Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 8 décembre 2015

Endroit : BFC Petawawa, édifice L-106, 48 terrain de parade Nicklin, Petawawa (ON)

Chefs d’accusation :

• Chefs d’accusation 1, 3 : Art. 125a) LDN, a fait volontairement une fausse inscription dans un document officiel signé de sa main.
• Chefs d’accusation 2, 4 : Art. 125a) LDN, a fait avec négligence une fausse inscription dans un document signé de sa main.
• Chefs d’accusation 5, 6 : Art. 129 LDN, négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats :

• VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 3 : Coupable. Chefs d’accusation 2, 4, 5, 6 : Retirés.
• SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 800$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Campos, 2015 CM 3017

 

Date : 20151208

Dossier : 201571

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Petawawa

Petawawa (Ontario), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal‑chef H.D. Campos, contrevenant

 

 

En présence du : Lieutenant‑colonel L.‑V. d’Auteuil, J.M.


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

Introduction

 

[1]               Caporal‑chef Campos, la Cour ayant accepté et enregistré votre plaidoyer de culpabilité aux premier et troisième chefs d’accusation à l’acte d’accusation, la Cour vous reconnaît maintenant coupable de ces chefs d’accusation. Les autres chefs d’accusation ont été retirés par la poursuite, donc la Cour n’a pas d’autres chefs d’accusation à traiter dans cette affaire.

 

[2]               Il me revient maintenant en ma qualité de juge militaire présidant la présente cour martiale permanente de déterminer la sentence.

 

[3]               Dans le contexte particulier d’une force armée, le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline, une dimension essentielle de l’activité militaire dans les Forces canadiennes. Ce système a pour but de prévenir toute inconduite ou, de manière plus constructive, d’encourager le bon comportement. C’est par la discipline qu’une force armée pourra s’assurer que ses membres accomplissent avec succès leurs missions, efficacement et en toute confiance. Le système de justice militaire veille également au maintien de l’ordre public et fait en sorte que les personnes justiciables du code de discipline militaire sont punies comme le serait toute autre personne vivant au Canada.

 

[4]               En l’espèce, la poursuite et l’avocat de la défense ont présenté une soumission conjointe sur la sentence que devrait prononcer la Cour. Ils ont soumis à la Cour de vous condamner à une réprimande et à une amende au montant de 800 $. La Cour n’est pas liée par cette soumission conjointe, mais il est généralement admis que le juge qui prononce la sentence ne s’écartera de la soumission conjointe que s’il existe des motifs impérieux de le faire. Les motifs impérieux s’entendent des cas où la sentence n’est pas adaptée, n’est pas raisonnable, aurait pour effet de déconsidérer l’administration de la justice ou encore serait contraire à l’intérêt public ainsi que cela ressort d’un arrêt de la Cour d’appel de la cour martiale, R. c. Taylor, 2008 CACM 1, au paragraphe 21.

 

[5]               L’objet essentiel de la sentence prononcée par une cour martiale est d’assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline et, sur un plan plus général, le maintien d’une société juste, paisible et sûre. Toutefois, la loi n’autorise pas un juge militaire à prononcer une sentence qui irait au‑delà de ce qui est requis compte tenu des circonstances de l’espèce. Autrement dit, toute sentence prononcée par un juge doit être adaptée à la situation du contrevenant concerné et représenter l’intervention minimale requise car la modération est le principe fondamental de la théorie moderne de la détermination de la sentence au Canada.

 

[6]               Lorsqu’elle prononce une peine, la Cour doit prendre compte de l’un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a)                  protéger le public, ce qui comprend les Forces armées canadiennes;

 

b)                  dénoncer le comportement illégal;

 

c)                  dissuader le contrevenant ou quiconque de commettre les mêmes infractions;

 

d)                  isoler au besoin les contrevenants du reste de la société; et

 

e)                  réadapter et réformer les contrevenants.

