en tenue civile. À ce moment, le lieutenant-colonel Bernier commandait le Centre d’instruction de la 2e Division du Canada.

 

[12]           Les plaignantes étaient également membres de la force régulière des Forces canadiennes, l’une comme officier et l’autre comme sous-officier. Elles étaient alors toutes deux employées au Centre d’instruction de la 2e Division du Canada et le lieutenant-colonel Bernier le savait.

 

[13]           Les deux plaignantes sont des amies. Elles sont venues à la soirée accompagnées de leurs conjoints respectifs, lesquels sont également membres des Forces canadiennes. Durant la soirée, après le repas, celle qui est un officier a croisé le lieutenant-colonel Bernier et elle lui a demandé s’il passait une belle soirée. Elle lui a ensuite fait part de son désir de demeurer au Centre d’instruction de la 2e Division, si toutefois il y avait des positions de disponibles.

 

[14]           Vers minuit, les deux plaignantes et le conjoint de l’une d’elles étaient ensemble sur la piste de danse. Le lieutenant-colonel Bernier est venu les rejoindre. Il a dansé avec celle qui était un officier en la prenant par la main et en la faisant tourner. Elle a ressenti un certain malaise, mais elle a remercié le lieutenant-colonel Bernier en lui disant que c’était assez pour elle.

 

[15]           Le lieutenant-colonel Bernier a également dansé avec l’autre plaignante en la faisant tourner de la même manière. Il la tenait par la main et la touchait au niveau de la taille. Cette dernière trouvait alors que le lieutenant-colonel Bernier était entreprenant, « taponneux », et que cela créait un malaise.

 

[16]           Peu de temps après, le conjoint de cette dernière a pris les plaignantes par les épaules alors que le lieutenant-colonel Bernier les tenait par la taille. L’une se trouvait à la gauche du lieutenant-colonel Bernier et l’autre à sa droite. Les quatre convives ont alors continué de danser ensemble.

 

[17]           La plaignante, un sous-officier, a rapporté que le lieutenant-colonel Bernier n’a pas laissé sa main sur sa taille, mais qu’il lui a « pogné une fesse, solide ». Il lui a touché la fesse gauche avec la paume de sa main gauche et elle a affirmé qu’il ne s’agissait pas d’une erreur ou de quelqu’un qui accroche une autre personne. Lors de ce geste, le lieutenant-colonel Bernier n’a fait aucun commentaire. La plaignante a figé et elle ne se sentait pas bien car elle venait de se faire « pogner les fesses » par son commandant, en présence de son conjoint, qui lui n’avait rien vu.

 

[18]           Alors qu’ils dansaient tous les quatre ensemble, l’autre plaignante a aussi senti le lieutenant-colonel Bernier lui toucher la fesse gauche. Elle s’est alors reculée et a cru qu’il était possible qu’en dansant, il l’ait accrochée par accident. Moins de deux minutes plus tard le lieutenant-colonel Bernier lui a touché à nouveau la fesse gauche. Cette fois, elle savait qu’il ne s’agissait pas d’une erreur puisque la main du lieutenant-colonel Bernier avait fait un mouvement du haut vers le bas et l’avait agrippée dans le bas de la fesse. Elle s’est alors reculée de nouveau et s’est demandée quoi faire.

 

[19]           La plaignante a donc quitté le contrevenant. Elle a été rejointe peu de temps après par l’autre plaignante et amie. Elles ont toutes deux discuté et chacune a indiqué à l’autre qu’elle venait de se faire toucher les fesses par le lieutenant-colonel Bernier. Elles ont rapporté ce qui s’était passé à leur conjoint respectif. Plus tard, elles en ont également discuté avec le capitaine Roy, un organisateur de la soirée.

 

[20]           L’un des conjoints de l’une des plaignantes a approché le lieutenant-colonel Bernier pour lui indiquer qu’il était de la même unité, que le comportement qu’il avait eu envers sa conjointe était inacceptable et que cela n’en resterait pas là. Le lieutenant-colonel Bernier a nié avoir fait quoi que ce soit.

