Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 17 novembre 2008

Endroit : NCSM STAR, 650 rue Catharine, Hamilton (ON)

Chefs d'accusation
•Chefs d'accusation 1, 2, 3, 4 : Art. 130 LDN, exploitation sexuelle (art. 153(1)b) C. cr.).
•Chef d'accusation 5 (subsidiaire au chef d'accusation 6) : Art. 92 LDN, s'est conduit d'une manière scandaleuse et indigne d'un officier.
•Chef d'accusation 6 (subsidiaire au chef d'accusation 5) : Art. 93 LDN, comportement déshonorant.

Résultats
•Verdicts : Chefs d'accusation 1, 2, 3, 4, 5 : Non coupable. Chef d'accusation 6 : Coupable.
•SENTENCE : Destitution du service de Sa Majesté.

Contenu de la décision

Référence : R. c. Lieutenant de vaisseau R.E. Edwards, 2008 CM 2017

 

Dossier : 200846

 

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

ONTARIO

NAVIRE CANADIEN DE SA MAJESTÉ STAR

 

 

Date : le 21 novembre 2008

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, J.M.

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

LIEUTENANT DE VAISSEAU R.E. EDWARDS

(Accusé)

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Avertissement

 

Conformément aux articles 486.4 du Code criminel et 179 de la Loi sur la défense nationale, la cour a interdit la publication ou la diffusion de quelque façon que ce soit de tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité des témoins désignés par les initiales K.S., C.R., M.H., C.L. et W.S.

 

 

VERDICT

(Prononcé de vive voix)

 

 

[1]                                       Le lieutenant de vaisseau Edwards est accusé des six chefs d’accusation suivants portés aux termes de la Loi sur la défense nationale : quatre chefs d’accusation d’exploitation sexuelle, en contravention de l’alinéa 153(1)b) du Code criminel; un chef d’accusation de conduite scandaleuse et indigne d’un officier, en contravention de l’article 92 de la Loi sur la défense nationale et, enfin, un chef d’accusation d’avoir eu un comportement déshonorant, en contravention de l’article 93 de la Loi sur la défense nationale.

[2]                                       Les accusations découlent de la visite aux Pays-Bas d’un groupe de cadets de la marine, en juillet 2006, dans le cadre d’un échange international avec d’autres cadets des États‑Unis, du Royaume-Uni et des Pays-Bas.

[3]                                       L’accusé, le lieutenant de vaisseau Edwards, était l’officier accompagnateur du groupe de cinq cadets canadiens. Au cours de la deuxième semaine de leur séjour de deux semaines, les cadets de sexe masculin ont visité la zone désignée le « red-light district » (quartier réservé) d’Amsterdam, en compagnie de l’accusé et de l’officier accompagnateur britannique, le maître A.

[4]                                          D’après la preuve qui m’a été présentée, il est clair que, dans cette zone particulière d’Amsterdam, les prostituées sollicitent ouvertement des membres du public pour leur offrir des services sexuels. La poursuite avance qu’au cours de la visite, quatre cadets de sexe masculin ont été encouragés ou aidés par le lieutenant de vaisseau Edwards et le maître A. à se livrer à une activité sexuelle avec les prostituées du quartier réservé et que certains des cadets ont effectivement eu une relation sexuelle avec une prostituée à cette occasion.

[5]                                          La poursuite a pour théorie que l’accusé, tandis qu’il était en situation de confiance à l’égard des quatre cadets, et à des fins d’ordre sexuel, a invité, engagé ou incité les cadets à toucher le corps d’une autre personne, soit le corps de l’une des prostituées du quartier réservé, et que ce comportement, compte tenu des circonstances, représente un comportement scandaleux ou déshonorant de sa part.

[6]                                          La défense convient qu’un groupe de cadets de sexe masculin a visité le quartier réservé, mais est en désaccord avec la poursuite quant aux évènements qui se sont réellement produits au cours de cette visite et aux actes de l’accusé. L’accusé, dans son témoignage, a nié avoir encouragé ou facilité l’obtention de services sexuels de prostituées par les cadets et a déclaré ne pas avoir été au courant que certains cadets avaient retenu les services d’une prostituée.