 

[7]               Lorsqu’il prononce une sentence, le tribunal militaire doit aussi tenir compte des principes suivants :

 

a)                  la sentence doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction;

 

b)                  la sentence doit être proportionnelle à la responsabilité et aux antécédents du contrevenant;

 

c)                  la sentence doit être semblable aux sentences infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;

 

d)                  le contrevenant ne doit pas être privé de sa liberté s’il est possible, eu égard aux circonstances, de lui infliger une peine moins contraignante; en bref, la Cour ne devrait infliger une sentence d’emprisonnement ou de détention qu’en dernier recours comme l’ont établi les décisions de la Cour d’appel de la cour martiale et de la Cour suprême du Canada; et

 

e)                  enfin, toute sentence que prononcera la Cour sera adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant.

 

[8]               Dans la présente affaire, la sentence qu’il convient de prononcer devrait mettre l’accent sur les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale. Il importe de se rappeler que le principe de dissuasion générale signifie que la sentence devrait non seulement dissuader le contrevenant de récidiver, mais également dissuader autrui dans des situations analogues de se livrer au même comportement prohibé.

 

[9]               Le contexte de la présente affaire est le suivant :

 

a)                  Le caporal‑chef Campos est né à Lima, au Pérou le 29 avril 1966, et puis est immigré plus tard au Canada en février 1988. Il a passé la plus grande partie de sa vie comme citoyen canadien dans la province de l’Ontario, tout comme le reste de sa famille.

 

b)                  Le contrevenant est père de quatre enfants, qui proviennent de deux liens de parenté différents. Il est aussi le grand‑père de deux jeunes enfants, âgés de dix ans et de six ans. Il est partie à une procédure de divorce dans laquelle est posée la question de la garde de l’enfant le plus jeune, Alexandra, âgée de neuf ans.

 

c)                  Le caporal‑chef Campos s’est enrôlé dans les Forces armées canadiennes en 2001. Il a été un membre du 2 Princess Patricia’s Canadian Light Infantry (PPCLI) et il est actuellement un membre du 3 Royal Canadian Regiment (RCR) ici à Petawawa.

 

d)                  En juillet 2012, étant au sein du RCR, sa mère est décédée à Lima, au Pérou. Un congé pour raisons familiales lui a été consenti allant de la fin de juillet jusqu’à la mi‑août 2012. À son retour, il a présenté une réclamation d’indemnité de déplacement pour événement familial malheureux afin d’être remboursé pour une partie de ses frais de déplacement. Cette réclamation s’est égarée ainsi que le reçu du billet d’avion. Une deuxième réclamation a été présentée, mais n’a pas été finalisée pour des raisons inconnues. Une troisième réclamation a été amorcée, mais comme il n’existait pas d’autres reçus étayant cette réclamation, il a alors fait une déclaration statutaire où il indiquait que le vol aller‑retour d’Ottawa à Lima, Pérou lui avait coûté 1 400 $. Il ajoutait qu’il ne pouvait plus obtenir de reçu de la compagnie aérienne ni l’imprimé de son relevé de carte de crédit pour cette période.

 

e)                  La troisième réclamation n’a pas été finalisée et une quatrième réclamation fut amorcée puis signée par le caporal‑chef Campos le 31 octobre 2013. Encore, il a certifié le coût des vols dans une déclaration statutaire. Sa réclamation lui a été retournée à cause de manque de reçus et il a alors produit un relevé de carte de crédit qui montrait que son billet d’avion lui avait coûté environ 800 $.

 

f)                    Le bureau du contrôleur de la base a envoyé à Air Canada un courriel sollicitant une copie du billet d’avion compte tenu des renseignements reçus et la copie obtenue montrait qu’il s’agissait d’un vol de Toronto, non Ottawa, à Lima et retour. Les détails figurant dans les troisième et quatrième réclamations étaient inexacts. Son vol était parti de Toronto et non d’Ottawa et le coût réel des billets d’avion de Toronto à Lima et retour était de 803,46 $ et non de 1 400 $.

 

g)                  Des chefs d’accusation ont été portés le 29 octobre 2015 et la Cour a été convoquée plus tard et il me revient aujourd’hui de statuer sur cette affaire.