 

[21]           Deux jours plus tard, l’une des plaignantes a rencontré son officier supérieur pour lui parler de ce qui s’était produit afin que cela n’arrive plus jamais. Une rencontre a été organisée avec le lieutenant-colonel Bernier qui s’est excusé pour son comportement inacceptable.

 

[22]           À la fin de cette même journée, le lieutenant-colonel Bernier a pu enfin parler avec son supérieur le brigadier-général Lafaut pour l’informer de ce qui se passait, des démarches effectuées et des mesures envisagées pour lui permettre de continuer à exercer son commandement. Son supérieur lui a indiqué de se retirer pendant que le processus d’enquête était initié afin de faire la lumière sur la situation.

 

[23]           Une enquête informelle d’unité a été initiée, suivie d’une enquête formelle de la part du Service national des enquêtes. Pendant ce temps, le lieutenant-colonel Bernier s’est vu retirer son commandement en raison de l’existence d’un bris de confiance en ses capacités à commander l’unité et il a été assigné à un autre poste à Ottawa qu’il occupe toujours.

 

[24]           Des accusations ont été portées au mois de mars 2015 et la cour martiale a été convoquée le 22 septembre 2015 pour se rassembler le 8 octobre 2015.

 

[25]           Pour en arriver à ce qu'elle croit être une peine juste et appropriée, la cour a tenu compte des circonstances aggravantes et atténuantes étayées par les faits présentées devant cette cour à travers divers documents et témoignages.

 

[26]           En ce qui concerne les facteurs aggravants, la cour retient les aspects suivants :

 

a)                   D'abord, la gravité objective des infractions. Vous avez été trouvé coupable de deux infractions d'ordre militaire aux termes de l'article 129 de la Loi sur la défense nationale et qui est passible d'une peine maximale de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté ou d’une peine moindre.

 

b)                  La cour prend en compte aussi de la gravité subjective des infractions et la cour a considéré quatre éléments:

 

                                                 i.                    Premièrement, il y a le respect. Vous avez enfreint l’un des principes et comportements attendus de la part de tous les militaires, soit de traiter toute personne avec respect et équité en leur assurant un milieu de travail exempt de harcèlement. Le respect de l’intégrité et de la dignité de la personne est aussi une valeur fondamentale qui est reconnue dans notre constitution. Autant à titre de commandant, de collègue militaire que de citoyen, vous avez momentanément failli à ce principe.

 

                                               ii.                    Deuxièmement, le commandement. Vous avez reçu le privilège et l’autorité de diriger, coordonner et contrôler d’autres militaires au sein d’une unité des Forces canadiennes. En raison de votre fonction, de votre grade et surtout de votre expérience, les attentes étaient très élevées à votre égard. Alors que vous avez rappelé par écrit, un mois avant l’incident qui vous a mené devant cette cour, à tous les membres de votre unité, l’ensemble des politiques applicables, incluant celle relative au harcèlement, vous avez vous-même enfreint en un seul instant cette même politique. Il vous appartenait de faire preuve de jugement et de modération quant à votre consommation d’alcool ce soir-là, et malgré votre fonction et votre expérience, vous ne l’avez pas fait, ce qui vous a conduit à commettre une deuxième erreur, beaucoup plus grave cette fois-là.

 

                                              iii.                    Troisièmement, l’abus d’autorité. Rien n’indique dans la preuve que c’est en raison de votre fonction, que vous avez décidé d’outrepasser les règles lors de la commission des infractions. Par contre, vous saviez pertinemment qu’il existait un lien hiérarchique entre vous et les victimes et vous n’en avez fait aucun cas. Un supérieur qui agit ainsi à l’égard de ses subordonnées ignore tout simplement le respect et l’estime qui doivent exister entre deux personnes de grades différents.