[7]                                          En cour martiale, comme dans le cadre de toute poursuite criminelle devant un tribunal canadien, il incombe à la poursuite de prouver la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable. Dans un contexte juridique, il s’agit d’un terme technique dont la signification est reconnue. Si la preuve ne permet pas d’établir la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable, celui-ci ne doit pas être déclaré coupable de l’infraction. Le fardeau de la preuve incombe toujours à la poursuite et l’accusé n’a jamais le fardeau. L’accusé n’a pas à établir son innocence. De fait, l’accusé est présumé innocent à toutes les étapes de la poursuite, jusqu’à ce que la poursuite établisse hors de tout doute raisonnable, au moyen d’une preuve acceptée par le tribunal, la culpabilité de l’accusé.

[8]                                          Le doute raisonnable ne constitue pas une certitude absolue, mais la preuve qui ne mène qu’à conclure à la culpabilité probable n’est pas suffisante. La simple conviction qu’il est plus probable que l’accusé soit coupable que non coupable est insuffisante pour que la Cour rende un verdict de culpabilité hors de tout doute raisonnable; dans ce cas, l’accusé doit être acquitté. En effet, la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable se rapproche beaucoup plus de la certitude absolue que d’une norme de la culpabilité probable.

[9]                                          Cependant, le doute raisonnable n’est pas un doute futile ou imaginaire. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. C’est un doute fondé sur la raison et le sens commun découlant de la preuve ou de l’absence de preuve. La preuve hors de tout doute raisonnable s’applique à chacun des éléments de l’infraction reprochée. En d’autres termes, si la preuve ne permet pas de prouver chacun des éléments de l’infraction hors de tout doute raisonnable, l’accusé doit être acquitté.

[10]                                      La règle du doute raisonnable s’applique à la crédibilité des témoins dans une situation semblable à celle de la présente affaire, où la preuve révèle différentes versions des faits importants ayant une incidence directe sur les questions en litige. La formulation de conclusions de fait ne se résume pas à préférer la version d’un témoin à celle d’un autre. La Cour peut accepter la véracité de tout ce que dit un témoin, ou ne pas l’accepter du tout. Elle peut aussi accepter la véracité et l’exactitude d’une partie seulement du témoignage. Si la Cour accepte le témoignage d’un accusé sur les aspects les plus essentiels d’une affaire, ce dernier ne peut être déclaré coupable de l’accusation qui pèse contre lui. Cependant, même si ce témoignage n’est pas accepté, l’accusé doit être acquitté s’il subsiste un doute raisonnable. Et, même si la preuve de l’accusé ne soulève à son avis aucun doute raisonnable, la Cour doit quand même examiner toute la preuve dont elle admet la crédibilité et la fiabilité pour décider si la culpabilité de l’accusé est établie hors de tout doute raisonnable.

[11]                                      J’ai examiné le témoignage de chacun des quatre cadets qui ont comparu. Au moment de leur séjour aux Pays-Bas, ils avaient tous 15 ou 16 ans. Le cadet K.S. est un américain qui a eu 15 ans au mois de février, avant la visite. Il accompagnait sa mère, W.S., dans ce voyage aux Pays-Bas. Celle‑ci a déclaré être très active dans l’organisation des cadets aux États-Unis et elle accompagnait à cette occasion le groupe de cadets aux Pays-Bas.

[12]                                      Dans l’ensemble, j’ai été impressionné par la manière dont K.S. a témoigné. Il paraissait essayer réellement de dire à la Cour la vérité telle qu’il s’en souvenait, sans aucun embellissement ni aucune exagération. Il a volontairement admis son erreur quant aux faits mineurs, comme le fait de ne pas avoir mentionné le bon mois de la visite aux Pays-Bas à l’enquêteur, mais son témoignage au sujet des évènements qui se sont produits lors de la marche dans le quartier réservé n’a pas changé de façon importante au cours du contre-interrogatoire. Le témoignage de K.S. a été en grande partie confirmé par celui du cadet C.L. et des autres cadets.