 

[10]           Il importe de souligner qu’un état de stress post‑traumatique (ESPT) a été diagnostiqué au caporal‑chef Campos en 2011 suite à un déploiement au sein du 3 RCR qui a eu lieu en 2008. Suite à ce diagnostic, il a été suivi depuis 2012. Divers médecins et psychiatres ont évoqué ses difficultés dans la résolution de problèmes et de relations interpersonnelles.

 

[11]           Pour déterminer la sentence à prononcer, j’ai pris compte des circonstances aggravantes suivantes :

 

a)                  La Cour a considéré comme circonstance aggravante la gravité objective de l’infraction. Les deux infractions dont vous avez été accusé ont été portées en vertu de l’alinéa 125a) de la Loi sur la défense nationale et encourt comme peine maximale un emprisonnement de moins de trois ans ou une peine moindre.

 

b)                  L’abus de confiance. Vous devez comprendre, Caporal‑chef Campos, que le système financier des Forces armées canadiennes repose principalement sur l’intégrité et l’honnêteté des membres de manière à garantir la bonne gestion des fonds. En raison du nombre de réclamations présentées par les divers membres des Forces armées canadiennes, le système qui est appliqué est simple, nous faisons confiance aux gens, nous croyons ce qu’ils disent, en particulier en raison de leur formation et de l’engagement qu’ils prennent d’un point de vue éthique. Autrement, il serait très difficile pour le personnel des finances de suivre une à une de toutes les transactions qui ont lieu dans le système. C’est pourquoi les valeurs que sont l’honnêteté et l’intégrité sont si importantes.

 

c)                  Également, votre grade et votre expérience. Votre nomination en tant que caporal‑chef remonte à 2007 lorsque les incidents se sont produits. Vous aviez environ douze ans d’expérience, six en tant que caporal‑chef, vous saviez donc que ce que vous aviez fait était répréhensible vu le temps que vous aviez passé au sein des Forces armées canadiennes.

 

d)                  Parmi les circonstances aggravantes, il y a aussi la préméditation que je dois prendre compte parce que vous avez présenté vos déclarations statutaires non pas une fois, mais deux fois, ce qui signifie que vous aviez projeté, d’une certaine façon, de faire ce que vous avez fait.

 

e)                  Je considère aussi comme circonstance aggravante, bien qu’autant pas, mais ce n’est pas moins une circonstance aggravante, le fait que vous avez une fiche de conduite. Il est vrai que votre fiche de conduite ne contient pas d’entrées se rapportant à des infractions semblables. Toutefois, vous êtes très familier avec le code de discipline militaire et le fonctionnement des tribunaux. C’est ce qu’a montré cette fiche de conduite, de sorte que vous savez que si vous ne vous comportez pas convenablement, vous pourriez vous retrouver devant une cour ou devant un quelconque tribunal.

 

[12]           J’ai aussi pris compte des circonstances atténuantes suivantes :

 

a)                  La première chose est votre plaidoyer de culpabilité. Ce plaidoyer m’indique que vous acceptez la pleine responsabilité de ce que vous avez fait.

 

b)                  Il y a aussi les mesures administratives qui ont été prises par votre unité, notamment la mise en garde et surveillance. Vous vous êtes plié à ce régime sans aucune difficulté. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une sentence en tant que telle, le fait que des mesures administratives ont été prises a certainement contribué à l’idée de dissuader n’importe qui d’agir ainsi, y compris vous.

 