 

                                             iv.                    Finalement, les conséquences de votre geste sur les victimes. En raison du contexte, les gestes que vous avez posés ont eu l’effet de rabaisser, d’humilier et d’embarrasser les deux jeunes femmes qui ont été l’objet de votre comportement. Au surplus, leur milieu de travail n’a pas été un endroit de tout repos. Disons qu’elles vivent maintenant un peu dans l’incertitude et qu’elles ont des inquiétudes, autant en ce qui a trait à leur avenir et à leur milieu de travail, ce dont elles se seraient bien passées, et tout cela en raison de vos actions.

 

[27]           Il y a aussi des facteurs atténuants dont j'ai tenu compte :

 

a)                   Il y a votre plaidoyer de culpabilité. Votre plaidoyer de culpabilité ici représente pour la cour un signe clair et authentique de remords témoignant de votre désir sincère de demeurer un atout pour les Forces canadiennes et pour la société canadienne. Cela représente aussi pour la cour le fait que vous prenez l'entière responsabilité des gestes que vous avez posés dans les circonstances, et cela, la cour doit en prendre compte, d’autant plus que vous avez reconnu vos torts et exprimé vos regrets et excuses plus d’une fois depuis l’incident.

 

b)                  Il y a aussi la publicité qui a été donnée à l'affaire. Vous avez dû vous présenter devant la cour. L’audience relativement aux accusations a été annoncée à l'avance, elle est publique et elle s'est déroulée en présence de certains de vos pairs, de vos supérieurs et de certains médias. L’opprobre qui découle d’une telle situation est en lien jusqu’à un certain point avec le principe de dissuasion générale retenue par cette cour.

 

c)                   Votre performance au travail et votre carrière militaire. Il est clair que vous avez démontré un rendement exceptionnel et que vos connaissances et habiletés personnelles font de vous une personne qui pourrait continuer à contribuer de manière importante au succès de diverses missions au sein des Forces canadiennes. Votre intelligence et vos talents de négociateur ont déjà été mis à profit, et il semble que tous sont satisfaits de votre comportement et sont encore en mesure de vous faire confiance.

           

d)                  Le fait qu’il s’agit d’un incident isolé et qui ne représente pas ce que vous êtes. De nombreuses personnes ont témoigné devant la cour ou à travers les documents qui lui ont été soumis que le comportement que vous avez eu n’est pas représentatif des valeurs qui vous habitent et de ce que vous avez démontré dans le passé. Je crois qu’il existe une preuve suffisante pour supporter une telle affirmation. Vous êtes une personne qui avez fait preuve habituellement de respect et d’une grande éthique. L’incident n’est pas le reflet de l’officier et de l’individu que vous présentez habituellement en société et il est clair que vous avez fait preuve d’un écart de jugement inhabituel mais important.

 

e)                   Je dois aussi considérer le fait que vous n'avez aucun casier judiciaire ou d'annotation à votre fiche de conduite révélant la commission d'infractions de même nature ou similaire. Par contre, je prends en compte l’annotation sur votre fiche de conduite quant à l’attribution d’une mention élogieuse du Chef d’état-major de la défense soulignant votre professionnalisme en matière de planification et d’exécution dans le cadre de diverses opérations.

 

f)                    Finalement, il ne faut pas oublier que par votre condamnation, vous aurez un casier judiciaire. Votre fiche de conduite sera annotée en conséquence.

 

[28]           La rétrogradation et le blâme sont tous deux des peines exprimant une perte de confiance envers un contrevenant. Cependant, en raison des conséquences qui y sont rattachées, la rétrogradation exprime évidemment une plus grande perte de confiance et aussi un espoir beaucoup moins élevé dans la capacité du contrevenant à occuper à nouveau un poste de supervision quelconque.