[13]                                      J’accepte le témoignage de K.S., selon lequel il a entendu, le soir précédant la visite, le lieutenant de vaisseau Edwards parler aux cadets canadiens de sexe masculin d’une visite du quartier réservé et des prostituées et leur dire que, s’ils achetaient des services sexuels, il fermerait les yeux. Son témoignage sur ce point est confirmé par le cadet C.L. J’accepte son témoignage selon lequel, au cours de la marche dans le quartier, le lieutenant de vaisseau Edwards a dit à K.S. qu’il (K.S.) pouvait avoir une femme et être un vrai homme, le lieutenant Edwards a demandé à l’une des prostituées, en sa présence, le prix des services d’une prostituée et il a reçu de l’argent du lieutenant de vaisseau Edwards pour retenir les services d’une prostituée.

[14]                                      Je conclus, me fondant sur l’ensemble de la preuve, que le lieutenant de vaisseau Edwards savait, au moment où il a donné une petite somme d’argent en euros à K.S., que celui‑ci avait l’intention de retenir les services d’une prostituée. Il est vrai que K.S. a aussi été encouragé par son collègue cadet M.H. à retenir les services d’une prostituée, mais il ne fait aucun doute pour moi que l’accusé a également encouragé K.S. en l’exhortant à prouver sa virilité et en lui donnant sciemment de l’argent afin d’obtenir des services sexuels.

 

[15]                   J’accepte le témoignage de K.S. selon lequel il éprouvait des sentiments contradictoires au sujet de la question de savoir s’il devait avoir une relation sexuelle avec une prostituée. Ses convictions personnelles et son lien affectif avec une jeune femme militaient contre ce comportement, mais il ressentait ce qu’il a appelé la [traduction] « pression du groupe » de la part des autres cadets ainsi que du fait des encouragements du lieutenant de vaisseau Edwards et il a en fin de compte cédé à cette pression.

[16]                   Au cours de son contre-interrogatoire, il a été demandé au cadet américain de donner les détails de sa relation sexuelle avec la prostituée. Malgré l’objection du poursuivant, qui était fondée sur la pertinence, j’ai consenti à ce que la question soit posée au témoin. Le poursuivant a alors demandé un huis clos pour l’audience du témoignage sur ce point. Il a renvoyé la Cour à l’article 486 du Code criminel, affirmant que, dans l’intérêt de la bonne administration de la justice, il était nécessaire d’exclure le public de la salle d’audience pendant ce témoignage, étant donné, plus particulièrement, l’âge du témoin K.S. J’ai refusé la demande de huis clos et j’ai exposé les motifs de cette décision.

[17]                   Le paragraphe 180(2) de la Loi sur la défense nationale est ainsi rédigé :

(2) Lorsqu’elle le juge nécessaire soit dans l’intérêt de la sécurité publique, de la défense ou de la moralité publique, soit dans l’intérêt du maintien de l’ordre ou de la bonne administration de la justice militaire, soit pour éviter toute atteinte aux relations internationales, la cour martiale peut ordonner le huis clos total ou partiel.

[18]                   Le poursuivant soutient qu’en recourant à cette disposition, la Cour devrait s’appuyer sur l’article 486 du Code criminel, qui porte plus particulièrement sur les circonstances de la présente affaire, où le témoin est un adolescent et le chef d’accusation figure dans l’un des articles énumérés au paragraphe 486(3), soit l’exploitation sexuelle, en contravention de l’article 153.