c)                  Il y a vos troubles mentaux. Vous devez comprendre qu’après neuf ans de magistrature militaire, ce n’est pas la première fois que je suis saisi d’un cas où un membre équilibré des Forces armées canadiennes, bien formé, dévoué, a été déployé et avant son déploiement tout allait bien et après son retour quelque chose avait changé. C’est quelque chose qui n’est pas nécessairement sous le contrôle du membre, mais quelque chose a changé et son comportement est devenu un problème au point que sa chaîne de commandement recouru, pour diverses raisons, au code de discipline militaire pour lui faire savoir que « trop, c’est trop ». Est‑ce justifié ou non? Je ne peux pas me prononcer là‑dessus, je ne peux pas en discuter parce que je ne sais rien du contexte, mais il est vrai que votre problème de santé mentale a montré à la Cour qu’il n’était pas étranger à votre comportement. C’est un problème qui a obscurci votre discernement, mais il ne constitue pas une excuse pour ce que vous avez fait. Toutefois, je dois en tenir compte, c’était un problème bien connu lors de la commission des infractions et une décision a été prise pour le régler de cette façon par l’entremise du code de discipline militaire. Je sais parfaitement que vous avez encore des difficultés, mais vous vous efforcez d’en venir à bout en tentant de les résoudre avec l’aide de thérapeutes. Vous affirmez que vous vouliez revenir à l’état où vous vous trouviez avant que vos difficultés ne surviennent. Cela arrivera peut‑être ou pas, mais vous me dites que vous luttez encore; vous avez cette volonté de demeurer un atout précieux pour la société, une personne de valeur pour votre famille, pour vos enfants et pour vos petits‑enfants. Vous voulez être là pour eux et j’espère que cette perspective vous aidera encore à venir à bout de vos problèmes de santé mentale et je vous encourage à continuer, mais, pour moi c’est une circonstance atténuante dont je dois tenir compte et je crois disposer d’une abondance de preuves concernant votre problème particulier, mais aussi l’impact qu’il y a eu sur votre discernement au moment de l’infraction, mais également après. En fait, vous serez libéré des Forces armées canadiennes à cause de cela quoique vous vous soyez bien acquitté de vos tâches. Il y a certaines conséquences, des conséquences malheureuses, mais vous vous en occupez.

 

d)                  Il y a aussi votre situation personnelle, d’une perspective financière et familiale. Le fait d’être en instance de divorce est une difficulté supplémentaire que vous devez résoudre en même temps que votre problème de santé mentale. Ce n’est pas une tâche facile à accomplir, mais je pense que vous y réussirez.

 

[13]           Ainsi, après l’examen de tous les principes et facteurs dont je devais tenir compte, j’accepterai la soumission conjointe des avocats et vous condamnerai à une réprimande et à une amende au montant de 800 $, compte tenu qu’elle n’est pas contraire à l’intérêt public et n’aura pas pour effet de déconsidérer l’administration de la justice.

 

[14]           Cette affaire trouvera sa conclusion. Je suis heureux de constater que vous êtes encore dans les Forces armées canadiennes pendant que nous traitons cette affaire; le fait que nous traitions de cette affaire pendant que vous êtes encore en uniforme rend la tâche plus facile pour vous et plus facile pour l’unité et le système. Cela vous aidera à tourner la page sur cette affaire et je pense que c’est le but. C’est l’une des raisons pour lesquelles vous avez plaidé coupable; vous vouliez mettre un terme à cette affaire, tourner la page, et vous consacrer à d’autres choses, et je pense qu’il est judicieux de s’y prendre ainsi.

 

[15]           Je vous souhaite bonne chance pour la solution de toutes les difficultés auxquelles vous faites face. J’espère que l’expérience que vous avez acquise au sein des Forces armées canadiennes vous aidera à vous en sortir parce qu’il y a des éléments positifs. Quand j’ai parcouru vos rapports annuels de rendement, j’y ai constaté maintes choses positives que vous avez accomplies au sein des Forces armées canadiennes et les expériences que vous avez eues jusqu’à ce jour, pourront vous aider, plus tard, à venir à bout des autres difficultés auxquelles vous faites face, et je vous souhaite donc bonne chance.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[16]           VOUS RECONNAÎT coupable des premier et troisième chefs d’accusation à l’acte d’accusation pour avoir fait volontairement une fausse inscription dans un document officiel signé de votre main contrairement à l’alinéa 125a) de la Loi sur la défense nationale;

 

[17]           VOUS CONDAMNE à une réprimande et à une amende au montant de 800 $. L’amende sera payée par mensualités de 200 $, à compter du 1er janvier 2016, et continuant pour les trois prochains mois suivants. Si vous êtes libéré avant le paiement du montant intégral, alors le solde devra être payé avant votre libération des Forces armées canadiennes.


 

Avocats :

 

Le directeur des poursuites militaires, représenté par le major J.S.P. Doucet

 

Le major B.L.J. Tremblay, service d’avocats de la défense, avocat du caporal‑chef Campos

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