 

[29]           Dans le cas qui nous occupe, la preuve démontre que les chances sont très minces que le lieutenant-colonel Bernier occupe à nouveau une position de commandement. Par contre, il est clair aussi qu’il a conservé la confiance de la chaîne de commandement en sa capacité d’agir à titre de superviseur malgré sa grave erreur de jugement. Il a reconnu d’emblée ses torts dans cette affaire et il semble bien avoir retenu la leçon. Il a occupé un poste où il supervise quelques subordonnés et il a su garder la confiance de ces derniers et de ses supérieurs quant à sa capacité à diriger d’autres militaires dans des fonctions autres que celle de commandant d’une unité. Dans ces circonstances, la peine de rétrogradation constituerait quelque chose de trop sévère et de disproportionné à mon avis en ce qui a trait à la gravité de l’infraction et la responsabilité du contrevenant dans cette affaire.

 

[30]           Je suis en désaccord avec le procureur de la poursuite à l’effet que cet incident se situe à un niveau élevé en termes de gravité en raison de la seule nature de l’infraction. Ce geste très choquant et totalement inapproprié a été de très courte durée et n’a pas été répété. Loin d’être anodin, il n’en demeure pas moins qu’il se situe dans le bas de l’échelle de gravité. C’est plutôt en raison des attentes très élevées envers le contrevenant que le geste commis à l’égard des deux victimes apparaît sérieux.

 

[31]           Concernant la jurisprudence, il appert qu’objectivement, ce qui a été soumis par la poursuite ne constitue pas une infraction similaire à celle pour laquelle le contrevenant a plaidé coupable. L’agression sexuelle et le comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline sont des infractions de nature différente et qui comportent des sanctions maximales différentes. L’analyse des circonstances quant aux gestes commis dans le contexte de l’une ou l’autre de ces infractions emportera évidemment des conclusions différentes. En conséquence, la pertinence de ces décisions est peu élevée dans les circonstances du présent cas.

 

[32]           Le blâme apparaît comme une sentence appropriée dans les circonstances car en même temps qu’il exprime la perte de confiance envers le contrevenant, il manifeste aussi le fait qu’il y a place à ce que ce dernier puisse démontrer qu’il peut en être digne de nouveau jusqu’à un certain point.

 

[33]           Je crois aussi que cette peine doit être combinée à une amende, telle que suggérée par l’avocat de la défense et un montant de 2 000 dollars m’apparaît comme étant juste dans les circonstances de cette affaire.

 

[34]           Une peine juste et équitable doit tenir compte de la gravité de l'infraction et de la responsabilité du contrevenant dans le contexte précis de l'espèce. De l'avis de la cour, l’imposition d’un blâme et d’une amende de 2 000 dollars constitue une peine minimale appropriée et adaptée aux infractions.

 

[35]           Quant aux deux victimes dans cette affaire, il est bon de rappeler qu’elles n’ont pas demandé de se retrouver dans une telle situation. Elles ont eu le courage de dénoncer le geste totalement inapproprié qui a été commis à leur égard. Cependant, la cour demeure préoccupée quant aux conséquences qu’elles pourraient subir dans leur milieu de travail suite à une telle dénonciation, craintes qu’elles ont clairement exprimées dans le cadre de leur témoignage respectif. Rien ne peut être fait sur ce sujet dans le cadre d’une cour martiale mais j’invite l’environnement militaire à réfléchir aux actions qui pourraient être prises à leur égard afin de les assurer qu’aucune mesure ne sera prise dans leur milieu de travail ou concernant leur carrière en raison du courage qu’elles ont eu de dénoncer une telle situation impliquant leur propre commandant. Elles ont vu au respect du code d’éthique qui les guide en tant que militaire, il serait important que ce respect leur lui soit rendu.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[36]           DÉCLARE le lieutenant-colonel Bernier coupable du deuxième et quatrième chef d'accusation concernant une infraction punissable en vertu de l'article 129 de la Loi sur la défense nationale pour un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

 

[37]           ORDONNE une suspension d'instance sur le premier et le troisième chef d'accusation.

 

[38]           CONDAMNE le lieutenant-colonel Bernier à un blâme et une amende au montant de 2 000 dollars.


 

Avocats :

 

Le directeur des poursuites militaires, tel que représenté par major J.S.P. Doucet.

 

Le capitaine de corvette P.D. Desbiens, avocat de la défense pour le lieutenant-colonel Bernier.

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