[19]                   Je conviens avec le poursuivant que ces circonstances et d’autres facteurs devraient être pris en compte dans la décision de la Cour au sujet de cette demande, mais je ne suis pas convaincu que la bonne administration de la justice exige un huis clos. Le sérieux du témoin dont il s’agit ici m’a frappé; ce jeune homme était, au moment de son témoignage, à quelques mois seulement de son dix-huitième anniversaire. Outre la timidité à laquelle on peut normalement s’attendre dans les circonstances, je n’ai décelé aucune réticence de sa part à divulguer d’autres faits de nature privée ou intime au sujet desquels il a été interrogé par les deux avocats. Je ne voyais pas de menace à la bonne administration de la justice s’il n’y avait pas de huis clos et j’ai par conséquent rejeté la demande.

[20]                                      D’autres cadets ont confirmé dans leur témoignage s’être sentis poussés par les commentaires et les actes des deux officiers accompagnateurs, le lieutenant de vaisseau Edwards et le maître A., à avoir une relation sexuelle avec une prostituée, et certains cadets ont effectivement eu une relation de cet ordre. Le cadet C.L. a déclaré qu’il faisait partie du groupe canadien de l’échange, mais qu’il ne connaissait pas le lieutenant de vaisseau Edwards avant son voyage aux Pays-Bas. Il a confirmé que celui‑ci avait eu une conversation privée avec lui et le seul autre cadet canadien de sexe masculin au sujet d’une visite du quartier réservé. Il a affirmé que le lieutenant de vaisseau Edwards leur avait dit que, s’ils le désiraient, ils pouvaient avoir une relation sexuelle avec une prostituée et qu’il fermerait les yeux.

[21]                                      C.L. avait initialement pensé que le lieutenant de vaisseau Edwards ne faisait que plaisanter, mais le lendemain, après une visite de la maison d’Anne Frank, le lieutenant de vaisseau Edwards et le maître A. ont pris en charge tous les cadets de sexe masculin et les cadettes sont parties avec la mère de K.S. ou, peut-être, l’officier accompagnateur néerlandais. Après avoir dîné dans un restaurant-minute, les hommes se sont rendus dans le quartier réservé. Le cadet C.L. a entendu les deux officiers accompagnateurs faire des commentaires au sujet des prostituées, mentionnant que l’une d’entre elles pouvait convenir au témoin et qu’il deviendrait un homme. Le lieutenant de vaisseau Edwards a demandé à la prostituée le tarif qu’elle exigeait pour ses services; elle lui a répondu 50 euros et le maître A. et lui ont tous deux dit qu’ils contribueraient à payer les services d’une prostituée. C.L. est devenu de plus en plus mal à l’aise devant les propos des officiers accompagnateurs. Il n’a pas retenu les services d’une prostituée, mais trois autres cadets et l’officier accompagnateur britannique, le maître A., l’ont fait.

[22]                                      J’accepte le témoignage de C.L. quant aux évènements et aux actes et déclarations de l’accusé dans le quartier réservé, car j’ai trouvé que celui‑ci était un jeune témoin impressionnant. Il comprenait la signification des paroles et des actes qu’il a attribué à l’accusé et à l’officier accompagnateur britannique; il a en effet eu la présence d’esprit de rédiger une note écrite dans les quelques heures suivant les évènements dans le quartier. Je n’ai pas cette note devant moi et je n’ai pas l’intention de laisser entendre que l’existence de la note renforce les déclarations du témoin parce qu’elles ont été faites auparavant, hors cour. J’y fais référence simplement pour montrer que ce témoin possède une excellente perception de l’importance des évènements au sujet desquels il a témoigné.

[23]                                      Aucun des témoins de la poursuite n’a sensiblement changé son témoignage lors de son contre-interrogatoire. Rien dans les témoignages ne donne à penser que les jeunes cadets témoins se sont réunis pour livrer un faux témoignage contre l’accusé et, effectivement, rien ne porte à croire que l’un d’entre eux serait mal intentionné à l’égard de l’accusé. Certaines déclarations des cadets ont été confirmées par le témoignage du lieutenant de vaisseau Edwards, comme la conversation du soir précédant la visite du quartier réservé, au cours de laquelle celui‑ci a informé les deux cadets canadiens qu’ils visiteraient ce lieu le lendemain.

[24]                                      II est vrai qu’il y a dans les témoignages des cadets certaines incohérences quant au déroulement des évènements dans la promenade dans le quartier réservé. Ainsi, K.S. a déclaré qu’il avait été accompagné jusqu’à une prostituée par un autre cadet, M.H., mais C.L. a déclaré qu’il était accompagné par l’accusé. De plus, C.L. a témoigné au sujet de la forte réaction psychologique de culpabilité que K.S. a eue à leur retour à leur chambre, après la visite du quartier réservé, tandis que K.S. lui-même n’a pas fait de déclaration semblable. Je suis d’avis que ces incohérences d’un témoignage à l’autre résultent des différentes perceptions qu’avaient les témoins des mêmes évènements. Quoi qu’il en soit, les incohérences ne portent pas sur des questions de fait substantielles, qui se résument à la question de savoir si l’accusé, par ses actes ou ses paroles, a encouragé ou facilité le recours à des services de prostitution par certains cadets.

[25]                  Après la présentation de la preuve de la poursuite, l’avocat de la défense a affirmé que, pour ce qui était des quatre chefs d’accusation d’exploitation sexuelle, une preuve prima facie n’avait pas été établie et il a soutenu que l’accusé devait être déclaré non coupable de ces accusations. Après avoir entendu la poursuite et examiné l’affaire, j’ai accepté la demande et déclaré l’accusé non coupable des quatre premiers chefs d’accusation. J’ai ensuite exposé les motifs de ma décision.

[26]                  Le paragraphe 112.05(13) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes prévoit ce qui suit :

Lorsque le procureur de la poursuite a terminé la présentation de sa preuve, le juge peut, d’office ou à la demande de l’accusé, entendre les plaidoiries sur la question de savoir si une preuve prima facie a été établie contre l’accusé et :

a)       si le juge décide qu’aucune preuve prima facie n’a pas [sic] été établie à l’égard d’un chef d’accusation, il déclare l’accusé non coupable sous ce chef d’accusation;

b)       si le juge décide qu’une preuve prima facie a été établie à l’égard d’un chef d’accusation, il ordonne que le procès se poursuive sous ce chef d’accusation.

[27]                  Il est stipulé ce qui suit à la note B de l’article 112.05 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes :

Une preuve prima facie est établie si la preuve, qu’on y ajoute foi ou non, suffit, en l’absence de toute autre preuve, à prouver tous les éléments essentiels de l’infraction de sorte que l’accusé pourrait raisonnablement être reconnu coupable à ce stade‑ci du procès en l’absence de toute autre preuve. II n’est tenu compte ni de la crédibilité des témoins, ni du poids accordé à la preuve pour établir une preuve prima facie. La doctrine du doute raisonnable ne s’applique pas lorsqu’il s’agit de décider si une preuve prima facie est établie.

[28]                  Je suis d’avis que la note B continue de résumer de façon exacte la jurisprudence établie par la Cour suprême du Canada dans des affaires comme R. c. Fontaine, [2004] 1 R.C.S. 702.

[29]                  L’alinéa 153(1)b) du Code criminel, à la date alléguée dans les chefs d’accusation, dispose ce qui suit :

153. (1) Commet une infraction toute personne qui est en situation d’autorité ou de confiance vis-à-vis d’un adolescent, à l’égard de laquelle l’adolescent est en situation de dépendance ou qui est dans une relation où elle exploite l’adolescent et qui, selon le cas :

[...]

b) à des fins d’ordre sexuel, invite, engage ou incite un adolescent à la toucher, à se toucher ou à toucher un tiers, directement ou indirectement, avec une partie du corps ou avec un objet.

[30]                                      L’avocat de l’accusé a affirmé que l’infraction créée par l’alinéa 153(1)b) comporte un élément essentiel : l’attouchement interdit doit être fait « à des fins d’ordre sexuel ». Il y a preuve d’attouchement sexuel des prostituées par certains cadets, mais aucune preuve de fins d’ordre sexuel dans la présente affaire.

[31]                                      Quelle est la signification de l’expression « à des fins d’ordre sexuel »? La même expression figure dans d’autres dispositions du Code criminel, y compris dans la définition de la pornographie juvénile, au paragraphe 163.1. Formulant des observations sur cette expression, la juge en chef McLaughlin, pour une majorité de la Cour suprême du Canada, a écrit, dans l’arrêt R. c. Sharpe [2001] 1 R.C.S. 45, au paragraphe 50 :

Il faut également analyser de façon objective l’expression « caractéristique dominante » au sous-alinéa 163.1(1)a)ii), qui vise la possession de matériel visuel dont « la caractéristique dominante est la représentation, dans un but sexuel, d’organes sexuels ou de la région anale d’une personne âgée de moins de dix-huit ans ». Il s’agit de déterminer si une personne raisonnable qui considérerait la représentation de manière objective et en contexte conclurait que sa « caractéristique dominante » est la représentation des organes sexuels ou de la région anale de l’enfant. Il en va de même de l’expression « dans un but sexuel », qui s’entend selon moi de ce qui est raisonnablement perçu comme visant à stimuler sexuellement certaines personnes.

[32]                                      Selon moi, d’après une lecture grammaticale ordinaire de l’article 153, les fins d’ordre sexuel pour le genre d’attouchement interdit par l’article doivent être celles de l’accusé et non celles de la personne qui se livre effectivement à l’attouchement. Il s’agit donc en réalité de l’état d’esprit de l’accusé, qui peut raisonnablement être déduit en fonction de l’ensemble des circonstances qui l’entourent.

[33]                                      Presque tous les précédents que l’avocat a portés à mon attention comportent une situation factuelle où l’accusé pourrait être raisonnablement considéré comme ayant obtenu une stimulation sexuelle du fait de l’attouchement interdit, même si l’accusé n’avait pas participé à l’attouchement. Dans ce genre d’affaires, il n’est pas difficile de conclure que, parce que l’accusé a obtenu une satisfaction sexuelle, ses fins peuvent être considérées comme des fins d’ordre sexuel. Dans la présente affaire, j’estime toutefois qu’il n’y a simplement aucune preuve que l’accusé a obtenu une stimulation sexuelle en encourageant les cadets à avoir une relation sexuelle avec une prostituée.

[34]                                      La poursuite soutient que la stimulation sexuelle de l’accusé ne constitue pas un élément de l’infraction; seules les fins d’ordre sexuel constituent un élément de l’infraction. Je conviens que, dans certaines affaires, il est possible d’établir l’existence de fins d’ordre sexuel chez l’accusé en l’absence d’une conclusion raisonnable que celui‑ci avait l’intention d’obtenir une certaine forme de satisfaction sexuelle pour lui-même. Je dis simplement, cependant, qu’il ne s’agit pas ici de l’une de ces affaires, car il n’y a simplement aucune preuve de fins d’ordre sexuel chez le lieutenant de vaisseau Edwards au moment des actes dénoncés dans les quatre premiers chefs d’accusation. Pour ces motifs, j’accepte la demande et je déclare l’accusé non coupable pour ce qui est des quatre premiers chefs d’accusation.

[35]                                      Les détails des cinquième et sixième chefs d’accusation sont identiques et il est allégué que l’accusé :

[traduction]

[…] le 25 juillet 2006 ou vers cette date, à Amsterdam ou près de cette ville, aux Pays-Bas, pendant qu’il agissait à titre d’officier accompagnateur dans le cadre du programme d’échange international des Cadets de la Marine royale canadienne, a encouragé ou a aidé un ou plusieurs cadets à obtenir les services d’une prostituée.

[36]                                      Dans le cinquième chef d’accusation, il est allégué que ce comportement correspond à une conduite scandaleuse, en contravention de l’article 92 de la Loi sur la défense nationale, et, dans le sixième chef d’accusation, le même comportement est considéré comme correspondant à un comportement déshonorant, en contravention de l’article 93. Les accusations sont portées de façon subsidiaire.

[37]                                      L’accusé a témoigné pour sa défense. Il a convenu qu’il avait parlé aux cadets canadiens de sexe masculin d’une visite touristique du quartier réservé le lendemain, mais nie leur avoir dit qu’il fermerait les yeux s’ils avaient des contacts sexuels avec une prostituée. À la date alléguée dans les chefs d’accusation, les cadets de sexe masculin et lui se sont promenés dans le quartier réservé; ils riaient tous et plaisantaient au sujet des prostituées. Il a nié avoir exhorté des cadets à retenir les services d’une prostituée.

[38]                                      Après avoir consommé des rafraîchissements sur la terrasse d’un café, ils se sont tous rendus, à environ 14 h 15, dans un nouveau secteur du quartier. Un cadet canadien, P., a quitté le groupe pour une période de cinq à huit minutes et est revenu. Les cadets britanniques ont fait la même chose. L’accusé a déclaré avoir compris qu’ils étaient simplement allés regarder différentes filles. L’accusé a nié avoir demandé aux prostituées quel était l’âge légal pour obtenir leurs services ou avoir donné de l’argent aux cadets pour se payer une prostituée. Il a convenu qu’il avait donné de l’argent à K.S., mais il a précisé que c’était pour faire des courses. À ce moment, K.S. a quitté le groupe en compagnie d’un cadet britannique pour une courte période de trois à cinq minutes, puis ils ont tous quitté le quartier réservé une deuxième fois, à environ 14 h 45, étant arrivés environ une demi-heure auparavant. Le lendemain, l’accusé a appris du maître A. les détails des allégations formulées par le cadet C.L.

[39]                                      On me demande de conclure, d’après le témoignage de l’accusé, que, si les jeunes cadets se sont livrés à une activité sexuelle avec une prostituée pendant la visite du quartier réservé, c’était à l’insu et à plus forte raison sans l’encouragement ou l’aide du lieutenant de vaisseau Edwards. Je ne peux retenir le témoignage du lieutenant de vaisseau Edwards sur ces points, et ce témoignage ne soulève pas un doute raisonnable dans mon esprit quant au fait qu’il a encouragé et aidé les cadets à retenir les services d’une prostituée.

[40]                                      J’ai jugé que le lieutenant de vaisseau Edwards était argumentatif et évasif à l’occasion dans le témoignage qu’il a livré lors de son contre-interrogatoire, mais, surtout, j’estime que ce témoignage n’était pas cohérent. Il semble que c’était chose connue parmi les cadets de sexe masculin au moment de leur visite du quartier réservé qu’un certain nombre d’entre eux allaient, en fait, retenir les services d’une prostituée. Ils en parlaient ouvertement entre eux; même qu’ils en riaient et plaisantaient à ce sujet sans aucun effort pour garder le secret devant le groupe ou devant leurs officiers accompagnateurs.

[41]                                      Il semble que même le maître A., l’officier accompagnateur britannique, a eu des relations sexuelles avec une prostituée sans le cacher aux cadets. Pourtant, selon le témoignage de l’accusé, qui avait alors la responsabilité de superviser les actes des cadets et de les tenir à l’écart de tout problème ou danger, celui‑ci n’avait aucune idée de ce que faisaient les jeunes qui lui étaient confiés. Je ne peux tout simplement pas considérer cette déclaration comme vraie ou exacte.

[42]                                      J’accepte la déclaration faite par l’accusé dans son contre-interrogatoire selon laquelle il tenait un journal quotidien des évènements pendant la visite aux Pays-Bas en vue de rédiger un rapport à ses supérieurs à la fin de l’échange. Des activités quotidiennes d’importance variable ont été notées dans le journal, mais l’accusé n’a rien inscrit au sujet de la visite du quartier réservé. Je ne souscris pas à l’affirmation selon laquelle cette activité n’était pas suffisamment importante pour justifier une inscription dans le journal. Je juge plutôt que cette omission de la part de l’accusé est compatible avec une tentative de sa part de passer sous silence les évènements dans le quartier réservé.

[43]                                      Compte tenu de l’ensemble de la preuve, je suis convaincu hors de tout doute raisonnable que certains cadets ont eu une relation sexuelle avec une prostituée pendant la visite du quartier réservé et que le lieutenant de vaisseau Edwards devait être au courant de ce comportement. De plus, je suis convaincu hors de tout doute raisonnable que le lieutenant de vaisseau Edwards a encouragé et aidé les cadets à obtenir ces services en leur conseillant de se comporter de cette façon afin de démontrer leur virilité, en approuvant leur comportement en fermant les yeux malgré sa position de responsabilité et sa situation d’autorité par rapport à l’ensemble des cadets de sexe masculin et, dans au moins un cas, en fournissant une petite somme d’argent à un cadet de sorte qu’il puisse obtenir des services sexuels. Les détails des cinquième et sixième chefs d’accusation ont été établis.

[44]                                      Je suis d’accord avec l’ancienne juge militaire en chef Carter, qui a présidé dans l’affaire R. c. Short, 2002 CM 19, et qui a établi, lors d’une audience en cour martiale permanente, le 16 avril 2002, que, pour l’application de l’article 93 de la Loi sur la défense nationale, la norme du comportement déshonorant devait être considérée de façon objective. Une personne raisonnable qui examinerait la question objectivement conclurait-elle que le comportement transgresse les normes de la collectivité au point d’être inadmissible et choquant?

[45]                                      L’avocat de la défense a convenu au cours de son plaidoyer que, si le comportement allégué était avéré, il s’agirait effectivement d’un comportement inadmissible et choquant. Je suis du même avis, et par conséquent l’accusé est coupable du sixième chef d’accusation.

[46]                                      L’avocat de la défense a également convenu que, si le comportement allégué était avéré, il s’agirait d’une conduite scandaleuse de la part de cet officier, en contravention de l’article 92. Il n’a été fait mention d’aucun précédent pour interpréter cette accusation assez rare aux termes du Code de discipline militaire. Les savants auteurs de l’ouvrage Canadian Military Law Annotated, écrivent seulement, à la page 603 :

[traduction]

L’étendue de cette infraction est très large […] [englobant] une grande variété de comportements verbaux et physiques des officiers.

[47]                                      Le procureur m’a renvoyé au dictionnaire Oxford, qui définit ainsi le terme « scandale » : [traduction] « acte ou activité considéré moralement ou légalement mauvais et qui cause l’indignation publique générale. »

[48]                                      Selon moi, cette définition est d’une aide précieuse pour définir la portée de l’interdiction contenue à l’article 92. Bien que certains éléments de preuve donnent à penser que certaines personnes liées à l’affaire pourraient avoir été indignées par la conduite avérée de l’accusé, je ne suis pas convaincu qu’il existe un fondement suffisant pour conclure que le public a été indigné par la conduite de l’accusé. Je ne suis donc pas convaincu hors de tout doute raisonnable que le comportement avéré de l’accusé correspond à une conduite scandaleuse. Je le déclare non coupable du cinquième chef d’accusation.

[49]                                      Veuillez-vous lever, s’il vous plaît, Lieutenant de vaisseau Edwards. La Cour vous déclare non coupable du cinquième chef d’accusation et coupable du sixième chef d’accusation. Veuillez-vous rasseoir.

 

 

CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, J.M.

 

Avocats :

 

Major M. Trudel, Procureur militaire régional, région du Centre

Avocat de Sa Majesté la Reine

 

Lieutenant de vaisseau P.D. Desbiens, Direction du Service d’avocats de la défense

Avocat du lieutenant de vaisseau Edwards

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